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23/06/2016 | FRANCE | N°15/04882

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 9, 23 juin 2016, 15/04882


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 9



ARRÊT DU 23 JUIN 2016



(n° , 1 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : S 15/04882



Décision déférée à la cour : jugement rendu le 03 mars 2015 par le conseil de prud'hommes de PARIS - section encadrement - RG n° 14/03959





APPELANTES



SARL LES EDITIONS GYNETHIC

[Adresse 1]

[Localité 1]

représentée par Me Olivier HUGOT, avocat au barrea

u de PARIS, C2501 substitué par Me Alexandre MERDASSI, avocat au barreau de PARIS



Madame [P] [T] ès-qualités d'administrateur judiciaire de la société LES EDITIONS GYNETHIC

[Adresse ...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 9

ARRÊT DU 23 JUIN 2016

(n° , 1 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S 15/04882

Décision déférée à la cour : jugement rendu le 03 mars 2015 par le conseil de prud'hommes de PARIS - section encadrement - RG n° 14/03959

APPELANTES

SARL LES EDITIONS GYNETHIC

[Adresse 1]

[Localité 1]

représentée par Me Olivier HUGOT, avocat au barreau de PARIS, C2501 substitué par Me Alexandre MERDASSI, avocat au barreau de PARIS

Madame [P] [T] ès-qualités d'administrateur judiciaire de la société LES EDITIONS GYNETHIC

[Adresse 2]

[Localité 2]

représentée par Me Olivier HUGOT, avocat au barreau de PARIS, C2501 substitué par Me Alexandre MERDASSI, avocat au barreau de PARIS

Madame [B] [O] ès-qualités de mandataire judiciaire de la société LES EDITIONS GYNETHIC

[Adresse 3]

[Localité 3]

représentée par Me Olivier HUGOT, avocat au barreau de PARIS, C2501 substitué par Me Alexandre MERDASSI, avocat au barreau de PARIS

INTIMÉE

Madame [A] [C]

[Adresse 4]

[Localité 4]

comparante en personne, assistée de Me Natacha LECOUSY-MURAWSKI, avocat au barreau de PARIS, L0277 substitué par Me Stéphanie RESCHE, avocat au barreau de PARIS

PARTIE INTERVENANTE

Association CGEA ILE-DE-FRANCE OUEST

[Adresse 5]

[Localité 5]

représentée par Me Arnaud CLERC, avocat au barreau de PARIS, T10 substitué par Me Natacha SVILAR, avocat au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 10 mars 2016, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Catherine SOMMÉ, président de chambre, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Catherine SOMMÉ, président

Monsieur Benoît HOLLEAUX, conseiller

Madame Anne DUPUY, conseiller

Greffier : Madame Marion AUGER, lors des débats

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Catherine SOMMÉ, président et par Madame Marine POLLET, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS PROCÉDURE PRÉTENTIONS DES PARTIES

Mme [A] [C] a été engagée en qualité de rédactrice le 20 août 2011 par la SARL LES EDITIONS GYNETHIC, exploitant le magazine mensuel «'Causette'», suivant contrat de travail à durée déterminée pour une durée de six mois et une semaine, qui s'est prolongé à l'issue du terme. Le 24 septembre 2011 les parties ont signé un contrat à durée indéterminée prenant effet le 9 octobre 2011 pour les mêmes fonctions, la relation de travail étant régie par la convention nationale de travail des journalistes.

Par lettre du 24 janvier 2014, Mme [C] a pris acte de la rupture de son contrat de travail reprochant à son employeur, pour l'essentiel un défaut de paiement du treizième mois et de maintien de son salaire pendant ses arrêts de travail, de pratiquer sans son accord une déduction forfaitaire pour les frais professionnels, de ne pas avoir organisé de visite médicale de reprise et de lui avoir fait subir un harcèlement moral.

La société LES EDITIONS GYNETHIC employait plus de dix salariés à la date de la rupture.

Le 20 mars 2014, Mme [C] a saisi le conseil de prud'hommes de Paris de demandes tendant à dire que sa prise d'acte produisait les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse et au paiement de diverses sommes.

