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30/06/2016 | FRANCE | N°15/15215

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 7, 30 juin 2016, 15/15215


Grosses délivréesRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS











COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 5 - Chambre 5-7



ARRÊT DU 30 JUIN 2016



(n° 96, 10 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : 2015/15215



Décision déférée à la Cour : rendue le 30 mai 2015

par l'AUTORITÉ DES MARCHES FINANCIERS





DEMANDERESSE AU RECOURS :



- M. [V] [S]

Né le [Date naissance 1] 1968 à [Localité 6]
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br>Nationalité : Française

Dirigeant de société

Demeurant : [Adresse 5]

Élisant domicile chez P.M.G.

[Adresse 3]



Représenté par :

- La SELARL PELLERIN - DE MARIA - GUERRE,

avocats associés au barreau de PARIS...

Grosses délivréesRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 5-7

ARRÊT DU 30 JUIN 2016

(n° 96, 10 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 2015/15215

Décision déférée à la Cour : rendue le 30 mai 2015

par l'AUTORITÉ DES MARCHES FINANCIERS

DEMANDERESSE AU RECOURS :

- M. [V] [S]

Né le [Date naissance 1] 1968 à [Localité 6]

Nationalité : Française

Dirigeant de société

Demeurant : [Adresse 5]

Élisant domicile chez P.M.G.

[Adresse 3]

Représenté par :

- La SELARL PELLERIN - DE MARIA - GUERRE,

avocats associés au barreau de PARIS,

toque : L0018

[Adresse 3]

- Maître Frank MARTIN LAPRADE,

avocat au barreau de PARIS, toque : T04

Cabinet AARPI JEANTET ASSOCIES ,

[Adresse 4]

EN PRÉSENCE DE :

- L'AUTORITÉ DES MARCHES FINANCIERS

représentée par son président

Ayant son siège : [Adresse 2]

représentée à l'audience par Mme [W] [E], munie d'un pouvoir

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 17 mai 2016, en audience publique, devant la Cour composée de :

- Mme Valérie MICHEL- AMSELLEM, Présidente de chambre

- Mme Irène LUC, Conseillère

- Mme Laurence FAIVRE, Conseillère

qui en ont délibéré

GREFFIER, lors des débats : M. Benoît TRUET-CALLU

MINISTÈRE PUBLIC :

L'affaire a été communiquée au ministère public, représenté lors des débats par Mme Madeleine GUIDONI, Avocate Générale, qui a fait connaître son avis.

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Mme Valérie MICHEL- AMSELLEM, présidente et par M. Benoît TRUET-CALLU, greffier.

* * * * * * * *

Faits et procédure

La société anonyme Tekka Group (la société Tekka) était spécialisée dans la conception, la fabrication et la commercialisation d'implants et de dispositifs médicaux dédiées aux domaines de la chirurgie cranio-maxillo-faciale, de l'orthodontie et de l'implantologie. Elle était dirigée par M. [S], son président-directeur général.

En vue de son introduction en bourse, la société Tekka a, le 18 janvier 2011, enregistré auprès de l'Autorité des marchés financiers (l'AMF) un document de base contenant des comptes intermédiaires pour le premier semestre de l'exercice clôturant au 31 mars 2011, dans lequel était indiquée une perte d'exploitation de 700 000 euros au 30 mars 2010. Puis, le 27 janvier 2011, elle a enregistré auprès de cette Autorité une note d'opération prévoyant une fourchette de prix applicable à l'offre à prix ouvert et au placement global de ses actions allant de 13,15 euros à 15,15 euros par actions et des besoins en trésorerie au cours des douze mois s'élevant à 4'millions d'euros suivant la date du visa du prospectus.

Le 8 février 2011, la société Tekka a annoncé au public la réalisation de son introduction en bourse sur le marché Alternext pour une levée de fonds de 11,25 millions d'euros à un prix de 10,85 euros par action. Le règlement-livraison des actions est intervenu le 11 février 2011, et les négociations des titres de la société en cotation continue ont débuté le 14 février 2011.

Le 17 juin 2011, le conseil d'administration de la société Tekka a arrêté les comptes de l'exercice clos au 31 mars 2011, lesquels faisaient notamment apparaître des pertes d'exploitation de 3,7'millions d'euros contre 1,8 million d'euros l'année précédente.

