RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 9
ARRÊT DU 29 Juin 2016
(n° , 7 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 14/07537
Décision déférée à la cour : jugement rendu le 12 juin 2014 par le conseil de prud'hommes de PARIS - section encadrement - RG n° 11/13705
APPELANTE
FONDATION DE L'OEUVRE DE LA CROIX SAINT SIMON
[Adresse 1]
[Localité 1]
représentée par Me Nicolas MENARD, avocat au barreau de PARIS, D1423
INTIMEE
Madame [L] [H] [J]
[Adresse 2]
[Localité 2]
représentée par Me Gilles BOUYSSOU, avocat au barreau de PARIS, A0264
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 04 mai 2016, en audience publique, devant la cour composée de :
Madame Catherine SOMMÉ, président de chambre
Monsieur Benoît HOLLEAUX, conseiller
Madame Anne DUPUY, conseiller
qui en ont délibéré
Greffier : Madame Marion AUGER, lors des débats
ARRET :
- contradictoire
- prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Catherine SOMMÉ, président et par Madame Marion AUGER, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Vu le jugement du conseil de prud'hommes de Paris en formation de départage du 12 juin 2014 ayant':
' prononcé la résiliation du contrat de travail ayant lié les parties aux torts exclusifs de la FONDATION DE L''UVRE DE LA CROIX SAINT SIMON pour manquement à son obligation d'exécution de bonne foi du contrat de travail, avec effet au 5 mars 2013
' condamné en conséquence la FONDATION DE L''UVRE DE LA CROIX SAINT SIMON à :
- rembourser à Pôle emploi les indemnités de chômage éventuellement versées à Mme [L] [H] [J] dans la limite de six mois
- régler à Mme [L] [H] [J] les sommes de':
' 33'168,30 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
' 33'168,30 € d'indemnité compensatrice légale de préavis et 3'316,83 € de congés payés afférents
' 5'000 € d'indemnité pour manquement à l'exécution de bonne foi du contrat de travail
' 5'000 € d'indemnité pour forfait en jours non valable
avec intérêts au taux légal
- ordonné la remise par la FONDATION DE L''UVRE DE LA CROIX SAINT SIMON à Mme [L] [H] [J] d'un certificat de travail et d'une attestation Pôle emploi conformes
- condamné la FONDATION DE L''UVRE DE LA CROIX SAINT SIMON à payer à Mme [L] [H] [J] la somme de 1'000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens';
Vu la déclaration d'appel de la FONDATION DE L''UVRE DE LA CROIX SAINT SIMON reçue au greffe de la cour le 4 juillet 2014';
Vu les écritures régulièrement communiquées et oralement soutenues à l'audience du 4 mai 2016 auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens de la FONDATION DE L''UVRE DE LA CROIX SAINT SIMON qui demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris et, statuant à nouveau, de débouter de l'ensemble de ses demandes Mme [L] [H] [J] qui sera condamnée à lui verser la somme de 2'500 € en application de l'article 700 du code de procédure civile';
Vu les écritures régulièrement communiquées et oralement soutenues à l'audience du 4 mai 2016 auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens de Mme [L] [H] [J] qui demande à la cour':
' d'infirmer la décision déférée
' statuant à nouveau,
- Ã titre principal,
. de constater qu'elle a été victime d'une situation de harcèlement moral et, en conséquence, . de prononcer la résiliation du contrat de travail aux torts exclusifs de la FONDATION DE L''UVRE DE LA CROIX SAINT SIMON qui sera condamnée à lui régler les sommes de:
' 79'899 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul ou illicite
' 34'602,54 € d'indemnité compensatrice légale de préavis et 3'460 € de congés payés afférents
' 31'959 € de dommages-intérêts pour harcèlement moral
' 6'785,23 € de dommages-intérêts pour «pertes de ressources»
- subsidiairement,
. de constater qu'elle a été victime d'une exécution déloyale de son contrat de travail et, en conséquence, de prononcer la résiliation du contrat de travail aux torts exclusifs de la FONDATION DE L''UVRE DE LA CROIX SAINT SIMON qui sera condamnée à lui payer les sommes de :
' 79'899 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
' 34'602,54 € d'indemnité compensatrice légale de préavis et 3'460 € de congés payés afférents
' 31'959 € de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail
' 6'785,23 € de dommages-intérêts pour «pertes de ressources»
- très subsidiairement,
.de juger que son licenciement est injustifié et, en conséquence, de condamner la FONDATION DE L'OEUVRE DE LA CROIX SAINT SIMON à lui verser les sommes de:
' 79'899 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
' 34'602,54 € d'indemnité compensatrice légale de préavis et 3'460 € de congés payés afférents
' 6'785,23 € de dommages-intérêts pour «pertes de ressources»
- en tout état de cause,
. de condamner la FONDATION DE L'OEUVRE DE LA CROIX SAINT SIMON à lui régler les sommes de :
' 20'000 € à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice lié à l'application du forfait en jours
' 2'500 € en application de l'article 700 du code de procédure civile
et assortir les sommes précitées des intérêts au taux légal avec capitalisation dans les conditions de l'article 1154 du code civil.
