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29/06/2016 | FRANCE | N°14/11223

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 2 - chambre 1, 29 juin 2016, 14/11223


Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 2 - Chambre 1



ARRET DU 29 JUIN 2016



(n° 340 , 6 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : 14/11223



Décision déférée à la Cour : Jugement du 09 Avril 2014 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 12/16708





APPELANTE



Madame [S] [L]

[Adresse 1]

[Adresse 1] (Polynésie Française)



Née

le [Date naissance 1] 1969 à [Localité 1]



Représentée par Me Bernard CAHEN de la SELAS CAYOL CAHEN & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : R109

Ayant pour avocat plaidant Me Kevin LUCIANO, avocat ...

Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 2 - Chambre 1

ARRET DU 29 JUIN 2016

(n° 340 , 6 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 14/11223

Décision déférée à la Cour : Jugement du 09 Avril 2014 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 12/16708

APPELANTE

Madame [S] [L]

[Adresse 1]

[Adresse 1] (Polynésie Française)

Née le [Date naissance 1] 1969 à [Localité 1]

Représentée par Me Bernard CAHEN de la SELAS CAYOL CAHEN & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : R109

Ayant pour avocat plaidant Me Kevin LUCIANO, avocat au barreau de NICE substituant Me Patrick RIZZO, avocat au barreau de NICE

INTIMES

L'AGENT JUDICIAIRE DE L'ETAT

[Adresse 2]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représenté par Me Sandrine BOURDAIS, avocat au barreau de PARIS, toque : G0709

Ayant pour avocat plaidant Me Aurélie LOISON, avocat au barreau de PARIS, toque : G709

LE GARDE DES SCEAUX

Ministère de la Justice

[Adresse 3]

[Adresse 3]

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 13 Avril 2016, en audience publique, devant la Cour composée de :

Monsieur Jacques BICHARD, président de chambre

Madame Marie-Sophie RICHARD, conseillère

Mme Marie-Claude HERVE, conseillère

qui en ont délibéré

Greffier, lors des débats : Monsieur Guillaume LE FORESTIER

MINISTERE PUBLIC : L'affaire a été transmise au Ministère Public, représenté par Monsieur Jérôme BETOULLE, avocat général, qui a fait connaître son avis écrit.

ARRET :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par M. Jacques BICHARD, président de chambre et par Madame Lydie SUEUR, greffier.

*****

A la suite de la plainte pour viol déposée le 22 mai 2004 par Mme [S] [L] classée sans suite le 28 janvier 2005, puis de l'ordonnance de non lieu rendue le 19 mai 2006 par le juge d'instruction de Papeete sur la constitution de partie civile de Mme [L] du 28 octobre 2005 et enfin du nouveau classement sans suite intervenu le 3 mai 2011 à la suite de la réouverture de l'enquête par le parquet en avril 2011, Mme [L] a assigné les 26 et 27 novembre 2012 l'AJE et le Garde des sceaux afin d'obtenir réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi en raison du déni de justice et de la faute lourde qu'elle impute au service public de la justice.

Par jugement en date du 9 avril 2014 le tribunal de grande instance de Paris a rejeté la fin de non-recevoir soulevée par l'AJE tenant à la prescription et débouté Mme [L] de l'ensemble de ses demandes, la condamnant aux dépens.

Mme [L] a interjeté appel de cette décision le 26 mai 2014.

Dans ses conclusions notifiées par la voie électronique le 15 mars 2016 elle demande à la cour de:

- PRONONCER L'ANNULATION du jugement rendu par le Tribunal de Grande Instance de Paris en date du 9 avril 2014,

- CONSTATER que le viol dont a été victime l'exposante n'a pas fait l'objet des soins et mesures appropriés habituels en la matière pour rechercher l'auteur de l'infraction qui court toujours pour des raisons inexpliquées et inexplicables,

- CONSTATER que par la présente procédure, l'exposante a eu connaissance d'une réouverture éclair de l'enquête préliminaire par le Procureur de la République [Localité 2], sans qu'elle en ait été informée et sans qu'elle ait fait l'objet des mesures adéquates pour être considérée comme une victime d'une infraction pénale, avec les conséquences qui s'y attachent.