Le vendredi 22 juillet 2011, la société Tekka a publiquement annoncé ses résultats annuels consolidés audités pour l'exercice clos au 31 mars 2011, accompagnés de différentes informations délivrées dans un communiqué de presse. Ces informations font notamment état de la poursuite de la croissance du chiffre d'affaires, jugée cependant insuffisante à remplir les objectifs fixés par la société. Ce communiqué met également en lumière certaines perspectives telle que l'évolution 'défavorable' de la trésorerie depuis la clôture de l'exercice 2010-2011.

La publication de ces informations a entraîné une chute de 41% du cours du titre Tekka, celui-ci passant de 8,64 euros à la clôture du 22 juillet 2011 à 5,05 euros à la clôture du 25 juillet 2011, 104 493 titres ayant été échangés.

Le 24 mai 2012, le tribunal de commerce de Lyon a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'encontre de la société Tekka, convertie en liquidation judiciaire le 4 septembre suivant. La radiation des titres est intervenue après le 11 octobre 2012, date à laquelle le tribunal de commerce a prononcé l'autorisation de la cession des actifs de la société Tekka le 20 juin 2012.

Le 29 mars 2012, le secrétaire général de l'AMF a ouvert une enquête sur les informations financières de la société Tekka à compter du 18 janvier 2011, date de l'enregistrement du document de base auprès de l'AMF.

À la suite de l'enquête diligentée, la Commission spécialisée du Collège de l'AMF a notifié, le 9 janvier 2014, des griefs à la société Tekka et à M. [S], leur reprochant en substance, d'avoir':

- D'une part, manqué à l'obligation d'information du public à l'occasion de la publication de la note d'opération du 27 janvier 2011, en violation de l'article 223-1 du règlement général de l'AMF';

- D'autre part, tardé à communiquer «'dès que possible'» au marché une information privilégiée relative à la dégradation des résultats annuels de la société en violation de l'article 223-2 du règlement général de l'AMF. Ce manquement a été considéré comme imputable à M. [S], en sa qualité de dirigeant au sens de l'article 221-1 du règlement général de l'AMF.

Par une décision du 30 mai 2015, la Commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers a décidé d'écarter le premier grief tiré de la violation de l'article 223-1 du règlement général de l'AMF, mais de retenir à l'encontre de la société Tekka et M. [S] le second, pris de la violation de l'article 223-2 du règlement général de l'AMF pour avoir manqué à leur obligation d'information permanente au public en omettant de communiquer dès que possible l'information privilégiée relative à la dégradation des résultats de la société Tekka.

En conséquence, la Commission a prononcé une sanction pécuniaire de 250 000 euros à l'encontre de la société Tekka'et de 150 000 euros à l'encontre de M. [S]. Elle a aussi décidé de publier la décision sur son site Internet.

*****

Vu le recours contre cette décision déposé au greffe de la cour d'appel de Paris par M. [S] le 30 juillet 2015 ;

Vu l'exposé de ses moyens à l'appui de ce recours, déposé par M. [S], le 13 août 2015, complété par son mémoire du 15 mars 2016 et son mémoire récapitulatif du 3 mai 2016 ;

Vu les observations déposées au greffe de la cour par l'AMF les 14 janvier et 14 avril 2016 ;

Après avoir entendu à l'audience publique du 3 mai 2016 en leurs observations orales, le conseil de M. [S], puis le représentant de l'AMF et le Ministère public, M. [S] ayant eu la parole en dernier et eu la possibilité de répliquer ';

SUR CE

À titre liminaire, M. [S] rappelle que par un arrêt récent la Cour de cassation a cassé un arrêt d'appel rendu dans une affaire dans le cadre de laquelle l'autorité de discipline ayant rendu la décision contestée avait déposé un mémoire qu'elle avait oralement développé à l'audience. Il fait valoir que la cour devrait écarter sur le même fondement les observations écrites et orales de l'AMF, autorité pourvue de la personnalité morale qui a rendu la décision de sanction.

Sur le fond M. [S] soutient que l'information privilégiée rendue publique le 22 juillet 2011 ne se limitait pas à la dégradation des résultats de l'exercice clos au 31 mars 2011 et fait observer que le communiqué de presse apportait des précisions quant à la situation de l'entreprise à l'issue du premier trimestre de l'exercice suivant (30 juin 2011) et des projections négatives sur le reste de l'exercice 2011-2012. Il estime que c'est la publication de l'ensemble de ces informations qui a eu un effet sensible sur le cours de bourse de l'action Tekka dès le 25 juillet 2011.

