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15/06/2016 | FRANCE | N°14/26270

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 2 - chambre 1, 15 juin 2016, 14/26270


Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 2 - Chambre 1



ARRET DU 15 JUIN 2016



(n° 305 , 10 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : 14/26270



Décision déférée à la Cour : Décision du 20 Janvier 2015 - Délégué du Bâtonnier de l'Ordre des Avocats du Barreau de PARIS





APPELANTE



Madame [P] [H]

[Adresse 1]

[Localité 2]



Née le [Date naissance 1

] 1983 à [Localité 3]



Comparante en personne





INTIMEE



[G] ET [W] ET ASSOCIES

[Adresse 2]

[Localité 1]



Représentée par Me Marc DESMICHELLE de l'ASSOCIATION MOREAU DESMICHELLE, avocat a...

Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 2 - Chambre 1

ARRET DU 15 JUIN 2016

(n° 305 , 10 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 14/26270

Décision déférée à la Cour : Décision du 20 Janvier 2015 - Délégué du Bâtonnier de l'Ordre des Avocats du Barreau de PARIS

APPELANTE

Madame [P] [H]

[Adresse 1]

[Localité 2]

Née le [Date naissance 1] 1983 à [Localité 3]

Comparante en personne

INTIMEE

[G] ET [W] ET ASSOCIES

[Adresse 2]

[Localité 1]

Représentée par Me Marc DESMICHELLE de l'ASSOCIATION MOREAU DESMICHELLE, avocat au barreau de PARIS, toque : R078

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 16 Mars 2016, en audience publique, devant la Cour composée de :

M. Jacques BICHARD, Président de chambre

Madame Marie-Sophie RICHARD, Conseillère

Mme Marie-Claude HERVE, Conseillère

qui en ont délibéré

Greffier, lors des débats : Mme Lydie SUEUR

ARRET :

- Contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par M. Jacques BICHARD, président et par Mme Lydie SUEUR, greffier.

Mme [P] [H] a exercé son activité d'avocat au sein de la SCP [G] & [W] au département du droit social, du 1er décembre 2008 jusqu'à sa démission survenue le 27 janvier 2011.

Le 27 avril 2013, Mme [P] [H] a saisi le bâtonnier d'un différend contre la SCP [G] & [W] en vue de voir requalifier en contrat de travail son contrat de collaboration libérale et pour solliciter le paiement des indemnités résultant de l'application du droit du travail.

Par une ordonnance du 25 septembre 2013, il a été sursis à statuer dans l'attente de la décision du juge des référés du tribunal de grande instance de Versailles devant se prononcer sur le retrait de certaines pièces versées aux débats par la SCP [G] & [W]. Le juge des référés s'étant déclaré incompétent, l'incident de communication de pièces a été tranché par une décision du bâtonnier du 20 juin 2014.

Par déclaration enregistrée au greffe le 16 décembre 2014, Mme [P] [H] a saisi la cour d'appel en application de l'article 149 du décret du 27 novembre 1991 (dossier 14/26270).

Le bâtonnier a rendu une sentence arbitrale le 20 janvier 2015 par laquelle il a débouté Mme [P] [H] de sa demande de requalification de son contrat de collaboration libérale et de l'ensemble des demandes qui en étaient la conséquence, a constaté qu'il n'existait aucun manquement de la SCP [G] & [W] à son obligation de loyauté et a alloué à la SCP [G] & [W] une indemnité de 1 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Mme [P] [H] a formé appel de cette sentence par lettre recommandée du 18 février 2015 (Dossier 15/3793).

Les deux affaires ont été appelées à la même audience pour être jugées ensemble.