Par jugement du 3 mars 2015, le conseil de prud'hommes de Paris a :

- condamné la SARL LES EDITIONS GYNETHIC à verser à Mme [C] :

4 583 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

458 € à titre d'indemnité compensatrice de congés payés sur préavis,

6 874 € à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement,

avec intérêts au taux légal à compter de la date de réception par la partie défenderesse de la convocation devant le bureau de conciliation,

- condamné la SARL LES EDITIONS GYNETHIC à la remise des documents sociaux conformes,

- rappelé qu'en vertu de l'article R.1454-28 du code du travail, ces condamnations sont exécutoires de droit à titre provisoire, dans la limite maximum de neuf mois de salaire calculés sur la moyenne des trois derniers mois de salaire, et fixé cette moyenne à la somme de 2 191,54 €,

- condamné la SARL LES EDITIONS GYNETHIC à verser à Mme [C] :

10 000 € à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral et manquement à l'obligation d'assurer l'intégrité physique et mentale sur le fondement des dispositions de l'article R.4121-1 du code du travail et suivants,

18 000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

500 € à titre de dommages et intérêts pour absence de visite médicale,

avec intérêts au taux légal à compter du jour du prononcé du jugement,

700 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté Mme [C] du surplus de ses demandes,

- débouté la SARL LES EDITIONS GYNETHIC de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la SARL LES EDITIONS GYNETHIC aux dépens.

Par jugement rendu le 21 avril 2015, le tribunal de commerce de Paris a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la société LES EDITIONS GYNETHIC et désigné Me [T] [P] en qualité d'administrateur judiciaire et la SELAFA MJA, prise en la personne de Me [B] [O], en qualité de mandataire judiciaire de la société.

Par déclaration du 12 mai 2015, la société LES EDITIONS GYNETHIC, assistée de Me [P] ès qualités, a interjeté appel du jugement du conseil de prud'hommes de Paris en date du 3 mars 2015.

La société LES EDITIONS GYNETHIC, Me [P] en qualité d'administrateur judiciaire et Me [O] en qualité de mandataire judiciaire de la société, demandent à la cour':

- d'infirmer le jugement déféré sauf en ce qu'il a débouté Mme [C] de sa demande de publication,

- de débouter Mme [C] de toutes ses demandes,

- de requalifier la prise d'acte en démission,

- de condamner Mme [C] au paiement de la somme de 2 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens, dont distraction faite au profit de Me Olivier Hugot, conformément à l'article 699 du code de procédure civile.

Mme [C] demande à la cour de :

- confirmer le jugement déféré en ce qu'il a prononcé la rupture du contrat de travail aux torts de l'employeur à effet au 24 janvier 2014 et en ce qu'il a condamné la société LES EDITIONS GYNETHIC à payer à Mme [C] une indemnité compensatrice de préavis et de congés payés sur préavis ainsi qu'une indemnité conventionnelle de licenciement,

- l'infirmer quant au quantum des autres condamnations prononcées à l'encontre de la société LES EDITIONS GYNETHIC,

- en conséquence, fixer la créance de Mme [C] à l'égard de la société LES EDITIONS GYNETHIC aux sommes suivantes :

22 915 € au titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral,

22 915 € au titre de dommages et intérêts pour manquements à l'obligation de sécurité de résultat,

34 365 € au titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

10 000 € à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice du fait de la pratique de la déduction forfaitaire spécifique en l'absence de tout accord de la salariée,

5 000 € à titre de dommages et intérêts pour absence de visite médicale,

- ordonner à la société LES EDITIONS GYNETHIC ainsi que la SELAFA MJA en sa qualité de mandataire judiciaire de lui remettre les documents sociaux conformes sous astreinte de 100 € par jour à compter de l'arrêt à intervenir,

- dire et juger que l'arrêt sera opposable aux AGS CGEA, à Me [P], administrateur judiciaire, ainsi qu'à la SELAFA MJA, mandataire judiciaire,

- condamner la société LES EDITIONS GYNETHIC prise en la personne de son gérant et de Me [P] en sa qualité d'administrateur judiciaire, ainsi que la SELAFA MJA en sa qualité de mandataire judiciaire, au paiement de la somme de3 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile et au paiement des entiers dépens,

- ordonner la publication judiciaire de l'arrêt à intervenir, dans un quotidien national et dans un magazine mensuel, au choix de Mme [C] et aux frais de la société LES EDITIONS GYNETHIC dans la limite de 15 000 €.

