La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

07/09/2016 | FRANCE | N°13/02920

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 6, 07 septembre 2016, 13/02920


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS







COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 6



ARRÊT DU 07 Septembre 2016

(n° , pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : S 13/02920



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 06 Février 2013 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS RG n° 11/14828





APPELANTES

Madame [K] [C] épouse [Z]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

née le [Date naissance 1] 1972 à [Localité 1] (

000)

représentée par Me Savine BERNARD, avocat au barreau de PARIS, toque : C2002



SYNDICAT CGT FORCE OUVRIERE DU PERSONNEL DES ORGANISMES SOCIAUX DIVERS ET DIVERS DE LA REGION PARISIEN...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 6

ARRÊT DU 07 Septembre 2016

(n° , pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S 13/02920

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 06 Février 2013 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS RG n° 11/14828

APPELANTES

Madame [K] [C] épouse [Z]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

née le [Date naissance 1] 1972 à [Localité 1] (000)

représentée par Me Savine BERNARD, avocat au barreau de PARIS, toque : C2002

SYNDICAT CGT FORCE OUVRIERE DU PERSONNEL DES ORGANISMES SOCIAUX DIVERS ET DIVERS DE LA REGION PARISIENNE

[Adresse 2]

[Adresse 2]

[Localité 2]

représentée par Me Savine BERNARD, avocat au barreau de PARIS, toque : C2002

INTIMEE

SAS ALTRAN TECHNOLOGIE venant aux droits de la société ALTRAN CIS

[Adresse 3]

[Adresse 3]

représentée par Me Pierre DUFAU, avocat au barreau de PARIS, toque : E1272

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 24 Mai 2016, en audience publique, devant la Cour composée de :

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Monsieur Benoit DE CHARRY, président

Madame Catherine BRUNET, conseillère

Madame Elisabeth MEHL-JUNGBLUTH, conseillère

Qui en ont délibéré.

Greffier : Mme Lynda BENBELKACEM, lors des débats

ARRET :

- contradictoire

- mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.

- signé par Monsieur Benoît DE CHARRY, président et par Madame Lynda BENBELKACEM, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

RAPPEL DES FAITS, PROCEDURE ET MOYENS DES PARTIES

Madame [K] [C] épouse [Z] a été engagée par la Société AXIEM, absorbée ultérieurement par ALTRAN CIS aux droits de laquelle vient la SA ALTRAN TECHNOLOGIE, par contrat de travail à durée indéterminée en date du 27 avril 2001 en qualité de consultant.

Madame [K] [C] épouse [Z] a été élue déléguée du personnel suppléante en 2003 sur la liste Force Ouvrière et élue suppléante au comité d'entreprise. Elle a été élue secrétaire du CHSCT en 2005.

Estimant avoir fait l'objet de discrimination de la part de son employeur en raison de ses fonctions syndicales, Madame [K] [C] épouse [Z] a saisi en 2005 le conseil de prud'hommes de Paris qui a, le 20 mars 2007, estimé établi la discrimination syndicale alléguée et a condamné l'employeur à payer à Madame [K] [C] épouse [Z] un euro à titre de dommages-intérêts. Sur appel interjeté par Madame [K] [C] épouse [Z], la cour d'appel de Paris a, par un arrêt du 9 décembre 2008, confirmé le jugement en ce qu'il a admis la discrimination syndicale et a condamné l'employeur à verser à Madame [K] [C] épouse [Z] 100 000 euros à titre de dommages-intérêts.

Estimant que son employeur était redevable de rappel de salaire sur des heures de délégation pour la période d'octobre 2008 au 31 mars 2011, qu'elle subissait une discrimination syndicale et raciale ainsi qu'un harcèlement, que son employeur n'avait pas respecté les dispositions de l'article L 1225-26 du code du travail et contestant la validité d'une clause de dédit formation Madame [K] [C] épouse [Z] a, le 21 octobre 2011, saisi le conseil de prud'hommes de Paris qui, par un jugement rendu le 6 février 2013, a pris acte du règlement par la SAS CIS ALTRAN à Mme [C] de 1542,85 euros au titre des heures de délégation, a annulé la clause de dédit formation, a condamné la SAS CIS ALTRAN à payer à Mme [C] 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et a débouté cette dernière du surplus de ses demandes. Le conseil de prud'hommes de Paris a également débouté le syndicat CGT FO, intervenu à l'instance, de sa demande en dommages et intérêts.