Dans des écritures déposées et soutenues à l'audience, Mme [P] [H] demande à la cour d'annuler les sentences arbitrales des 20 juin 2014 et 20 janvier 2015, et statuant à nouveau, de :

- déclarer irrecevables les pièces 8 à 29 communiquées par la SCP [G] & [W],

- prononcer la requalification du contrat de collaboration libérale du 1er décembre 2008 en contrat de travail à durée indéterminée,

- constater que la rupture des relations contractuelles s'analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse et condamner la SCP [G] & [W] à lui payer les sommes de :

- 3 101,33 € au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement,

- 56 490 € au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- constater l'accomplissement d'heures supplémentaires et condamner la SCP [G] & [W] au paiement des sommes de :

- 127 131,79 € au titre du rappel de salaire pour heures supplémentaires accomplies du 1er janvier 2009 au 27 avril 2011 et 12 713,20 € au titre d'indemnité compensatrice de congés payés y afférent,

- 62 369,25 € au titre du rappel de salaire contrepartie obligatoire en repos et 6 236,92 € à titre d'indemnité de congés payés y afférente,

- 39 870 € à titre d'indemnité pour travail dissimulé,

- condamner la SCP [G] & [W] à payer la somme de 13 290 € au titre du manquement à son obligation de sécurité de résultat caractérisé par le non respect des durées maximales de travail, du repos quotidien et hebdomadaire,

- ordonner le remboursement des charges sociales suivantes : Ordre 3 147 €, cotisations

CNB 521 €, cotisations URSSAFF 14 061 €, cotisations CNBF 9 384 €, cotisations RSI 10 328 €,

- ordonner la régularisation des cotisations patronales et salariales auprès des organismes sociaux,

- ordonner la remise des bulletins de salaire sur la période en cause, du certificat de travail et de l'attestation Pôle Emploi,

à titre subsidiaire, constater les manquements de la SCP [G] & [W] à son obligation de loyauté dans le cadre de l'exécution du contrat de collaboration libérale, et la condamner au paiement de la somme de 150 000 € en réparation des préjudices qui en découlent,

en tout état de cause, condamner la SCP [G] & [W] au paiement d'une indemnité de 3 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Dans des écritures déposées et soutenues à l'audience, la SCP [G] & [W] demande à la cour de :

- déclarer irrecevable et en tout cas mal-fondée la saisine de la cour fondée sur l'article 149 du décret du 27 novembre 1991,

- déclarer irrecevable la demande de Mme [P] [H] tendant à voir écarter des débats les pièces 8 à 29 communiquées par la SCP [G] & [W], en toute hypothèse la déclarer mal-fondée, la rejeter et dire que toutes les pièces communiquées par la SCP [G] & [W] sont légitimement versées aux débats,

- en toute hypothèse, confirmer la décision du 20 janvier 2015 et condamner Mme [P] [H] à lui payer la somme de 3 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Conformément à la demande de Mme [P] [H] formulée notamment dans la lettre adressée au greffe de la cour le 8 décembre 2015 et de celle de la SCP [G] & [W] dans sa lettre du 28 octobre 2015, il y a lieu de prononcer la jonction des instances inscrites au RG sous les n°14/26270 et 15/3793 qui concernent l'une et l'autre les mêmes demandes formulées par Mme [P] [H] à l'encontre de la SCP [G] & [W].

Les parties ont adressé des notes en délibéré qui n'ont pas été sollicitées par la cour et qui n'ont pas été prises en considération.

MOTIFS DE LA DECISION :

1 - Sur la saisine de la cour sur le fondement de l'article 149 du décret du 27 novembre 1991 :

Mme [H] demande tout d'abord l'annulation de la sentence arbitrale du 25 janvier 2015 en raison du dessaisissement de l'arbitre survenu le 16 décembre 2014 sur le fondement de l'article 149 du décret du 27 novembre 1991. Elle fait en effet valoir que déduction faite des périodes de sursis à statuer, le délai de huit mois a été dépassé d'un mois et demi. Elle considère que le délégué du Bâtonnier qui a jugé lui-même qu'il n'avait pas été valablement dessaisi, a fait une mauvaise application des textes.