L'AGS CGEA IDF OUEST demande à la cour de :

- sur les demandes, dire que la prise d'acte de Mme [C] doit produire les effets d'une démission,

- en conséquence, infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

débouter Mme [C] de l'intégralité de ses demandes,

- sur la garantie de l'AGS, dire et juger que s'il y a lieu à fixation, celle-ci ne pourra intervenir que dans les limites de la garantie légale,

- dire et juger qu'en tout état de cause, la garantie prévue aux dispositions de l'article L.3253-6 du code du travail ne peut concerner que les seules sommes dues en exécution du contrat de travail au sens dudit article L.3253-8 du code du travail, les astreintes, dommages et intérêts mettant en 'uvre la responsabilité de droit commun de l'employeur ou article 700 étant ainsi exclus de la garantie,

- dire et juger qu'en tout état de cause, la garantie de l'AGS ne pourra excéder, toutes créances avancées pour le compte du salarié confondues, le plafond des cotisations maximum au régime d'assurance chômage, en vertu des dispositions des articles L.3253-17 et D.3253-5 du code du travail,

- statuer ce que de droit quant aux frais d'instance sans qu'ils puissent être mis à la charge de l'UNEDIC AGS.

En application de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties pour un plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.

MOTIFS

Sur le harcèlement moral

Mme [C] sollicite la confirmation du jugement ayant dit qu'elle avait été victime d'un harcèlement moral et l'infirmation quant au montant alloué à ce titre qu'elle souhaite voir porter à 22 915 €.

Elle invoque les méthodes de gestion mises en 'uvre au sein de la société LES EDITIONS GYNETHIC se caractérisant par des colères, propos injurieux et humiliations, infligés individuellement ou collectivement aux salariés par le directeur de la publication, M. [P] [A] et le gérant, M. [U] [Z], le dénigrement en public du travail de certains salariés, des remarques relatives à leur vie privée, des propos humiliants et infantilisants, des gestes de brutalité physique, consistant en des jets d'objets et des emportements brutaux et intempestifs, des menaces de licenciement ainsi que la mise à l'écart et l'éviction de certains salariés. Mme [C] invoque également la surcharge de travail imposée aux salariés, le non-respect de leur temps de travail et une organisation du travail anxiogène ayant conduit à la dégradation des conditions de travail et de l'état de santé des salariés soumis à une pression et à un stress insupportables.

Mme [C] soutient qu'elle a été personnellement victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral, à savoir l'attribution de tâches ne relevant pas de ses fonctions et/ou sous-qualifiées, une surcharge de travail, une exigence de disponibilité permanente hors des horaires de travail, le dénigrement de son travail et des humiliations, des comportements violents et des menaces de licenciement, et enfin une gestion fautive de son contrat de travail et du paiement de son salaire, ces faits ayant entraîné une dégradation de ses conditions de travail et de son état de santé.

La société LES EDITIONS GYNETHIC demande à la cour d'infirmer le jugement déféré et de juger en conséquence qu'aucun harcèlement moral n'est caractérisé à l'encontre de Mme [C]. Elle soutient que les accusations portées par Mme [C] quant aux méthodes de management de l'employeur ne concernent pas Mme [C] directement mais d'autres salariés, qu'il s'agit non pas de méthodes constantes mais d'actes isolés et par ailleurs contestés, que les accusations de Mme [C] ne sont fondées que sur des attestations de complaisance émanant de salariées ayant créé un véritable clan et tenté de prendre le contrôle de la rédaction, que toutes les heures supplémentaires effectuées ont donné lieu à des journées de récupération et que le défaut d'organisation était également dû aux salariés eux-mêmes qui souhaitaient travailler en toute indépendance.

