RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 9
ARRÊT DU 31 août 2016
(n° , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 14/06159
Décision déférée à la cour : jugement rendu le 22 mai 2014 par le conseil de prud'hommes d'EVRY - section activités diverses - RG n° 12/01022
APPELANTE
FONDATION DIACONESSES DE REUILLY VENANT AUX DROITS DE L'ABEJ COQUEREL
[Adresse 1]
[Localité 1]
Siret n° 521 504 969
représentée par Me Jean-françois PATOU, avocat au barreau de VAL-DE-MARNE, PC 176
INTIMEE
Madame [A] [E]
[Adresse 2]
[Localité 2]
née le [Date naissance 1] 1985 à [Localité 3]
comparante en personne, assistée de Me Hélène LAM, avocat au barreau de PARIS, P0345
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 11 avril 2016, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Christine LETHIEC, conseiller, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Catherine SOMMÉ, président
Monsieur Benoît HOLLEAUX, conseiller
Madame Christine LETHIEC, conseiller
Greffier : Madame Marion AUGER, lors des débats
ARRET :
- contradictoire
- prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Catherine SOMMÉ, président et par Madame Marion AUGER, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La Fondation Diaconnesses de Reuilly, venant aux droits de l'association ABEJ COQUEREL, est reconnue d'utilité publique'; elle gère, notamment, plusieurs établissements ayant vocation à recueillir des enfants et des adolescents en difficulté.
Mme [A] [E] a été engagée par l'association ABEJ COQUEREL, suivant contrat de travail à durée déterminée «sans terme précis» à compter du 1er février 2007, en remplacement d'un salarié malade, pour y exercer les fonctions d'éducatrice de jeunes enfants, indice 460, en contrepartie d'une rémunération mensuelle brute de 2 051.78 € pour 35 heures hebdomadaires de travail.
La salariée qui travaillait au sein du service d'accueil en internat (SAI) de [Localité 4] accueillant des enfants de 7 à 17 ans, a bénéficié d'un contrat de travail à durée indéterminée à compter du 12 juin 2007 pour exercer son activité dans les mêmes conditions.
Reprochant à Mme [A] [E] une conduite inadaptée envers une jeune mineure, l'association ABEJ COQUEREL a convoqué l'intéressée, par lettre recommandée du 2 octobre 2012, à un entretien préalable à une sanction, fixé au 10 octobre 2012, avec notification d'une mise à pied conservatoire. Le 16 octobre 2012, la salariée a fait l'objet d'une mutation disciplinaire au SAED de [Localité 5], établissement d'accueil d'enfants et de jeunes majeurs.
Le 15 novembre 2012, Mme [A] [E] a saisi le conseil de prud'hommes d'Evry aux fins d'annulation de la sanction disciplinaire et de résiliation judiciaire du contrat de travail.
Par lettre du 15 janvier 2013, la salariée a pris acte de la rupture de son contrat de travail.
Par lettre recommandée du 11 mars 2013, l'association ABEJ COQUEREL a convoqué Mme [A] [E] à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 28 février 2013, puis reporté au 19 mars 2013. Elle a été licenciée pour faute par courrier recommandé du 25 mars 2013.
Par jugement rendu, en formation de départage, le 22 mai 2014, le conseil de prud'hommes a':
- dit que la prise d'acte de la rupture par Mme [A] [E] produisait les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse
- fixé la rémunération mensuelle brute des trois derniers mois à la somme de 2 580.50 €
- condamné l'association ABEJ COQUEREL à verser à la salariée les sommes suivantes:
' 5 161 € au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,
' 516 € au titre des congés payés afférents,
' 6 698 € au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement,
' 15 500 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
' 2 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile
- ordonné la capitalisation des intérêts dus pour une année entière à compter du jugement
- ordonné à l'employeur de remettre à la salariée un certificat de travail et une attestation Pôle emploi rectifiés
- ordonné l'exécution provisoire
- condamné l'employeur aux dépens.
Le 4 juin 2014, l'association ABEJ COQUEREL a interjeté appel de cette décision.
A la suite d'une fusion absorption approuvée par décret le 23 février 2016, la Fondation Diaconnesses de Reuilly est venue aux droits de l'association ABEJ COQUEREL. Par conclusions visées par le greffe le 11 avril 2016 et soutenues oralement, elle demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris et de débouter Mme [A] [E] de l'intégralité de ses prétentions.
Par conclusions visées par le greffe le 11 avril 2016 et soutenues oralement, Mme [A] [E] sollicite la confirmation du jugement entrepris en ce qu'il a jugé que son licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse et lui a alloué les sommes susvisées à l'exception de l'indemnité conventionnelle de licenciement et des dommages et intérêts pour licenciement abusif qu'elle demande à la cour de fixer aux sommes respectives de 7 741 € et de 30 966 €.
