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10/06/2016 | FRANCE | N°12/11534

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 11, 10 juin 2016, 12/11534


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 11



ARRÊT DU 10 Juin 2016

(n° , 11 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : S 12/11534

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 17 Septembre 2012 par le Conseil de Prud'hommes de PARIS section RG n° 10/11513



APPELANTS

Monsieur [H] [T]

né le [Date naissance 1] 1968 à [Localité 1]

[Adresse 1]

comparant en personne, assisté de Me Savine BERNARD, avocat au barreau

de PARIS, toque : C2002



SYNDICAT CGT FO DU PERSONNEL DES ORGANISMES SOCIAUX DIVERS DE LA REGION PARISIENNE

[Adresse 2]

[Adresse 2]

représentée par Me Savine...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 11

ARRÊT DU 10 Juin 2016

(n° , 11 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S 12/11534

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 17 Septembre 2012 par le Conseil de Prud'hommes de PARIS section RG n° 10/11513

APPELANTS

Monsieur [H] [T]

né le [Date naissance 1] 1968 à [Localité 1]

[Adresse 1]

comparant en personne, assisté de Me Savine BERNARD, avocat au barreau de PARIS, toque : C2002

SYNDICAT CGT FO DU PERSONNEL DES ORGANISMES SOCIAUX DIVERS DE LA REGION PARISIENNE

[Adresse 2]

[Adresse 2]

représentée par Me Savine BERNARD, avocat au barreau de PARIS, toque : C2002

INTIMEE

SA ALTRAN TECHNOLOGIES

[Adresse 3]

représentée par Me Pierre-randolph DUFAU, avocat au barreau de PARIS, toque : C1355

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 21 Janvier 2016, en audience publique, devant la Cour composée de :

Madame Valérie AMAND, Conseiller faisant fonction de Président,

Madame Jacqueline LESBROS, Conseiller

Monsieur Christophe BACONNIER, Conseiller

Qui en ont délibéré

Greffier : Melle Flora CAIA, lors des débats

ARRET :

- contradictoire

- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile

- signé par Madame Valérie AMAND, Conseiller faisant fonction de Président et par Madame Ulkem YILAR, Greffier stagiaire, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Monsieur [H] [T] a été engagé à compter du 15 juillet 1999 en qualité d'ingénieur consultant cadre par la société Cervix, filiale de la société Altran Technologie société de conseil en innovation et ingénieries faisant partie du groupe ALTRAN leader mondial du conseil en innovation et ingénieries.

Dans le cadre de ses fonctions il était envoyé pour plusieurs missions de durée variable chez différents clients implantés dans différentes villes de France pour y effectuer un travail d'intégration de logiciels dans le domaine de la téléphonie.

À la suite de fusions de différentes sociétés du groupe ALTRAN, Monsieur [H] [T] devient d'abord salarié de la société Ascience le 1er janvier 2003 puis de la société ALTRAN TECHNOLOGIE au 1er janvier 2007.

Le 16 juin 2006 il est élu membre titulaire de la délégation unique du personnel sur la liste CFE-CGC et le 23 avril 2008 il est désigné par Force Ouvrière en qualité de représentant syndical au comité d'entreprise pour l'établissement de Paris en qualité de délégué syndical pour cet établissement et en qualité de représentant syndical au CHSCT pour ce même établissement; le 7 novembre 2011 il est délégué syndical central FO et depuis le 23 novembre 2011 il est également élu délégué du personnel FO.

Après avoir achevé le 19 novembre 2008 la mission en cours depuis plus de 2 ans chez NXP/ST/ERICCSON, Monsieur [H] [T] se plaint de ne plus recevoir de mission et être sans activité pendant une longue période.

À compter du 28 décembre 2009, il est affecté à plusieurs reprises sur des projets internes Altran Research du 28 décembre 2009 à janvier 2010 puis sur une nouvelle mission interne (commissariat puis hôpital d'août 2010 à fin 2011).

Par lettre du 30 juin 2010, le salarié protestait contre l'inter-contrat discriminatoire dont il s'estimait faire l'objet et mettait la société en demeure de régulariser sa situation ; le 6 août 2010 la société ne contestait pas l'inter-contrat mais soutenait qu'il s'agissait d'une période habituelle dans la carrière de tout consultant.

Le 18 août 2010 s'est tenu l'entretien d'évaluation du salarié qui demandait un bilan de sa situation et à travailler au plus vite.