La société appelante soutient encore que Mme [C] ne s'est vue confier aucune tâche «'sous-qualifiée'», que la prétendue surcharge de travail ne repose que sur 3 ou 4 SMS sur 2 ans et demi de présence, que le prétendu dénigrement de Mme [C] se fonde sur un événement unique déformé par des salariées «'en guerre'» contre la direction, alors qu'en réalité son travail était constamment valorisé, que les prétendues menaces de licenciement sont dénuées de tout fondement. Elle conteste enfin la gestion fautive alléguée du contrat de travail de la salariée et affirme que les arrêts maladie de Mme [C] sont dus à la situation de conflit entretenue au sein de la rédaction par certains salariés, et à la frustration de Mme [C] qui ne s'est pas vue accorder la rupture conventionnelle demandée.

*

En application de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

En vertu de l'article L. 1154-1 du même code, lorsque survient un litige relatif au harcèlement moral le salarié établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement et au vu de ces éléments il appartient à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Les explications des parties et les pièces produites mettent en évidence un contexte de travail difficile et une situation de crise ayant conduit 18 salariés, dont Mme [C], à adresser à leur employeur, le 6 septembre 2013 une lettre collective, dans laquelle les signataires dénonçaient des faits de harcèlement moral à l'encontre de plusieurs d'entre eux, étant souligné que ce climat de vive tension a abouti le 18 novembre 2013 à une grève, qui a cessé 10 jours plus tard par l'instauration d'un processus de médiation, et a amené l'inspection du travail à intervenir en décembre 2013.

Plusieurs anciennes salariées de la société LES EDITIONS GYNETHIC décrivent le comportement injurieux, humiliant et brutal manifesté par M. [A] et M. [Z] à l'égard des salariés, et ainsi':

- Mme [V] [Y]': «'... la situation au sein du journal s'est dégradée fin août 2012 ... j'ai vu [P] [A] balancer le numéro ... à travers la pièce du fond ... en criant à la cantonade': «'c'est de la merde'!'» devant les journalistes et salariés présents. A partir de ce moment et jusqu'à décembre 2013 ... il nous a fait vivre un enfer ... lors des différents bouclages ... [P] [A] dénigrait nos personnalités et notre travail en nous expliquant que nous étions «'incapables'», «'nulles'» ...'[U] [Z] et [P] [A] multipliaient les reproches sur nos horaires d'arrivée alors que nous faisions des heures supplémentaires à outrance ...' «'on en a plus que marre de ces comportements de branleurs ...'» nous écrira [P] [V] par mail le 21 juin 2013. [U] [Z] n'était pas en reste ... en rajoutant des gueulantes et des brimades au sujet de rangement et de la propreté des lieux ...une femme de ménage passait une fois par semaine seulement, pendant deux heures, dans nos locaux insalubres de 90 m², occupés quotidiennement par plus de quinze personnes ... nous partagions un seul WC mixte, sans eau chaude...'» ;

- Mme [S] [M]'évoque le «'caractère sanguin'» de «'[P]'» et les «'réactions impulsives et colériques'» de «'[U]'», relatant qu'au «'début de l'été 2013 [P] [V] est entré en furie dans la salle principale de rédaction où elle se trouvait avec [A] [[C]] et avait menacé': «'le premier que j'entends dire que j'ai un problème avec la drogue, je le vire sur le champ'», évoquant également «'le climat délétère'» de l'entreprise, les départs successifs d'une dizaine de salariés et «'la souffrance réelle en interne due au management violent et affectif de notre direction'»';

- Mme [M] [H]'atteste avoir été témoin de comportements déstabilisants et vexatoires de la part du directeur de la rédaction, de ses remarques blessantes («'nous étions ... qu'une bande de'bras cassés'»), des changements de dernière minute pour les articles, des demandes de réécriture incessantes même en plein bouclage, ce qui contribuait à entretenir un «'immense stress collectif'»';

- Mme [N] [G]'atteste de la surcharge de travail «'l'habitude de travailler le soir, les nuits, les week-end était prise'», des heures supplémentaires non payées, de la désorganisation, des propos tenus par «'[P]'» à leur égard (« nous avons été accusés au cours de 2013 d'être sales, mauvais, d'être des pleureuses, des branleurs'»)';

- Mme [X] [T] atteste d'une ambiance de travail très difficile et des remarques douteuses de [P] [A] ironisant dans un courriel collectif du 4 juin 2013 sur les pertes menstruelles des salariées qui «'tachaient les toilettes'» en des «'flaques adorables'», ou encore de ses propos tenus lors d'une réunion collective en juin 2013 au cours de laquelle il a «'nous a expliqué que nous étions des langues de vipères , que nous avions une attitude de chialeuses, que nous étions dignes de la cour de récré ...'».