La SCP [G] & [W] conclut à l'irrecevabilité de cette saisine en faisant valoir qu'elle n'a bénéficié d'aucun traitement de faveur et que les délais ont été respectés, compte tenu des incidents de procédure survenus au cours de l'instance. Subsidiairement, elle soutient que Mme [P] [H] ne peut se prévaloir de l'article 149 alors qu'elle est à l'origine par son comportement procédural de l'allongement du délai. Enfin, elle fait valoir qu'elle ne peut être privée d'un double degré de juridiction.

L'article 149 du décret du 27 novembre 1991 dispose que sous réserve du cas d'interruption d'instance, le bâtonnier est tenu de rendre sa décision dans les quatre mois de sa saisine à peine de dessaisissement au profit de la cour d'appel.

Mme [H] retient comme point de départ du délai sa demande d'arbitrage collégial formée le 4 juin 2013.

Le délégué du Bâtonnier a rendu une ordonnance de sursis à statuer le 25 septembre 2013, dans l'attente de la décision du juge des référés saisi d'une demande tendant à voir retirer certaines pièces des débats. Ce sursis à statuer a pris fin le 3 avril 2014, après la lettre du conseil de Mme [H] informant le délégué que le problème de la communication des pièces lui serait soumis.

Le 20 juin 2014, le délégué du Bâtonnier a rendu une sentence autorisant la communication des pièces. Mme [H] a sollicité un sursis à statuer dans l'attente de la décision de la cour d'appel saisie d'un recours contre cette décision mais cette demande a été rejetée de sorte que l'instance ne s'est pas trouvée suspendue.

Le 16 décembre 2014, Mme [H] a saisi la cour d'appel d'une demande de dessaisissement sur le fondement de l'article 149 du décret du 27 novembre 1991.

Le délégué du Bâtonnier a rendu sa sentence le 25 janvier 2015.

Il y a lieu de constater que le bâtonnier saisi le 4 juin 2013 n'a pas rendu de décision motivée en vue de proroger le délai de 4 mois ainsi qu'il est prévu par l'article 149 du décret susvisé.

Contrairement à ce qu'affirme la SCP [G] & [W], le bâtonnier n'est pas dessaisi pendant une période de sursis à statuer et le délai n'est pas interrompu mais seulement suspendu, conformément à l'article 378 du code de procédure civile.

Ainsi le délai de quatre mois s'est trouvé suspendu entre le 25 septembre 2013 et le 4 avril 2014. En revanche la demande de sursis à statuer ayant été rejetée, le délai a couru pendant la durée du recours contre la décision du 20 juin 2014 devant la cour d'appel.

Ainsi en l'absence de toute autre cause valable d'interruption et de suspension du délai et en l'absence d'ordonnance de prorogation, il y a lieu de constater qu'à la date du 16 décembre 2014, le délai de quatre mois ayant commencé à courir le 4 juin 2013 était très largement expiré lorsque Mme [H] a saisi la cour d'une demande de dessaisissement sur le fondement de l'article 149 du décret.

Le dessaisissement du bâtonnier prive la SCP [G] & [W] d'un double degré de juridiction mais l'article 149 du décret vise à concilier ce droit avec celui d'être jugé dans un délai raisonnable.

Les dispositions qui autorisent le bâtonnier à proroger le délai de 4 mois pour le porter au double et qui n'ont pas été utilisées en l'espèce, assurent un équilibre entre les intérêts légitimes en présence.

Ainsi la sentence du 25 janvier 2015 qui a été prononcée hors délai et alors que la cour était saisie sur le fondement de l'article 149, doit être annulée pour avoir été rendue tandis que le délégué du bâtonnier se trouvait dessaisi.

2 - Sur la communication des pièces 8 à 29 communiquées par la SCP [G] & [W] :

Mme [P] [H] expose que le dossier la concernant créé sur le serveur de la SCP

[G] & [W] ainsi que sa messagerie électronique professionnelle constituent un traitement des données personnelles devant faire l'objet d'une déclaration à la CNIL. Elle explique que la SCP [G] & [W] a déclaré le 23 juillet 2008 un traitement des données personnelles mais qu'elle n'a pas respecté ses obligations quant à la finalité de ce traitement, la durée de conservation des données, et l'obligation d'information. Elle conclut que les données utilisées par la SCP [G] & [W] résultent d'un traitement de données personnelles illicite.