Le 3 septembre 2010 le salarié a saisi le conseil de prud'hommes pour qu'il soit mis fin à la discrimination syndicale dont il s'estimait faire l'objet notamment par absence de fourniture de travail et sollicitait 300'000 € à titre de dommages et intérêts pour discrimination syndicale, celle de 50'000 € à titre de dommages et intérêts pour non-respect de l'obligation de formation et de veiller au maintien de la capacité du salarié à occuper son emploi, outre une indemnité en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Le syndicat FO sollicitait la somme de 10'000 € à titre de dommages et intérêts sur le fondement de l'article L 2132 '3 du code du travail.

Par jugement en date du 17 septembre 2012, le conseil de prud'hommes de Paris a débouté le salarié et le syndicat de l'ensemble de leurs demandes, a rejeté la demande reconventionnelle de la société et a condamné les premiers aux dépens.

Monsieur [H] [T] a régulièrement interjeté appel de ce jugement.

En cours de procédure le salarié était affecté à compter du 10 juin 2013 sur une mission externe pour le client SNCF à [Localité 2] jusqu'au 26 juillet 2015, date à laquelle le salarié est de nouveau affecté à Altran Research (projet CORLA).

Par conclusions visées par le greffe le 21 janvier 2016, Monsieur [H] [T] demande à la cour par voie d'infirmation du jugement de condamner la SA ALTRAN TECHNOLOGIES à payer :

à titre principal,

300'000 € à titre de dommages et intérêts pour discrimination syndicale et harcèlement moral sur le fondement des articles L1132 ' 1 L. 2141 ' 5, L. 11 34'5 et L 1152 ' 1 du code du travail

à titre subsidiaire,

150'000 € à titre de dommages intérêts pour discrimination syndicale sur le fondement des articles L1132- 1 L. 2141- 5, L. 1134- 5 et 150.000 euros à titre de dommages intérêts sur le fondement de l'article L.1152-1 et L. 4121-1 du code de du travail

en tout état de cause,

53.'674 € à titre de dommages et intérêts pour non-respect de l'obligation de formation et plus spécifiquement de veiller au maintien de la capacité du salarié à occuper son emploi,

3.241,49 euros à titre de remboursement de frais sur la période 2008 à août 2015

4.488,79 euros à titre de rappel sur la prime sur objectifs depuis juin 2011 au titre des heures de délégation et de réunion,

2. 323,91 euros à titre de rappel sur prime sur objectifs sur la période de novembre 2009 à mai 2011,

- Interdire à la société de prendre en compte les frais de déplacements liés à l'exercice du mandat dans le calcul de la prime sur objectifs

- Juger que la société doit rembourser ses frais sur la base de son contrat de travail, soit sur la base des frais réellement exposés

5.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile

Les intérêts légaux avec anatoscisme et les entiers dépens.

Le syndicat demande à la cour de condamner la SA ALTRAN TECHNOLOGIES à la somme de 10.'000 € à titre de dommages-intérêts sur le fondement de l'article L. 2132 ' 3 du code du travail.

Par conclusions visées par le greffe le 21 janvier 2016, la SA ALTRAN TECHNOLOGIES demande à la cour de confirmer le jugement, de débouter les appelants de toutes leurs demandes, de les condamner aux dépens et au paiement de la somme de 1.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

À l'audience des débats, les parties ont soutenu oralement les écritures susvisées auxquelles la cour fait expressément référence pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens des parties.

MOTIVATION

Sur la demande de dommages intérêts pour harcèlement moral et discrimination syndicale

du fait des intercontrats et des missions internes

L'appelant demande à la cour de juger qu'il a été victime d'un harcèlement moral constitutif d'une discrimination syndicale, ayant contribué à la dégradation de ses conditions de travail et à son état de santé. Il allègue pour ce faire les points suivants :

- des évaluations faisant référence à son mandat

- une période d'inter- contrat c'est-à-dire sans mission externe d'une durée anormalement longue (4,5 ans)

- une durée d'affectation à des missions internes Altran Research anormalement longue': à savoir des missions de plus de 12 mois alors que la moyenne est de un mois

- une affectation à des missions internes sans rapport avec ses compétences techniques, dévalorisante et vide de tout contenu

- une affectation à une mission externe mais sous-dimensionnée et non adoptée à son profil.