MOTIFS
La FONDATION DE L'OEUVRE DE LA CROX SAINT SIMON a engagé Mme [L] [H] [J] en contrat de travail à durée indéterminée à temps plein ayant pris effet le 1er décembre 2008 en tant que directrice du centre médical de santé enfance et famille, catégorie cadre, moyennant un salaire de 5 326,66 € bruts mensuels hors prime.
En arrêts de maladie à compter du 25 février 2011, Mme [L] [H] [J] a saisi le conseil de prud'hommes de Paris le 28 septembre 2011, notamment, d'une demande de résiliation de son contrat de travail aux torts de l'employeur.
Mme [L] [H] [J] a été convoquée à l'initiative de l'appelante pour passer la visite de reprise programmée le 5 février 2013, et à l'issue de laquelle le médecin du travail a émis l'avis suivant : «'Décision dans la 1ére visite en raison d'un danger en cas de maintien au poste de travail .INAPTE DEFINITIVEMENT A SON POSTE et A TOUT POSTE de TRAVAIL dans l'entreprise. A reclasser. Apte à un poste similaire dans un autre environnement».
Par une lettre du 20 février 2013, l'employeur a convoqué Mme [L] [H] [J] à un entretien préalable prévu le 28 février, et lui a notifié le 5 mars 2013 son licenciement pour inaptitude et impossibilité de la reclasser.
Dans le dernier état de la relation contractuelle de travail, l'intimée percevait une rémunération en moyenne de 5 767,09 € bruts mensuels.
Sur la rupture du contrat de travail
Lorsqu'un salarié, qui a demandé la résiliation judiciaire de son contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur, est resté au service de ce dernier qui l'a ensuite licencié, l'office du juge saisi est d'abord de rechercher si cette demande est justifiée et c'est seulement dans le cas contraire qu'il doit se prononcer sur le bien fondé du licenciement.
*
Au soutien de sa demande visant à titre principal à voir prononcer la résiliation judiciaire de son contrat de travail avec les conséquences d'un licenciement nul ou illicite, Mme [L] [H] [J] invoque des agissements de harcèlement moral contre l'intimée qui à compter de juillet 2010 lui a imposé un niveau de performances et d'activité de plus en plus élevé avec une «pression sur des objectifs toujours plus irréalistes», l'a privée de la possibilité de choisir elle-même ses collaborateurs avec des «embauches qui lui sont imposées» en l'excluant de fait des processus de recrutement, lui a refusé des moyens en informatique, l'a «mise en porte à faux face à ses salariés», lui a adressé des «e-mails ironiques ou méprisants», l'a mise en difficulté dans le suivi des contrats de travail des salariés placés sous sa responsabilité, l'a convoquée à un entretien préalable prévu le 8 février 2011 qui a consisté pendant plus de trois heures en «un véritable réquisitoire», et qui d'une manière générale a pratiqué sur sa personne des actes de déstabilisation , ce qui a eu des répercussions sur son état de santé s'en étant trouvé gravement altéré.
En réponse, la FONDATION DE L'OEUVRE DE LA CROIX SAINT SIMON considère que la salariée n'établit pas la matérialité d'éléments de fait précis, concordants et, comme tels, constitutifs d'agissements répétés de harcèlement moral.
