La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

15/06/2016 | FRANCE | N°15/04456

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 6, 15 juin 2016, 15/04456


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS







COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 6



ARRÊT DU 15 Juin 2016

(n° , pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : S 15/04456



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 16 Février 2015 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS section RG n° 13/17516







APPELANTE

GIE SANTE ET RETRAITE

[Adresse 1]

[Localité 1]

N° SIRET : 419 102 744

représenté

par Me Juliette SAINT LEGER, avocat au barreau de PARIS, toque : C0327, en présence de Me Stéphane MARLETTI, avocat au barreau de PARIS, toque : E0819







INTIME

Monsieur [J] [D]

[Adresse 2]

[...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 6

ARRÊT DU 15 Juin 2016

(n° , pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S 15/04456

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 16 Février 2015 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS section RG n° 13/17516

APPELANTE

GIE SANTE ET RETRAITE

[Adresse 1]

[Localité 1]

N° SIRET : 419 102 744

représenté par Me Juliette SAINT LEGER, avocat au barreau de PARIS, toque : C0327, en présence de Me Stéphane MARLETTI, avocat au barreau de PARIS, toque : E0819

INTIME

Monsieur [J] [D]

[Adresse 2]

[Localité 2]

né le [Date naissance 1] 1956 à [Localité 3] (92)

comparant en personne, assisté de Me Nicolas LE QUINTREC, avocat au barreau de PARIS, toque : R035

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 03 Mai 2016, en audience publique, devant la Cour composée de :

M. Benoît DE CHARRY, Président de chambre

Madame Catherine BRUNET, Conseillère

Madame Elisabeth MEHL-JUNGBLUTH, Conseillère

qui en ont délibéré

Greffier : Mme Lynda BENBELKACEM, lors des débats

ARRET :

- contradictoire

- mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.

- signé par Monsieur Benoît DE CHARRY, président et par Madame Lynda BENBELKACEM, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

RAPPEL DES FAITS, PROCEDURE ET MOYENS DES PARTIES

Monsieur [J] [D] a été engagé par le GIE SANTE & RETRAITE par contrat de travail à durée indéterminée en date du 12 février 2010 en qualité de directeur de clinique.

Monsieur [J] [D] percevait en dernier lieu une rémunération mensuelle de 13 000 euros.

Le GIE SANTE & RETRAITEE occupait à titre habituel au moins onze salariés lors de la rupture des relations contractuelles.

Par lettre en date du 21 septembre 2013, Monsieur [J] [D] a pris acte de la rupture de son contrat de travail

Le 5 décembre 2013, il a saisi le conseil de prud'hommes de Paris qui, par jugement en date du 16 février 2015 auquel la Cour se réfère pour l'exposé de la procédure antérieure et des prétentions initiales des parties, a :

-dit que la prise d'acte a les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse,

-condamné le GIE SANTE & RETRAITE à payer à Monsieur [J] [D] :

30 492,27 euros au titre du préavis et des congés payés afférents,

195 600 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement,

avec intérêts de droit à compter de la date de réception par la partie défenderesse de la convocation en bureau de conciliation et jusqu'au jour du jugement,

700 euros au titre de l'article 700 de procédure civile,

-débouté le GIE SANTE & RETRAITE de sa demande reconventionnelle et l'a condamné aux dépens.

Le GIE SANTE & RETRAITE a relevé appel de ce jugement par déclaration parvenue au greffe de la cour le 24 avril 2014.

Le GIE SANTE & RETRAITE soutient que la prise d'acte est injustifiée de sorte qu'elle produit les effets d'une démission, que Monsieur [J] [D] n'a pas exécuté la totalité du préavis de sorte qu'il doit lui verser une indemnité équivalant à la fraction inexécutée, qu'il a commis des actes préjudiciables à son employeur, que la demande de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail que présente Monsieur [J] [D] est infondée. A titre subsidiaire, elle fait valoir que l'indemnité de licenciement sollicitée est une indemnité contractuelle dont le montant est excessif et doit être réduit.

