Grosses délivréesRÉPUBLIQUE FRANÇAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 1 - Chambre 3
ARRET DU 6 SEPTEMBRE 2016
(n° 442 ,7 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 15/00054
Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 20 Novembre 2014 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 14/56606
APPELANT
Monsieur [T] [C]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
né le [Date naissance 1] 1970 à [Localité 1]
Représenté par Me Patricia HARDOUIN de la SELARL 2H Avocats à la cour, avocat au barreau de PARIS, toque : L0056
assisté de Me Manon DE LATUDE substituant Me Thibault GUILLEMIN de l'AARPI GUILLEMIN FLICHY, avocat au barreau de PARIS, toque : D0133
INTIMEE
Madame [I] [M]
[Adresse 2]
[Adresse 2]
Représentée par Me Charles-hubert OLIVIER de la SCP LAGOURGUE & OLIVIER, avocat au barreau de PARIS, toque : L0029
ayant pour avocat plaidant Me Alexandre RIOU substituant Me Pierre-Edouard GONDRAN de ROBERT, avocat au barreau de PARIS, toque : G0210
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 786 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 23 Mai 2016, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposé, devant Madame Martine ROY-ZENATI, Présidente de chambre, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Madame Martine ROY-ZENATI, Présidente de chambre
Madame Odette-Luce BOUVIER, Conseillère
Mme Mireille QUENTIN DE GROMARD, Conseillère
Greffier, lors des débats : Mlle Véronique COUVET
ARRÊT :
- CONTRADICTOIRE
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Martine ROY-ZENATI, président et par Mlle Véronique COUVET, greffier.
Par requête du 23 décembre 2013, M. [T] [C] a saisi le conseil de prud'hommes de Paris de plusieurs demandes dirigées à l'encontre de Mme [I] [M] et relatives à l'exécution et à la rupture de son contrat de travail en qualité d'employé de maison.
Par ordonnance rendue sur requête du 12 février 2014, le président du tribunal de grande instance de Paris a autorisé Mme [I] [M] à faire diligenter des opérations de constat au domicile de M. [C] à Peyrusse-le-Roc et dans l'appartement parisien dont il est propriétaire.
Après une tentative d'exécution le 7 mars 2014, la mesure de constat a été réalisée le 14 mai 2014 par l'huissier de justice sur les deux ordinateurs portables personnels de M. [C] et les fichiers prélevés ont été placés sous séquestre.
Par acte du 5 juin 2014, Mme [M] a assigné M. [C] devant le juge des référés aux fins de mainlevée de la mesure de séquestre et de remise des documents séquestrés.
M. [C] a sollicité, à titre reconventionnel, la rétractation de l'ordonnance rendue sur requête.
Par ordonnance contradictoire du 20 novembre 2014, le juge des référés du tribunal de grande instance de Paris a :
- rejeté l'exception de tardiveté de l'assignation,
- dit n'y avoir lieu à rétracter l'ordonnance du 12 février 2014
- ordonnée la mainlevée de la mesure de séquestre,
- ordonné la remise des documents séquestrés en les joignant à la présente ordonnance de mainlevée,
- dit n'y avoir lieu à dommages - intérêts pour procédure abusive,
- condamné M. [T] [C] au paiement de la somme de 1.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens
M. [T] [C] a interjeté appel de cette ordonnance le 26 décembre 2014.
Par ses conclusions transmises le 23 juillet 2015, l'appelant demande à la cour d'infirmer l'ordonnance entreprise et statuant à nouveau de :
- rétracter l'ordonnance sur requête du 12 février 2014 ;
- ordonner sous astreinte de 1.000 euros par jour de retard la destruction immédiate de l'intégralité des fichiers et documents séquestrés par les huissiers de justice désignés dans l'ordonnance du 12 février 2014 ;
- dire et juger qu'en application de l'article 35 de la loi du 9 juillet 1991, les astreintes prononcées seront liquidées, s'il y a lieu, par la cour ;
- condamner Mme [M] à lui verser une somme de 40.000 euros en réparation du préjudice moral subi par ce dernier à l'occasion d'une procédure aussi dilatoire qu'abusive, en application de l'article 32-1 du code de procédure civile ;
- condamner Mme [M] au paiement d'une somme de 20.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.