*
Sur le harcèlement moral qu'elle invoque, Mme [L] [H] [J] établit les faits suivants qui, pris dans leur ensemble, permettent d'en présumer l'existence :
- des courriels qu'elle a adressés à sa hiérarchie courant juillet 2010 pour mettre en avant le fait qu'il lui était demandé désormais d'atteindre un niveau de performances et d'activité sans commune mesure avec les moyens donnés à la structure dont elle a la responsabilité, structure qui est avant tout un centre de santé pour lequel les exigences de rentabilité ne sont pas les mêmes que dans une entreprise dite classique, courriels auxquels il ne lui a été apporté aucun début de réponse satisfaisant du point de vue de l'écoute - ses pièces 6 et 7;
- d'autres courriels envoyés à son initiative à la direction générale ainsi que certains émanant de salariés de la fondation laissant clairement apparaître qu'à compter de la fin de l'année 2010 elle a perdu toute initiative dans le processus de recrutement en interne de collaborateurs en dépit de ses responsabilités de cadre en charge d'un service, processus de recrutement dont elle a été totalement écartée au début de l'année 2011 - pièces 9, 10 et 15;
- des échanges de courriels courant octobre 2010 avec la directrice générale adjointe, Mme [B] [O], de nature à la mettre dans une situation délicate vis à vis notamment de l'une des salariées placées sous son autorité, Mme [I], au sujet de dates de congés- pièces 11 et 14 ;
- un compte rendu de réunion en interne s'étant tenue le 8 décembre 2010 et au cours de laquelle elle est durement prise à partie notamment par la directrice générale qui lui dit :'«'Si tu veux partir, la porte est ouverte, on ne te retient pas», ce qui était au départ annoncé comme une simple réunion de travail avec sa hiérarchie ayant finalement tourné en une suite de reproches sur un ton quelque peu menaçant- pièce 19 ;
- un compte rendu d'entretien préalable à une éventuelle sanction du 8 février 2011 ayant duré près de trois heures et qui n'a finalement donné lieu à aucune suite disciplinaire - pièce 22 - , ce qui vient illustrer l'entreprise de déstabilisation dont elle a fait l'objet , comme vient le confirmer M. [U] [E], administrateur de la fondation de 2002 à 2011, dans des'«observations» ayant valeur de témoignage qu'il convient de citer in extenso : «En observant seulement quelques faits, un entretien préalable à sanction d'une durée de trois heures, la situation de souffrance de Madame [H] nécessitant un soutien psychologique par un psychothérapeute, l'absence de dialogue et son isolement pendant près de sept mois jusqu'à sa saisine du conseil de prud'hommes, enfin le refus de toute conciliation par sa hiérarchie, je ne peux que regretter avec tristesse un management assez peu digne de l'esprit et des valeurs de [K] [Q], fondatrice de cette oeuvre. Régulièrement, en effet, la brutalité et le cynisme ont été utilisés par la direction générale vis à vis de cadres dirigeants de la fondation, et c'est en partie à cause d'eux, en plus d'une gouvernance opaque et autoritaire, que j'ai quitté le conseil d'administration» - pièce 62 ;
- une attestation d'un psychologue qui la suit et faisant état d'une «dépression réactionnelle» confirmée par un autre praticien la décrivant comme «très abattue», ce qui a nécessité qu'elle soit en arrêts de travail depuis février 2011 - pièces 20, 25 et 61.
*
Pour sa part, force est de constater que la FONDATION DE L'OEUVRE DE LA CROIX SAINT SIMON se contente d'affirmer que la salariée «ne rapporte pas la preuve de faits précis et concordants laissant supposer un harcèlement moral», sans prouver, comme lui en fait pourtant obligation le 2ème alinéa de l'article L. 1154-1 du code du travail, «que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement».
*
Cette situation de harcèlement moral imputable à l'appelante constitue un manquement d'une gravité suffisante de nature à rendre impossible la poursuite entre les parties de l'exécution du contrat de travail.
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Pour l'ensemble de ces raisons, si le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a prononcé la résiliation du contrat de travail aux torts exclusifs de l'employeur, la cour, par substitution de motifs, dit que cette même résiliation est fondée sur un harcèlement moral au sens de l'article L.1152-1 du code du travail, laquelle produit les conséquences d'un licenciement nul appelant, outre les indemnités de rupture, le prononcé contre la FONDATION DE L'OEUVRE DE LA CROIX SAINT SIMON d'une sanction indemnitaire par renvoi à l'article L.1235-3 du code du travail, et avec effet au 5 mars 2013, date de la notification du licenciement pour inaptitude.