En conséquence, il sollicite à titre principal :

l'infirmation du jugement et la condamnation de Monsieur [J] [D] à lui rembourser la somme de 110 424,34 euros nets, versée au titre de l'exécution provisoire,

la condamnation de Monsieur [J] [D] à lui verser 5216 euros au titre de la période de préavis non effectuée et 5000 euros à titre de dommages-intérêts à raison des manquements commis dans le cadre du contrat de travail,

le débouté de la demande subsidiaire en réparation de Monsieur [J] [D], au titre des manquements prétendument commis par son employeur,

et à titre subsidiaire :

la réduction à de plus juste portion du montant de l'indemnité contractuelle de licenciement

et en tout état de cause, la condamnation de Monsieur [J] [D] à lui payer 4000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

En réponse, Monsieur [J] [D] fait valoir que sa prise d'acte est justifiée par les manquements commis par son employeur et, subsidiairement, que ces manquements lui ont causé un préjudice financier, professionnel, psychologique et moral.

En conséquence, il sollicite la confirmation du jugement et la condamnation du GIE SANTE & RETRAITE à lui payer :

-à titre principal,

*30 492,27 euros à titre de solde d'indemnité compensatrice de préavis et congés payés afférents,

*195 600 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement,

*78 240 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

*700 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en première instance,

-à titre subsidiaire,

*180 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi du fait des manquements commis par le GIE au cours de l'exécution du contrat de travail,

-en tout état de cause,

*6500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, avec application des articles 1153 et 1154 du code civil.

MOTIFS

Vu le jugement du conseil de prud'hommes, les pièces régulièrement communiquées et les conclusions des parties, visées par le greffier et soutenues oralement à l'audience, auxquels il convient de se référer pour plus ample information sur les faits, les positions et prétentions des parties.

Sur la prise d'acte

Le salarié qui reproche à l'employeur des manquements suffisamment graves pour empêcher la poursuite du travail peut prendre acte de la rupture de son contrat de travail. La prise d'acte entraîne cessation immédiate du contrat de travail. Le salarié qui prend acte de la rupture doit saisir le juge pour qu'il statue sur les effets de celle-ci. Il doit rapporter la preuve des manquements de l'employeur qu'il invoque et il appartient au juge du fond d'apprécier la gravité de ceux-ci. Le juge doit examiner l'ensemble des manquements de l'employeur invoqués devant lui par le salarié, sans se limiter aux seul griefs mentionnés dans la lettre de rupture. Le salarié ne peut pas invoquer devant le juge un fait qu'il ignorait au moment de la rupture, de même qu'il ne peut fonder sa prise d'acte sur des faits survenus postérieurement à celle-ci. Lorsque les manquements commis par l'employeur sont d'une gravité telle qu'elle empêche la poursuite du travail, la prise d'acte produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse. Dans le cas contraire, elle produit les effets d'un licenciement.

Monsieur [J] [D] fait valoir devant la cour que le GIE SANTE & RETRAITE a commis les manquements suivants :

avoir eu un comportement d'obstruction le mettant en péril,

lui avoir fait encourir sciemment un risque pénal,

avoir eu une intention dolosise et avoir joué double jeu,

avoir fouillé en son absence son ordinateur,

ensemble de raisons qui, selon lui, suffisent à la démonstration, sans qu'il soit besoin d'examiner plus avant les autres éléments mentionnés dans sa lettre de prise d'acte, de la légitimité de celle-ci.

Sur le comportement d'obstruction de l'employeur mettant en péril le salarié

Monsieur [J] [D] soutient que son employeur a paralysé en parfaite connaissance de cause l'exécution du contrat de travail en le privant des prérogatives d'autorité nécessaires à l'exercice de ses fonctions et à sa responsabilité de chef d'établissement.

