RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 7
ARRÊT DU 02 Juin 2016
(n° 425 , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 15/07345
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 14 Avril 2015 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° 13/05192
APPELANT
Monsieur [C] [A]
[Adresse 1]
[Localité 1]
représenté par Me Grégory SAINT MICHEL, avocat au barreau de PARIS, toque : C1829
INTIMEE
SAS FLOR DE [I]
[Adresse 2]
[Localité 2]
N° RCS: 397 981 812
représentée par Madame [G] [I] sa Présidente
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 01 Avril 2016, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant M. Patrice LABEY, Président de chambre, chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de:
- Monsieur Patrice LABEY, Président
- Monsieur Philippe MICHEL, Conseiller
- Madame Pascale WOIRHAYE, Conseillère
Greffier : Mme Eva TACNET, lors des débats
ARRET :
- CONTRADICTOIRE
- mis à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Monsieur Patrice LABEY, Président, et par Madame Cécile DUCHE-BALLU, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par la magistrate signataire.
FAITS ET PROCEDURE
La société Flor de [I] a une activité d'importation et de distribution de cigares du Honduras et emploie moins de 10 personnes. Elle applique la convention collective du commerce de gros.
Recruté par cette société en qualité de directeur général salarié le 7 janvier 2013, Monsieur [C] [A] s'est vu notifier le 5 avril 2013 la rupture de son contrat dans les termes suivants :
'Nous faisons suite à notre entretien du 4 avril 2013 et vous confirmons par la présente notre
décision de mette fin à notre collaboration, la période d'essai n'étant pas concluante.
Votre contrat de travail prendra fin au terme d'un délai de prévenance d'une durée de un
mois, lequel délai prendra effet le jour de la première présentation de la présente lettre...'.
Contestant la rupture de son contrat, M [A] a saisi le conseil de prud'hommes le 22 avril 2013 et, dans le dernier état de la procédure, a présenté les chefs de demande suivants :
- Indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse 15 000 €
- Indemnité compensatrice de préavis 15 000 €
- Congés payés afférents 1 500 €
- Indemnité pour licenciement irrégulier 5 000 €
- Article 700 du Code de Procédure Civile 2 000 €.
La société Flor de [I] a formulé les demandes suivantes :
- Dommages et intérêts 15 000 €
- Indemnité pour procédure abusive 1 000 €
- Restitution d'une cave à cigare d'une valeur de 3 215.95 €
- Article 700 du Code de Procédure Civile 5 000 €.
La cour est saisie d'un appel de M [A] du jugement du conseil de prud'hommes de Paris du 14 avril 2015 qui l'a ébouté de toutes ses demandes et a débouté la société Flor de [I] de ses demandes reconventionnelles.
Vu les écritures développées par M [A] à l'audience du 1er avril 2016, au soutien de ses prétentions par lesquelles, il demande à la cour de :
Réformer la décision entreprise en toutes ses dispositions ;
Constater l'inopposabilité à M [A] de la prétendue période d'essai invoquée par la société Flor de [I] ;
Dire la rupture de période d'essai comme s'analysant en un licenciement dénué de cause réelle et sérieuse ;
Condamner la société Flor de [I] au paiement des sommes suivantes :
- A titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (3 mois) 15 000 €
- A titre d'indemnité de préavis (article 35 CCN Commerce de Gros) 10 000 €
- Au titre des congés payés y afférents 1 000 €
- A titre d'indemnité pour licenciement irrégulier 5 000 €
- Au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile 3 000 €.
A l'audience, M [A] demande également à la Cour d'écarter la pièce adverse n°31 s'agissant d'une correspondance avec un avocat.