Il ajoute que l'ensemble des éléments caractérise le harcèlement moral et la discrimination dont il a fait l'objet et que la société qui admet ne pas avoir confié pendant de longues périodes des missions à son salarié ne justifie pas que cette absence de fourniture de travail en extérieur étaient objectivement justifiée.

Il soutient que cette discrimination a porté gravement préjudice à l'évolution de sa carrière professionnelle outre un préjudice moral important, différents rapports du CHSCT confirmant la souffrance pour le salarié du fait de l'absence d'affectation sur des missions externes vécues de manière dévalorisante et réclame pour ce faire 300'000 € dommages intérêts.

Il se réfère aussi à différentes décisions rendues au bénéfice de deux collègues de travail (Monsieur [G] et Mme [J]) qui ont reconnu l'existence d'une discrimination syndicale à leur égard.

La cour observe à titre liminaire que les deux arrêts de la cour d'appel de Paris en date du 8 décembre 2008 ayant condamné d'anciennes filiales du groupe ALTRAN à payer à ses deux collègues des dommages intérêts pour discrimination syndicale entre 2004 et 2008 ne revêtent aucune autorité de chose jugée à l'égard de Monsieur [T], dont la situation singulière doit être examinée objectivement sans que la cour ne soit tenue par la solution adoptée pour ses collègues.

Au vu des pièces versées par le salarié et de moyens débattus par celui-ci, il apparaît que':

Pendant neuf années avant son mandat FO le salarié a travaillé pour réaliser des missions externes (chez des clients d'Altran)'; depuis la fin de sa mission externe chez NXP/ST/ST ERICSSON le 18 novembre 2008, le salarié devenu représentant syndical de FO le 23 avril 2008 a vu son activité se dérouler de la manière suivante':

- du 19 novembre 2008 au 27 décembre 2009

- du 28 décembre 2009 à janvier 2010 : mission interne (Altran Research Telecom- projet EMI )

- de février à août 2010 : aucune mission pendant six mois

- d'août 2010 à fin 2011 : mission interne Altran Research , missions AIT et'Commissariat Oasis

- de janvier 2012 à mai 2013': aucune mission pendant 17 mois

- de juin 2013 à juin 2015 : missions Stelsia filiale de la SNCF

- depuis juillet 2015 : mission Altran Research (projet Corla)

Il ressort de ces éléments que pendant 5 ans, l'appelant n'a eu aucune mission externe chez un client et que pendant plusieurs mois, il n'a eu aucune mission ni externe, ni interne'; or il appartient à l'employeur de fournir à un consultant des missions et l'absence de missions voire des périodes d'inter-contrat anormalement longues laissent présumer un harcèlement moral, voire une discrimination syndicale, dès lors que les périodes d'intercontrat ont lieu essentiellement à partir des mandats syndicaux FO confiés au salarié, tandis que ses précédents mandats de 2004 et 2006 n'avaient pas empêché l'exercice de missions chez des clients externes.

En effet, il ressort de la pièce 125 produite par le salarié (analyse du projet Altran «'carreer path de juillet 2013) que la période d'inter-contrat est difficile pour un salarié'; ce document émanant de la société précise':'«'on peut on peut distinguer des types de consultant contrat :

les salariés qui sont de passage entre 2 missions dont la durée n'excède pas le mois ; pour cette catégorie, les effets négatifs de l'inter-contrat ne sont pas ressentis ;

les salariés qui sont depuis longtemps en inter- contrat. Ces consultants peuvent être en inter- contrat depuis plusieurs années'; cette catégorie de salariés est à surveiller car il existe des impacts sur la santé de ces situations du fait de la sous- charge de travail, du sentiment d'inutilité, des craintes d'être licencié etc..'»

De même, il ressort des différents rapports Secafi et Isast (pièces 125, 127, 131 et 187 du salarié) que la période d'inter-contrat est souvent mal ressentie par les salariés en sous-charge de travail et dont la compétence peut s'éroder en l'absence de missions pendant des périodes anormalement longues.

Il appartient dès lors à la société intimée d'apporter des éléments de preuve de nature à démontrer que le déroulé de carrière du salarié avec les alternances de périodes d'inter-contrat sans aucune mission externe pendant de relativement longues périodes était justifié en l'espèce par des raisons objectives étrangères à toute discrimination et tout harcèlement moral.