Mme [P] [H] ajoute que la SCP [G] & [W] a violé ses engagements contractuels tels que résultant du contrat de collaboration conclu le 1er décembre 2008 ainsi que les préconisations de la CNIL. Considérant qu'il s'agit de pièces obtenues de façon illicite, Mme [P] [H] soutient qu'elle est bien fondée à en solliciter le retrait en application de l'article 9 du code de procédure civile.

Mme [P] [H] fait valoir en outre que la communication par la SCP [G] & [W] de la pièce 8 bis constituée d'un CD contenant l'intégralité de sa messagerie électronique professionnelle et l'ensemble de ses dossiers constitue une violation du secret des correspondances et une atteinte à sa vie privée alors que certains mails sont qualifiés de 'personnel' ou 'privé'. Elle ajoute que la SCP [G] & [W] en a fait usage. Enfin elle fait valoir que la SCP [G] & [W] aurait pu se fonder sur l'article 145 du code de procédure civile pour obtenir une autorisation mais qu'elle a préféré se soustraire à tout contrôle, y compris celui du bâtonnier.

Mme [P] [H] critique les moyens de la SCP [G] & [W] fondés sur l'égalité des armes et l'impossibilité de saisir le juge sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile.

La SCP [G] & [W] s'oppose à la demande de retrait en invoquant l'autorité de la chose jugée attachée à la décision du bâtonnier du 20 juin 2014 pour laquelle l'appel a été déclaré irrecevable par la cour le 18 mars 2015. Elle ajoute que Mme [P] [H] n'a pas interjeté appel de la décision du 20 juin 2014 lorsqu'elle a interjeté appel de la sentence du 20 janvier 2015.

Subsidiairement, elle conclut à la confirmation de la décision du 20 juin 2014 et rappelle les précédentes décisions rendues sur la question par le bâtonnier et par le tribunal correctionnel saisi par Mme [P] [H] et la position de la CNIL. Elle expose qu'elle a eu recours à un constat d'huissier pour démontrer l'importance de la clientèle personnelle de Mme [P] [H], elle considère que le refus de cette dernière d'assister aux opérations de l'huissier de justice est illégitime et elle déclare que les dossiers privés n'ont pas été ouverts.

La SCP [G] & [W] soutient qu'elle a respecté les prescriptions de la loi Informatique et libertés. S'agissant de l'engagement inclus dans le contrat de collaboration et des préconisations non contraignantes de la CNIL et du barreau, elle fait valoir que l'interdiction d'utiliser les correspondances porte sur le contenu et non pas sur les flux et l'existence de dossiers personnels. Elle conclut que les pièces versées aux débats n'ont pas été obtenues par des moyens illicites et que même si la loi Informatique et libertés n'avait pas été respectée, elle aurait la faculté de les produire, en vue d'assurer sa défense.

L'intimée déclare en outre que l'ensemble des pièces qu'elle utilise a un caractère uniquement professionnel. Elle ajoute que les courriels et fichiers créés et conservés au moyen des outils informatiques de l'employeur qui ne sont pas identifiés comme étant privés, sont présumés avoir un caractère professionnel et elle fait valoir que les dossiers relatifs à la clientèle personnelle de Mme [P] [H] ne sont pas des dossiers privés.

Enfin, la SCP d'avocats fait valoir que le recours aux dispositions de l'article 145 du code de procédure civile est une simple faculté qui ne peut être utilisée qu'avant tout procès de

sorte que les conditions de sa mise en oeuvre n'étaient pas remplies. Elle ajoute qu'en toutes hypothèses, elle invoque son droit à la preuve qui constitue un droit fondamental et qui doit l'emporter sur la confidentialité des documents.