L'appelant soutient :
- que l'assignation délivrée par Mme [I] [M] est tardive en raison du délai prévu par l'ordonnance sur requête à compter de la 'réalisation' des constats ;
- que l'article 251 du code de procédure civile, sur lequel se fonde le premier juge pour dire que 'le délai ne pouvait commencer à courir avant la réception du constat' n'est pas applicable à une procédure initiée sur le fondement de l'article 145; qu'en tout état de cause, la date que revêt le procès-verbal, lequel constitue un acte authentique, est la seule date certaine faisant foi ;
- que le dernier constat ayant été dressé le 14 mars 2014, Mme [M] aurait dû assigner au plus tard le 14 mai 2014 alors qu'elle n'a délivré assignation que le 5 juin 2014;
- qu'en outre, l'ordonnance du 20 novembre 2014 n'a pas respecté l'ordonnance du 12 février 2014 en ordonnant la mainlevée de la mesure de séquestre sans avoir examiné les pièces appréhendées et sans avoir mis les parties en mesure de les consulter et de formuler leurs observations sur leur caractère communicable;
- qu'un examen des pièces aurait pourtant révélé une violation manifeste du principe de la contradiction et de son droit à la vie privée, en ce que celles-ci n'avaient pour la plupart aucun lien avec le litige l'opposant à Mme [M].
- qu'en raison de la saisine préalable du conseil des prud'hommes, les mesures fondées sur l'article 145 du code de procédure civile, qui supposent une absence d'instance au fond, ne pouvaient être ordonnées ;
Par ses conclusions transmises le 7 juillet 2015, Mme [I] [M], intimée, demande à la cour de confirmer l'ordonnance entreprise et de condamner M. [C] au paiement de la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.
Elle fait valoir :
- que l'article 251 du code de procédure civile dispose que le juge qui prescrit les constatations fixe le délai dans lequel le constat sera déposé ; qu'il s'ensuit que le délai ne pouvait commencer à courir avant la réception du constat ; que ce dernier ayant été adressé à son conseil le 6 mai 2014, l'assignation délivrée le 5 juin 2014 n'est donc pas tardive.
- que les mesures critiquées sont sollicitées dans l'éventualité d'un litige distinct de celui qui les oppose déjà puisqu'elle envisage d'engager une action en responsabilité civile à l'égard de M. [C] pour les fautes commises dans la gestion de ses affaires, et plus particulièrement au titre d'actes réalisés par M. [C] en son nom et sans son accord, lesquelles excèdent le champ d'intervention prud'homal où la réclamation porte sur une indemnisation consécutive à une procédure abusive de licenciement.
Par arrêt du 12 avril 2016, la cour d'appel de Paris a révoqué l'ordonnance de clôture et ordonné la réouverture des débats à l'audience du 23 mai 2016 afin de permettre à M. [C] de préciser ses demandes, l'appelant soutenant dans le corps de ses conclusions la tardiveté de l'assignation délivrée le 5 juin 2014 par Mme [M] sans préciser ses demandes y relatives dans le dispositif de ses conclusions en appel.
Par ses dernières conclusions transmises le 26 avril 2016, M. [C], appelant, demande à la cour de :
In limine litis, dire et juger irrecevable l'assignation délivrée le 5 juin 2014 par Mme [M] et partant forclose l'action de cette dernière ;
- dire et juger que le juge des référés a violé le principe 'du contradictoire' et le droit à la vie privée de M. [C] ;
- dire et juger que le juge des référés a violé l'article 145 du code de procédure civile ;
A titre principal, de réformer l'ordonnance entreprise et statuant à nouveau :
* rétracter l'ordonnance du juge des requêtes du 12 février 2014
* ordonner sous astreinte de 1.000 euros par jour de retard la destruction immédiate de l'intégralité des fichiers et documents séquestrés par les huissiers de justice désignés dans l'ordonnance du 12 février 2014 ;
* dire et juger qu'en application de l'article 35 de la loi du 9 juillet 1991, les astreintes prononcées seront liquidées, s'il y a lieu, par la Cour ;
* condamner Mme [M] à verser à M. [C] une somme de 40.000 euros en réparation du préjudice moral subi par ce dernier à l'occasion d'une procédure aussi dilatoire qu'abusive, en application de l'article 32-1 du code de procédure civile ;
* condamner Mme [M] au paiement de la somme de 20.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.