A cet égard, la cour observe que Monsieur [T] a occupé les postes de consultant confirmé et occupe le poste de consultant senior depuis avril 2011 ; selon la présentation du métier de consultant chez Altran (pièces 21) : les consultants interviennent à de multiples niveaux en fonction de leur expérience notamment en recherche et développement, en gestion de projet et en gestion contrat.

Il résulte de ce document qui n'est pas sérieusement contredit par la pièce 126 du salarié qui indique que les consultants travaillent dans le cadre de projets d'équipe, dans nos locaux ou sur le site de nos clients, que la gestion de projet en externe n'est pas l'unique mission des consultants, en sorte que le salarié ne peut d'emblée considérer comme discriminatoire l'affectation à des missions internes plutôt qu'à des projets externes, les missions internes et les projets externes étant parfaitement conformes à son contrat de travail.

D'autre part l'affectation à des missions internes est conforme aux dispositions de l'accord de groupe sur le dialogue social et le droit syndical en date du 23 décembre 2008, (signé par les délégués syndicaux de groupe, y compris FO), lequel précise en son titre 4, article 2 «''l'organisation du travail :

la Direction demande à la hiérarchie d'adapter l'organisation du travail des représentants du personnel élus et/ou désignés pour prendre en compte le volume des temps alloués à ses représentants pour leurs mandats et leur répartition dans le temps sans que ces aménagements réduisent l'intérêt du travail et les possibilités d'évolution professionnelle des intéressés.

Lorsqu'un salarié devient détenteur d'un mandat, une évaluation de son temps de disponibilité à son poste de travail doit être faite par son supérieur hiérarchique et l'intéressé.

L'organisation de son travail pourrait être alors aménagée en fonction de cette évaluation.

Pour ce calcul, les durées légales et conventionnelles des différents crédits d'heures appliqués dans l'entreprise doivent être prises en compte ainsi que les temps à passer en réunion avec la Direction et en réunions préparatoires non imputables sur les crédits d'heures».

Cet accord s'est appliqué de 2008 à 2013 puis a été dénoncé par la société en octobre 2013 comme l'indique l'appelant qui n'est pas démenti sur ce point par la société.

En application de cette disposition non remise en cause par le salarié, il ne peut être reproché à l'employeur de proposer à son salarié protégé du travail en adéquation avec sa disponibilité, étant précisé que Monsieur [T] disposait d'abord 74 heures de délégation puis de 84 heures de délégation par mois hors temps de préparation des réunions.

S'agissant du reproche fait à l'employeur d'avoir fait apparaître dans ses évaluations de juillet 2009 et août 2010 son activité syndicale, la cour observe,d'une part à la lecture des pièces produites par le salarié ( 53,55 et 56),qu' il était seulement indiqué «'objectifs syndicaux': à voir avec RH'» sans que l'appréciation du salarié sur ses qualités n'ait été réalisée en fonction de ses mandats'; en outre, si dans l'entretien tripartite du 8 octobre 2010 entre son ancien, puis nouveau manager et lui-même il était indiqué «disponibilité liée aux responsabilités sociales de [H] en interne qui peut freiner les clients'», cette information purement factuelle ne démontre aucunement une quelconque discrimination dans l'évaluation des compétences du salarié mais traduit l'application de l'accord syndical qui oblige à évaluer avec le salarié sa disponibilité pour précisément envisager les différentes missions pouvant être attribuées et l'organisation de son travail.

La société intimée produit un tableau récapitulant le nombre de jours restant disponibles par mois sur la période de novembre 2008 et mai 2013, compte tenu de ses heures de délégation'; ce tableau qui n'est pas sérieusement contredit par le salarié montre une disponibilité réduite du salarié et explique objectivement que certaines missions n'ont pu lui être confiées'; tel a été le cas de la mission Continental proposée au salarié fin 2009 et début janvier 2010 et finalement non confiée au vu de la disponibilité exigée du client ( pièces 37 et 45 ).

Par ailleurs, pendant les périodes incriminées, il apparaît que l'employeur a adressé plusieurs éventualités de missions externes': entre septembre et novembre 2008, 3 propositions lui ont été faites (pièces 14 à 16 du salarié), en février et août 2009, 4 autres propositions (pièce 20 à 26)'; si ces propositions n'ont finalement pas abouti à des missions effectivement confiées au salarié, cela ne peut être imputé à l'employeur dans la mesure où la mission suppose également que le client ne renonce pas à sa mission ou ne la confie pas à un concurrent, alors que cela a été le cas à plusieurs reprises ainsi que cela ressort de différentes réponses produites (pièces du salarié lui-même) et alors que la moindre disponibilité du consultant est un facteur pouvant conduire le client à ne pas donner suite à ses projets; par ailleurs, sans qu'une véritable obstruction ne puisse être reprochée au salarié comme l'indique l'employeur qui n'en rapporte pas suffisamment la preuve, il reste que des retards dans l'organisation de réunions pour envisager une mission à confier au salarié et dans les réponses apportées tant par le salarié que par le client et l'employeur ont contribué à rendre difficile l'affectation sur des missions externes.

