Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 2 - Chambre 1
ARRET DU 28 JUIN 2016
(n° 332 , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 14/16624
Décision déférée à la Cour : Jugement du 18 Juin 2014 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 13/02274
APPELANTS
Monsieur [U] [K]
[Adresse 1]
[Localité 1]
Né le [Date naissance 2] 1961 à [Localité 6]
Représenté par Me Elisabeth DE BOISSIEU de la SELAS SAINT YVES AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : P0218
Ayant pour avocat plaidant Me Gregory THUAN DIT DIEUDONNE, avocat au barreau de STRASBOURG
Madame [G] [L]
[Adresse 4]
[Localité 2]
Née le [Date naissance 3] 1932 à [Localité 5]
Représentée par Me Elisabeth DE BOISSIEU de la SELAS SAINT YVES AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : P0218
Ayant pour avocat plaidant Me Gregory THUAN DIT DIEUDONNE, avocat au barreau de STRASBOURG
Monsieur [D] [K]
[Adresse 2]
[Localité 4]
Né le [Date naissance 1] 1966 à [Localité 7]
Représenté par Me Elisabeth DE BOISSIEU de la SELAS SAINT YVES AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : P0218
Ayant pour avocat plaidant Me Gregory THUAN DIT DIEUDONNE, avocat au barreau de STRASBOURG
INTIME
L'AGENT JUDICIAIRE DE L'ETAT Direction des Affaires juridiques
[Adresse 5]
[Adresse 3]
[Localité 3]
Représenté par Me Bernard GRELON de l'AARPI LIBRA AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : E0445
Ayant pour avocat plaidant Me Carole PASCAREL, avocat au barreau de PARIS, toque: B0953, substituant Me Bernard GRELON de l'AARPI LIBRA AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : E0445
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 05 Avril 2016, en audience publique, devant la Cour composée de :
M. Jacques BICHARD, Président de chambre
Madame Marie-Sophie RICHARD, Conseillère
Mme Marie-Claude HERVE, Conseillère
qui en ont délibéré
Greffier, lors des débats : Mme Lydie SUEUR
ARRET :
- Contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par M. Jacques BICHARD, président et par Mme Lydie SUEUR, greffier.
*****
Par jugement du 18 juin 2014 auquel il est expressément fait référence pour l'exposé des faits et des prétentions initiales des parties, le tribunal de grande instance de Paris a débouté Mme [G] [K] et MM [U] et [D] [K], (les consorts [K]), de leurs demandes tendant à voir condamner l'Etat pris en la personne de son agent judiciaire à payer à Mme [K] la somme de 150 000 € et à MM [K] la somme de
50 000 € à chacun en réparation du préjudice subi tant à titre personnel pour Mme [K] qu'en leur qualité d'ayants droit de [B] [K] leur époux et père décédé le [Date décès 1] 2013 ainsi que la somme de 5 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile et qui les a condamnés aux dépens.
Mme [G] [K] et MM [U] et [D] [K] ont interjeté appel de cette décision le 31 juillet 2014 et dans leurs conclusions notifiées le 2 novembre 2015 ils demandent à la cour d'infirmer le jugement, de condamner l'Etat pris en la personne de l'AJE à leur verser en leur qualité d'ayants-droit de [B] [K] la somme de
75 000 €, à titre personnel celle de 75 000€ à Mme [K] et celle de 50 000 € chacun à MM [U] et [D] [K] en réparation de leur préjudice moral outre la somme de 7 500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile et les dépens.
Dans ses conclusions notifiées le 29 décembre 2014 l'AJE demande la confirmation du jugement, subsidiairement, de ramener les prétentions indemnitaires au titre du seul préjudice moral indemnisable à de plus justes proportions et la condamnation des appelants à lui verser la somme de 2 500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Dans ses conclusions du 13 octobre 2015, le ministère public conclut à l'infirmation du jugement en ce que le délai de la procédure initiée par [B] [K] aux fins de réparation de son préjudice n'est pas raisonnable au sens de l'article 6-1 de la Convention européenne des droits de l'Homme et constitue un déni de justice.