Vu les écritures développées par la SAS Flor de [I] à l'audience du 1er avril 2016, au soutien de ses prétentions par lesquelles, elle demande à la cour de :
Confirmer le jugement déféré en ce qu'il a débouté M [A] de l'ensemble de ses demandes et l'a condamné aux entiers dépens,
Infirmer le jugement déféré en ce qu'il a débouté la société de ses demandes reconventionnelles,
Statuant à nouveau,
Condamner à titre incident, M [A] à lui payer une somme de 15.000 € à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail,
Condamner M [A] à restituer en bon état et en état de fonctionnement la cave à cigares appartenant à la société Flor de [I] d'une valeur d'environ 3.215,95 euros HT, sous astreinte de 100 euros par jour de retard
Se réserver de faire liquider l'astreinte,
Subsidiairement, sous réserve de la preuve de son impossibilité à la restituer, le condamner à rembourser la valeur de ce bien à hauteur de 3.215,95 euros HT outre celle de son immobilisation/absence pendant plus de 3 ans, à hauteur forfaitaire de 1.000 euros supplémentaires.
Condamner M [A] au paiement d'une indemnité de 1.000 € pour procédure
abusive et de la somme de 6.000 € en application de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.
Pour un exposé complet des prétentions et moyens des parties, la cour renvoie à leurs écritures visées par le greffe le 1er avril 2016, auxquelles elles se sont référées et qu'elles ont soutenues oralement à l'audience.
MOTIFS DE L'ARRÊT
Sur la pièce n°31
S'agissant d'un mail entre M [A] et un avocat provenant de la messagerie professionnelle du salarié, lequel ne soutient pas que ce message était protégé par une quelconque mention le réservant à un usage personnel, il n'y a lieu d'écarter cette pièce des débats.
Sur la rupture du contrat
Pour l'infirmation du jugement et une rupture abusive du contrat, M [A] fait plaider pour l'essentiel que :
- la période d'essai ne se présume pas et doit être stipulée dans le contrat de travail ou la lettre d'engagement,
- il a été engagé le 7 janvier 2013, par contrat à durée indéterminée verbal, en qualité de directeur général,
- il a reçu le même jour un contrat de travail écrit dont il n'acceptait pas les termes et qu'il a refusé de signer, ce contrat ne correspondant pas au contrat verbal conclu, en particulier en ce qui concerne la période d'essai.
- en tout état de cause, la rupture de la période d'essai intervenue n'était pas justifiée, comme en atteste les mails échangés entre les parties et l'absence de toute réserve quant à ses capacités à exercer ses fonctions.
Pour la confirmation du jugement, la société Flor de [I] soutient en substance que :
- il aurait été inepte que les parties n'envisagent pas une période d'essai compte tenu de l'emploi occupé par M [A] et de son profil atypique,
- il n'est pas exigé de recueillir l'accord du salarié sur l'existence et l'application d'une clause prévoyant une période d'essai. L'absence de signature du contrat comportant la clause est sans incidence,
- dès l'entrée de M [A] dans l'entreprise, soit le 7 janvier 2013, elle lui a transmis le contrat de travail stipulant une période d'essai de quatre mois, reprenant les discussions préalables des parties, conforme à la convention collective également transmise au salarié et résultant de leur volonté commune,
- M [A] n'a alors émis aucune objection, ni formulé le moindre refus du contrat, contrairement à ce qu'il affirme pour la première fois le 15 avril 2013, faisant montre de mauvaise foi.
L'article L.1221-19 du Code du travail dispose : « Le contrat de travail à durée indéterminée peut comporter une période d'essai dont la durée maximale est ...pour les cadres, de quatre mois. ».
En application de l'article L 1221-20 du Code du Travail ' la période d'essai permet à l'employeur d'évaluer les compétences du salarié dans son travail, notamment au regard de son expérience, et au salarié d'apprécier si les fonctions occupées lui conviennent' ; chaque partie au contrat de travail est libre de le rompre au cours de la période d'essai, sans donner de motif.
Aux termes de l'article L. 1221-23 du Code du travail : « la période d'essai et la possibilité de la renouveler ne se présument pas. Elles sont expressément stipulées dans la lettre d'engagement ou le contrat de travail ».