Par ailleurs, il n'est nullement contesté que les périodes d'inter-contrats sont subies par l'ensemble des consultants de la société ALTRAN TECHNOLOGIE et ne sont pas réservées aux consultants bénéficiaires de mandats comme cela s'évince notamment de la pièce 125 suscitée qui reconnaît l'existence de consultants qui connaissent de longues périodes d'inter-contrat, en sorte qu'il n'est pas suffisamment établi que la situation du salarié traduise une discrimination syndicale.

En définitive, il apparaît que les périodes d'inter-contrat sont objectivement justifiées par l'employeur pour des raisons étrangères à toute discrimination syndicale et tout harcèlement moral.

S'agissant du contenu des missions internes effectivement confiées dans les périodes sus-indiquées, il ne résulte pas des quelques pièces invoquées la preuve suffisante que ces dernières auraient été sans rapport avec les compétences du salarié.

En effet le projet EMI avait pour but de développer un dispositif de mesure des ondes électromagnétiques ambiantes prenant en compte les contributions en téléphonie mobile. Les missions AIT au commissariat Oasis intégraient des thématiques techniques de pointe, tandis que la mission SNCF concernait les services d'information et de communication et les offres technologiques ; le salarié a d'ailleurs été évalué sur cette dernière mission dans le cadre du compte rendu de convergence du 2 juillet 2014'; il n'est pas suffisamment établi que sa mission se bornait à du travail de secrétariat ce qui est démenti par le compte rendu de convergence'; la mission confiée le 5 mai 2015 intitulé convergence des réseaux locaux autonomes d'Altran Research consiste à identifier les points majeurs de l'architecture du software Networking ; comme le fait valoir la société ALTRAN TECHNOLOGIE sans être sérieusement démentie par le salarié le département stratégique de recherche et développement interne d'Altran Research dont dépend la mission CORLA confiée au salarié est un département essentiel à forts enjeux stratégiques en sorte que l'affectation du salarié à cette mission est parfaitement en rapport avec ses compétences et loin d'être dévalorisante'; vainement le salarié se plaint-il d'avoir à faire de la recherche dans la mesure où la fiche de présentation du métier de consultant sénior prévoit que ce dernier intervient à de multiples niveaux en fonction de leur expérience notamment en recherche et développement, en gestion de projets et en gestion de contrats (pièce 21 de l'employeur).

Au regard de ces éléments, il apparaît que les différentes missions internes et les projets externes confiés au salarié tenaient compte à la fois des disponibilités du salarié, étaient conformes à sa qualification, que la période des inter-contrats s'expliquait par des raisons objectives étrangères à toute discrimination..

Le harcèlement moral invoqué résultant des mêmes agissements reprochés au salarié dans le cadre de la discrimination, sera écarté par voie de conséquence nécessaire au regard des périodes d'intercontrat et des missions externes et internes confiées, étant précisé que la cour examine infra les autres moyens de discrimination soulevés.

Sur la discrimination salariale

S'agissant de la rémunération fixe, l'appelant invoque une évolution anormale de sa rémunération fixe depuis son embauche jusqu'à mars 2015 avec une augmentation de 8 % en 2010 atypique et exceptionnelle dans la mesure où il était sans mission externe depuis deux ans, ce dont il déduit qu'après la saisine du conseil de prud'hommes l'employeur a tenté de cacher la discrimination dont il avait été l'objet jusqu'alors.