Il soutient qu'il n'a jamais eu la main sur la gestion des relations très particulières entretenues par Monsieur [J], dirigeant du GIE SANTE & RETRAITE et les IRP/délégués syndicaux de l'entreprise, ces derniers jouissant d'un traitement de faveur impossible à remettre en cause, et ce avec la bénédiction du dirigeant et propriétaire du GROUPE SANTE & RETRAITE, traitement consistant à leur octroyer un régime dérogatoire à la durée légale du travail leur permettant de cumuler l'équivalent de deux temps pleins, en violation des dispositions relatives aux durées maximales légales (hebdomadaires, mensuelles et annuelles) de travail, qu'il a vainement tenté de mettre fin à ces dérives dangereuses, en ayant cru au départ à la bonne volonté de Monsieur [J] avant de finir par se résigner.

Dans sa lettre de prise d'acte, Monsieur [J] [D] avait ajouté que Monsieur [J] l'avait incité à renoncer à la mesure de licenciement envisagée à l'égard d'un infirmier ayant commis une faute lourde sur un patient dont le décès - sans doute pas directement imputable à cette faute - avait été constaté quelques heures plus tard.

Le GIE SANTE & RETRAITE répond que la question des anomalies que représentait le temps de travail des délégués syndicaux avait été identifiée dès l'année 2011, que cette question avait fait l'objet de nombreux échanges entre Monsieur [J] [D] et le conseil du GIE et que l'existence d'un marché ou d'un pacte de non-agression passé entre Monsieur [J] et les représentants du personnel rendant impossible de faire cesser les pratiques irrégulières n'est pas prouvée par Monsieur [D].

Aux termes de la fiche de mission annexée à son contrat de travail, Monsieur [J] [D] devait veiller au respect par la clinique et son personnel des réglementations applicables.

Il est constant qu'il existait au sein de la clinique dirigée par Monsieur [J] [D] des pratiques conduisant certains salariés à dépasser de façon habituelle des durées maximales de travail.

Monsieur [J] [D] soutient que son supérieur avait passé un marché avec les intéressés sous couvert de favoriser la paix sociale dans l'entreprise. Il ne produit aucun élément susceptible d'établir l'existence d'un tel accord.

Il fait valoir qu'il a tenté de mettre fin à ces pratiques anormales en attirant l'attention de Monsieur [J] et en sollicitant l'aide du conseil du GIE. Il ne produit pas de messages qu'il aurait adressés à son supérieur à ce sujet. En revanche, il s'est adressé à plusieurs reprises à l'avocat du GIE pour solliciter son avis et cet avocat lui a répondu, le 10 avril 2012 notamment, pour lui indiquer qu'il conviendrait que la clinique fasse un courrier à Monsieur D. afin qu'il respecte les heures maximales de travail dans les deux établissements.

Il ne résulte pas des pièces versées aux débats que Monsieur [J], lui-même ou par l'intermédiaire de son avocat, a interdit à Monsieur [J] [D] de prendre les mesures propres à faire cesser les irrégularités qu'il avait constatées en matière de durées maximales du travail. Monsieur [J] [D], tout en constatant la récurrence de ces irrégularités, n'y a pas mis fin.

S'agissant du cas de Monsieur N. que Monsieur [J] [D] avait envisagé de licencier pour faute grave, l'examen des messages échangés sur cette question avec Monsieur [J] et avec l'avocat du GIE démontre que le conseil de l'entreprise a estimé qu'il n'était pas certain que la gravité de la faute reprochée à l'intéressé soit reconnue en cas de contentieux prud'homal, le rapport du docteur L. n'apparaissant pas assez explicite compte tenu du caractère particulièrement technique des faits en question et qu'il était peu probable que le licenciement pour faute grave soit reconnu. En conséquence, dans son message du 1er août 2012, l'avocat avait suggéré à Monsieur [J] [D] de ne pas notifier un tel licenciement mais de prendre une sanction de mise à pied disciplinaire. Le lendemain, Monsieur [J] [D] a adressé un message à Monsieur [J] par lequel il lui a communiqué le projet de sanction proposée par Me M. dans le dossier N. et indique qu'il attend son feu vert pour l'adresser au salarié. Le même jour, Monsieur [J] a répondu à Monsieur [J] [D] « tu n'as pas besoin de mon feu vert, cela doit être ta décision, comme je te l'ai indiqué à plusieurs reprises ».

