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09/06/2016 | FRANCE | N°16/06826

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 1 - chambre 1, 09 juin 2016, 16/06826


Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 1 - Chambre 1



ARRET DU 09 JUIN 2016



(n° , 5 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : 16/06826



Convention de La Haye du 25 octobre 1980

Règlement européen du 27 novembre 2003

enlèvement international d'enfants



Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 25 Février 2016 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 15/4456

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APPELANTE



Madame [U] [W] née le [Date naissance 1] 1993 à [Localité 1]



Elisant domicile chez son conseil :

c/o Me PEIFFER-DEVONEC

[Adresse 1]

[Adresse 2]



repré...

Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 1 - Chambre 1

ARRET DU 09 JUIN 2016

(n° , 5 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 16/06826

Convention de La Haye du 25 octobre 1980

Règlement européen du 27 novembre 2003

enlèvement international d'enfants

Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 25 Février 2016 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 15/44560

APPELANTE

Madame [U] [W] née le [Date naissance 1] 1993 à [Localité 1]

Elisant domicile chez son conseil :

c/o Me PEIFFER-DEVONEC

[Adresse 1]

[Adresse 2]

représentée par Me Eléonore PEIFFER DEVONEC, avocat au barreau de SEINE-SAINT-DENIS, toque : 138

INTIMES

Le MINISTÈRE PUBLIC agissant en la personne de Monsieur le PROCUREUR GÉNÉRAL près la Cour d'Appel de PARIS

élisant domicile en son parquet au [Adresse 3]

représenté par Madame TOULEMONDE, avocat général

Monsieur [M] [G] (Partie intervenante)

[C] 32

[Adresse 4]

SERBIE

représenté par Me Pétra LALEVIC, avocat au barreau de PARIS, toque : D0524

(bénéficie d'une AIDE JURIDICTIONNELLE : TOTALE numéro 2016/017094 du 08/04/2016 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de PARIS)

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 24 mai 2016, en Chambre du Conseil, le rapport entendu, devant la Cour composée de :

Madame GUIHAL, Conseillère, faisant fonction de présidente

Madame DALLERY, Conseillère

Madame DE LACAUSSADE, Conseillère, magistrat déléguée à la protection de l'enfance, appelée à compléter la cour conformément aux dispositions de l'ordonnance de roulement portant organisation des services rendue le 15 décembre 2015 par Madame le premier président de la cour d'appel de PARIS

qui en ont délibéré

Greffier, lors des débats : Madame Mélanie PATE

MINISTÈRE PUBLIC : représenté lors des débats par Madame TOULEMONDE, avocat général, qui a développé oralement des observations pour la confirmation de l'ordonnance

ARRET :

- CONTRADICTOIRE

- prononcé publiquement par Madame Dominique GUIHAL, conseillère, faisant fonction de présidente de chambre.

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Dominique GUIHAL, conseillère, faisant fonction de présidente et par Madame Mélanie PATE, greffier présent lors du prononcé.

Du mariage de M. [M] [G] et de Mme [U] [W] sont issues, [V], née le [Date naissance 2] 2012, [L], née le [Date naissance 3] 2013 et [S], née le [Date naissance 4] 2014.

Alors que les époux résidaient en Serbie, Mme [W] s'est rendue en France avec les enfants et a manifesté son refus de les ramener en Serbie.

Par acte d'huissier du 15 janvier 2016, le ministère public l'a fait assigner devant le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Paris sur le fondement de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l'enlèvement international d'enfants, pour voir dire le déplacement illicite et ordonner le retour des enfants en Serbie. Un jugement du 25 février 2016 a fait droit à cette demande. Mme [W] en a interjeté appel le 21 mars 2016.

A l'audience du 12 avril 2016, l'affaire a été renvoyée au 24 mai à la demande de M. [G] invoquant une procédure d'aide juridictionnelle en cours.

Par des conclusions signifiées le 5 avril 2016, reprises oralement à l'audience, Mme [W] demande à la cour d'infirmer le jugement, de dire que M. [G] a consenti à son départ en France avec les enfants, de sorte que le déplacement n'était pas illicite, et de rejeter la demande de retour qui placerait les enfants dans une situation intolérable.

Par des conclusions développées à l'audience, le ministère public demande à la cour, principalement, de déclarer l'appel irrecevable comme tardif, subsidiairement, de confirmer le jugement.

Par des conclusions signifiées le 25 avril 2016, reprises oralement à l'audience, M. [G] demande à la cour de confirmer la décision entreprise.