Mais, la cour observe que depuis son embauche et à l'exception de l'année 2009 le salaire fixe de l'appelant a régulièrement été augmenté ainsi que cela résulte de ses propres écritures ; ainsi notamment après sa désignation en qualité de représentant syndical au comité d'entreprise pour l'établissement de Paris, il a vu son fixe augmenté de 2%'; si en 2009, il n'y a pas eu d'augmentation, il s'avère qu'en 2010, son salaire fixe a bénéficié d'une augmentation de 8% à compter de septembre 2010 comme cela lui a été indiqué lors de son entretien d'évaluation du 18 août 2010, soit antérieurement à la saisine de la juridiction prud'homale en sorte qu'il ne peut être fait aucun lien entre cette augmentation et le contentieux initié par le salarié; de même, ce dernier a été augmenté en juillet 2014 avec effet rétroactif au 1er septembre 2013 (pièce 30-1), puis en mars 2015 à effet au 1er janvier 2015'; en outre, au vu des cartographies de 2008-2011 et 2012-2014 de la rémunération des consultants ayant la même ancienneté que l'appelant, ce dernier apparaît comme percevant un salaire fixe et une rémunération globale située dans la moyenne, voire supérieure à ceux de ses collègues dans une situation comparable (pièce 5 de l'employeur), étant précisé que son salaire est largement supérieur au minimum conventionnel.

L'évolution salariale du fixe de l'appelant ne traduit ainsi aucune discrimination.

S'agissant de sa rémunération variable, le salarié formule en appel des demandes nouvelles qui s'appuient sur des moyens nouveaux'; il soutient que ses heures de délégation syndicale devaient être assimilées à du travail effectif devant être pris en compte pour asseoir sa prime sur objectifs'; il ajoute que l'affectation à des missions internes et non externes le prive de primes sur objectifs ; il considère qu'il lui reste du la somme de 4488,79 euros (pièce 134 tableau un bis). Il reproche également les modalités de calcul défavorables de la prime sur objectifs : pour apprécier la marge générée ouvrant droit à la prime d'objectifs la société inclut le remboursement des frais du salarié en sa qualité de représentant du personnel ; cette formule de calcul le défavorise car plus il exerce ses mandats et des remboursements à ce titre plus sa prime sur objectifs diminue. Il considère ces modalités de calcul discriminatoires et demande à la cour d'interdire à la société de prendre en compte les frais de remboursement liés à son mandat.

La cour observe que selon projet d'avenant, il était prévu de faire bénéficier le salarié à compter de mai 2011 d'une prime variable sur la marge du chiffre d'affaire dégagée sur les projets réalisées par ce salarié'; cet avenant n'a pas été signé par le salarié.

Selon avenants du 12 juin 2012, du 18 juin 2013 signés par Monsieur [H] [T] sous réserve, les parties ont convenu de fixer les modalités de détermination des primes d'objectifs'; il était ainsi précisé que la prime sur la marge dégagée par le projet réalisé par le salarié représentait un pourcentage de la marge mensuelle, elle-même étant définie par CA mensuel ' 2,5x Salaire mensuel brut fixe du salarié - les frais mensuels non refacturables liés au projet.

Il ressort de cette clause que sont seulement déduits de l'assiette à prendre en compte pour déterminer la prime d'objectifs les frais mensuels non facturables liés au projet'; or ces frais ne se confondent pas avec les dépenses liées au mandat exercé par le salarié qui n'établit nullement que des frais liés à l'exercice de son mandat auraient grevé sa prime d'objectif, notamment sur la mission SNCF, les pièces produites à cet égard ne conduisant pas à ce constat ; par ailleurs, il n'est pas sérieusement discuté que si la politique de commissionnement exclut la rémunération variable sur les missions internes, cette disposition s'applique indistinctement aux salariés syndiqués ou pas, en sorte que le salarié n'établit aucun fait laissant présumer une discrimination de ce chef.

En revanche, c'est à juste titre que dans la mesure où l'exercice de mandats représentatifs et syndicaux ne doit avoir aucune incidence sur sa rémunération variable, le salarié réclame que ses heures de délégation assimilables à du temps de travail effectif soient prises en compte pour la détermination de sa prime'; il est ainsi fondé à obtenir une somme fixée en tenant compte pour la partie de son activité correspondant à ses mandats au montant moyen de la prime versée pour un temps équivalent, aux autres salariés'; la somme de 4.488, 79 euros établie sur la base des moyennes des primes sur objectifs versées aux consultants et des heures de délégation mensuelles effectives du salarié sera ainsi mise à la charge de la société ALTRAN TECHNOLOGIE et la discrimination syndicale est retenue de ce chef.

