RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 7
ARRÊT DU 26 Mai 2016
(n° , pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 14/04458
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 25 Février 2014 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de CRETEIL RG n° 14/00090
APPELANT
Monsieur [G] [M]
[Adresse 1]
[Adresse 2]
né le [Date naissance 1] 1969 à [Localité 1]
comparant en personne, assisté de Me Aymeric BEAUCHENE, avocat au barreau de VAL-DE-MARNE, toque : PC 095
INTIMEE
SOCIETE GEODIS venant aux droits de la SAS BOURGEY MONTREUIL FRANCILIENNE
[Adresse 3]
[Adresse 2]
N° SIRET : B 3 00 645 124
représentée par Me Marylène ROUX, avocat au barreau de LYON, en présence de M. [Q] [J] (Directeur de la société)
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 11 Mars 2016, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Monsieur Rémy LE DONGE L'HENORET, Conseiller, chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Monsieur Patrice LABEY, Président de chambre
Monsieur Rémy LE DONGE L'HENORET, Conseiller
Madame Pascale WOIRHAYE, Conseillère
Greffier : Madame Wafa SAHRAOUI, lors des débats
ARRET :
- CONTRADICTOIRE
- mis à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Monsieur Patrice LABEY, Président, et par Madame Wafa SAHRAOUI, Greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
M. [G] [M] qui a été engagé par la SAS GEODIS BOURGEY MONTREUIL FRANCILIENNE (SAS BM FRANCILIENNE) en qualité de conducteur moniteur d'entreprise à compter du 26 avril 1993, a été promu responsable atelier le 1er Septembre 2008 et au statut de cadre à compter du 1er avril 2009 à ce titre et percevait dans le dernier état des relations contractuelles régies par la convention collective nationale des transports routiers, une rémunération moyenne de 2600 €.
M. [M] a fait l'objet le 6 octobre 2010 d'une convocation à un entretien préalable assortie d'une mise à pied conservatoire, qui s'est déroulé le 18 octobre 2010 avant d'être licencié par courrier en date du 28 octobre 2010 pour faute grave constituée par la multiplication de carences et de négligences dans l'exercice de ses fonctions de responsable d'atelier.
Le 08 avril 2011, M. [M] a saisi le Conseil de prud'hommes de CRETEIL aux fins de faire juger que le licenciement intervenu le 28 octobre 2010 était dénué de cause réelle et sérieuse et a présenté les chefs de demandes suivants à l'encontre de la SAS BM FRANCILIENNE :
- 253.260 € de rappels de salaire au titre des astreintes ;
- 45.000 € à titre de dommages et intérêts pour dépassement de l'amplitude du travail suite
au temps d'astreinte ;
- 1.509,68 € à titre de rappel de mise à pied ;
- 150,97 € à titre de congés payés afférents ;
- 7.800 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis ;
- 780 € à titre de congés payés afférents ;
- 5.460 € à titre d'indemnité de licenciement ;
- 2.383 € à titre rappel de 13ème mois, ;
- 238,30 € à titre de congés payés afférents ;
- 70.000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement dépourvu de cause
réelle et sérieuse ;
- 1.500 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
- Exécution provisoire.
La Cour est saisie d'un appel formé par M. [M] contre le jugement du Conseil de prud'hommes de CRETEIL en date du 25 février 2014 qui a condamné la SAS BM FRANCILIENNE à lui payer :
- 6.000 € au titre de la rémunération de l'astreinte ;
- 1.509,68 € à titre de rappel de salaire sur la mise à pied ;
- 150,97 € à titre de congés payés afférents ;
- 7.800 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis ;
- 780 € à titre de congés payés afférents ;
- 5.460 € à titre d'indemnité de licenciement ;
- 25. 000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse ;
- 1.200 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile .
Vu les écritures du 11 mars 2016 au soutien des observations orales par lesquelles M. [M] demande à la cour de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a jugé son licenciement sans cause réelle et sérieuse et reconnu l'existence d'astreinte mais le réformer pour le surplus et rétablir son salaire réel à la somme de 11.809,89 € pour condamner la SAS BM FRANCILIENNE à lui payer :
' à titre principal sur la base d'un salaire moyen de 11.809,89 € :
- 7.805,93 € à titre de rappel de salaire sur mise à pied ;
- 708,59 € à titre de congés payés afférents ;
- 35.427,00 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis ;
- 3.542,70 € à titre de congés payés afférents ;
- 65.047,40 € à titre d'indemnité de licenciement ;
- 19.049,83 € à titre de prime de 13ème mois au prorata ;
- 1.904,98 € à titre de congés payés afférents ;
- 141.708 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement dénué de cause réelle et sérieuse;
' à titre subsidiaire sur la base d'un salaire moyen de 2.600 € :
- 1 509,68 € à titre de rappel de salaire sur mise à pied ;
- 150,97 € à titre de congés payés afférents ;
- 7.800,00 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis ;
- 780,00 € à titre de congés payés afférents ;
- 12.631,66 € à titre d'indemnité de licenciement ;
- 2.383,00 € à titre de prime de 13ème mois au prorata ;
- 238,30 € à titre de congés payés afférents ;
- 50.000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement dénué de cause réelle et sérieuse ;
' en tout état de cause :
- 221.037,44 € à titre de rémunération du temps d'astreinte du 1er juillet 2008 au 28 octobre 2010 (préavis non effectué inclus) ;
- 22.103,74 € à titre de congés payés afférents ;
- 131.018,16 € à titre de dommages et intérêts pour repos compensateur non pris ;
- 13.101,82 € à titre de congés payés afférents ;
- 45.000 € à titre de dommages et intérêts pour « temps de travail durant l'astreinte non payée et dépassement de la durée amplitude du travail ;
' appliquer l'intérêt au taux légal sur les salaires et accessoires de salaires à compter de la saisine ;
' ordonner la capitalisation des intérêts en application de l'article 1154 du Code Civil ;
' ordonner la remise des documents sociaux (attestation POLE EMPLOI, certificat de travail, bulletin de paie) conformes à l'arrêt sous astreinte ;
- 2.500 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Vu les écritures du 11 mars 2016 au soutien de ses observations orales au terme desquelles la SOCIETE GEODIS demande à la cour d'infirmer le jugement déféré, de débouter M. [M] de l'ensemble de ses demandes et de le condamner à lui verser 2.500 € sur le fondement de l'article 700 Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties la cour, conformément à l'article 455 du code de procédure civile , renvoie aux conclusions déposées et soutenues l'audience ;
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la durée du travail :
L'article L3121-5 du Code du travail dispose que l''astreinte est une période pendant laquelle le salarié , sans être à la disposition permanente et immédiate de l'employeur, a l'obligation de demeurer à son domicile ou à proximité afin d'être en mesure d'intervenir pour effectuer un travail au service de l'entreprise et prévoit que la durée de cette intervention est considérée comme un temps de travail effectif.