MOTIFS DE LA DECISION :
Aux termes de l'article L 141-1 du Code de l'organisation judiciaire, seule la faute lourde du service de la justice peut permettre de retenir la responsabilité de l'Etat ;
Constitue une faute lourde toute déficience caractérisée par un fait ou une série de faits traduisant l'inaptitude du service public de la justice à remplir la mission dont il est investi;
Par ailleurs, l'article L 141-3 du même code dispose que : ' les juges peuvent être pris à partie dans les cas suivants ...2° s'il y a déni de justice. Il y a déni de justice lorsque les juges refusent de répondre aux enquêtes ou négligent de juger les affaires en état et en tour d'être jugées...'
Le déni de justice est caractérisé par tout manquement de l'Etat à son devoir de permettre à toute personne d'accéder à une juridiction pour faire valoir ses droits dans un délai raisonnable conformément aux dispositions de l'article 6 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme et s'apprécie à la lumière des circonstances propres à chaque espèce en prenant en considération la nature de l'affaire, son degré de complexité, le comportement de la partie qui se plaint de la durée de la procédure et les mesures prises par les autorités compétentes.
Les consorts [K] soutiennent que leurs choix procéduraux parfaitement justifiés n'ont pas allongé les délais de procédure et qu'ils ont au contraire dû faire face à la carence des autorités publiques qui ont contribué à l'allongement anormal des procédures, (17 ans et 4 mois), alors que le litige ne revêtait pas une complexité particulière mais un enjeu d'une importance extrême qui exigeait de l'autorité judiciaire une diligence exceptionnelle qui a fait défaut.
L'AJE fait valoir qu'avant l'assignation au fond du 23 août 2005 les époux [K] ont attendu deux ans et 7 mois après le dépôt du premier rapport d'expertise le 6 avril 2000 avant de solliciter un complément d'expertise et un an et 3 mois avant d'assigner au fond après le dépôt du second rapport le 10 mai 2004 et que cette période de latence de trois ans et 10 mois leur est imputable; qu'ils ont présenté une 3ème demande d'expertise en août 2007 qui a donné lieu à un nouveau rapport déposé en octobre 2008 ; que la loi du 17 décembre 2008 relative à L'ONIAM a complexifié le dossier du fait de la nécessaire intervention de celui-ci et de la difficulté relative à la prise en charge des prestations versées par les organismes sociaux en raison de la question alors pendante de la transmission des contrats d'assurance souscrits par les centres de transfusion sanguine à l'ONIAM.
La première expertise demandée le 17 mars 1998 par [B] [K] aux fins de déterminer l'origine de sa contamination par le virus de l'hépatite C a été ordonnée en référé le 14 mai 1998 et le premier rapport a été déposé le 6 avril 2000. L'expert indiquant qu'il n'était pas possible de préciser quels étaient les dons qui ont pu être administrés au patient en l'absence de numéros des culots sanguins, concluait que la contamination par le virus de l'hépatite C pouvait être secondaire aux hospitalisations multiples et prolongées du patient avec interventions itératives et aux transfusions sanguines ayant eu lieu en 1976 et 1984.
L'expert concluant à la nécessité d'un nouvel examen courant 2001 de [B] [K] dont l'état n'était pas consolidé, celui-ci a fait l'objet le 5 juin 2003 d'une nouvelle expertise ordonnée le 24 décembre 2002 à sa demande présentée le 15 novembre 2002 toujours en référé et l'expert a déposé son rapport le 10 mai 2004 concluant alors que seules les transfusions effectuées en 1976 et dont on ignorait les numéros des culots de sang correspondants pouvaient être à l'origine de la contamination par le VHC et qu'il convenait également de procéder à un nouvel examen du patient en l'absence de consolidation dans un délai de 24 mois.
Ces délais n'apparaissent pas déraisonnables compte tenu notamment de l'ancienneté des transfusions, (1976 et 1984), et de la difficulté liée à l'absence de numéro des culots sanguins administrés en 1976.
Contestant ce second rapport en ce qu'il ne retenait que l'administration de deux lots non contaminés en 1984, [B] [K] a assigné au fond le 23 août 2005 devant le tribunal de grande instance de Strasbourg l'EFS qui a appelé en garantie son assureur, mais les consorts [K] ne justifient pas avoir sollicité une nouvelle expertise devant le juge de la mise en état avant le 7 septembre 2006.