SUR CE LA COUR
Sur la recevabilité de l'action de Mme [M] :
Considérant que l'ordonnance rendue sur requête le 12 février 2014 dispose que 'les parties viendront en référé afin d'examen en présence des mandataires de justice séquestres de l'ensemble des pièces appréhendées et qu'il soit statué sur la communication des pièces sous séquestre, ce dans un délai de deux mois de la réalisation des constats ' et précise que 'faute pour la requérante d'assigner dans le délai précité, le mandataire de justice détruira les pièces et documents recueillis';
Considérant qu'il résulte de ces dispositions claires et dépourvues d'ambiguïté, que le point de départ de ce délai de deux mois, tel qu'imparti dans le cas d'espèce par le juge des requêtes est la date de réalisation du constat, à savoir la date du constat établi par l'huissier instrumentaire et non celle de la réception par les intéressés dudit constat ou de sa remise, étant relevé que les dispositions de l'article 251 du code de procédure civile relatives à l'administration de la preuve en cours d'instance devant le juge du fond ne sont pas applicables aux mesures d'instruction in futurum ordonnées par la juridiction des référés, avant tout procès, sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile ;
Qu'en l'espèce, il résulte des pièces versées aux débats que les mesures de constat ont été effectués les 7, 13 et 14 mars 2014 par les huissiers instrumentaires intervenant dans l'appartement parisien de M. [C] et dans la maison familiale située dans le village de Peruysse-le-Roc ; que dès lors, le délai de deux mois imparti par le juge des requêtes pour saisir le juge des référés aux fins d'examen et communication des pièces mises sous séquestre arrivait à expiration le 14 mai 2014, soit deux mois après la réalisation de la dernière mesure de constat ;
Que Mme [M] a saisi le juge des référés par acte introductif d'instance du 5 juin 2014 aux fins de mainlevée de séquestre et de remise de documents ;
Considérant que les demandes initiées par Mme [M] aux fins de mainlevée de séquestre et de remise des documents séquestrés sont irrecevables, l'action de la demanderesse étant forclose depuis le 15 mai 2014 ; qu'il y a lieu d'infirmer l'ordonnance entreprise en conséquence et, statuant à nouveau, de dire irrecevables lesdites demandes ;
Qu'en revanche, la cour relève que l'irrecevabilité de l'action principale n'entraîne pas, en l'espèce, l'irrecevabilité de la demande reconventionnelle formée par M. [C] aux fins de rétraction de l'ordonnance rendue sur requête dès lors qu'un lien suffisant rattache les demandes principales de Mme [M] à la demande reconventionelle et que celle-ci n'a pas pour seul objet le rejet des prétentions originaires de mainlevée de séquestre et remise de documents ;
Au principal, sur la demande incidente de rétractation de l'ordonnance entreprise :
Aux termes de l'article 145 du code de procédure civile, s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé sur requête ou en référé ;
Considérant que l'application des dispositions de l'article 145 du code de procédure civile suppose que soit constaté qu'il existe un procès « en germe » possible, susceptible d'être ultérieurement engagé sur la base d'un fondement juridique suffisamment déterminé et dont la solution peut dépendre de la mesure d'instruction sollicitée à condition que cette mesure ne porte pas une atteinte illégitime aux droits d'autrui ;
Considérant qu'en l'espèce, il est constant que M. [C] a assigné Mme [M] par acte introductif d'instance du 23 décembre 2013 devant le conseil de prud'hommes de Paris de plusieurs demandes de condamnation relatives à l'exécution et à la rupture de son contrat de travail ;