SUR QUOI :

Considérant que le ministère public ne produisant pas l'acte de signification du jugement, la fin de non-recevoir tirée de la tardiveté de l'appel ne peut qu'être rejetée;

Considérant qu'aux termes de l'article 3 de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l'enlèvement international d'enfants :

'Le déplacement ou le non-retour d'un enfant est considéré comme illicite :

a) lorsqu'il a lieu en violation d'un droit de garde, attribué à une personne, une institution ou tout autre organisme, seul ou conjointement, par le droit de l'Etat dans lequel l'enfant avait sa résidence habituelle immédiatement avant son déplacement ou son non-retour; et

b) que ce droit était exercé de façon effective, seul ou conjointement, au moment du déplacement ou du non-retour, ou l'eût été si de tels événements n'étaient survenus;

Le droit de garde visé en a) peut notamment résulter d'une attribution de plein droit, d'une décision judiciaire ou administrative, ou d'un accord en vigueur selon le droit de l'Etat';

Considérant qu'aux termes de l'article 12 de la même Convention : 'Lorsqu'un enfant a été déplacé ou retenu illicitement au sens de l'article 3 et qu'une période de moins d'un an s'est écoulée à partir du déplacement ou du non-retour au moment de l'introduction de la demande devant l'autorité judiciaire ou administrative de l'Etat contractant où se trouve l'enfant, l'autorité saisie ordonne son retour immédiat';

Que suivant l'article 13 : 'Nonobstant les dispositions de l'article précédent, l'autorité judiciaire ou administrative de l'Etat requis n'est pas tenue d'ordonner le retour de l'enfant, lorsque la personne, l'institution ou l'organisme qui s'oppose à son retour établit :

a) que la personne, l'institution ou l'organisme qui avait le soin de la personne de l'enfant n'exerçait pas effectivement le droit de garde à l'époque du déplacement ou du non-retour, ou avait consenti ou acquiescé postérieurement à ce déplacement ou à ce non-retour; ou

b) qu'il existe un risque grave que le retour de l'enfant ne l'expose à un danger physique ou psychique, ou de toute autre manière ne le place dans une situation intolérable'

Sur l'illicéité du déplacement ou du non-retour :

Considérant qu'il est constant que Mme [W] et M. [G], qui étaient mariés, vivaient ensemble avec leur trois enfants en Serbie avant le déplacement litigieux; que l'effectivité de l'exercice de la garde par l'intimé n'est pas discutée;

Considérant que si le 12 juin 2015, celui-ci a donné son autorisation écrite au voyage des enfants avec leur mère en France, le refus de l'appelante de ramener les enfants à la fin du mois de juin 2015 contre la volonté exprimée par le père et sans autorisation de justice, caractérise un non-retour illicite au sens des stipulations précitées; qu'il convient de confirmer le jugement sur ce point;

Sur la demande de retour :

Considérant que l'action du ministère public a été engagée le 15 janvier 2016, moins d'un an après le refus illicite de ramener les enfants; que le retour est donc de droit à moins que l'appelante ne démontre l'existence de l'une des causes qui permettent, selon l'article 13 précité, de s'y opposer;

Considérant qu'elle fait valoir que son mari est violent à son égard en présence des enfants et que ceux-ci en sont perturbés; qu'elle expose qu'elle a déposé plainte en France pour ces faits et qu'elle est actuellement hébergée par une association de défense des victimes de violences conjugales;

Considérant qu'elle verse aux débats plusieurs témoignages;

Considérant que Mme [P] [V], amie de la mère de l'appelante, entendue par les services de police d'[Localité 2] le 15 mars 2016, a ainsi déclaré :

'Fin juillet ou début août 2015, je suis allée chez la mère de [U] et [M] [G] était présent. J'ai parlé avec lui et au début, il me parlait bien. Il m'a dit que [U] n'était venue que pour récupérer l'argent de la CAF et qu'elle n'avait pas l'intention de rester. Il m'a dit que comme elle était partie avec les enfants, s'il la trouvait, il lui prendrait les enfants et lui taperait la tête par terre. Je lui ai dit que ce n'était pas gentil et il s'est énervé. Il a ajouté que s'il la trouvait, il serait gentil avec [U] pour qu'elle le suive avec les enfants en Serbie, mais qu'une fois là-bas, elle verrait. Il m'a dit qu'il s'en foutait d'elle et des enfants, mais que c'était pour lui montrer que ce n'est pas elle (en l'appelant une 'petite salope') qui lui mettra la honte dans le village. Il continuait en disant qu'il pourrait payer quelqu'un pour qu'il lui casse le dos et les jambes. Je lui ai demandé pourquoi il ne se contenterait pas de parler avec elle gentiment. Comme la discussion ne menait à rien, je suis partie en disant que ça ne se faisait pas de parler comme ça. Avant que je parte, il m'a exhibé le passeport de [U] qu'il avait récupéré chez sa mère et m'a dit qu'il la ramènerait avec lui en Serbie.'