- Sur l'autorité de la chose jugée de la décision du 20 juin 2014 :

Par une sentence du 20 juin 2014, le bâtonnier a rejeté l'incident de communication de pièces soulevé par Mme [P] [H] et a dit que les pièces 8 à 29 communiquées par la SCP [G] & [W] pouvaient être maintenues aux débats.

Mme [P] [H] a formé appel de cette décision et par un arrêt du 18 mars 2015, la cour a déclaré ce recours irrecevable et rappelé qu' un appel sur un incident de communication de pièces, ne pouvait être formé qu'avec la décision rendue sur le fond.

Cette décision qui ne portait que sur la recevabilité du recours n'avait pas pour effet de conférer à la décision du 20 juin 2014 un caractère définitif.

La déclaration d'appel du 18 février 2015 saisissant la cour porte exclusivement sur la sentence du 20 janvier 2015, laquelle ne fait mention de la décision du 20 juin 2014 que dans le rappel des faits, seules les conclusions que Mme [H] a soutenues à l'audience du 16 mars 2016 contiennent un appel de la décision du 20 mai 2014.

Néanmoins, la sentence du 20 juin 2014 qui tranche un incident de communication de pièces n'a pas autorité de chose jugée et ne lie pas la cour saisie sur le fondement de l'article 149 du décret du 27 novembre1991 et qui dans le cadre de cette saisine, doit se prononcer sur la recevabilité des éléments de preuves qui lui sont soumis.

Dès lors il importe peu que Mme [H] n'ait pas visé la sentence du 20 juin 2014 dans sa déclaration d'appel du 18 février 2015.

- Sur la recevabilité des pièces 8 à 29 de la SCP [G] & [W] :

Dans le cadre de son activité au sein de la SCP [G] & [W], Mme [H] bénéficiait d'une adresse de messagerie professionnelle ainsi que d'un espace de stockage personnel sur le serveur de la société.

Mme [H] a utilisé ces instruments informatiques mis à sa disposition notamment pour l'exploitation d'une clientèle personnelle.

La SCP [G] & [W] a diligenté un huissier de justice pour examiner la messagerie et les dossiers personnels de son ex-collaboratrice en vue d'établir que celle-ci disposait d'une clientèle personnelle importante, ce en l'absence de Mme [H] qui avait refusé de participer à ces opérations.

La pièce 8 est un procès-verbal de constat effectué par l'huissier de justice concernant la boîte mail professionnelle de Mme [H] et l'extraction des éléments se rattachant à sa clientèle personnelle, la pièce 8Bis un DVD verbatim, les pièces 9 à 28 des extraits de cette boîte mail, et la pièce 29 des statistiques effectuées à partir des renseignements ainsi recueillis.

Contrairement à ce qu'affirme la SCP [G] & [W] le recours aux dispositions de l'article 145 du code de procédure civile ne constitue pas une simple faculté mais s'impose à la partie qui entend obtenir des pièces ou des informations qui ne lui appartiennent pas.

Or les informations relatives à la clientèle personnelle de Mme [H] sur laquelle la SCP [G] & [W] ne dispose d'aucun droit, appartiennent uniquement à cette avocate et la SCP [G] & [W] ne pouvait y accéder sans son consentement. Le fait que ces informations soient stockées sur des moyens informatiques appartenant à cette dernière ne suffit pas à les rendre accessibles alors que le contrat de collaboration prévoyait expressément que la SCP [G] & [W] mettait à la disposition de Mme [H] une installation et les outils garantissant le secret professionnel et lui permettant de constituer et développer sa clientèle personnelle sans contrepartie financière.

La SCP [G] & [W] devait avoir d'autant plus conscience qu'elle ne pouvait accéder sans le consentement de Mme [H] à ses données professionnelles personnelles que dans ledit contrat de collaboration, elle s'était engagée dans l'article 11 à préserver et respecter la nature strictement confidentielle de la correspondance privée et de celle afférente aux dossiers personnels de Mme [H].