Le juge de la mise en état a missionné l'expert le 13 août 2007 mais ce délai s'explique par la nécessité d'obtenir du demandeur certains éléments de preuve réclamés par le juge de la mise en état dès le 8 janvier 2007 en raison du nombre de produits sanguins, (71), invoqués alors par [B] [K].
Compte tenu de l'importance de l'enquête transfusionnelle demandée par le juge de la mise en état à l'expert, celui-ci a sollicité le 27 mars 2008 un délai de neuf mois supplémentaires pour rendre son rapport. Ce délai auquel s'est opposé [B] [K] le 20 juin 2008 lui a été accordé à hauteur de 5 mois et il a déposé son rapport le 27 octobre 2008, soit avant l'expiration du délai sollicité le 27 mars précédent.
Il a conclu, au vu des éléments fournis et notamment de l'enquête transfusionnelle réalisée le 13 novembre 2007 qui fait état de 71 culots sanguins transfusés en 1984 dont seulement 16 ont été identifiés et dix contrôlés avec un résultat négatif, que, bien que l'enquête ait été incomplète, l'imputabilité de l'hépatite C, toujours en évolution, aux transfusions multiples dont avait bénéficié le patient était hautement probable.
L'intervention de la loi du 17 décembre 2008 a conduit l'assureur de l'EFS à demander la mise en cause de l'ONIAM le 20 novembre 2009 mais les consorts [K] n'ont assigné l'ONIAM en intervention forcée que le 7 mai 2010 à la suite des décrets du 11 mars 2010 ayant opéré la substitution de l'ONIAM à l'EFS alors que la clôture de l'affaire était initialement prévue en avril 2010.
La nécessité pour l'ONIAM , l'EFS et la cie AXA de conclure notamment quant à la garantie de l'assureur, a retardé le prononcé de la clôture du dossier par le juge de la mise en état qui a cependant délivré une injonction de conclure à l'ONIAM à deux reprises, étant précisé que l'avocat de [B] [K] a souhaité répliquer aux conclusions des défendeurs à plusieurs reprises.
[B] [K] étant décédé le [Date décès 1] 2013, une ordonnance d'interruption d'instance a été rendue le 11 février 2013 aux fins de régularisation de la procédure par l'intervention de ses héritiers qui sont intervenus à la procédure le 25 mars 2013 par des conclusions contenant incident et auxquelles les défendeurs ont dû répondre.
Les consorts [K] sollicitant le retour du dossier à l'expert aux fins d'achèvement de sa mission compte tenu du décès de [B] [K] l'expert, commis le 27 novembre 2013 et qui avait demandé un délai supplémentaire qui lui a été refusé, a déposé son rapport le 1er septembre 2014, imputant le décès de [B] [K] à un carcinome hépatocellulaire vraisemblablement secondaire à l'infection par l'hépatite C.
A la suite des dernières conclusions récapitulatives notifiées par les consorts [K] le 6 novembre 2014 et des conclusions en réponse déposées jusqu'au 23 mars 2015, la clôture a été prononcée à cette date.
Par jugement du 10 juillet 2015 le tribunal a fait partiellement droit aux demandes d'indemnisation des consorts [K] qui ont interjeté appel de cette décision le 9 août 2015 et la procédure est pendante devant la cour d'appel de Colmar.
Il résulte de ces éléments que la recherche et la collecte des nombreux culots sanguins ainsi que l'intervention en cours de procédure de la loi relative à l'ONIAM entraînant une augmentation des parties mises en cause et des interrogations sur la garantie de l'assureur ont rendu complexe la procédure d'indemnisation de [B] [K] dont le décès a nécessité également l'intervention de ses héritiers, étant remarqué que ce n'est que le 27 octobre 2008 que l'expert a conclu que l'imputabilité de l'hépatite C aux transfusions multiples de 1976 et de 1984 dont le patient a été l'objet était hautement probable.