- ORDONNER la production de l'ensemble des pièces consécutives à l'ouverture éclair de cette enquête, dont la production n'a été que parcellaire par Monsieur l'Agent Judiciaire de l'Etat en première instance, malgré les demandes de l'exposante d'obtenir l'ensemble de ces pièces, CONSTATER que les prélèvements ADN qui se trouvent depuis 2004 entre les mains de l'IGNA n'ont pas été exploités pour la recherche de l'auteur de l'infraction, rendant de fait inutile tout nouveau prélèvement sur la victime.

- CONSTATER qu'il y a bien eu déni de justice et fonctionnement défectueux du service public de la justice, ainsi qu'une violation des droits fondamentaux garantis constitutionnellement par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et la Charte des droits fondamentaux

- CONSTATER que ces dysfonctionnements causent incontestablement un grief majeur à Madame [L].

- CONSTATER que le climat de pression et d'intimidation et les informations connues récemment de la part de l'exposante, ont incontestablement nui au déroulement des investigations de manière sereine et impartiale.

- CONSTATER que la demande de réparation des préjudices est prouvée par la concluante, qui a vu sa vie brisée, et l'impossibilité de faire connaître sa cause dans des conditions garanties constitutionnellement, sont équipollentes à la satisfaction équitable, que l'exposante est en droit d'obtenir.

- DIRE ET JUGER en conséquence que la réouverture par Monsieur le procureur de la République [Localité 2] dix ans après les faits de viol, constitue incontestablement la preuve des graves déficiences et d'un fonctionnement défectueux des Services de la Justice ainsi que d'un déni de justice et de la privation d'un droit à un procès équitable et impartial.

- CONDAMNER l'Etat à réparer l'entier préjudice subi par l'exposante équipollent à la satisfaction équitable par l'octroi d'une somme de 200 000 € au titre du préjudice moral et de 340 000€ au titre du préjudice économique,

- CONDAMNER l'AJE à lui payer la somme de 10 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

Dans ses conclusions notifiées par la voie électronique le 3 mars 2016 l'AJE demande à la cour:

- A titre liminaire, de dire et juger qu'il n'y a pas eu violation du principe du contradictoire par le tribunal de grande instance de PARIS, ni méconnaissance de l'article 6 de la CEDH,

- A titre principal, d'infirmer le jugement dont appel en ce qu'il a rejeté la fin de non-recevoir tirée de l'acquisition de la prescription soulevée par l'agent judiciaire de l'Etat et statuant de nouveau, de dire et juger que les demandes de Mme [L] sont prescrites et par conséquent, déclarer l'action de Mme [L] à l'encontre de l'agent judiciaire de l'Etat irrecevable,

- A titre subsidiaire, de confirmer le jugement dont appel et par conséquent, de débouter Mme [L] de l'ensemble de ses demandes,

- En tout état de cause, de condamner Mme [L] à la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens dont distraction sera faite au profit de Maître Sandrine BOURDAIS, avocat aux offres de droit, en vertu des dispositions de l'article 699 du CPC.

Le ministère public a conclu le 1er juin 2015 à la recevabilité de la demande et à la confirmation du jugement qui a débouté Mme [L] de ses prétentions en l'absence de faute lourde.

La clôture a été prononcée à l'audience le 13 avril 2016.

MOTIFS DE LA DECISION :

- Sur l'annulation du jugement:

Mme [L] soutient qu'en refusant le rabat de l'ordonnance de clôture pour production d'une pièce essentielle à savoir l'attestation du docteur [I] et en refusant d'ordonner à l'AJE la production des documents figurant dans l'enquête de 2011, le tribunal a violé l'article 6 de la convention européenne des droits de l'Homme ainsi que les article 47 et suivants de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.

L'AJE fait valoir que l'appelante, qui ne s'est pas opposée au prononcé de l'ordonnance de clôture le 3 décembre 2013, en a sollicité la révocation près deux mois plus tard le 23 janvier 2014 afin de présenter deux nouvelles pièces dont elle ne justifie pas de l'impossibilité de les produire avant la clôture, ni de ce qu'elles étaient de nature à avoir une incidence sur le litige de sorte qu'en rejetant une telle demande le tribunal n'a pas méconnu le principe du contradictoire ni le droit de Mme [L], qui ne justifiait pas d'une cause grave de révocation, à un procès équitable.