La décision déférée sera infirmée sur :
- le quantum au titre de l'indemnité compensatrice conventionnelle de préavis (FEHAP-Hospitalisations, Soins, Cure et Garde) équivalente à 6 mois de salaires, de sorte que la FONDATION DE L'OEUVRE DE LA CROIX SAINT SIMON sera condamnée à régler à l'intimée la somme portée à 34 602,54 € (5 767,09 € x 6) et 3 460 € de congés payés afférents, avec intérêts au taux légal partant du 5 octobre 2011, date de réception par l'employeur de sa convocation en bureau de conciliation ;
- son évaluation faite des dommages-intérêts revenant à l'intimée en application de l'article L.1235-3 du code du travail que la cour portera à la somme de 46 000 € représentant l'équivalent de 8 mois de salaires, avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt ;
Elle le sera tout autant en ce qu'elle a débouté Mme [L] [H] [J] de sa demande indemnitaire pour harcèlement moral que la cour retiendra à concurrence de la somme de 6 000 € majorée des intérêts au taux légal partant du présent arrêt.
Sur la demande indemnitaire pour «pertes de ressources»
Le jugement critiqué sera confirmé en ce qu'il a rejeté la réclamation de l'intimée pour perte de ressources, dès lors que durant sa période d'arrêts de travail elle a pu bénéficier des indemnités journalières de la CPAM avec un complément réglé par l'employeur, sans qu'il apparaisse ainsi, contrairement à ce qu'elle prétend, une baisse de revenus à due concurrence de la somme revendiquée de 6 785,23 €.
Sur le forfait en jours
Le contrat de travail de Mme [L] [H] [J] stipule que du fait de son autonomie sa durée de travail est «forfaitaire en jours dans un cadre annuel», dans la limite de 205 jours déduction faite de 18 jours non travaillés.
L'employeur, comme en première instance, ne discute pas le principe voulant que la validité de ce forfait en jours soit subordonnée à l'existence d'un accord d'entreprise pour sa mise en oeuvre, accord qui en l'espèce fait défaut, cela pour considérer principalement que la demande indemnitaire à ce titre de Mme [L] [H] [J] est excessive dans son quantum.
Le fait pas davantage discuté qu'il ait pu être imposé à l'intimée des horaires de travail excessifs dans le cadre d'un forfait en jours non valable en l'absence d'un accord collectif pour sa mise en oeuvre, lui a causé un préjudice que le premier juge a justement évalué à la somme de 5 000 €, avec intérêts au taux légal à compter du prononcé de la décision querellée qui sera confirmée sur ce point.
Sur la capitalisation des intérêts
Il sera ordonné la capitalisation des intérêts au taux légal sur les sommes revenant à la salariée dans les conditions de l'article 1154 du code civil.
Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens
L'appelante sera condamnée en équité à verser à Mme [L] [H] [J] la somme complémentaire de 2 500 € en vertu de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens d'appel.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
CONFIRME le jugement entrepris en ce qu'il a prononcé la résiliation du contrat de travail aux torts exclusifs de la FONDATION DE L'OEUVRE DE LA CROIX SAINT SIMON avec effet au 5 mars 2013, ainsi qu'en ses dispositions sur la demande indemnitaire pour perte de ressources, le forfait en jours, l'article 700 du code de procédure civile, et les dépens ;
L'INFIRME pour le surplus et statuant à nouveau,
DIT et juge que la résiliation judiciaire prononcée aux torts exclusifs de la FONDATION DE L'OEUVRE DE LA CROIX SAINT SIMON produit les conséquences d'un licenciement nul, et la condamne ainsi à régler à Mme [L] [H] [J] les sommes de :
' 34 602,54 € (5 767,09 € x 6) à titre d'indemnité compensatrice conventionnelle de préavis et 3 460 € de congés payés afférents, avec intérêts au taux légal partant du 5 octobre 2011
' 46 000 € de dommages-intérêts sur le fondement de l'article L.1235-3 du code du travail, avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt
' 6 000 € de dommages-intérêts pour harcèlement moral avec intérêts au taux légal partant du présent arrêt ;
Y ajoutant,
ORDONNE la capitalisation des intérêts au taux légal sur les sommes allouées à Mme [L] [H] [J] dans les conditions de l'article 1154 du code civil;
CONDAMNE la FONDATION DE L'OEUVRE DE LA CROIX SAINT SIMON à payer à Mme [L] [H] [J] la somme de 2 500 € en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE la FONDATION DE L'OEUVRE DE LA CROIX SAINT SIMON aux dépens d'appel.
LE GREFFIER LE PRESIDENT