Madame [K] [C] épouse [Z] et le Syndicat CGT Force Ouvrière du personnel des organismes sociaux divers et divers de la Région Parisienne, (ci-après CGT-FO) ont relevé appel de ce jugement par déclaration parvenue au greffe de la cour le 25 mars 2013.

Madame [K] [C] épouse [Z] soutient qu'elle a subi une discrimination salariale par rapport à des salariés se trouvant dans une situation comparable à la sienne, qu'elle a subi une discrimination syndicale notamment par le non-versement d'une prime sur objectifs sur les heures de délégation, qu'elle a subi un harcèlement moral, qu'elle a été l'objet de propos racistes tenus par un directeur, qu'à son retour de congé maternité, son employeur a refusé d'examiner et de réévaluer son salaire, que la clause de dédit formation qui figure dans le contrat du 22 mai 2012 est nulle.

En conséquence, elle sollicite la condamnation de la SA ALTRAN TECHNOLOGIE à lui payer :

*157 986 euros en réparation du préjudice financier subi au titre de la discrimination syndicale sur le fondement de l'article L.1134-5 du code du travail,

*2.000.000 euros en réparation du préjudice subi au titre du harcèlement moral et de la discrimination syndicale sur le fondement des articles L.1132-1, L.2141-5, L.1152-1 et L.4121-11 du code du travail,

*10.000 euros à titre de dommages et intérêts pour discrimination raciale sur le fondement des articles L.1132-1 et L.4121-1 du code du travail

*10.000 euros à titre de dommages-intérêts pour non-respect de l'article L.1225-26 du code du travail,

*5000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

et que la cour :

*ordonne son repositionnement avec un salaire fixe mensuel de 5277 euros,

*confirme la condamnation au paiement de 1542,85 euros à titre de rappel de salaire sur les heures de délégation pour la période d'octobre 2008 au 31 mars 2011,

*assortisse les sommes précitées des intérêts au taux légal,

*annule la clause de dédit formation dans le contrat en date du 22 mai 2012.

La CGT-FO sollicite la condamnation de la SA ALTRAN TECHNOLOGIE à lui payer 10 000 euros sur le fondement de l'article L.2132-3 du code du travail.

En réponse, la SA ALTRAN TECHNOLOGIE fait valoir qu'elle a confié à Madame [K] [C] épouse [Z] un travail conforme à ses souhaits, ses compétences, sa qualification et son contrat de travail jusqu'en 2011, puis lui a confié une fonction support effective. Elle conteste la représentativité du panel de salarié choisi par Madame [K] [C] épouse [Z]. Elle conteste toute discrimination syndicale et tout harcèlement moral. Elle indique que Madame [K] [C] épouse [Z] n'a subi aucune perte de rémunération en raison de son congé maternité, et conteste que celle-ci a fait l'objet d'une discrimination raciale. Elle soutient que la clause de dédit formation a été valablement acceptée par la salariée. La SA ALTRAN TECHNOLOGIE estime que la CGT-FO ne démontre pas le préjudice qu'elle prétend avoir subi.

En conséquence, elle sollicite la confirmation du jugement en ce qu'il a débouté Madame [C] de ses demandes au titre de la discrimination syndicale et du harcèlement moral et le Syndicat CGT-FO du personnel des organismes sociaux divers et divers de la région parisienne de ses demandes, l'infirmation en ce qu'il a annulé la clause de dédit formation et la condamnation de chacune des parties appelantes au paiement de la somme de 2500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

MOTIFS

Vu le jugement du conseil de prud'hommes, les pièces régulièrement communiquées et les conclusions des parties, visées par le greffier et soutenues oralement à l'audience, auxquels il convient de se référer pour plus ample information sur les faits, les positions et prétentions des parties.

Sur la discrimination syndicale

Aux termes de l'article L.1132-1 du code du travail, aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de l'accès à un stage ou à une période de formation, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie par l'article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008, notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L.3221-3, de mesures d'intéressement ou de distribution d'action, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de ses activités syndicales.

L'article L.2141-5 du code du travail interdit à l'employeur de prendre en considération l'appartenance à un syndicat ou l'exercice d'une activité syndicale pour arrêter ses décisions en matière notamment de recrutement, de conduite et de répartition du travail, de formation professionnelle, d'avancement, de rémunération et d'octroi d'avantages sociaux, de mesures de discipline et de rupture du contrat de travail.