Et devant la cour il n'est pas établi qu'une demande de provision a été présentée le 25 mai 2008, les conclusions dont il est fait état dans le jugement déféré n'étant pas versées aux débats et le sort d'une telle demande, à la supposer établie, n'a pas été évoqué par les appelants.
En outre ils ne démontrent pas qu'ils aient sollicité après le dépôt du 3ème rapport le 27 octobre 2008 l'octroi d'une provision avant leurs conclusions récapitulatives n°4 du 10 mai 2012 aux termes desquelles ils demandaient au tribunal et non au juge de la mise en état, la condamnation solidaire de l'ONIAM, de l'EFS et de la cie AXA, laquelle a sollicité sa mise hors de cause et l'irrecevabilité de la demande en garantie de l'EFS dépourvu selon elle d'intérêt à agir en raison de la substitution de L'ONIAM.
Ce dernier s'est également prévalu d'un risque nosocomial supérieur au risque transfusionnel pour s'opposer à la demande de provision présentée au juge de la mise en état par les consorts [K] le 25 mars 2013 en même temps que le retour du dossier à l'expert aux fins d'achèvement de sa mission en raison du décès de [B] [K].
En conséquence, le délai écoulé entre la mise en cause de l'ONIAM le 7 mai 2010 et l'ordonnance rejetant la demande de provision et ordonnant le retour du dossier à l'expert le 27 novembre 2013 n'apparaît pas déraisonnable, en tenant compte de l'interruption de l'instance liée au décès de [B] [K], des choix procéduraux des consorts [K] qui ont souhaité répliqué à plusieurs reprises aux conclusions des défendeurs et des difficultés soulevées par ceux-ci sur l'application de la loi du 17 décembre 2008 et des décrets de 2010.
En raison de ces éléments il ne peut être utilement reproché au juge de la mise en état de ne pas avoir fait injonction aux différents défendeurs de conclure fin 2012 alors que l'état de santé de [B] [K] s'aggravait, ce dont il n'est pas démontré qu'il ait eu connaissance, et de ne pas avoir déterminé un calendrier de procédure avant le 27 novembre 2013 en fixant à cette date le dépôt du rapport de l'expert au 14 mars 2014 et la clôture de l'affaire au 8 septembre 2014.
Et il n'est pas justifié d'un appel interjeté à l'encontre de cette décision alors qu'il est reproché au juge de la mise en état de ne pas avoir fait droit à la demande de provision .
Postérieurement à cette ordonnance, le juge de la mise en état a rejeté la demande de prorogation de délai sollicitée par l'expert pour déposer son rapport définitif le 1er septembre 2014 après un dernier rendez-vous d'expertise le 10 février 2014 de sorte que l'ordonnance rendue le 19 mai 2014 précisant que le juge de la mise en état était chargé du contrôle de la mesure d'instruction n'a eu aucune incidence sur la durée de celle-ci. Et les consorts [K] ne peuvent reprocher au service public de la justice le report du calendrier initial fixant la clôture au 8 septembre 2014 alors qu'ils ont eux-même sollicité un délai supplémentaire pour faire valoir leur dire à expert le 21 juillet 2014.
Il ne peut davantage être soutenu que le délai qui s'est alors écoulé jusqu'à l'ordonnance de clôture rendue le 23 mars 2015 serait déraisonnable compte tenu des dernières conclusions récapitulatives notifiées par les consorts [K] le 28 octobre 2014 et des conclusions en réponse déposées jusqu'au 23 mars 2015.
En conséquence, le jugement qui a retenu que la durée de la procédure engagée devant le tribunal de grande instance de Strasbourg n'était pas imputable à un dysfonctionnement du service public de la justice et a débouté les consorts [K] de leurs demandes sera confirmé.
L'équité ne commande pas de faire application de l'article 700 du code de procédure civile et la demande présentée de ce chef par l'AJE sera rejetée.
Les consorts [K] qui succombent en leur appel seront condamnés aux dépens.
PAR CES MOTIFS :
Statuant publiquement, par décision contradictoire :
- Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant,
- Déboute l'AJE de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamne Mme [G] [K] et MM [U] et [D] [K] aux dépens d'appel.
LE GREFFIER,LE PRESIDENT,