À titre liminaire M. [S] relève plusieurs contradictions dans la décision relatives à la date à laquelle l'information privilégiée, définie par l'AMF comme étant « (...) la dégradation des résultats annuels résultant des comptes consolidés de l'exercice clos au 31 mars 2011 (...)'», est censée avoir été détenue par la société Tekka. Il estime que ces contradictions vicient l'appréciation du prétendu retard fautif dans sa diffusion, et partant, la caractérisation d'un manquement à l'article 223-2 du règlement général de l'AMF.

À titre principal, et en premier lieu, M. [S] soutient qu'il était en droit de différer provisoirement la communication au marché de l'information rendue publique le 22 juillet 2011. Il objecte que l'analyse tirée des résultats chiffrés du premier semestre de l'exercice ne pouvait pas être connue à la date du 17 juin 2011, date à laquelle la Commission a estimé l'information comme privilégiée. Il en déduit que c'est à juste titre et pour publier une information aussi complète que possible que, sous sa propre responsabilité, la société a décidé de différer de quelques jours seulement la publication de l'information.

Il fait valoir que les conditions prévues par l'article 223 II du règlement général de l'AMF sont en l'espèce remplies, puisque le public n'a pas été induit en erreur, ainsi que le révèlent les articles de presse publiés à partir du mois de février 2011.

En deuxième lieu, M. [S] soutient qu'il ne peut se voir reprocher la durée prétendument excessive du report décidé sous sa propre responsabilité par la société Tekka. Il objecte que la Commission des sanctions lui a appliqué l'article 223 II du RGAMF de façon automatique et fait valoir que le report n'a été que d'une quinzaine de jours, que le public n'a pas été trompé et que ce texte introduit une spécificité contre ce manquement dans la mesure où la précision « sous sa propre responsabilité » doit être interprétée comme de nature à exonérer la responsabilité de son dirigeant, lorsque l'information qui n'est pas divulguée ne contredit pas une annonce préalable de la société.

À titre subsidiaire, M. [V] [S] estime que le quantum de la sanction prononcée à son encontre devra être révisé à la baisse et ramené à un montant d'un euro symbolique en raison de son inexpérience en matière de procédure d'introduction boursière, et de sa situation financière actuelle.

L'AMF oppose que contrairement au Conseil des ventes volontaires elle n'est pas partie au recours devant la cour d'appel. Elle rappelle qu'elle n'est pas une juridiction au regard du droit interne.

Elle ajoute que l'information relative à la dégradation significative des résultats annuels issus des comptes consolidés de l'exercice clos au 31 mars 2011 était bien une information privilégiée. Elle expose que la Commission des sanctions n'a pas confondu diverses informations contrairement à ce que prétend M. [S], elle conteste l'interprétation du texte invoquée par le requérant et considère que la situation de l'espèce ne permettait pas d'appliquer l'exemption prévue par le II de l'article 223-2 du règlement général. Elle soutient que la sanction prononcée est fondée.

Le ministère public a indiqué partager les analyses de la Commission des sanctions et conclu au rejet du recours.

Motifs

Sur la procédure

Sur les observations écrites et orales de l'AMF présentées dans le cadre du recours

Aux termes de l'article R. 621-46, V du code monétaire et financier, lorsqu'un recours est formé devant la cour d'appel de Paris contre une décision rendue par la Commission des sanctions de l'AMF, « le premier président de la cour d'appel ou son délégué fixe les délais dans lesquels les auteurs du recours principal, le cas échéant les auteurs d'un recours incident, puis l'Autorité des marchés financiers (...) doivent se communiquer leurs observations écrites et en déposer copie au greffe (...) ». Par ailleurs, le VII du même texte énonce qu' « (...) à l'audience, les parties sont entendues en leurs observations » et que « lorsque le président de l'Autorité des marchés financiers n'a pas exercé de recours, celle-ci peut présenter (...) des observations orales après les autres parties (...)».

En application de ces textes, l'AMF qui n'est pas une juridiction disciplinaire, mais a pour mission d'assurer la protection des investisseurs et, plus généralement l'ordre public économique, a déposé des observations écrites et a pu présenter des observations orales à l'audience.