Ainsi Monsieur [J] [D] ne démontre pas que son employeur a manqué à ses obligations en l'incitant à renoncer à la mesure de licenciement envisagée à l'encontre d'un salarié auteur d'une faute lourde, alors que l'examen des éléments du dossier par l'avocat en révélait les faiblesses au plan juridique, et que Monsieur [J] [D] n'établit pas qu'il a néanmoins proposé à son supérieur de licencier Monsieur N., ce dont Monsieur [J] l'aurait dissuadé.

En conséquence, Monsieur [J] [D] n'établit pas que son employeur a paralysé son action et l'a privé des prérogatives d'autorité nécessaires à l'exercice de ses fonctions.

Sur le risque pénal encouru par Monsieur [D] et auquel l'a sciemment exposé le GIE

Monsieur [J] [D] fait valoir qu'un risque pénal pesait directement sur sa tête en sa qualité de chef d'établissement en raison des infractions commises à répétition concernant le temps de travail des délégués syndicaux alors qu'il était chargé de faire respecter cette réglementation. Il ajoute que le 30 septembre 2013, l'inspectrice du travail avait établi un courrier dans lequel elle expose les infractions à la législation sur la durée du travail constatées à la suite de sa visite du 23 septembre.

Le GIE SANTE & RETRAITE répond que Monsieur [J] [D] n'était pas dirigeant de droit, et que la responsabilité pénale des délits découlant de la violation de la législation sociale était assumée par le président-directeur général et que, soit il était pénalement responsable des infractions en cas de poursuite, en exécution de la délégation dont il se prévaut, et on conçoit mal quelle abstention il reproche à son employeur, soit il ne disposait ni de l'autorité ni des moyens pour prévenir les infractions ou les faire cesser et son employeur avait en réalité la mainmise sur la situation, et dans ce cas il ne peut prétendre que sa responsabilité pénale était engagée.

Dès lors que Monsieur [J] [D] n'établit pas que son employeur l'a privé de la possibilité d'exercer effectivement et pleinement ses fonctions et son autorité notamment en matière de respect des réglementations applicables, il ne saurait lui imputer à faute la poursuite de situations irrégulières au regard de la durée du temps de travail de certains salariés, phénomène auquel il n'a pas mis fin, et qui aurait pu occasionner des poursuites à son encontre.

Sur l'intention dolosive et le double jeu de Monsieur [J] à l'égard de Monsieur [D]

Monsieur [J] [D] soutient qu'une pétition a été lancée en juillet 2013 par les délégués syndicaux au soutien non pas de la défense des intérêts collectifs mais de leurs propres intérêts qu'ils sentaient menacés, et que Monsieur [J] avait promis à ses salariés que s'ils recueillaient 100 signatures contre Monsieur [D], ce dernier serait licencié.

Le GIE SANTE & RETRAITE répond qu'il s'agit de pures allégations, vivement contestées par Monsieur [J] et qui ne sont relayées par aucun élément sérieux.

La pétition évoquée par Monsieur [D] n'est pas versée aux débats.

Pour en démontrer l'existence et le fait que son supérieur avait promis à certains salariés de procéder à son licenciement si celle-ci recueillait 100 signatures, Monsieur [J] [D] produit deux attestations.

Dans la première, Madame [R] rapporte qu'au cours de l'été 2013 « on parle aussi d'une pétition qui circule entre les mains du personnel, enfin certains membres du personnel ' je demande à voir la pétition en question et là encore ma position, qui se veut neutre pourtant, n'est pas du goût de tout le monde, car je « cherche trop la petite bête ». Madame [R] ne précise pas qu'elle a finalement vu le document.