La salariée sollicite la publication du dispositif de la décision à intervenir sur les portes d'entrée des établissements du SAI de [Localité 4] et du SAED de [Localité 5] pendant une durée de trois mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir et elle forme une demande reconventionnelle de 3 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Pour un plus ample exposé de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs conclusions visées par le greffier, reprises et complétées oralement lors de l'audience des débats.
SUR QUOI LA COUR
Sur l'imputabilité de la rupture du contrat de travail
Le licenciement intervenu postérieurement à la prise d'acte de la rupture du contrat de travail, qui entraîne la rupture immédiate du contrat de travail, est sans effet.
Lorsque le salarié prend acte de la rupture en raison de faits imputables à son employeur, cette rupture produit les effets, soit d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient, soit dans le cas contraire, d'une démission.
La prise d'acte est justifiée en cas de manquements de l'employeur suffisamment graves pour empêcher la poursuite des relations contractuelles.
Il appartient au salarié d'établir les faits qu'il allègue à l'encontre de l'employeur, étant rappelé que la lettre par laquelle le salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail ne fixe pas les termes du litige et ne lie pas les parties et le juge et qu'à l'appui de sa prise d'acte, le salarié peut se prévaloir d'autres faits au cours du débat probatoire.
En l'espèce, Mme [A] [E] reproche à son employeur':
- d'avoir prononcé à son encontre une sanction disciplinaire nulle car non prévue par le règlement intérieur de l'association qui ne prévoit pas au titre des sanctions la mutation disciplinaire, la salariée contestant en outre les faits invoqués à l'appui de cette mutation';
- un non paiement du complément de salaire auquel elle pouvait prétendre pendant son arrêt de travail pour maladie du 23 octobre 2012 au 16 janvier 2013 en application de l'article 13.02.2 de la convention collective, la régularisation des sommes dues n'étant intervenue que postérieurement à l'audience devant le bureau de conciliation.
La Fondation Diaconnesses de Reuilly, venant aux droits de l'association ABEJ COQUEREL, demande l'infirmation du jugement déféré en soutenant que le contrat de travail signé des parties prévoit la possibilité de muter la salariée dans les différents établissements, qu'en l'espèce, la mutation de Mme [A] [E] a été décidée dans l'intérêt du service eu égard à la conduite inadaptée de l'intéressée envers la jeune mineure [X]. Elle fait valoir en outre que les indemnités complémentaires aux indemnités journalières de la sécurité sociale ont été régularisées dès que l'association a reçu les justificatifs de Mme [A] [E].
*
En application des articles L. 1321-1 et L. 1331-1 du code du travail, dès lors que le règlement intérieur fixe les règles générales et permanentes relatives à la discipline, notamment la nature et l'échelle des sanctions que peut prendre l'employeur, une sanction ne peut être prononcée contre un salarié que si elle est prévue par ce règlement intérieur.
En l'espèce l'employeur a mis en oeuvre une procédure disciplinaire à l'encontre de Mme [A] [E] en convoquant celle-ci à un entretien préalable fixé au 10 octobre 2012 avec mise à pied conservatoire immédiate en raison d'un « comportement professionnel inadapté à l'accompagnement éducatif des jeunes», de sorte que la mutation de la salariée prononcée à l'issue de cette procédure, pour des faits considérés par l'employeur comme fautifs, a un caractère disciplinaire.
Il est constant que la mutation n'est pas prévue par le règlement intérieur de l'entreprise au titre des sanctions disciplinaires de sorte que la mutation de Mme [A] [E] au SAED de [Localité 5] est illicite, peu important les stipulations du contrat de travail prévoyant la possibilité pour l'employeur d'affecter la salariée dans les différents établissements de l'association.
En prononçant à l'encontre de Mme [A] [E] une mutation disciplinaire illicite, l'employeur a commis un manquement grave à ses obligations contractuelles empêchant la poursuite du contrat de travail, de sorte que la prise d'acte de Mme [A] [E] est justifiée et produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, ainsi que l'a retenu le conseil de prud'hommes dont la décision sera confirmée.
Sur les conséquences indemnitaires de la rupture du contrat de travail
La rupture produisant les effets d'un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, Mme [A] [E] dont la rémunération mensuelle brute de référence s'élève à la somme de 2 580.50 €, est fondée en ses demandes en paiement d'indemnités de rupture et le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il lui a alloué, en application des articles L. 1234-1et L. 1234-5 du code du travail, une indemnité compensatrice de préavis égale à deux mois de salaire, soit la somme de 5 161 €, outre les congés payés incidents de 516 €.