Ces observations qui ont pour objectif de permettre à l'Autorité de présenter les éléments qu'elle estime utiles pour éclairer la cour sur les moyens invoqués par le ou les requérants ne sont pas de nature à porter atteinte aux droits de la défense de la partie requérante, dès lors que celle-ci peut les contredire tant par écrit que par oral. En l'espèce M. [S] a répliqué aux observations écrites de l'Autorité les 15 mars et 3 mai 2016 et de la même façon, il a pu présenter des observations orales en réplique à celles de l'AMF devant la cour et eu la parole en dernier.

Il importe peu dans ces circonstances de savoir si l'AMF doit ou non être qualifiée de « partie » ce qu'elle n'est en tout état de cause pas puisqu'elle ne fait que présenter ses observations devant la cour et ne pourrait dans ce cadre présenter de demande. La formulation par laquelle la Cour de cassation renvoie après cassation, dans tous les contentieux dont elle connaît, « les parties » devant une juridiction pour qu'il soit à nouveau statué, vise les parties au pourvoi et n'est à ce titre nullement de nature à donner cette qualification à l'Autorité des marchés financiers.

D'où il suit que le moyen développé à ce sujet par M. [S] doit être rejeté.

Sur le fond

En application de l'article 223 du règlement général de l'AMF : « (...) I. - Tout émetteur doit, dès que possible, porter à la connaissance du public toute information privilégiée définie à l'article 621-1 et qui le concerne directement.

II. - L'émetteur peut, sous sa propre responsabilité, différer la publication d'une information privilégiée afin de ne pas porter atteinte à ses intérêts légitimes, sous réserve que cette omission ne risque pas d'induire le public en erreur et que l'émetteur soit en mesure d'assurer la confidentialité de ladite information en contrôlant l'accès à cette dernière. (...)

III. - Les intérêts légitimes mentionnés au deuxième alinéa peuvent notamment concerner les situations suivantes :

1° Négociations en cours ou éléments connexes, lorsque le fait de les rendre publics risquerait d'affecter l'issue ou le cours normal de ces négociations. En particulier, en cas de danger grave et imminent menaçant la viabilité financière de l'émetteur, mais n'entrant pas dans le champ des dispositions mentionnées au livre VI du code de commerce relatif aux difficultés des entreprises (...)

2° Décisions prises ou contrats passés par l'organe de direction d'un émetteur, qui nécessitent l'approbation d'un autre organe de l'émetteur pour devenir effectifs, lorsque la structure dudit émetteur requiert une séparation entre les deux organes (...) ».

La Commission des sanctions a considéré que l'information relative à la situation des comptes de la société Tekka, telle qu'elle ressortait du procès-verbal des délibérations de son conseil d'administration du 17 juin 2011 ayant arrêté définitivement ses comptes de l'exercice clos le 31 mars 2011, constituait une information privilégiée. Elle a estimé que cette information avait été communiquée tardivement et que M. [S] ne démontrant pas d'intérêt légitime susceptible de justifier le report de l'information, le manquement aux dispositions de l'article 223 du règlement général de l'AMF était caractérisé.

M. [S] critique le bien fondé de cette analyse.

Sur l'information privilégiée

M. [S] conteste que l'information privilégiée se soit limitée à la dégradation des résultats de la société Tekka et fait valoir à ce sujet que l'information publiée le 22 juillet 2011 comprenait aussi des précisions quant à la situation de l'entreprise à l'issue du premier trimestre de l'exercice suivant et des projections négatives sur le reste de l'exercice 2011-2012. Il estime que c'est la publication de l'ensemble de ces informations qui a eu un effet sensible sur le cours de bourse de l'action Tekka dès le 25 juillet 2011 et que rien ne permettait à l'AMF d'affirmer que seule l'information découlant exclusivement de l'arrêté des comptes par le conseil d'administration le 17 juin 2011 aurait eu cet effet sensible sur le cours de bourse. Il soutient également que le choix de la date du 17 juin 2011 pour fixer la date à laquelle l'information relative aux résultats annuels a acquis son caractère privilégié manque de pertinence car le contenu des comptes relève davantage de l'information périodique que de la véritable information privilégiée, toutes les informations périodiques ne peuvent être systématiquement qualifiées d'informations privilégiées.

L'article 621-1 du RGAMF dispose qu'une information privilégiée est une information précise qui n'a pas été rendue publique, qui concerne, directement ou indirectement, un ou plusieurs émetteurs d'instruments financiers, ou un ou plusieurs instruments financiers, et qui si elle était rendue publique, serait susceptible d'avoir une influence sensible sur le cours des instruments financiers concernés ou le cours d'instruments financiers qui leur sont liés.