Dans la seconde, Madame [G] écrit : « j'atteste avoir entendu par les membres du personnel de la clinique [Établissement 1] que les représentants du personnel de la clinique font signer une pétition pour le départ de Monsieur [J] [D] de la clinique [Établissement 1]. Les représentants du personnel déclarent au personnel que Monsieur [K] [J] leur aurait promis de licencier Monsieur [J] [D], directeur de l'établissement, s'ils arrivent à obtenir plus de 100 signatures. Les représentants du personnel ne m'ont pas demandé de signer cette pétition ».

Aucune des rédactrices de ces attestations n'indique avoir pu constater effectivement la teneur de la pétition de sorte que son contenu est incertain. Madame [G] ne fait que rapporter des propos qu'elle dit avoir entendu prononcer par des personnes dont elle ne donne pas l'identité et son témoignage n'est qu'un ouï-dire. En conséquence, il n'est pas établi par Monsieur [J] [D] que son employeur a encouragé certains de ses subordonnés à mettre en place une pétition contre lui, en leur promettant que si celle-ci recueillait 100 signatures, il se séparerait du directeur de la clinique en le licenciant.

Sur la fouille effectuée en son absence sur l'ordinateur de Monsieur [D]

Monsieur [J] [D] fait valoir que le samedi 12 octobre au matin, à son insu, Monsieur [J] est venu pratiquer une fouille en règle de son ordinateur en ce compris des fichiers personnels auxquels l'employeur n'a pas droit d'accès libre selon la jurisprudence établie.

Le GIE SANTE & RETRAITE souligne que ce fait, à le supposer établi, est postérieur à la prise d'acte du salarié et ne pouvait en conséquence être pris en compte dans l'analyse de la prise d'acte de Monsieur [D]. Il ajoute que l'ordinateur dont il est question appartenait à l'employeur qui le mettait à la disposition du salarié pour les besoins de son travail et que le salarié ne démontre pas que des fichiers personnels, identifiés comme tel sur ce support, ont été ouverts par le dirigeant de la clinique, le fait qu'un dossier portant comme intitulé le seul prénom de l'utilisateur ne permettant pas de considérer qu'il s'agit d'un dossier personnel et non professionnel.

Le fait que Monsieur [J], accompagné de plusieurs personnes, est venu le 12 octobre 2013, en l'absence de Monsieur [D] consulter l'ordinateur professionnel de Monsieur [D], situé dans le bureau qui lui était attribué à la clinique [Établissement 1], propriété du GIE et mis à la disposition du salarié pour l'exécution de ses fonctions, est établi par l'attestation de Madame [W] qui relate avoir vu dans la matinée Messieurs [J], [K], [C] et une quatrième personne dans le bureau du directeur de la clinique, en train de toucher à l'ordinateur du directeur ainsi que par l'analyse de l'appareil effectué par Monsieur [V] qui indique qu'une session a été ouverte par le compte administrateur le 12 octobre 2012 à 8h36 et que parmi les comptes ouverts figurent plusieurs sous les noms de « Turn over directeur GIE S&R » et « [J] ».

Les fichiers créés par le salarié à l'aide de l'outil informatique mis à sa disposition par l'employeur pour les besoins de son travail sont présumés avoir un caractère professionnel, sauf si le salarié les identifie comme étant personnels, de sorte que l'employeur est en droit de les ouvrir hors la présence de l'intéressé. Au cas d'espèce l'intitulé des répertoires« Turn over directeur GIE S&R » et « [J] » ne permettait pas d'identifier comme personnels les fichiers litigieux et n'interdisait pas leur ouverture en l'absence du salarié.

En consultant l'ordinateur professionnel de Monsieur [J] [D] dans les conditions ci-dessus, le GIE SANTE & RETRAITE n'a pas commis de manquement.

Sur les autres manquements invoqués dans la lettre de prise d'acte

Dans sa lettre de prise d'acte du 21 septembre 2013, Monsieur [J] [D] indiquait comme autres motifs à sa décision le fait de ne pas être associé à certaines réflexions concernant l'avenir de la clinique en étant écarté des discussions menées avec l'architecte sur la restructuration totale de l'établissement et en se voyant empêcher d'avoir un contact avec le commissaire aux comptes, mais il ne produit devant la cour aucun élément de preuve venant établir ces deux mises à l'écart.