La salariée sollicite le paiement d'une indemnité conventionnelle de 7 741 € en application des dispositions de la convention collective des établissements privés d'hospitalisation, de soins, de cure et de garde à but non lucratif (FEHAP).
L'employeur conteste l'application de ladite convention collective invoquant sa dénonciation le 1er décembre 2012 et sa renégociation le 1er mars 2014, ce dont il résulte qu'elle ne s'appliquait pas à la date des faits.
Cependant dès lors que tous les bulletins de paie de la salariée font mention de la convention collective FEHAP, l'employeur s'est engagé à l'appliquer volontairement à la salariée qui est bien fondée à s'en prévaloir.
Conformément à l'article 15.02.3.1 de cette convention collective':
« Sous réserve des dispositions légales et réglementaires, le salarié licencié, alors qu'il compte 2 ans d'ancienneté ininterrompue au service du même employeur, a droit, sauf en cas de faute grave, à une indemnité de licenciement (distincte de l'indemnité de préavis) égale à une somme calculée sur la base de ¿ mois de salaire brut par année d'ancienneté, étant précisé que ladite indemnité de licenciement ne saurait dépasser une somme égale à 6 mois de salaire brut et que le salaire brut servant de base au calcul de l'indemnité de licenciement est le salaire moyen brut des trois derniers mois.»
En application de ces dispositions, il doit être alloué à Mme [A] [E], par infirmation du jugement déféré, une indemnité conventionnelle de 7 741 € (2 580.50/2 x6).
Aux termes de l'article L 1235-3 du code du travail, si un licenciement intervient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse et qu'il n'y a pas réintégration du salarié dans l'entreprise, il est octroyé au salarié à la charge de l'employeur une indemnité qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.
Compte tenu de l'effectif de l'entreprise supérieur à dix salariés, des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée à Mme [A] [E], de son ancienneté de plus de quatre années et de sa capacité à trouver un nouvel emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelles et des conséquences du licenciement à son égard, la cour estime que les premiers juges, par des motifs pertinents qu'elle adopte, ont fait une exacte appréciation des faits de la cause et des droits des parties en allouant à la salariée, en application de l'article L1235-3 du code du travail, une somme de 15 500 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Le jugement déféré sera confirmé à ce titre.
Sur l'indemnisation au titre du préjudice moral
Il résulte des pièces produites que l'employeur a convoqué le 25 octobre 2012 l'ensemble du personnel de deux établissements de l'association pour faire état des faits reprochés à la salariée, alors que celle-ci était en arrêt de travail pour état dépressif réactionnel. Mme [A] [E] justifie ainsi du comportement fautif de l'employeur et du préjudice en résultant pour elle, qui a été exactement apprécié par les premiers juges, dont la décision, allouant à l'intéressée la somme de 2 000 € à titre de préjudice moral, sera donc confirmée.
Sur les autres demandes
Le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a ordonné la capitalisation des intérêts, en application de l'article 1154 du code civil.
Ainsi que l'a retenu le conseil de prud'hommes, aucune circonstance ne justifie d'ordonner l'affichage du dispositif du présent arrêt sur les portes d'entrée des établissements du SAI de [Localité 4] et du SAED de [Localité 5].
La Fondation Diaconnesses de Reully, venant aux droits de l'association ABEJ COQUEREL, supportera la charge des dépens d'appel et versera à l'intimée une indemnité de 2 500 € au titre des frais irrépétibles exposés, en vertu de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
INFIRME le jugement en ce qu'il a alloué à Mme [A] [E] une indemnité conventionnelle de licenciement de 6 698.97 €;
Statuant à nouveau de ce chef,
CONDAMNE la Fondation Diaconnesses de Reully, venant aux droits de l'association ABEJ COQUEREL, à verser à Mme [A] [E] une somme de 7 741 € à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement;
CONFIRME le jugement déféré pour le surplus;
Y ajoutant,
RAPPELLE que les créances de nature salariale produisent intérêts au taux légal à compter de la réception par l'employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation et les créances à caractère indemnitaire intérêts au taux légal à compter du prononcé de l'arrêt;
DIT n'y avoir lieu à ordonner l'affichage du dispositif du présent arrêt sur les portes d'entrée des établissements du SAI de [Localité 4] et du SAED de [Localité 5];
CONDAMNE la Fondation Diaconnesses de Reully, venant aux droits de l'association ABEJ COQUEREL, à verser à Mme [A] [E] une somme de 2 500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile;
CONDAMNE la Fondation Diaconnesses de Reully, venant aux droits de l'association ABEJ COQUEREL, aux dépens d'appel.
LE GREFFIER LE PRESIDENT