Considérant qu'il ressort des éléments de fait et de preuve produits qu'est précisément discutée devant le juge prud'homal l'existence d'une relation de travail ayant lié les parties et partant, la nature juridique de la somme de 100.000 euros versée par Mme [M] à M. [C] par chèques émis les 10 et 12 décembre 2012, M. [C] affirmant qu'il s'agit d'une avance sur salaires en paiement du travail non déclaré qu'il soutient avoir effectué pour Mme [M] de juin 2012 à novembre 2013 en qualité de secrétaire particulier, sept jours sur sept et sans période de repos, Mme [M] soutenant qu'il s'agit d'un prêt ;
Considérant que la mesure d'instruction sollicitée du juge des référés par voie de requête présentée par Mme [M] le 12 février 2014, qui reconnaît dans ses conclusions en appel que M. [C] 's'était proposé de l'aider dans la gestion de ses affaires personnelles' et avait 'tiré un profit personnel de l'aide qu'il était censé lui apporter en entretenant une opacité sur la gestion ' de ses affaires, avait pour objet, au visa de l'article 145 du code de procédure civile , de rechercher sur les ordinateurs de M. [M] des éléments de preuve et plus particulièrement des échanges de courriels de nature à permettre à la requérante d'engager une 'action en responsabilité civile' à l'égard de M. [C] en raison des fautes alléguées dans la mission qui lui avait été confiée ;
Qu'il se déduit de ces constatations et énonciations que l'action engagée devant la juridiction prud'homale porte sur la qualification juridique des relations existant entre les parties et sur l'existence d'une relation de travail et partant, sur la cause et l'objet de la somme remise à M. [C], questions nécessairement liées à celle du mandat invoqué par Mme [M], qui envisage d'engager une action en responsabilité civile aux fins notamment de voir qualifier en avance de 'prêt' les sommes versées, selon M [C], au titre de leur relation de travail ;
Qu'en raison de l'instance au fond engagée devant la juridiction prud'homale avant la saisine du juge des requêtes, est irrégulière la mesure d'instruction ordonnée en application des exigences de l'article 145 du code de procédure civile, l'application de ce texte supposant qu'aucun procès au fond n'a été engagé ;
Considérant qu'il convient en conséquence d'infirmer l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau, d'ordonner la rétractation de l'ordonnance rendue sur requête le 12 février 2014 et la destruction de l'intégralité des fichiers et documents séquestrés par les huissiers de justice désignés, l'astreinte sollicitée par l'appelant n'étant pas justifiée par les circonstances de l'espèce ;
Considérant que l'exercice d'une action en justice de même que la défense à une telle action constitue en principe un droit et ne dégénère en abus pouvant donner lieu à l'octroi de dommages-intérêts que lorsqu'est caractérisée une faute en lien de causalité directe avec un préjudice ; qu'en l'espèce, un tel comportement de la part de l'intimée n'est pas caractérisé ; que la demande de M. [C] est rejetée ;
Considérant que l'équité commande de faire droit à la demande de l'appelant présentée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ; que l'intimée est condamnée à lui verser à ce titre la somme visée au dispositif de la présente décision ;
Considérant que, partie perdante pour l'essentiel, Mme [M] ne saurait prétendre à l'allocation de frais irrépétibles et doit supporter les dépens ;
PAR CES MOTIFS
Infirme l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions,
Et statuant à nouveau,
Dit irrecevables les demandes de mainlevée de séquestre et de remise des documents séquestrés formées par Mme [I] [M] par acte introductif d'instance du 5 juin 2014,
Ordonne la rétractation de l'ordonnance rendue sur requête le 12 février 2014,
Ordonne la destruction de l'intégralité des fichiers et documents séquestrés par les huissiers de justice désignés par ladite ordonannce,
Déboute M. [T] [C] de ses demandes d'astreinte et de dommages-intérêts,
Condamne Mme [I] [M] à payer à M. [T] [C] la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Rejette la demande présentée par Mme [I] [M] sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne Mme [I] [M] aux entiers dépens.
LE GREFFIER LE PRESIDENT