Monsieur [J] [D] imputait au GIE d'imposer des délais de règlement anormalement longs (6 mois) aux fournisseurs alors que la clinique disposait de la trésorerie nécessaire placée en Sicav.

Le GIE SANTE & RETRAITE répond que l'état de la trésorerie de la clinique s'est aggravé du fait de la carence de Monsieur [J] [D] dans le suivi de l'encours clients.

Monsieur [J] [D] était, aux termes de la fiche de mission jointe à son contrat de travail, responsable de l'élaboration et de l'exécution de son budget ainsi que des recettes et des charges de la clinique. Cette responsabilité lui a été rappelée dans un message du 22 janvier 2013 dans lequel Monsieur [J] lui indique « comme je te l'ai indiqué dans mon mail du 11 janvier 2013, le directeur est responsable de l'élaboration et de l'exécution de son budget. L'équipe du GIE Santé & Retraite peut t'apporter son aide si besoin et c'est ce qui a été fait les années précédentes : en 2011 puisque tu ne connaissais pas nos méthodes et en 2012 à ta demande ».

S'il résulte des pièces produites aux débats que la clinique connaissait des difficultés de trésorerie signalées par Monsieur [J] [D] à Monsieur [J] dans un message du 13 décembre 2012 et dans un autre du 21 décembre suivant et qu'au mois de septembre 2013, plusieurs fournisseurs se sont plaints de factures impayées, il n'est pas démontré que le GIE a imposé à Monsieur [J] [D] de différer le règlement de ces factures, ou a refusé de répondre favorablement à une demande de versement d'un complément de trésorerie de sa part, aucune pièce en ce sens n'étant produite aux débats.

Le GIE SANTE & RETRAITE établit par la production d'un audit circonstancié que, durant la période durant laquelle Monsieur [J] [D] dirigeait la clinique, plusieurs dossiers correspondant à des sorties de patients datant de plus de 30 jours n'avaient pas été facturés, pour un montant de 642 K€, ce qui démontre que les difficultés de trésorerie de la clinique trouvaient, à tout le moins pour partie, leur source dans un fonctionnement défectueux de l'établissement dont Monsieur [D] assurait la direction.

En définitive, les manquements imputés par Monsieur [J] [D] à son employeur ne sont pas établis de sorte que sa prise d'acte n'est pas fondée et produit les effets d'une démission.

Le jugement sera infirmé sur ce point et Monsieur [J] [D] sera débouté de ses demandes relatives aux indemnités de rupture ainsi qu'à celle pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Sur la demande subsidiaire de Monsieur [J] [D] en dommages et intérêts

Monsieur [J] [D] fait valoir que le rejet d'une demande de prise d'acte ne prive pas le salarié du droit de demander l'indemnisation du préjudice découlant de l'exécution défectueuse du contrat de travail du fait de l'employeur.

Il soutient qu'il a souffert d'un environnement hostile et de la duplicité de Monsieur [J] à son égard, qui 'uvrait en sous-main pour son départ, alors qu'il n'avait aucun motif de reproche à son encontre.

Le GIE SANTE & RETRAITE répond que les manquements dont Monsieur [J] [D] fait état ne sont pas constitués.

La cour n'a pas retenu l'existence des manquements invoqués par Monsieur [J] [D] à l'appui de sa prise d'acte, et notamment de la duplicité imputée à Monsieur [J]. Monsieur [J] [D] ne démontre pas que celui-ci s'est montré hostile à son endroit, les messages échangés entre eux étant cordiaux.

L'exécution défectueuse du contrat de travail du fait de l'employeur n'est pas prouvée.

Il y a lieu de confirmer la décision des premiers juges sur ce point.