S'agissant plus précisément de Mme [C], les mêmes témoins mentionnent, que celle-ci effectuait de nombreuses tâches ne relevant pas de son poste de rédactrice «'au motif qu'elle était journaliste «'junior'» et que Causette l'avait «'sortie du ruisseau'» comme le disaient régulièrement [I] [W] et [P] [A]'» (Mme [Y]), «'parce que nos chefs la considéraient comme une journaliste junior, ils lui confiaient beaucoup de tâches d'assistante'» (Mme [M]), qu'une enquête rédigée en juin 2013 par la salariée a été dénigrée, qu'ainsi M. [A] a «'intégralement retoqué l'enquête «'Plus belle la vie'» sur laquelle [A] [C] travaillait depuis deux mois'», «'il lui a fait rerédiger l'intégralité de l'article en un weekend [...] en lui expliquant [...] que l'enquête était mauvaise'» (Mme [Y]), qu'il «'s'est montré particulièrement violent, en dénigrant le travail ... accompli ... [P] s'est permis de rappeler les sources d'[A], ce qui est humiliant, avant de lui demander de rédiger à nouveau l'intégralité de l'article pendant le weekend du bouclage» (Mme [T]).

Les témoignages versés aux débats mettent également l'accent sur la dégradation de l'état de santé de Mme [C]':

- Mme [M]': «'... pendant toute cette période de l'automne-hiver 2013, j'ai vu l'état d'[A] se détériorer. Elle prenait des anti-dépresseurs, elle avait du mal à dormir, elle pleurait ...'»';

- Mme [Y]': «'[A] [C], qui avait repris son poste le 6 octobre, a été à nouveau très éprouvée par cette lutte, les tensions, la violence latente ... elle était de plus en plus déprimée ...'»';

- Mme [E] [X]': «'[A] était le bout-en-train de l'équipe ... je l'ai vu perdre son sourire, sa fraicheur .. elle est devenue ... triste et angoissée...'»';

- Mme [N] [G]': «'... alors que nous évoquions la possible réaction de [P] à cette lettre [collective], [A] a fait un malaise et j'ai du l'accompagner chez le médecin ... elle était aux prises entre la peur de la réaction de [P] et sa loyauté envers le magazine alors qu'elle ne tenait plus debout'»';

- M. [R] [E], médecin traitant, qui atteste avoir reçu le 5 septembre 2013 Mme [C] pour «'état de stress important'» et lui avoir «'prescrit un arrêt de travail avec traitement anxiolytique et anti-dépresseur devant un état dépressif qu'elle dit en rapport avec des maltraitances au sein du travail'».

Il est établi en outre que Mme [C] a été en arrêt de travail à plusieurs reprises pour «'anxiété au travail'» et «'syndrome axio-dépressif'» au cours de l'année 2013.

Ces éléments, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral subi par la salariée.

L'employeur qui nie tous débordements verbaux et physiques de la part de MM. [Z] et [A], soutient que les remarques faites sur l'hygiène se justifiaient au regard du comportement de certains salariés qui laissaient des restes de nourriture et de la vaisselle sale ou salissaient les toilettes sans les nettoyer, que celles sur le respect de horaires relèvent de la mise en place progressive d'un contrôle légitime de l'employeur sur le temps de travail des salariés, qui profitaient de l'indépendance qui leur avait été laissée pour prendre des congés ou être absents sans prévenir la direction.