Selon l'article L.1134-1 du code du travail, en cas de litige, le salarié concerné présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte, au vu desquels, il incombe à l'employeur de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination, et le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

En l'espèce, Madame [K] [C] épouse [Z] invoque les faits suivants : Alors qu'elle occupe depuis plusieurs années les fonctions syndicales au sein de l'entreprise, l'évolution de son salaire par rapport à celui d'un panel constitué de salariés dans une situation comparable à la sienne fait apparaître que la quasi totalité de ceux-ci bénéficie d'un salaire supérieur au sien. Elle fait valoir également que, notamment, de décembre 2008 à avril 2011, son employeur lui a versé une prime sur chiffre d'affaires calculée uniquement sur les heures de mission et non sur les heures de délégation.

Pour étayer ses affirmations, Madame [K] [C] épouse [Z] produit notamment un tableau reprenant l'évolution du salaire fixe mensuel des salariés du panel année par année depuis 2009 ainsi qu'un tableau qui reprend l'évolution du salaire annuel total, incluant le variable, des salariés de ce panel année par année depuis 2009.

La SA ALTRAN TECHNOLOGIE répond que le panel de salarié choisi par Madame [C] n'est absolument pas représentatif et ne permet pas une comparaison avec des salariés placés dans une situation similaire, car il est constitué de quelque salariés choisis par l'appelante selon son bon vouloir en fonction de critères incompréhensibles parmi une liste de salariés pour lesquels des informations d'actualisation complémentaires avaient été apportées en vue de la NAO de 2009, qui exerçaient en 2009 des fonctions de consultants (confirmés, seniors) mais dans des périmètres différents et qui ont aujourd'hui évolué dans leur poste mais tout en continuant à exercer un métier de consultant, alors que Madame [C] n'était plus consultante et ce depuis plus de cinq ans. La SA ALTRAN TECHNOLOGIE produit aux débats un panel constitué par les salariés occupant, comme Madame [C], la fonction de Marketing Manager et ayant une ancienneté équivalente à la sienne.

Le panel proposé par Madame [K] [C] épouse [Z] regroupe 13 salariés se trouvant dans une situation comparable à la sienne pour avoir été recrutés comme elle entre 2000 et 2001 et qui, en janvier 2009 occupaient comme elle des fonctions de consultant niveau 3.1. Les montants de rémunération de ces salariés sont ceux qui résultent des documents communiqués par l'employeur.

L'examen des rémunérations des différents membres du panel fait apparaître que, s'agissant du salaire mensuel fixe, un seul de ces salariés perçoit un salaire inférieur à celui de Madame [K] [C] épouse [Z], et que le salaire mensuel de cette dernière est toujours inférieur au salaire mensuel moyen des membres du panel. De même l'examen du montant de la rémunération annuelle brute des membres du panel révèle, là encore, qu'un seul salarié perçoit un salaire annuel inférieur à celui de Madame [K] [C] épouse [Z] et que cette dernière perçoit une rémunération annuelle toujours inférieure à la rémunération moyenne annuelle des membres du panel.

Ainsi les éléments présentés par Madame [K] [C] épouse [Z] font apparaître que sa situation en terme de rémunération a été, au cours des années 2009 à 2015, en-deçà de celles des salariés ayant une situation comparable à la sienne.

Par ailleurs, il est constant que l'employeur n'a pas versé à Madame [K] [C] épouse [Z] la prime sur objectif qu'elle verse à l'ensemble des consultants seniors à l'occasion des missions internes, au titre des heures de délégation prises par Mme [C], alors que l'exercice de mandat représentatif ne peut avoir aucune incidence défavorable sur la rémunération du salarié, de sorte que Madame [K] [C] épouse [Z] aurait dû percevoir, au titre de la prime précitée, une somme fixée en tenant compte de la totalité de ses heures d'activité, qu'elle soient de production ou de délégation.

Eu égard aux fonctions syndicales occupées par la salariée, l'ensemble de ces éléments laisse supposer l'existence d'une discrimination prenant sa source dans l'appartenance syndicale et l'exercice de fonctions syndicales de Madame [K] [C] épouse [Z].