Sur les demandes du le GIE SANTE & RETRAITE

Sur le préavis

Le GIE SANTE & RETRAITE fait valoir que Monsieur [J] [D] s'était engagé à respecter un préavis jusqu'au 30 octobre 2013 et qu'il avait quitté son poste le 18 octobre. Il sollicite le versement d'une indemnité équivalant à la fraction non exécutée du préavis sur la base du salaire mensuel de référence calculé par l'intéressé.

Il ressort des échanges écrits entre les parties que celle-ci ont convenu, nonobstant la prise d'acte, que Monsieur [J] [D] effectuerait un préavis. Dans sa lettre de prise d'acte, Monsieur [J] [D] indiquait être disposé à exécuter un préavis dont la durée se limitera au temps nécessaire à la bonne transmission des informations utiles à l'exploitation de la clinique. Le 26 septembre 2013, le GIE SANTE & RETRAITE lui a répondu sur ce point : « puisque tu proposes d'effectuer un préavis ' je te remercie de m'indiquer la date que tu estimerais utile afin que tu puisses réaliser cette tâche dans les meilleures conditions possibles pour les deux cliniques ». Le 30 septembre 2013, Monsieur [J] [D] a fait connaître sa position en ces termes : « sur le préavis, à vous de choisir ... afin de ne pas être accusé de prendre la fuite et désireux de permettre une transition, je vous ai proposé d'en exécuter un, limité. Il ne pourra pas à mes yeux dépasser un mois à compter de la réception par vous de cette lettre, soit jusqu'au 31 octobre 2013 ». Finalement, le 16 octobre 2013, le GIE SANTE & RETRAITE a écrit à Monsieur [J] [D] : « j'apprécie également ton désir de montrer que tu ne prends pas la fuite et que tu souhaites effectuer une transition : je t'en remercie et te confirme donc que ton contrat de travail prend fin le 31 octobre 2013 au soir comme tu le demandes ». Ainsi les patries étaient d'accord pour que Monsieur [J] [D] poursuive son travail jusqu'au 31 octobre 2013 et il est constant que l'intéressé a mis fin à son activité le 18 octobre 2013.

Par son départ anticipé et soudain, Monsieur [J] [D] n'a pas permis l'organisation de la transition qui, de son propre avis, nécessitait sa présence jusqu'à la fin du mois. Monsieur [J] [D] n'a pas respecté l'obligation qu'il avait souscrite envers son employeur ce qui a causé à ce dernier un préjudice qui peut être évalué à 3000 euros.

Sur le comportement fautif imputé à Monsieur [J] [D]

Le GIE SANTE & RETRAITE soutient que Monsieur [J] [D] a commis des agissements caractérisant l'intention de nuire à l'égard de son employeur comme des cliniques placées sous sa responsabilité, d'une part en adressant à l'inspection du travail, le 21 octobre 2013, un courrier dans lequel il qualifie Monsieur [J] de « dirigeant de fait » de la Clinique, alors qu'il n'ignore pas qu'il en est le représentant légal, et d'autre part, en laissant le Docteur [F], responsable de la pharmacie, adresser un courrier alarmiste aux praticiens de la clinique [Établissement 1], laissant présager de graves ruptures de stock en lien avec les difficultés de trésorerie de la clinique, alors qu'il savait pertinemment que le GIE était en train de prévenir ces difficultés, d'ailleurs résolues très rapidement.

Le 30 septembre 2013, l'inspectrice du travail a adressé à la clinique [Établissement 1], à l'attention de Monsieur [D], un courrier par lequel elle demande à ce qu'il soit veillé à la mise en place, pour les représentants du personnel travaillant de nuit, d'une organisation du travail permettant, lorsque cela est possible, que ces derniers n'effectuent pas leurs tâches habituelles lorsqu'ils savent à l'avance qu'un certain nombre d'heures de délégation devront également être posées, ainsi qu'à être tenue informée des démarches entreprises.