La cour observe que M. [Z] a admis le caractère pour le moins inapproprié des méthodes d'encadrement appliquées au sein de l'entreprise dans un courriel du 28 janvier 2014 adressé à Mme [C] et à son conseil, dans lequel il répond point par point à la lettre de prise d'acte de la salariée, indiquant, s'agissant des agissements de harcèlement moral allégués par celle-ci':

«'- le «'harcèlement moral'»

Il faudrait circonstancier ce point car il pourrait être entendu dans le courrier que c'est moi en tant qu'employeur qui ai procédé à des changements d'instruction, des remises en cause de légitimité, de violence verbale, réprimandes ou humiliations, crises de colère, claquage de porte ou jets d'objets, etc ... Il est certainement ici question d'une hiérarchie identifiée et à qui j'ai déjà fait les avertissements nécessaires pour que cesse l'entretien d'un tel climat anxiogène, même si tel n'était pas le but. Ce comportement n'a pas été réitéré depuis » et concluant en ces termes': «'je voulais faire un magazine qui fasse du bien aux gens et je ne me suis pas rendu compte de ce qui était subi par mes employés, ni de certaines de mes obligations ».

Dans ses écritures l'employeur se borne à invoquer les problèmes d'hygiène et de contrôle de la durée du travail auxquels il a du faire face pour justifier les mises au point et rappels à l'ordre adressés aux salariés, dont Mme [C]. Toutefois l'exercice, en soi légitime, du pouvoir de direction ne peut justifier l'outrance et la violence des propos utilisés ainsi que des méthodes de management brutales et humiliantes.

Il en résulte que la société LES EDITIONS GYNETHIC ne démontre pas que les agissements des supérieurs hiérarchiques de la salariée, dont celle-ci a été personnellement victime, sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement moral.

Le jugement entrepris doit donc être confirmé en ce qu'il a dit établi le harcèlement moral invoqué et alloué à Mme [C] la somme de 10 000 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi, qui a été justement évalué par les premiers juges.

Sur le manquement à l'obligation de sécurité de résultat

Mme [C] fait valoir que la société LES EDITIONS GYNETHIC a manqué à son obligation de sécurité de résultat en ne tirant pas les conséquences de l'alerte donnée par elle sur sa charge de travail trop importante et son état d'épuisement et de souffrance psychologique, en ne tirant pas les conséquences de la lettre ouverte de salariés dénonçant des faits de harcèlement moral, et en ne la soumettant pas à une visite médicale de reprise à la suite de son arrêt maladie. Elle ajoute que, quand bien même la société aurait pris les mesures nécessaires, elle a manqué à son obligation de résultat dès lors que Mme [C] a été victime de harcèlement moral.

La société LES EDITIONS GYNETHIC soutient que les faits invoqués par Mme [C] à l'appui du prétendu manquement à l'obligation de sécurité de résultat sont identiques à ceux invoqués à l'appui du prétendu harcèlement moral et dénués de tout fondement. Elle fait valoir que la direction a pris les mesures nécessaires pour prévenir puis remédier aux risques psycho-sociaux, qu'elle a persévéré dans ses efforts avec le soutien de l'inspection du travail et que Mme [C] ne démontre pas de préjudice distinct de celui prétendument subi du fait du harcèlement moral dont elle se prétend victime.

*

Aux termes de l'article L.1152-4 du code du travail, «'L'employeur prend toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les agissements de harcèlement moral'».

L'article L.4121-1 du code du travail dispose que : «'L'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Ces mesures comprennent :

1° Des actions de prévention des risques professionnels ;

2° Des actions d'information et de formation ;

3° La mise en place d'une organisation et de moyens adaptés.

L'employeur veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes'».

Il résulte d'un courriel daté du 11 juin 2013 envoyé par M. [A] à l'ensemble des salariés, que la direction a mis en place une réunion hebdomadaire ayant pour objectif de «'débusquer les problèmes qui pointent, les bonnes nouvelles, les erreurs de fonctionnement, d'organisation, la répartition des tâches, ce qui se passe au sein du personnel, ses revendications [...]'», les salariés étant encouragés «'à venir voir l'un de nous quatre, selon votre préférence, pour lui demander de mettre tel ou tel point à l'ordre du jour [...]. Nous voulons [..] donner un espace d'expression à ce qui va, ne va pas [...]. Pour y trouver des solutions rapides, claires et officielles [...]'».