Il revient donc à la SA ALTRAN TECHNOLOGIE de prouver que ses décisions quant à la rémunération de Madame [K] [C] épouse [Z] sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

La SA ALTRAN TECHNOLOGIE ne démontre pas que le différentiel de rémunération entre la moyenne de celle du panel et le montant de la rémunération de Madame [K] [C] épouse [Z] est objectivement justifié, pas plus qu'elle ne démontre que le défaut de prise en compte des heures de délégation dans le calcul de la prime variable, fait non contesté par l'employeur, est justifié par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

En conséquence, la discrimination est établie.

En l'absence de toute contestation quant au montant de la prime sur objectifs afférents aux heures de délégation, au vu du taux de celle-ci et du nombre d'heures de délégation effectuées par Madame [K] [C] épouse [Z] sur la période d'octobre 2008 à avril 2011, le montant dû par l'employeur à la salariée est de 1542,85 euros, somme que la SA ALTRAN TECHNOLOGIE sera condamnée à payer en deniers ou quittance.

Du fait de la discrimination dont elle a été l'objet, Madame [K] [C] épouse [Z] n'a pas perçu la rémunération à laquelle elle pouvait prétendre et la SA ALTRAN TECHNOLOGIE doit réparer dans sa totalité le préjudice financier qui en découle. Ce préjudice est constitué d'une part de la différence entre ce qu'elle aurait dû percevoir si elle n'avait pas été discriminée et ce qu'elle a effectivement perçu, et d'autre part de l'incidence de l'insuffisance de rémunération sur le montant de la retraite et des avantages dérivés du salaire, incidence qui peut être calculée à 30 % de la rémunération de base. Au regard de la rémunération annuelle moyenne des membres du panel, calculée année par année, le différentiel de salaire sur la période de janvier 2009 à mai 2016 est de 82 512 euros. En tenant compte de la majoration de 30%, le préjudice financier subi par Madame [K] [C] épouse [Z] est de 107 266 euros, somme que la SA ALTRAN TECHNOLOGIE sera condamnée à lui payer.

La SA ALTRAN TECHNOLOGIE devra, pour rétablir Madame [K] [C] épouse [Z] dans ses droits, la repositionner de telle manière que, pour l'avenir, son salaire soit celui qu'elle aurait dû percevoir en l'absence de discrimination. Sur la base du salaire mensuel moyen du panel qui détermine le montant du salaire auquel Madame [K] [C] épouse [Z] devait être rémunérée si elle n'avait pas été discriminée, il sera ordonné à la SA ALTRAN TECHNOLOGIE de repositionner Madame [K] [C] épouse [Z] avec un salaire mensuel fixe de 5277 euros.

Sur le harcèlement moral

Aux termes de l'article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

L'article L.1154-1 du même code prévoit qu'en cas de litige, le salarié concerné établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement et il incombe alors à l'employeur, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

En l'espèce, Madame [K] [C] épouse [Z] invoque les faits suivants : une absence d'affectation à des missions facturables chez un client lorsqu'elle était consultante, puis l'affectation à deux postes support « marketing manager » isolés et sans grand contenu.

Madame [K] [C] épouse [Z] a été recrutée pour exercer des fonctions de consultante et il n'est pas contesté qu'entre le 14 octobre 2008 et le 26 avril 2011 son employeur ne l'a pas affectée à une mission de consultante chez un client, mais lui a confié quelques missions internes. Il résulte des pièces versées aux débats que l'employeur n'a, au cours de cette période, proposé à sa salariée qu'une seule mission.

Madame [K] [C] épouse [Z] a été en congés maternité entre le mois de novembre 2009 et le mois de juin 2010, ce dont il résulte que son employeur ne l'a pas affectée à des tâches qui étaient normalement les siennes et ne lui a proposé qu'une seule mission correspondant à son métier de consultant sur une période d'un peu moins de deux années.

À compter du 26 avril 2011, Madame [K] [C] épouse [Z] est devenue « Marketing Manager », dans un premier temps chargée des pays émergents, puis en charge de l'offre de formation interne ALTRAN.

Madame [K] [C] épouse [Z] fait notamment valoir que dans, ces postes, elle était isolée et ajoute que ceux-ci étaient vides de contenu.