La décision du tribunal rejetant la demande de rabat de l'ordonnance de clôture et la production de deux pièces supplémentaires n'a pas violé le principe du contradictoire dès lors que Mme [L] ne justifie pas ne pas avoir pu produire les deux pièces litigieuses dans le délai d'un mois courant entre les conclusions du ministère public notifiées par la voie électronique le 5 novembre 2013 et la clôture prononcée le 3 décembre suivant, ni d'avoir sollicité son report aux fins de produire les dites pièces de sorte que tant le principe du contradictoire que le droit à un procès équitable ont été respectés par le tribunal qui a estimé à juste titre qu'aucune cause grave au sens de l'article 784 du code de procédure civile ne justifiait la révocation sollicitée tardivement le 23 janvier 2014.

La demande en annulation du jugement déféré à la cour sera dès lors rejetée.

- Sur la prescription quadriennale :

L'AJE soutient que seuls le classement sans suite intervenu le 28 janvier 2005 et l'ordonnance de non-lieu rendue le 19 mai 2006 constituent les deux faits qui doivent être retenus pour la mise en oeuvre de la prescription quadriennale prévue à l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968 et que la prescription était acquise au jour de l'assignation délivrée par Mme [L] le 27 novembre 2012.

Mme [L] ainsi que le ministère public concluent à la recevabilité de la demande qui n'est pas prescrite.

C'est par de justes motifs que la cour adopte que le tribunal a retenu comme point de départ du délai de prescription le 1er janvier 2012 en raison du dernier classement sans suite intervenu le 3 mai 2011à la suite de la réouverture de l'enquête par le parquet.

- Sur le fond:

Mme [L] soutient que l'inactivité des magistrats et celle des services de gendarmerie sont constitutives d'un déni de justice et que ces mêmes magistrats et services de gendarmerie ont commis une série de dysfonctionnements graves caractérisant une faute lourde.

Mais l'appelante qui invoque un classement sans suite de sa plainte et une ordonnance de non-lieu intervenus de façon intempestive fait valoir en réalité des carences et négligences qui relèvent de l'appréciation de l'existence d'une faute lourde et ne verse aux débats aucun élément de preuve à l'appui de l'inactivité du service public de la justice qu'elle allègue.

Au soutien de l'existence d'une faute lourde Mme [L] invoque:

- un classement sans suite prématuré alors que certains éléments (sperme, sang) permettaient une recherche ADN de nature à identifier son agresseur dont elle avait donné une description très précise,

- une ordonnance de non-lieu rendue de manière trop rapide sans mise en oeuvre par la justice de véritables investigations et dont elle n'a pas relevé appel en raison de problèmes de santé consécutifs aux menaces de l'autorité judiciaire et des services d'enquête dont elle a été victime,

- l'absence de confrontation avec la personne qu'elle suspectait, cousin d'un gendarme chargé de l'enquête et ami proche des précédents occupants de la maison,

- le non usage des prélèvements réalisés au moment des faits,

- la réouverture éclair de l'enquête en 2011 clôturée moins d'un mois plus tard.

Elle fait valoir enfin que l'ouverture d'une nouvelle information judiciaire en novembre 2014 qui s'est terminée par une ordonnance de non-lieu rendue le 9 octobre 2015, confirmée par la chambre de l'instruction par une décision du 9 février 2016 qui critique l'enquête préliminaire et l'absence d'exploitation rapide de l'ADN objet des scellés,

confirment les dysfonctionnements graves du service public de la justice dont elle demande la réparation.

Mme [L] n'a pas interjeté appel de l'ordonnance de non-lieu rendue le 19 mai 2006 pour des raisons qui lui sont propres et dont elle échoue à démontrer qu'elles sont imputables au service public de la justice puisque les cinq attestations produites et notamment celle de Mme [B] [U] rédigée le 20 octobre 2014, qui procèdent par affirmations sans énoncer les faits précis dont leurs rédacteurs auraient été les témoins, n'établissent pas la preuve des menaces émanant de l'autorité judiciaire ou des services d'enquête dont elle aurait été victime.