M. [S] ne conteste pas que le 17 juin 2011 le conseil d'administration de la société Tekka a arrêté les comptes pour l'exercice clos au 31 mars 2011 et que ceux-ci faisaient apparaître une perte de 3,7 millions d'euros contre 2 millions au 31 mars de l'année précédente, ce qui constitue une baisse significative, alors que le document de base communiqué dans le cadre de l'introduction de la société sur Alternext montraient une croissance soutenue et faisait valoir que la société avait connu depuis sa création un développement rapide passant d'un chiffre d'affaires de 235 K€ en 2000/2001 à 12,2 M€ en 2009/2010, soit un taux de croissance annuel moyen de 55 % sur la période. Dans ce contexte, cette information à elle seule était de nature à avoir une influence sensible sur le cours des titres de la société Tekka, car elle était susceptible d'être prise en compte par les investisseurs dans le cadre de leurs décisions d'achat ou de vente des-dits titres. Il importe peu que dans d'autres cas d'espèce, l'AMF ait pu considérer que cette information était devenue privilégiée avant l'arrêté des comptes.

Par ailleurs, le fait que la société Tekka n'ait pas eu l'obligation de publier ses comptes sociaux et consolidés ou encore qu'elle n'ait pas publié de prévisions ou d'objectif est sans portée sur l'obligation qu'elle avait de faire connaître au public cette information privilégiée. Dès lors que la société avait, dans le contexte précédemment rappelé, connaissance de ces résultats plus déficitaires que l'année précédente, elle se trouvait dans l'obligation de faire connaître aux investisseurs cette situation et il importe peu que lorsque cette information a été communiquée au public elle ait été complétée par d'autres éléments sur les perspectives de résultats de l'année suivante.

Sur l'application du II de l'article 223 du RGAMF

M. [S] explique que la société pouvait légitimement retarder la communication de l'information sur ses résultats pour s'assurer que l'information qu'elle fournirait serait « exacte, précise et sincère » et ce d'autant plus que lui même était inexpérimenté puisque la société n'était cotée sur Alternext que depuis quelques mois. Il explique que l'Autorité n'a pas considéré que la publication de ces résultats le 6 juillet ainsi qu'il était prévu par la société en charge de sa communication financière était tardive, mais qu'en revanche elle a déploré le report de seulement 15 jours. Il ajoute que c'est la société Bryan Garnier, son « listing sponsor » et teneur de livre, qui lui avait demandé ce report et que ce délai a été mis à profit pour publier une information plus complète.

Il ressort néanmoins du procès-verbal du conseil d'administration de la société le 17 juin 2011 que les comptes arrêtés pour l'exercice clos au 31 mars 2011 faisaient apparaître une perte de 3,7 millions d'euros contre 2 millions au 31 mars de l'année précédente, ce qui constitue une information précise et privilégiée.

En tant que telle cette information devait, en application des dispositions de l'article 223 I du RGAMF, être communiquée au public « dès que possible ». Il est dès lors sans portée qu'au jour tardif où elle a été publiée cette information ait été complétée par des prévisions sur les résultats de l'exercice 2011/2012, puisqu'elle était à elle seule suffisamment précise et susceptible d'influencer les décisions des investisseurs à l'égard des titres de la société.

M. [S] ne saurait, en conséquence, être fondé à soutenir que la société Tekka avait un intérêt légitime à retarder l'information relative à la dégradation des résultats pour le dernier exercice clos, ainsi que le prévoit l'exemption énoncée au II de la disposition précitée. Il ne précise d'ailleurs en rien quel était l'intérêt qu'elle aurait ainsi sauvegardé. Il n'est par ailleurs pas plus fondé à reporter la responsabilité de ce retard au « listing sponsor » de la société, dès lors qu'en sa qualité de dirigeant d'une société cotée, il lui appartenait de veiller lui même au respect des obligations liées au nouveau statut de cette société. Il est, enfin, inopérant à ce titre de soutenir, d'une part, que la société n'a pas entre janvier et juillet 2011 annoncé des prévisions ou des objectifs qui auraient pu contribuer à former un consensus de marché en sens contraire, d'autre part, que son prospectus ait fait état de l'importance des pertes enregistrées depuis sa création.