Dans son relevé d'activité du mois de décembre 2011, Madame [K] [C] épouse [Z] écrivait : « aucun échange avec les zones Inde Chine dont je suis censé m'occuper depuis plusieurs mois. Mon supérieur hiérarchique à tout bloqué et ne m'adresse aucun mail. Il ne m'associe à rien. Il orchestre minutieusement une mise à l'écart qui a pour objectif de me conduire à réaliser aucune tâche, qui réduit à néant mon employabilité et qui me place dans une situation de harcèlement moral insupportable. Je suis isolée, maintenue à l'écart de tout processus décisionnel. Le poste est fictif comme je le craignais ». Le 16 janvier 2012 Madame [K] [C] épouse [Z] indiquait dans un E-mail : « je ne dispose plus jusqu'à ce jour : d'échange avec quelconque interlocuteurs de la zone Inde Chine alors que notre PDG nous a réaffirmée à plusieurs reprises importance de ces zones pour les développements de la société, de business reports sur l'évolution de l'actualité (rien depuis juin 2011) malgré mes nombreuses réclamations auprès de mon responsable direct et auprès de la direction des relations sociales et de ressources humaines. De réunions d'équipe. De feuille de route précise pour l'année 2012 ».

S'agissant de son poste de Marketing Manager chargé de formation, Madame [K] [C] épouse [Z] fait observer que le département marketing principal d'ALTRAN est situé à [Localité 3] alors qu'elle-même se trouve sur le site de [Localité 4], et qu'il n'a pas été répondu à sa demande d'être « basée pour le poste sur Bellini ou à [Localité 3] ». Elle ajoute qu'elle ne dispose ni de moyens ni de budget, qu'elle ne figure pas sur l'organigramme de la direction marketing ainsi que cela résulte de celui qu'elle produit aux débats, et qu'elle n'est pas conviée à des réunions d'équipe.

La SA ALTRAN TECHNOLOGIE ne conteste pas avoir reçu les messages précités et ne conteste pas non plus que Madame [K] [C] épouse [Z] n'a pas été rapprochée géographiquement du reste de l'équipe marketing ni qu'elle ne figure pas sur l'organigramme de la direction de ce service. Il s'ensuit que les faits allégués par Madame [K] [C] épouse [Z] sont établis.

En conséquence, la salariée établit qu'alors qu'elle était consultant, son employeur l'a laissée durant de très nombreux mois sans affectation à des fonctions correspondant à son emploi, et ne lui a fait qu'une seule proposition de mission, et que depuis qu'elle occupe des fonctions de Manager Marketing, elle se trouve mise à l'écart. L'ensemble de ces éléments ajoutés à la discrimination syndicale dont la salariée a été victime, permettent, de par leur caractère répété dans le temps, de la pluralité des agissements, et de leur incidence sur les conditions de travail de la salariée, susceptibles de porter atteinte à ses droits ou de compromettre son avenir professionnel, de présumer l'existence d'un harcèlement moral.

La SA ALTRAN TECHNOLOGIE à qui il revient de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement, fait valoir que le travail qu'elle a confié à Madame [K] [C] épouse [Z] été conforme à ses souhaits, ses compétences, sa qualification et son contrat de travail, mais ne démontre nullement que la non-affectation de la salariée a des misions de consultante résulte de l'impossibilité de confier des missions externes ou du refus réitéré de l'intéressée d'accepter de telles missions, puisqu'une seule lui a été offerte. Par ailleurs, l'employeur ne justifie pas la situation d'isolement dans laquelle a été placée Madame [K] [C] épouse [Z] après qu'elle a été affectée à des fonctions de Manager Marketing.

En conséquence, le harcèlement moral est avéré.

Sur la demande de réparation du préjudice résultant du harcèlement moral de la discrimination syndicale.

Outre le préjudice matériel réparé par ailleurs, Madame [K] [C] épouse [Z] a souffert, du fait du harcèlement moral et de la discrimination syndicale, un préjudice moral résultant notamment de la situation dévalorisante dans laquelle elle a été placée, tant au plan de sa rémunération qu'au plan de ses activités. Compte-tenu de l'ensemble des éléments produits aux débats et de la durée des agissements constitutifs de harcèlement moral et de discrimination, la cour est en mesure d'évaluer le préjudice subi par Madame [K] [C] épouse [Z] à la somme de 150 000 euros.

Sur la demande de réparation du préjudice au titre des propos racistes

Madame [K] [C] épouse [Z] fait valoir qu'elle était l'objet de propos racistes de la part de M. [P], l'un des directeurs de l'entreprise. Elle sollicite une réparation sur le fondement des articles L.1132-1 et L.4121-1 du code du travail.