Ainsi dès lors que la SCP [G] & [W] ne pouvait accéder de sa seule autorité aux données professionnelles personnelles de Mme [H], elle devait avoir recours au juge pour obtenir l'autorisation d'effectuer un constat.

Le fait que la SCP [G] & [W] ne soit pas intéressée par le contenu des correspondances et dossiers concernant la clientèle personnelle de Mme [H] mais cherche uniquement des informations sur les flux est sans incidence dès lors qu'elle a eu accès à ces données et qu'au surplus elle les a copiées sur un DVD remis à la cour sans aucune restriction de sorte que même des correspondances privées avec des photographies, se trouvent enregistrées.

Il convient de rappeler que l'obligation de recourir au juge n'avait pas pour effet de priver la SCP [G] & [W] du droit de se défendre et du droit à la preuve puisque le rôle de celui-ci consiste à apprécier les différents intérêts légitimes en présence, de respecter la hiérarchie des droits lorsque les pièces concernées sont secrètes, privées ou confidentielles, et en cas de droits d'égale valeur normative, de déterminer la proportionnalité des atteintes qui peuvent être portées notamment en délimitant les pouvoirs de l'huissier de justice chargé de la mesure d'instruction.

La SCP [G] & [W] fait valoir que l'article 145 du code de procédure civile ne pouvait pas trouver à s'appliquer puisqu'au mois de juillet 2013 quand elle a informé Mme [H] de sa volonté d'ouvrir sa messagerie, celle-ci avait déjà saisi le bâtonnier de l'existence d'un différend.

Cependant une fois le litige porté devant une juridiction, l'autorisation de réaliser une mesure d'instruction peut lui être demandée et en l'espèce il convient de relever que le bâtonnier n'a pas été saisi d'une demande à ce titre.

Ainsi sans qu'il soit nécessaire de rechercher si les données relatives à la clientèle personnelle de Mme [H] ont été conservées dans le respect des dispositions de la loi Informatique et libertés, il convient de relever qu'elles ont été portées à la connaissance de la SCP [G] & [W] sans le consentement de leur titulaire et sans que la SCP ait sollicité et obtenu l'autorisation du juge compétent alors qu'elles appartenaient exclusivement à Mme [H] qui n'en avait pas accordé l'accès.

En conséquence ces éléments de preuve ayant été obtenus de manière illicite, doivent être écartés des débats.

3 - Sur le fond :

Mme [H] invoque certaines conditions de travail au sein de la SCP [G] & [W] en vue de démontrer son absence d'autonomie : contrôle renforcé de son

activité professionnelle, participation obligatoire aux événements organisés par la SCP [G] & [W], entretiens de performance, prise de congés encadrée.

Les collaborateurs sont soumis à deux examens d'évaluation au cours de l'année; néanmoins la collaboration libérale ne peut exclure une appréciation des compétences de l'intéressé, dès lors que celui-ci contribue au bon fonctionnement de la structure professionnelle à laquelle il est lié.

De la même façon, la participation aux événements organisés par la structure et l'organisation des congés sont les conséquences de l'appartenance à une collectivité de travail qui génère nécessairement des contraintes sans entraver de façon significative, l'autonomie du collaborateur.

Les membres de la SCP [G] & [W] devaient remplir journellement des feuilles de temps de travail dit 'time sheets' sur la base desquelles s'effectue la facturation des clients. Elle relève les contraintes liées à ce procédé et la pression qui en résulte pour les personnes qui y sont soumises.

Ce mode de facturation est applicable à tous les avocats quel que soit leur statut au sein de la SCP [G] & [W] et a pour objet de permettre la facturation du client en fonction des diligences réalisées par chacun des intervenants dans un dossier. Ce procédé génère une certaine pression notamment lorsque le temps passé à accomplir une tâche est estimé trop long, ce qui conduit l'intéressé à minimiser la durée de son intervention pour ne pas paraître inefficace. Cette difficulté se rattache au problème plus général de la charge de travail mais l'exigence de remplir ces documents de façon complète et régulière répond à un impératif de gestion et n'est pas contraire au statut de collaboration libérale.