Sur le refus de passage au statut de consultant sénior en octobre 2009 qu'il n'a acquis qu'en avril 2011, l'appelant soutient n'avoir n'a pas été informé qu'il avait droit à une session de rattrapage et trouve le motif invoqué pour le recaler incompréhensible, injustifié et discriminatoire'; estimant qu'il aurait dû être consultant senior dès octobre 2009 et percevoir sa prime sur objectifs, il réclame pour la première fois en appel un rappel de 2323,91 euros (pièce 134 tableau 4) tout en soutenant que ce retard dans l'avancement de sa carrière présente un caractère discriminatoire.

Mais comme en justifie la société ALTRAN TECHNOLOGIE le passage du statut de consultant confirmé à celui de consultant senior avec la position 3 de la convention collective Syntec applicable implique le passage avec succès devant une commission d'évaluation des compétences, commission composée notamment d'un directeur de périmètre, d'un manager,d' un membre des ressources humaines et d'un directeur technique ; des sessions seniors sont organisées chaque année pour évaluer les candidats dont la candidature a été validée à la suite d'un entretien RH et d'un QCM portant sur les questions techniques.

Si Monsieur [H] [T] a échoué en octobre 2009 ainsi que la directrice des ressources humaines le lui a indiqué c'est parce qu'il est apparu dans le cadre de son oral devant le jury d'évaluation qu'il ne maîtrisait pas le concept d'offre.

Monsieur [H] [T] ne démontre pas que les évaluations des membres du jury lors de son passage en session senior seraient injustifiées. Et il n'est pas pertinent de considérer que n'ayant pas été interrogé sur les mêmes sujets qu'un autre candidat, Monsieur [H] [T] aurait été discriminé de ce fait.

Enfin, le courriel d'un autre consultant qui indique que «'d'après ce que j'ai compris, un nombre de consultants non négligeable passe en rattrapage'» ne suffit pas à établir la réalité de ces sessions de rattrapage que la société ALTRAN TECHNOLOGIE conteste formellement. En revanche, l'appelant a pu se représenter aux sessions suivantes et a de fait réussi à celle d'avril 2011.

Aucune discrimination n'est établie au regard de ce cursus et le salarié ne peut prétendre à un rattrapage de sa prime d'objectifs à compter d'octobre 2009.

Sur l'indemnisation pour violation de l'obligation de veiller au maintien de sa capacité à occuper un emploi au regard notamment de l'évolution des emplois des technologies des organisations, le salarié soutient qu'en dépit ses demandes (pièces 53, 55), il ne lui a été assuré aucune formation et que n'étant plus affecté à des missions chez des clients pendant près de cinq années il a perdu ses compétences techniques dans ce domaine'très évolutif ; il réclame à titre de dommages intérêts la somme de 53'674 euros sur la base d'un devis de coût de formations.

Mais l'employeur justifie que son salarié embauché avec un BTS électrotechnique a bénéficié de plusieurs formations techniques et notamment les formations « formation USB» « pratique de l'audit qualité » « bus USB » ou encore « SMS 3 » en 2007 et 2008'; il a par ailleurs été formé en management de projet comme le confirme son entretien annuel d'évaluation de novembre 2011 qui précise à la case compétences et management de projet : « plusieurs formations suivies ».

Il a par ailleurs été proposé au salarié à de nombreuses reprises d'entreprendre une démarche de validation des acquis (courrier en date du 6 août 2010), ce qu'il n'a pas entrepris tandis qu'il a bénéficié d'un bilan de compétences pris en charge financièrement par la société du 1er novembre 2013 au 31 mai 2014.

Enfin le salarié qui a formulé des demandes précises relatives à une formation syndicale a vu ses demandes satisfaites puisqu'il a bénéficié de 5 formations syndicales entre mars 2011 et avril 2013.

Il résulte de ces éléments que l'employeur a suffisamment satisfait à son obligation légale de formation et d'adaptation de son salarié qui reconnaît expressément à la suite de son bilan de compétences des réalisations significatives et l'acquisition de connaissances certaines (pièce du salarié 123).

La demande de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de formation et de veiller au maintien de la capacité du salarié à occuper son emploi est rejetée.

S'agissant du remboursement des frais professionnels, le contrat de travail en son article huit prévoit : «avec l'accord préalable de Cervix, Monsieur [T] sera remboursé sur justificatifs des frais éventuellement occasionnés dans l'exercice de ses fonctions'».

Le salarié considère au vu des récapitulatifs fournis en pièce 122 et 135 qu'il n'a pas été intégralement rempli de ses droits au titre de remboursement de ses frais professionnels et réclame la somme de 3. 241,49 euros ( pièce 135).