La SA ALTRAN TECHNOLOGIE répond que la notion de discrimination implique l'existence d'une inégalité de traitement, ce que ne constitue pas une insulte à caractère raciste. Elle souligne que l'inspection du travail n'a pas mis en 'uvre les procédure de mise en demeure et de référé prévues aux articles L.4732-1 et L.4732-2 du code du travail et n'a pas usé de ses pouvoirs, se bornant à lui demander de mettre en 'uvre les mesures que la société avait elle-même proposé de prendre dans le cadre de la réunion du CHSCT.

Il résulte des pièces versées aux débats et notamment du compte rendu d'enquête établie par la société que le 11 mars 2009 Monsieur [P], interpellé par Monsieur [P] à l'égard de qui il avait pris la décision d'engager une procédure de licenciement, s'est emporté et a dit « tu as le droit de venir avec tes deux « chocos », visant [I] [Y] et [K] [C]. Selon Monsieur [P], Monsieur [P] lui a dit « tu peux venir avec [I] [Y] et les deux chocolats si tu veux ». Monsieur [P]* prétend qu'il a fait un lapsus, et utilisé l'expression « chocos » à la place de « duo de choc ».

Compte tenu de la version de Monsieur [P], du contexte d'emportement dans lequel se trouvait Monsieur [P], et de son explication alambiquée, la cour retient que le terme utilisé par l'auteur des propos était « chocolats ».

Il s'agit d'une expression particulièrement blessante vis-à-vis de Madame [C], personne de couleur originaire du [Localité 1], visée par les propos, constitutive de faits de violence morale.

L'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Il manque à cette obligation lorsqu'un salarié est victime sur le lieu de travail de violence morale exercée par l'un ou l'autre de ses salariés quand bien même il a pris ultérieurement des mesures en vue de réprimer ces agissements.

En conséquence, Madame [K] [C] épouse [Z] ayant été victime de faits de violence morale de la part d'un des cadres de l'entreprise, la SA ALTRAN TECHNOLOGIE n'a pas satisfait à son obligation et doit réparer le préjudice causé par les faits, préjudice qui peut être évalué à la somme de 3000 euros.

Sur le non-respect de l'article L. 1225'26 du code du travail

Madame [K] [C] épouse [Z] soutient que la SA ALTRAN TECHNOLOGIE s'est refusée à examiner et réévaluer son salaire après son retour de congé de maternité. Elle sollicite l'indemnisation du préjudice résultant du non-respect des dispositions de l'article L.1225-6 du code du travail par l'allocation d'une somme de 10 000 euros.

La SA ALTRAN TECHNOLOGIE répond que l'entretien d'orientation professionnelle de retour suite au congé maternité a eu lieu le 1er juillet 2010 et que le salaire de Madame [K] [C] épouse [Z] a été progressivement porté, depuis 2009, de 4140,50 euros à 4915 euros bruts et que ce salaire a toujours été largement supérieur tant au minimum conventionnel qu'à la moyenne de rémunération des salariés de sa catégorie. Elle ajoute que Madame [K] [C] épouse [Z] n'a subi aucune perte de rémunération en raison de son congé maternité et s'oppose à la demande de dommages et intérêts.

Aux termes de l'article précité, en l'absence d'accord collectif de branche ou d'entreprise déterminant des garanties d'évolution de la rémunération des salariés pendant le congé de maternité et à la suite de ce congé au moins aussi favorable que celles mentionnées dans cet article, cette rémunération, au sens de l'article L. 3221'3, est majorée, à la suite de ce congé, des augmentations générales ainsi que de la moyenne des augmentations individuelles perçues pendant la durée de ce congé par les salariés relevant de la même catégorie professionnelle ou, à défaut, de la moyenne des augmentations individuelles dans l'entreprise.

Il appartient l'employeur de démontrer qu'il a appliqué au salarié revenant d'un congé de maternité les majorations de salaire résultant de l'article ci-dessus et ce suivant les modalités édictées par cet article.

La SA ALTRAN TECHNOLOGIE se borne à se référer à l'augmentation de la rémunération de Madame [K] [C] épouse [Z] depuis 2009 et ne fait état d'aucun calcul destiné à déterminer l'évolution du montant de la rémunération de la salariée au retour de son congé maternité selon les critères légaux. Elle ne justifie pas avoir, lors de ce retour, procédé à une majoration de salaire de celle-ci. Le manquement aux dispositions de l'article L.1225-26 du code du travail est établi et il cause à la salariée un préjudice que la cour est en mesure d'évaluer à la somme de 1500 euros.