Le fait que le service de facturation contacte les personnes qui ont mentionné un temps journalier peu important s'inscrit dans un souci de sincérité des comptes et cette démarche ne suffit pas à établir l'existence d'une pression privant l'avocat de son autonomie.

Mme [H] soutient en outre que ses conditions de travail au sein de la SCP [G] & [W] ne lui ont pas permis de développer une clientèle personnelle. Elle relève les lacunes de son contrat de collaboration sur ce sujet et verse aux débats différentes pièces: 'time sheets', e-mails, attestations pour établir l'importance de sa charge de travail et le contrôle de temps auxquels elle était soumise. Elle déclare qu'elle n'a pu avoir qu'une clientèle personnelle limitée car tout travail nécessitant un approfondissement devait être effectué principalement le week-end. Elle précise qu'après sa démission, elle a rejoint le cabinet FIDAL avec le statut d'avocate salariée.

La SCP [G] & [W] fait valoir que Mme [H] disposait d'une clientèle personnelle ayant généré un chiffre d'affaires notable alors même qu'elle débutait dans la profession et qu'elle n'est restée que deux ans au sein de la SCP. Elle soutient que dès lors que l'existence de cette clientèle personnelle est établie, il n'y a pas lieu de rechercher dans quelles conditions elle a pu être créée et développée.

Mme [H] a versé aux débats ses déclarations de revenus pour les années 2009, 2010 et 2011 qui font apparaître qu'elle a perçu des honoraires pour un montant en 2009 de

82 958 € dont 68 000 € au titre de la rétrocession d'honoraires par la SCP [G] & [W] et en 2010 pour un montant de 95 500 € dont 78 000 € au titre de la rétrocession d'honoraires.

Il en ressort qu'au cours de sa 1ère année d'activité, elle a perçu des honoraires au titre de sa clientèle personnelle pour un montant de 15 000 € et au cours de sa 2ème année pour un montant de 17 500 €.

Ces chiffres démontrent que malgré son jeune âge et son absence d'expérience professionnelle, Mme [H] a réussi à créer rapidement une clientèle personnelle représentant 20 % de ses revenus totaux.

Il est ainsi établi que Mme [H] a développé une clientèle personnelle non dérisoire de sorte qu'elle ne peut valablement prétendre à la requalification de son contrat de collaboration en contrat de travail.

Les 'heures supplémentaires' qu'elle a accomplies ne peuvent être considérées comme telles alors qu'elle a effectivement travaillé pour son compte personnel.

Elle sera donc déboutée de ses demandes liées à la qualification de son contrat de collaboration en contrat de travail ainsi que celles liées à un licenciement.

Néanmoins, le contrat de collaboration prévoyait que Mme [H] disposerait du temps nécessaire à la gestion et au développement de sa clientèle personnelle et la SCP [G] & [W] s'engageait à lui laisser le temps nécessaire pour traiter ses dossiers personnels dans des conditions qui seront définies et arrêtées entre elles.

Or il convient de constater que la SCP [G] & [W] malgré son engagement contractuel n'a pas défini le cadre dans lequel sa collaboratrice pourrait travailler pour son propres compte.

Ainsi, Mme [H] verse aux débats l'attestation d'une cliente, Mme [O], qui déclare que son seul rendez vous avec Mme [H] a eu lieu pendant la pause déjeuner et que celle-ci l'appelait régulièrement le week-end. Mme [O] ajoute que c'était à ces moments là qu'elle pouvait vraiment poser ses questions à son avocate et discuter avec elle et que lorsqu'elle contactait Mme [H] par mail ou par téléphone au cours de la semaine, les échanges étaient brefs et celle-ci proposait de rappeler en début de soirée (après 20 H voire plus tard) ou le week end.