En conséquence, Mme [L] ne peut rechercher la responsabilité du service public de la justice dans la poursuite de l'enquête et de l'instruction antérieure à cette décision dès lors qu'elle n'a pas épuisé les voies de recours qui lui étaient alors offertes.

En ce qui concerne le classement sans suite intervenu le 3 mai 2011 soit un mois après la réouverture de l'enquête par le parquet de Papeete en raison de la révélation d'un autre suspect, cette décision a été prise à la suite du refus de Mme [L] de se soumettre à un prélèvement génétique et cette dernière qui ne conteste pas son refus ne démontre pas en quoi l'absence d'examen en 2011 aux fins d'extraction des codes génétiques des ADN figurant sur le scellé de 2004 pour transmission au fichier national des empreintes génétiques présenterait un caractère fautif alors que le parquet a sollicité cet examen et que le laboratoire d'analyses lui a répondu qu'il était techniquement impossible sans prélèvement effectué sur la victime, étant précisé qu'à la supposer erronée une telle réponse ne relève pas de la responsabilité de l'Etat pour dysfonctionnement du service public de la justice.

En conséquence les allégations de Mme [L] quant à l'attitude suspecte du laboratoire d'analyses compte tenu de la possibilité technique que le docteur [I] atteste d'isoler le sperme de son agresseur sans avoir recours à un prélèvement de la victime à les supposer exactes, ne sont pas de nature à rendre fautif le classement sans suite opéré en raison de l'avis technique émis par le laboratoire.

Surtout, Mme [L] n'a pas davantage usé après la décision de classement sans suite du 3 mai 2011des voies de recours en sa possession en application de l'article 40-3 du code de procédure pénale.

Enfin l'ouverture d'une nouvelle enquête le 31 janvier 2013 et d'une information en 2014 qui s'est terminée par une ordonnance de non-lieu confirmée en appel le 9 février 2016 puisque l'identification par ADN d'un individu, par ailleurs condamné pour des agressions sexuelles, décédé en 2007, a à nouveau disculpé la personne soupçonnée par Mme [L], ne démontre pas l'existence en 2011 d'un grave dysfonctionnement du service public de la justice. En effet l'enquête a été rouverte en raison de la nouvelle possibilité technique d'isoler l'ADN masculin étant précisé que Mme [L] a refusé de se soumettre à un prélèvement et que la comparaison effectuée pour la seconde fois entre l'ADN de la personne soupçonnée par Mme [L] et celui du scellé s'est révélée à nouveau négative.

La cour relève que dans sa décision la chambre de l'instruction a estimé que rien n'étayait le scénario du complot quant à la contamination volontaire du scellé supportant l'ADN de l'agresseur de Mme [L] par un scellé supportant celui de la personne décédée puisque la fiche de scellé avait été immédiatement signée par Mme [L] et que l'expert avait constaté l'intégrité du scelle qu'il recevait. La chambre de l'instruction a rappelé que Mme [L] n'avait pas soumis l'ordonnance de non-lieu rendue en 2006 à sa censure éventuelle.

Enfin il convient de relever que le parquet a été à deux reprises à l'origine de la réouverture de l'enquête et que la personne identifiée comme étant l'agresseur de Mme [L] en 2016 est décédée en 2007 soit antérieurement à la réouverture de l'enquête en 2011.

En conséquence le jugement qui a débouté Mme [L] de sa demande en indemnisation de la responsabilité du fonctionnement défectueux du service public de la justice sera confirmé.

L'équité ne commande pas de faire application de l'article 700 du code de procédure civile.

Mme [L] qui succombe en son appel sera condamnée aux dépens.

PAR CES MOTIFS :

Statuant publiquement, par décision contradictoire:

- Dit n'y avoir lieu à annulation du jugement déféré à la cour;

- Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

Y ajoutant,

- Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamne Mme [S] [L] aux dépens.

LE GREFFIER,LE PRESIDENT,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 2 - chambre 1
Numéro d'arrêt : 14/11223
Date de la décision : 29/06/2016

Références :

Cour d'appel de Paris C1, arrêt n°14/11223 : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2016-06-29;14.11223 ?
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