En l'espèce, il est constant que le 7 janvier 2013 Mme [Z] [I] présidente de la société Flor de [I] a adressé à 9h35 à M [A] un courriel ayant pour objet 'proposition de contrat' contenant un contrat de travail à durée indéterminée pour l'embauche de celui-ci en qualité de directeur général à compter du 7 janvier 2013 à 9h, avec une période d'essai de quatre mois. Il est aussi établi qu'elle lui a envoyé le même jour à 10h05 une notice précisant la convention collective applicable consultable au siège de la société Flor de [I] et le régime de prévoyance.
Il ne ressort d'aucun mail échangé entre les parties lors de leurs entretiens préalables à l'embauche qu'une telle période d'essai a été convenue. Au contraire, M [A] a transmis à Mme [Z] [I] le 13 décembre 2012 son accord sur la rémunération, en sollicitant des précisions sur sa rémunération variable et le mode d'attribution des stocks options, sans qu'il soit question d'une période d'essai et lui a soumis, sur six pages, un plan d'action détaillé à mener sur cinq mois, avec un agenda précis mois par mois, qui n'a fait l'objet d'aucune objection.
La société Flor de [I] ne peut sans dénaturer les écrits de M [A] et sa saisine du conseil de prud'hommes en tirer la conséquence qu'il a de fait accepté une période d'essai, alors qu'il n'a de cesse de contester dans ses écrits 'la période d'essai' dont se prévaut son employeur.
Il est exact que M [A] occupait un emploi autre lors de son embauche par la société Flor de [I] , qui ne précise cependant pas en quoi le profil de son directeur général serait atypique. Il résulte toutefois des pièces du dossier que les parties se connaissaient bien pour être en relation d'affaire depuis 2002, la société Flor de [I] ayant confié à la sarl S-Team crée et gérée par M [A] la conception, la réalisation et le développement de son site web et le référencement de son site, par contrat du 16 octobre 2002, renouvelé les 10 juillet 2007 et 10 juillet 2010 pour une durée d'un an. Par ailleurs, M [A] fait état dans un mail du 23 octobre 2012 envoyé à Mme [Z] [I], (qui en accuse réception par 'Cher [C]...je vous embrasse) et dans son C.V joint à son mail du 13 décembre 2012 d'une expérience, au demeurant non contestée, dans le secteur d'activité du cigare en qualité d'associé dans une société d'importation de cigares en 2003-2005 et de 1999 à 2007 dans la vente, la communication, le recrutement du personnel d'une autre société.
Dans ces conditions la période d'essai insérée dans le contrat, adressé à M [A] après qu'il ait pris son poste et qu'il n'a pas signé sans pouvoir être taxé de mauvaise foi, ne lui est pas opposable et la rupture du contrat au seul motif que 'la période d'essai n'est pas concluante' constitue un licenciement abusif. A cet égard est inopérante l'affirmation de l'employeur selon laquelle le salarié n'a jamais contesté devoir être tenu par une période d'essai avant sa rupture.
En application de l'article 35 de la convention collective applicable, le délai de préavis est de trois mois. Déduction faite du mois de préavis exécuté et pour un salaire convenu de 5.000 € brut mensuel, la société Flor de [I] doit donc à M [A] une indemnité de préavis de deux mois, soit la somme de 10.000 €, outre les congés payés afférents pour 1.000 €.
M [A] qui ne justifie pas avoir quitté un précédent emploi pour intégrer la société Flor de [I], pas plus qu'il serait depuis la rupture de son contrat inscrit à Pôle Emploi, mais qui a poursuivi son activité au sein de la société sarl S-Team dont il est le gérant, voire au sein de deux autres sociétés dont il se dit fondateur et associé majoritaire dans son C.V, sera indemnisé du préjudice causé par la rupture abusive de son contrat par l'allocation de la somme de 5.000 € au visa de l'article L 1235-5 du Code du Travail.