Il ressort également des pièces versées aux débats que la direction a, au mois de janvier 2014, confié au cabinet de conseil en ressources humaines Tédéa une évaluation des risques psychosociaux, dont le rapport, daté du 25 septembre 2014, indique notamment, en page 33, que « beaucoup de mesures ont été prises afin de redresser la situation'» et ainsi une «'structuration du travail'», des «'nominations de nouvelles personnes à des postes clé [...], «'un 'comité de suivi [... ] afin de commencer l'élaboration d'une charte de fonctionnement [...]'».

Toutefois ces actions ont été engagées a posteriori après le déclenchement de la crise sociale au sein de l'entreprise et la société LES EDITIONS GYNETHIC ne justifie nullement avoir pris toutes les mesures de prévention visées aux articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail et, notamment, avoir mis en oeuvre des actions d'information et de formation propres à prévenir la survenance de faits de harcèlement moral, comme l'a relevé l'inspecteur du travail dans un courrier du 18 décembre 2013, rappelant notamment à l'employeur son obligation de tenir un document unique d'évaluation des risques et lui demandant de le tenir informé des «'actions entreprises afin de prévenir les risques psychosociaux'». Mme [C] n'a donc pas pu bénéficier de mesures de prévention et au surplus il n'est pas contesté que l'employeur n'a pas organisé de visite de reprise de la salariée à son retour d'arrêt de travail pour maladie comme il avait l'obligation de le faire, ainsi que l'a reconnu M. [Z] dans le courriel précité du 28 janvier 2014.

La société a dès lors manqué à son obligation de sécurité de résultat à l'égard de Mme [C], lui causant un préjudice distinct du harcèlement moral qu'elle a subi, et qui sera indemnisé, au regard des éléments soumis à l'appréciation de la cour, par la somme de 3 000 €.

Sur la déduction forfaitaire spécifique pour frais professionnels

Mme [C] soutient que les cotisations de sécurité sociale patronale acquittées par la société LES EDITIONS GYNETHIC ont été calculées sur le salaire brut diminué forfaitairement de 30%, diminuant d'autant les prestations sociales auxquelles elle pourra prétendre à l'avenir. Elle demande la confirmation du jugement qui lui alloué des dommages et intérêts à ce titre mais son infirmation sur le quantum alloué, sollicitant la somme de 10 000 €.

La société LES EDITIONS GYNETHIC répond qu'il s'agit d'une erreur du comptable de la société, erreur qui n'a causé aucun préjudice à Mme [C] qui a bénéficié d'un salaire net supérieur à celui qu'elle aurait dû percevoir.

*

La société LES EDITIONS GYNETHIC reconnaît une erreur comptable ayant conduit à calculer le salaire brut de Mme [C] diminué forfaitairement de 30%, ce dont il est résulté un préjudice pour la salariée caractérisé par la diminution des prestations sociales auxquelles elle pourra prétendre et qui doit être indemnisé par la somme de 500 € ainsi que l'a retenu le conseil de prud'hommes dont la décision sera confirmée.

Sur la visite médicale de reprise

Mme [C] sollicite la condamnation de la société LES EDITIONS GYNETHIC à lui verser la somme de 5 000 € à titre de dommages et intérêts pour absence de visite de reprise.

Toutefois le préjudice de la salariée ayant été déjà indemnisé au titre de la violation de l'obligation de sécurité de résultat, Mme [C] doit être déboutée de cette demande par infirmation du jugement entrepris.

Sur la prise d'acte de la rupture

Mme [C] soutient que la société LES EDITIONS GYNETHIC a manqué à son obligation de sécurité de résultat et à son obligation essentielle de paiement du salaire, qu'elle a appliqué la déduction forfaitaire spécifique en l'absence d'accord de la salariée, qu'elle n'a pas organisé de visite médicale de reprise, que ces graves manquements ayant rendu impossible la poursuite du contrat de travail, sa prise d'acte doit s'analyser en un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

La société LES EDITIONS GYNETHIC demande l'infirmation du jugement qui a retenu que la rupture lui était imputable.

*

Lorsque le salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur, cette rupture produit les effets, soit d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient, soit, dans le cas contraire, d'une démission.