Le salarié justifie des frais réels exposés qu'il intègre dans le logiciel Minos de la société.

Vainement la société lui oppose-t-elle la politique de frais appliqués dans l'entreprise en fonction des barèmes de l'URSSAF. En effet la clause de son contrat travail plus favorable implique un remboursement des frais justifiés dès lors qu'ils ont été autorisés préalablement par l'employeur.

Dans la mesure où il n'est pas discuté que les déplacements occasionnant les frais professionnels en cause ont été autorisés par l'employeur, le salarié est fondé à en réclamer le paiement conformément à son contrat de travail sur la base des frais réels exposés.

Il est ainsi fait droit à la demande du salarié à hauteur de 3.241,49 euros restant dû en août 2015 et il est jugé que l'employeur doit rembourser les frais réellement exposés; ce désaccord sur les modalités de remboursement de frais ne suffit pas à faire présumer l'existence d'une discrimination syndicale puisque la politique de remboursement de frais plus restrictive est appliquée aux autres salariés ;il ne suffit pas davantage à faire présumer un harcèlement moral.

En définitive, il ressort de ces éléments que la discrimination syndicale n'est établie qu'au regard de la prime d'objectifs.

Pour réparer le préjudice moral occasionné par cette discrimination, il sera alloué au salarié la somme de 5.000 euros..

Sur l'intervention du syndicat

L'intervention du syndicat est recevable en l'espèce au vu des moyens de discrimination invoqués et retenus partiellement ; son préjudice sera intégralement réparé par l'allocation de la somme de 1.000 euros.

Sur les autres demandes

L'issue du litige commande de condamner la société ALTRAN TECHNOLOGIE qui succombe en partie de ses demandes à payer à Monsieur [H] [T] la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, de débouter la société ALTRAN TECHNOLOGIE de sa propre demande de ce chef et de condamner la société ALTRAN TECHNOLOGIE aux entiers dépens.

Les sommes allouées portent intérêts au taux légal,s'agissant des créances salariales, à compter de la réception par l'employeur de la convocation devant le bureau de conciliation du conseil de prud'hommes saisi et s'agissant des dommages intérêts alloués à compter de l'arrêt.

La capitalisation des intérêts est de droit, dès lors qu'elle est demandée et s'opérera par année entière en vertu de l'article 1154 du code civil

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et après en avoir délibéré conformément à la loi,

Confirme le jugement déféré en ce qu'il a débouté Monsieur [H] [T] de ses demandes d'indemnisation pour harcèlement moral et pour manquement à l'obligation de formation

Infirme le jugement en ses autres dispositions,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Dit que Monsieur [H] [T] a fait l'objet d'une discrimination syndicale au regard de sa prime d'objectifs

Condamne la société ALTRAN TECHNOLOGIE à payer à Monsieur [H] [T] les sommes suivantes,

4.488, 79 euros à titre de rappel sur la prime d'objectif depuis juin 2011, avec intérêts au taux légal à compter de la réception par l'employeur de la convocation devant le bureau de conciliation du conseil de prud'hommes saisi.

2.323,91 euros à titre de remboursement de frais sur la période de 2008 à 2015, avec intérêts au taux légal à compter de la réception par l'employeur de la convocation devant le bureau de conciliation du conseil de prud'hommes saisi

5.000 euros à titre de dommages intérêts pour discrimination syndicale, avec intérêts au taux légal à compter de l'arrêt

3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, avec intérêts au taux légal à compter de l'arrêt

Condamne la société ALTRAN TECHNOLOGIE à payer au syndicat CGT FO du personnel des organismes sociaux divers de la Région Parisienne la somme de 1.000 euros à titre de dommages intérêts, avec intérêts au taux légal à compter de l'arrêt

Dit que le remboursement des frais professionnels exposés par Monsieur [H] [T] doit se faire sur la base de ses frais réels

Ordonne la capitalisation des intérêts et dit qu'elle s'opérera par année entière en vertu de l'article 1154 du code civil,

Déboute les parties de toutes autres demandes

Condamne la société ALTRAN TECHNOLOGIE aux entiers dépens.

Le greffier,Le conseiller faisant fonction de président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 11
Numéro d'arrêt : 12/11534
Date de la décision : 10/06/2016

Références :

Cour d'appel de Paris L2, arrêt n°12/11534 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2016-06-10;12.11534 ?
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