Enfin, il n'est pas justifié de prétendre comme le fait M. [S], que le délai de retard dans la communication en cause n'aurait été que de quinze jours en s'appuyant sur le message de son listing sponsor qui lui faisait savoir que la société chargée de la communication financière, prête à communiquer sur ces résultats le 6 juillet 2011, ne voyait pas d'objection au report. Il importe peu à ce sujet que la Commission des sanctions n'ait pas relevé que la date du 6 juillet était ou non tardive.

Il s'ensuit que les moyens invoqués par M. [S] pour soutenir que la société Tekka pouvait légitimement retarder la communication de l'information sur ses résultats 2011, en application de l'article 223 II du RGAMF, sont rejetés.

Sur l'imputation du manquement à M. [S]

M. [S] critique l'application en l'espèce purement automatique de l'article 221-1 du RGAMF prévoyant que « Les dispositions du présent titre sont également applicables aux dirigeants de l'émetteur, de l'entité ou de la personne morale concernée ». Il fait valoir à ce titre que l'article 223 II qui indique que l'émetteur peut décider de différer la publication d'une information privilégiée, afin de ne pas porter atteinte à ses intérêts légitimes sous réserve que cette omission ne risque pas d'induire le public en erreur, doit être interprétée dans le sens selon lequel « (...) il n'y aura de véritable manquement aux obligations contenues dans ce texte [l'article 223, I,] que si l'émetteur a sciemment pris la décision de passer sous silence une information qui aurait été de nature à dissiper l'erreur où se trouvaient alors les investisseurs présents dans le public ». Il en déduit que si le silence que l'émetteur a choisi de conserver provisoirement ne trompe personne parce que l'information privilégiée n'a pas été précédée par des prévisions en sens contraire, alors le report est admis et dans cette hypothèse le dirigeant n'aura manqué à aucune des obligations contenues dans le titre du règlement général de l'AMF consacré à la bonne information du public.

Il convient toutefois de rappeler que les sociétés cotées ont, ainsi que cela a été précédemment rappelé, pour obligation de porter dès que possible, à la connaissance du public toute information privilégiée définie à l'article 621-1 et qui les concerne directement. Si le II de l'article 223 du RGAMF autorise une exemption à cette obligation lorsque la divulgation de l'information aurait pour effet de nuire aux intérêts légitime d'un émetteur, c'est à la condition que le public ne risque pas d'être induit en erreur et que l'émetteur soit en mesure d'assurer la confidentialité de ladite information en contrôlant l'accès à cette dernière.

Cette condition d'absence de risque d'induire le public en erreur ne saurait être interprétée comme autorisant les émetteurs à ne pas divulguer dès que possible les informations privilégiées qui les concernent dès lors que le public ne serait pas trompé par leur silence, une telle interprétation conduirait en effet à ajouter au premier alinéa de l'article 223 du règlement général une condition qu'il ne prévoit pas, puisque ce texte lie l'obligation de divulgation à la seule condition du caractère privilégié de l'information. Il convient d'observer de surcroît qu'une information existante dans un contexte tel que le public ne risquerait pas d'être induit en erreur par la non divulgation de celle-ci, ne serait alors pas une information privilégiée.

En tout état de cause, l'information privilégiée de la dégradation des résultats de la société Tekka n'était pas connue du public avant qu'elle soit publiée le 22 juillet 2011. Elle était de nature à surprendre les investisseurs, dès lors qu'ainsi que l'a relevé la Commission des sanctions, le document de base communiqué dans le cadre de l'introduction de la société sur Alternext, montrait une croissance soutenue et faisait valoir que la société avait connu depuis sa création un développement rapide et un taux de croissance annuel moyen de 55 % sur la période de 2000 à 2010. Le fait que deux journalistes spécialisés aient en janvier et février 2011 publié des avis réservés sur la société Tekka et son introduction en bourse ne permet pas de considérer que l'information ne révélait rien de nouveau à son égard, d'autant que M. [S] lui même a indiqué lors de son audition du 13 janvier 2015 par la rapporteure, qu'il avait été surpris par les mauvais résultats en cause. Il n'y a, en outre, à ce titre pas lieu de rechercher si le public des investisseurs a pu être trompé, le seul fait que l'abstention de publication de l'information dès que possible porte sur une information privilégiée étant suffisant à caractériser le manquement.