Seuls peuvent être de nature à justifier la prise d'acte de la rupture, des manquements de l'employeur suffisamment graves pour empêcher la poursuite du contrat de travail.

Le harcèlement moral subi par Mme [C] ayant entraîné une grave dégradation tant de ses conditions de travail que de son état de santé, ainsi que le manquement de l'employeur, qui n'a pas été à même de prévenir les agissements subis par la salariée, à son obligation de sécurité de résultat, constituent des manquements graves ayant empêché la poursuite du contrat de travail, de sorte que la prise d'acte par Mme [C] de la rupture de son contrat de travail est justifiée et produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse ainsi que l'a retenu le conseil de prud'hommes dont la décision doit être confirmée.

Considérant le salaire de référence de la salariée, s'élevant à 2 291,54 €, Mme [C] est bien fondée à prétendre au paiement d'une indemnité de préavis égale à deux mois de salaire, soit la somme de 4 583,08 € outre 458,30 € pour les congés afférents, et d'une indemnité de licenciement de 6 874 €, dont les montants ne sont pas contestés, ainsi que l'a jugé le conseil de prud'hommes dont la décision sera confirmée.

Considérant l'effectif de l'entreprise, l'âge de Mme [C] (29 ans) et son ancienneté (2 ans et demi) à la date de la rupture, son salaire de référence, les circonstances de la rupture et les conséquences en étant résultées pour la salariée, le jugement sera confirmé en ce qu'il a alloué à l'intéressée la somme de 18 000 € à titre de dommages et intérêts en application de l'article L. 1235-3 du code du travail.

La société LES EDITIONS GYNETHIC devra remettre à la salariée un certificat de travail, un bulletin de salaire et une attestation Pôle emploi conformes au présent arrêt sans qu'il soit nécessaire de prévoir une astreinte.

Sur les autres demandes

Les créances de la salariée dont l'origine est antérieure à l'ouverture de la procédure collective de la société LES EDITIONS GYNETHIC seront fixées au passif du redressement judiciaire de l'employeur et doivent être garanties par l'AGS en application des dispositions de l'article L. 3253-8 du code du travail et suivants du code du travail, dans la limite des plafonds visés à l'article D. 3253-5 du code du travail.

Les circonstances de l'espèce ne justifient pas d'ordonner la publication de la présente décision.

Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens

La société LES EDITIONS GYNETHIC supportera les dépens de l'instance et sera condamnée à payer à Mme [C] la somme de 3 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

CONFIRME le jugement déféré sauf en ce qu'il a condamné la SARL LES EDITIONS GYNETHIC à payer à Mme [A] [C] la somme de 100 € pour absence de visite médicale de reprise, et sauf à préciser que les sommes allouées au titre des dommages et intérêts pour harcèlement moral, pour déduction forfaitaire spécifique pour frais professionnels, indemnités de préavis et congés payés afférents, indemnité de licenciement et dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, sont fixées au passif du redressement judiciaire de la SARL LES EDITIONS GYNETHIC ;

Y ajoutant,

FIXE au passif du redressement judiciaire de la SARL LES EDITIONS GYNETHIC la créance de Mme [A] [C] à titre de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité de résultat à la somme de 3 000 € ;

DÉCLARE l'AGS CGEA IDF OUEST tenue à garantie dans les termes des articles'L. 3253-8 et suivants du code du travail et dans la limite des plafonds visés à l'article D. 3253-5 du code du travail ;

ORDONNE à la SARL LES EDITIONS GYNETHIC de remettre à Mme [A] [C] un certificat de travail, un bulletin de salaire et une attestation Pôle emploi conformes au présent arrêt ;

CONDAMNE la SARL LES EDITIONS GYNETHIC à payer à Mme [A] [C] la somme de 3 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

DÉBOUTE Mme [A] [C] du surplus de ses demandes,

CONDAMNE la SARL LES EDITIONS GYNETHIC aux dépens d'appel.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 9
Numéro d'arrêt : 15/04882
Date de la décision : 23/06/2016

Références :

Cour d'appel de Paris K9, arrêt n°15/04882 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2016-06-23;15.04882 ?
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