Considérant que le 15 mars 2016, Mme [U] [L] a déclaré à la police :

'J'ai connu [U] à l'âge de 13ans. Elle a été un peu chez sa mère et son père. Elle était un peu comme une balle entre les deux, et je pense que c'est pour ça qu'elle s'est mariée rapidement. Pendant sa jeunesse, [U] m'aidait beaucoup dans mes démarches administratives. Quand j'ai vu [U] au mois de février l'année dernière avec son mari, je lui ai demandé comment était sa vie en Serbie. Elle m'a répondu que ce n'était pas terrible. Je lui ai demandé quand elle reviendrait de Serbie, elle m'a répondu que ce serait quand elle aurait son passeport. Elle disait que [M] voulait qu'elle demande la CAF pour pouvoir acheter un terrain en Serbie (...). La deuxième fois que j'ai vu [M], fin juillet ou début août, c'était chez Mme [O] car il était venu passer dix jours en France pour chercher [U]. Il pensait que j'étais complice de [U] et que je la cachais avec ses enfants. Il était venu chez moi et face à ses accusations je lui ai dit qu'il n'était pas un homme pour envoyer une femme avec trois enfants chercher de l'argent. Je lui ai dit que ce qui lui était arrivé c'était bien fait pour lui parce qu'il ne la laissait pas venir en France et qu'il la menaçait avec la police. Il s'est énervé et a renversé son café. Il m'a promis qu'il allait ramener [U] et les enfants en Serbie, qu'il allait déchirer leurs passeports. Il a ajouté qu'il casserait la gueule de [U] et qu'elle ne verrait ses enfants qu'au travers d'une porte. Il a dit également qu'il tuerait [U] et je l'ai mis dehors';

Considérant que ces témoignages sont corroborés par l'enregistrement de la conversation qui a eu lieu en avril 2016 entre Mme [O], mère de l'appelante et M. [G]; que cet enregistrement contient de nombreuses menaces de mort, dans les termes suivants :

'Ecoute bien, que je te dise les choses : je vous emmerde toi et les autres, j'emmerde tous les tziganes au grand complet, je te le dis! ... Je vous emmerde et je vais tous vous niquer, que ce soit bien clair pour toi ! Je vais vous régler votre compte à tous, à tous ces tziganes et à toutes ces putains qui ont témoigné, je vais tous vous niquer (etc.)';

Considérant que M. [G], qui ne conteste pas l'authenticité de cet enregistrement, justifie ses propos par la légitime colère que lui cause la situation;

Considérant, enfin, que si le très jeune âge des enfants n'a pas permis à la cour de les auditionner, l'aînée, [V], née le [Date naissance 2] 2012, a été reçue le 23 mars 2016 par une psychologue qui a constaté les faits suivants : 'Lorsque je lui pose des questions sur le contexte familial elle me dit : 'Tu sais, mon papa il s'appelle [M]. Il frappe ma mère comme ça (elle s'inflige une forte gifle). Il peut nous tuer je crois...'

Lorsque je lui demande si elle a envie de voir son père [V] me répond : 'Ben non je viens de te dire qu'il frappe ma maman'.

[V] manifeste un état anxieux qui se traduit par des pleurs d'angoisse lorsqu'elle 'imagine' que son père vient la chercher';

Considérant qu'il résulte de la Convention du Conseil de l'Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique, faite à Istanbul le 11 mai 2011 ratifiée par la France le 4 juillet 2014 et entrée en vigueur le 1er août 2014, que 'les enfants sont des victimes de la violence domestique, y compris en tant que témoins de la violence au sein de la famille';

Considérant que la violence verbale de M. [G] est avérée; qu'à supposer même qu'elle ne s'accompagne pas de violences physiques sur son épouse, elle revêt un caractère suffisamment grave pour exercer une influence destructrice sur les enfants qui en sont témoins;

qu'est ainsi démontrée, au sens de l'article 13 de la Convention de La Haye, l'existence d'un risque grave que le retour des enfants ne les expose à un danger psychique et ne les place dans une situation intolérable;

Qu'il convient d'infirmer le jugement qui a ordonné le retour des enfants;

PAR CES MOTIFS :

Rejette la fin de non-recevoir.

Confirme le jugement en ce qu'il a dit que le non-retour des enfants était illicite.

L'infirme pour le surplus.

Statuant à nouveau :

Rejette la demande tendant à ce que soit ordonné le retour en Serbie d'[V] [G], née le [Date naissance 2] 2012, [L] [G], née le [Date naissance 3] 2013 et [S] [G], née le [Date naissance 4] 2014.

Laisse les dépens à la charge du Trésor public.

LA GREFFIÈRE LA CONSEILLÈRE, faisant fonction de présidente


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 1 - chambre 1
Numéro d'arrêt : 16/06826
Date de la décision : 09/06/2016

Références :

Cour d'appel de Paris A1, arrêt n°16/06826 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2016-06-09;16.06826 ?
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