Sur la clause de dédit formation

À peine de nullité, une clause de dédit formation doit être conclue avant le début de la formation.

Au cas d'espèce, la formation avait commencé le 26 mars 2012, tandis que l'avenant au contrat de travail contenant la clause de dédit formation a été signé le 22 mai 2012. Il s'ensuit que cette clause est nulle.

Le jugement sera confirmé

Sur l'intervention volontaire de CGT-FO

Ce syndicat fonde sa demande de dommages et intérêts sur les dispositions de l'article L. 2132-3 du code du travail.

La SA ALTRAN TECHNOLOGIE répond que ce syndicat, à qui il appartient de démontrer le préjudice qu'il prétend avoir subi, ne développe pas la moindre argumentation au soutien de sa demande et sollicite la confirmation du jugement et le débouté de cette demande.

Les syndicats professionnels peuvent, devant toutes les juridictions, exercer les droits réservés à la partie civile concernant les faits portant un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif de la profession qu'ils représentent.

Les faits de discrimination syndicale dont a été victime au premier chef Madame [K] [C] épouse [Z] ont également causé un préjudice à l'intérêt collectif de la profession représentée par le syndicat CGT Force Ouvrière du personnel des organismes sociaux divers et divers de la Région Parisienne.

CGT-FO est donc fondée à intervenir à l'instance. La SA ALTRAN TECHNOLOGIE doit réparer le préjudice résultant de ses agissements fautifs, préjudice qui peut être évalué à la somme de 5000 euros.

Sur le cours des intérêts

Conformément aux dispositions des articles 1153 et 1153-1 du code civil, la condamnation au titre du rappel de salaire sera assortie d'intérêts au taux légal à compter de la réception par la société de la convocation à comparaître devant le bureau de conciliation du conseil de prud'hommes, soit le 26 octobre 2011, et les dommages et intérêts alloués seront assortis d'intérêts au taux légal à compter de la présente décision.

Sur les frais irrépétibles

Partie succombante, la SA ALTRAN TECHNOLOGIE sera condamnée à payer à Madame [K] [C] épouse [Z] la somme de 3000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Sur les dépens

Partie succombante, la SA ALTRAN TECHNOLOGIE sera condamnée au paiement des dépens.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Confirme le jugement entrepris en sa disposition ayant annulé la clause de dédit formation,

L'infirme pour le surplus,

Et statuant à nouveau sur les chefs infirmés et ajoutant :

Condamne la SA ALTRAN TECHNOLOGIE à payer à Madame [K] [C] épouse [Z] les sommes de :

*1542,85 euros au titre de la prime sur les heures de délégation, et ce en deniers ou quittance, avec intérêts au taux légal à compter du 26 octobre 2011,

*107 206 euros en réparation du préjudice financier subi au titre de la discrimination syndicale,

*150 000 euros en réparation du préjudice moral subi au titre du harcèlement moral et de la discrimination syndicale,

*3000 euros en réparation du préjudice résultant du manquement par l'employeur aux dispositions de l'article L.4121-1 du code du travail,

*1500 euros en réparation du préjudice résultant du manquement par l'employeur aux dispositions de l'article L.1225-26 du code du travail,

ces sommes avec intérêts au taux légal à compter du jour du prononcé de l'arrêt,

Ordonne le repositionnement de Madame [K] [C] épouse [Z] avec un salaire mensuel fixe de 5277 euros,

Condamne la SA ALTRAN TECHNOLOGIE à payer au syndicat CGT Force Ouvrière du personnel des organismes sociaux divers et divers de la Région Parisienne 5000 euros à titre de dommages et intérêts,

Condamne la SA ALTRAN TECHNOLOGIE à payer à Madame [K] [C] épouse [Z] la somme de 3000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

Déboute les parties de leurs demandes plus amples et contraires,

Condamne la SA ALTRAN TECHNOLOGIE au paiement des dépens.

LA GREFFIERE LE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 6
Numéro d'arrêt : 13/02920
Date de la décision : 07/09/2016

Références :

Cour d'appel de Paris K6, arrêt n°13/02920 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2016-09-07;13.02920 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award