L'attestation de Mme [O] est confortée par celles fournies par d'autres collaborateurs de la SCP [G] & [W] et notamment des avocats ayant partagé le bureau de Mme [H] sur les conditions de travail de cette dernière et notamment sa charge de travail.

En réponse à ces attestations, la SCP [G] & [W] fait valoir que lesdits collaborateurs sont des personnes qui n'ont pas donné satisfaction et qui sont mécontentes et aigries et elle verse elle-même aux débats 3 attestations.

Néanmoins il y a lieu de relever que ces trois attestations pour un cabinet comportant plus de 100 associés et collaborateurs, sont silencieuses sur les conditions de travail et de développement de leur clientèle personnelle pendant leur présence au sein de la structure.

Mme [H] tire également des arguments des moyens humains et matériels mis à sa disposition par la SCP [G] & [W]. Celle- ci déclare au contraire lui avoir fourni les moyens nécessaires à son activité et conteste l'existence d'obstacles à une activité personnelle.

Le contrat de collaboration conclu entre la SCP [G] & [W] et Mme [H] stipule que la SCP met à la disposition de sa collaboratrice une installation garantissant le secret professionnel lui permettant de constituer et développer une clientèle personnelle sans contrepartie financière et comprenant l'ensemble des moyens de la SCP (salles d'attente et de réunion, secrétariat, téléphonie, télécopie, messagerie électronique, accès Internet, petites fournitures sauf papier à entête ...)

Le fait que Mme [H] doive supporter les frais d'affranchissement de son courrier professionnel personnel ne constitue pas une restriction de nature à priver l'intéressée de la possibilité d'exercer une activité professionnelle personnelle.

Néanmoins, Mme [H] verse aux débats deux attestations d'autres anciens collaborateurs de la SCP qui tendent à démontrer que la disponibilité du secrétariat pour les dossiers personnels était très limitée, compte tenu de sa charge de travail pour le cabinet.

Ainsi, il ressort de ces éléments que malgré les stipulations du contrat de collaboration, la SCP [G] & [W] n'a pas mis en place un cadre clair et précis pour l'activité professionnelle autonome de sa collaboratrice et elle n'a pas pris suffisamment en considération la nécessité pour cette dernière de disposer d'un temps libre afin se consacrer à ses propres dossiers.

Il y a donc lieu de retenir que la SCP [G] & [W] n'a pas exécuté loyalement ses obligations contractuelles à l'égard de Mme [H] et et qu'il en est résulté pour celle-ci un préjudice moral tenant à l'épuisement ressenti.

Il lui sera à ce titre alloué la somme de 25 000 €.

Il lui sera également alloué la somme de 3 000 € en indemnisation du temps consacré à la défense de son dossier, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

Ordonne la jonction des procédures n° 14/26270 et n° 15/03793,

Annule la sentence arbitrale du 25 janvier 2015,

Statuant sur le fondement de l'article 149 du décret du 27 novembre 1992,

Ecarte des débats les pièces 8 à 29 de la SCP [G] & [W],

Déboute Mme [H] de ses demandes tendant à voir requalifier son contrat de collaboration libérale en contrat de travail et sa démission en licenciement et de toutes les demandes en découlant,

Dit que la SCP [G] & [W] n'a pas exécuté le contrat de collaboration libérale avec loyauté,

Condamne la SCP [G] & [W] à payer à Mme [H] la somme de 25 000 € à titre de dommages-intérêts,

Condamne la SCP [G] & [W] à payer à Mme [H] la somme de 3 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la SCP [G] & [W] aux dépens.

LE GREFFIER,LE PRESIDENT,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 2 - chambre 1
Numéro d'arrêt : 14/26270
Date de la décision : 15/06/2016
Sens de l'arrêt : Annulation

Références :

Cour d'appel de Paris C1, arrêt n°14/26270 : Annule la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2016-06-15;14.26270 ?
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