Par ailleurs, la précision dans l'article 223-II que c'est« sous sa propre responsabilité » que l'émetteur peut différer la publication de l'information privilégiée en cause ne conduit pas, contrairement à ce que soutient le requérant, à considérer que dans ce cas seul l'émetteur et non le dirigeant doive supporter la responsabilité du manquement. Il serait, en effet, incohérent au regard de l'ensemble du texte et du caractère général de l'article 221-1 du Règlement général, de laisser cette appréciation à la seule charge de l'émetteur sans que son dirigeant nécessairement impliqué dans la prise de décision n'engage à ce titre sa propre responsabilité.

Enfin, il convient de relever que la lecture de la décision ne permet pas de relever comme le fait le requérant que la Commission des sanctions aurait admis comme étant raisonnable un délai de communication de 3 semaines au motif qu'elle n'aurait pas critiqué la date initiale de communication des résultats prévue au 6 juillet 2011.

Sur le montant de la sanction

M. [S] conteste le montant de la sanction qui lui a été infligée qu'il estime disproportionnée. Il fait valoir à ce titre qu'il avait précisé lorsqu'il avait été entendu qu'il ne percevait aucune rémunération de la nouvelle société qu'il exploitait et qu'il vivait avec son épouse sur leurs économies. Il s'étonne que la Commission des sanctions ait prononcé une sanction aussi sévère à son encontre alors, d'une part, que le représentant du collège avait requis une sanction de 90 000 euros et qu'un des deux griefs a été abandonné, d'autre part, qu'étant le principal actionnaire de la société Tekka il n'a tiré aucun profit du manquement reproché et a au contraire tout perdu. Il invoque divers dossiers dans lesquels les dirigeants ont été moins pénalisés que lui bien que les retards de communication aient été plus longs ou équivalents. Enfin, il reproche à la Commission des sanctions de ne pas avoir tenu compte de son inexpérience.

En application de l'article L. 621-15 III du code monétaire et financier, dans sa version applicable aux faits de la cause, la sanction encourue au titre du manquement retenu ne peut être supérieure à cent millions d'euros et le montant de cette sanction doit être fixé au regard de la gravité des manquements commis et en relation avec les avantages ou les profits éventuellement tirés de ces manquements.

M. [S] ne critique pas la motivation de la sanction mais son seul montant. À ce sujet, il convient de relever que le manquement à une disposition qui a pour objectif d'assurer la bonne information des investisseurs et le bon fonctionnement des marchés revêt un caractère de gravité important. M. [S] ne peut à ce titre se prévaloir de son inexpérience qu'il lui appartenait de compenser avant de lancer la société qu'il dirigeait dans un processus de cotation.

Si l'AMF ne nie pas que M. [S] n'ait réalisé aucun profit du manquement reproché, ce dernier n'apporte toutefois aucun élément sur sa situation personnelle qui permettrait d'accréditer ses affirmations sur l'absence de ressource et les pertes qu'il prétend.

En revanche, le montant de la sanction prononcée est élevé, d'une part, par rapport, à celui requis de 90 000 euros par le représentant du collège lors de la séance, montant non contesté dans les observations de l'AMF, d'autre part, au regard de l'absence de caractérisation du second grief notifié à M. [S].

En conséquence, compte tenu de la gravité du manquement, de l'absence de profit réalisé par M. [S] ainsi que de l'absence d'élément produit par lui s'agissant de sa situation personnelle, le montant de la sanction fixé à 150 000 euros sera réformé et statuant à nouveau, la cour le fixera à 90 000 euros.

Sur les frais irrépétibles

L'AMF n'étant pas partie à l'instance, mais simplement présente pour présenter des observations à la cour sur les éléments du recours, elle ne peut être condamnée au paiement sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile. La demande de M. [S] à ce sujet doit en conséquence être rejetée.

PAR CES MOTIFS

Déclare recevables les observations écrites et orales de l'AMF ;

Rejette le recours formé par M. [S] sauf en ce qui concerne le montant de la sanction ;

Réforme la décision déférée en ce qu'elle a infligé la sanction de 150 000 euros à M. [S] ;

Statuant à nouveau sur ce point ;

Fixe à 90 000 euros la sanction infligé à M. [S] ;

Rejette toute demande autre, plus ample, ou contraire de M. [S] ;

Condamne M. [S] aux dépens

LE GREFFIER,

Benoît TRUET-CALLU

LA PRÉSIDENTE,

Valérie MICHEL- AMSELLEM


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 5 - chambre 7
Numéro d'arrêt : 15/15215
Date de la décision : 30/06/2016

Références :

Cour d'appel de Paris I7, arrêt n°15/15215 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2016-06-30;15.15215 ?
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