L'irrégularité du licenciement, en l'absence de convocation à un entretien préalable privant le salarié de faire valoir ses observations, doit être indemnisée par la condamnation de la société Flor de [I] au paiement de la somme de 500 € à titre de dommages et intérêts.
Sur les demandes de la société Flor de [I]
A l'appui de sa demande de dommages et intérêts pour déloyauté et faute dans l'exécution du contrat de travail, la société Flor de [I] fait grief à M [A] d'avoir profiter de la confiance de Mme [Z] [I] pour 'travailler sans aucun scrupule pour sa société en redressement judiciaire pendant ses heures de travail au sein de la société Flor de [I] au détriment de ses fonctions de Directeur Général, en tout état de cause, en contravention avec ses obligations et au préjudice de la société Flor de [I] ', malgré son obligation d'exclusivité et d'avoir été jusqu' à dresser, après la rupture de son contrat de travail, des factures au nom de la société S-Team à Flor de [I] pour des prestations de référencement du site reprises par ses soins en interne chez Flor de [I].
Cependant le contrat de travail auquel se réfère la société Flor de [I] ne contient aucune clause d'exclusivité, mais une clause de non concurrence et soumet M [A] à un forfait en jours de travail en lui laissant 'une totale liberté dans l'organisation de son temps de travail', de sorte qu'il ne peut lui être imputé à faute d'avoir continué à gérer sa société exerçant dans un autre secteur d'activité que Flor de [I].
Par ailleurs, si lors des pourparlers préalables à son embauche, M [A] a écrit le 13 décembre 2012, 'je reprendrai à ma charge le référencement du site internet facturé par S-Team', cette proposition n'a fait l'objet d'aucune disposition contractuelle.
La société Flor de [I] doit donc être déboutée de ses demandes de dommages et intérêts de ce chef et pour procédure abusive.
M [A] indiquant dans un mail du 18 décembre 2013 être toujours en possession d'une cave à cigares appartenant à la société Flor de [I] en l'invitant à venir la chercher, et ne le contestant pas dans ses écritures d'appel, bien qu'il ait déclaré le contraire devant le conseil de prud'hommes, il sera condamné à restituer cette cave à cigares, sous astreinte provisoire tel que précisé ci-dessous pour prévenir toute résistance, la cour ne se réservant pas la liquidation de cette astreinte.
Sur les frais et dépens
La société Flor de [I] qui succombe en appel n'est pas fondée à obtenir l'application de l'article 700 du code de procédure civile, mais versera sur ce même fondement à M [A] la somme de 3.000 € et supportera les dépens de première instance et d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Infirme le jugement du conseil de prud'hommes de Paris du 14 avril 2015 sur la rupture du contrat, les indemnités afférentes, la restitution d'une cave à cigares et les dépens ;
Statuant à nouveau de ces chefs,
Dit que la rupture du contrat de travail de M [A] par la société Flor de [I] constitue un licenciement abusif et irrégulier ;
Condamne en conséquence la SAS Flor de [I] à payer à M [C] [A] les sommes de:
- 5.000 € à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive,
- 10.000 € à titre d'indemnité de préavis,
- 1.000 € d'indemnité de congés payés sur préavis,
- 500 € de dommages et intérêts pour licenciement ;
Condamne M [C] [A] à restituer à la société Flor de [I] la cave à cigares dans le mois de la notification du présent arrêt, sous astreinte provisoire de 50 € par jour de retard passé le dit délai, l'astreinte courant alors pendant trois mois ;
Confirme le jugement en ses autres dispositions ;
Y ajoutant,
Condamne la SAS Flor de [I] à payer à M [C] [A] la somme de 3.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Déboute les parties de leurs autres demandes ;
Condamne la société Flor de [I] aux dépens.
Le greffier Le président