Le 21 octobre 2013, Monsieur [J] [D] a répondu à l'inspectrice du travail par une lettre dans laquelle il indique que, dans la mesure où il a pris acte de la rupture de son contrat de travail de directeur de la clinique [Établissement 1], il considère ne pas être le bon interlocuteur sur ce dossier et ajoute qu'il appartient à Monsieur [K] [J], administrateur du GIE, actionnaire et dirigeant de fait de la clinique [Établissement 1] d'apporter tous éclaircissements sur cette situation.

Si effectivement Monsieur [J] [D] présente Monsieur [J] comme « dirigeant de fait » de la clinique, alors que cette personne est président du conseil d'administration et directeur général de la société d'exploitation de maisons chirurgicales et de santé, ce comportement, à le supposer fautif, n'a pas causé au GIE SANTE & RETRAITE de préjudice, dans la mesure où le GIE ne démontre pas en quoi les propos de Monsieur [J] [D] lui sont personnellement dommageables.

S'agissant du message du Dr [F], le 25 septembre 2013, un mail émanant de « pharma.alleray-labrouste » adressé à un certain nombre de destinataires, et ayant pour objet « ruptures de stocks en pharmacie » indique « nous traversons de nouveau une période de difficultés d'approvisionnement liées à un manque de trésorerie. Cela engendre des ruptures de stocks tant sur les médicaments que sur les dispositifs médicaux... nous vous informons qu'en l'état actuel des choses, nous serons dans l'impossibilité de satisfaire la totalité des besoins des unités de soins et du bloc opératoire ».

Aucun élément ne permet de retenir que Monsieur [J] [D], qui le conteste, a sciemment laissé le responsable de la pharmacie adresser ce courrier, alors qu'il était parfaitement informé de ce que le GIE était en train de prévenir ces difficultés dont la réalité n'est pas contestée par le GIE SANTE & RETRAITE.

En conséquences, les fautes reprochées par le GIE SANTE & RETRAITE à Monsieur [J] [D] au soutien de sa demande de dommages et intérêts ne sont pas démontrées et cette demande ne sera pas accueillie.

Sur la demande de remboursement des sommes versées au titre de l'exécution provisoire

Le GIE SANTE & RETRAITE demande que Monsieur [J] [D] soit condamné à lui rembourser la somme de 110 424,34 euros qu'il lui a versé en exécution du jugement.

Le présent arrêt, infirmatif quant au bien-fondé de la prise d'acte, constitue le titre ouvrant droit à la restitution des sommes versées en exécution du jugement. Ces sommes devant être restituées, portent intérêts au taux légal à compter de la signification, valant mise en demeure, de la décision ouvrant droit à restitution.

Il s'ensuit il n'y a pas lieu de statuer sur la demande du GIE SANTE & RETRAITE.

Sur les frais irrépétibles

Compte-tenu de la solution du litige, la décision des premiers juges fondée sur l'article 700 du code de procédure civile sera infirmée et, pour des motifs tirés de l'équité, la cour dit qu'il n'y a pas lieu de prononcer de condamnation au titre des frais exposés, non compris dans les dépens.

Sur les dépens

Partie succombante, Monsieur [J] [D] sera condamné au paiement des dépens.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Infirme le jugement en toutes ses dispositions :

Statuant à nouveau et ajoutant,

Dit que la prise d'acte de Monsieur [J] [D] produit les effets d'une démission,

Condamne Monsieur [J] [D] à payer au GIE SANTE & RETRAITE la somme de 3000 euros à titre de dommages et intérêts,

Dit n'y avoir lieu à statuer sur la demande du GIE SANTE & RETRAITE en condamnation au remboursement des sommes versées au titre de l'exécution provisoire du jugement,

Dit n'y avoir lieu à condamnation sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Déboute les parties de leurs demandes plus amples et contraires,

Condamne Monsieur [J] [D] aux dépens de première instance et d'appel.

LA GREFFIERE LE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 6
Numéro d'arrêt : 15/04456
Date de la décision : 15/06/2016

Références :

Cour d'appel de Paris K6, arrêt n°15/04456 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2016-06-15;15.04456 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award