L'article R 3121-1 du Code du travail prévoit en outre que l'employeur remet à chaque salarié intéressé un document récapitulant le nombre d'heures d'astreinte accomplies par celui-ci au cour du mois écoulé ainsi que la compensation correspondante.
Selon l'article L. 3121-10 du Code du Travail, la durée légale du travail effectif des salariés est fixée à trente-cinq heures par semaines civile ; l'article L. 3121-22 énonce que les heures supplémentaires accomplies au-delà de la durée légale hebdomadaire fixée par l'article L. 3121-10, ou de la durée considérée comme équivalente, donnent lieu à une majoration de salaire de 25% pour chacune des huit premières heures supplémentaires, les heures suivantes donnant lieu à une majoration de 50 % ;
Aux termes de l'article L.3171-4 du Code du Travail , en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail effectuées, l'employeur doit fournir au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié ; le juge forme sa conviction au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles ;
Si la preuve des horaires de travail effectués n'incombe ainsi spécialement à aucune des parties et si l'employeur doit être en mesure de fournir des éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié, il appartient cependant à ce dernier, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures réalisées, d'étayer sa demande par la production de tous éléments suffisamment précis quant aux horaires effectivement réalisés pour permettre à l'employeur de répondre en apportant, le cas échéant, la preuve contraire ;
La règle selon laquelle nul ne peut se forger de preuve à soi même n'est pas applicable à l'étaiement (et non à la preuve) d'une demande au titre des heures supplémentaires et que le décompte précis d'un salarié, qui permet à l'employeur de répondre en fournissant les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié, est de nature à étayer la demande de ce dernier ;
Pour confirmation sur le principe de l'astreinte à laquelle il était assujetti et pour infirmation sur le montant alloué par les premiers juges, M. [M] fait valoir qu'il n'était pas soumis au forfait jour et qu'il assumait une astreinte 24h sur 24h, 365 jours par an sans être rémunéré alors qu'il était destinataire d'une moyenne de 10 à 20 appels par mois et qu'il était ponctuellement amené à intervenir.
A l'appui de ses prétentions, M. [M] produit à les notes de service relatives aux astreintes ainsi que ses relevés téléphoniques.
L'employeur réfute les arguments de M. [M] et conclut à la non application de l'article L 3121-5 du Code du travail qui impose au salarié de demeurer à disposition à son domicile, contrairement à la pratique de M. [M], notamment pendant ses congés à l'étranger, en renvoyant le téléphone de l'atelier sur son téléphone personnel alors qu'il n'assumait pas seul cette tâche.
La société ajoute qu'une astreinte donnant lieu à la réception de deux ou trois appels par semaine ne peut constituer du temps de travail effectif et que seul le temps d'intervention est pris en compte, ce qui n'ignore pas le salarié qui soutient pour le première fois en cause d'appel, être effectivement intervenu, sachant au surplus que l'intéressé était soumis au forfait jour.
Interrogée à l'audience sur l'application du forfait jour résultant de l'article 5 du contrat de travail de M. [M], la société GEODIS reconnaît que l'intéressé n'a jamais bénéficié de l'entretien annuel obligatoire afférent, de sorte qu'elle ne peut lui être opposée.
Par ailleurs, si en application des dispositions combinées des articles L 3121-5 et R 3121-1 du Code du travail, l'astreinte ne constitue pas en soi du temps de travail, elle devait donner lieu à rémunération pour le temps des interventions et à dédommagement pour elle-même sur la base d'un décompte mensuel.
M. [M] établit la réalité d'appels à n'importe quelle heure du jour et de la nuit qui ont fait l'objet de rapport à son employeur pour des durées allant de quelques secondes à plus de 30 mn et justifiant ponctuellement son déplacement à l'atelier ainsi que cela résulte de l'attestation de M. [P] versée aux débats et non discutée.
L'employeur qui s'est abstenu d'établir un décompte mensuel sur la base des rapports M. [M] dont il était destinataire, sans lui indiquer qu'il n'était pas prévu que ce dispositif repose sur lui seul, et sans l'en dédommager, même en retenant que l'astreinte a effectivement été mise en place au titre des objectifs fixés au salarié au titre de l'année 2009, il y a lieu de retenir un volume quotidien de 17 heures d'astreinte, en plus de l'horaire de travail, et par conséquent de 119 heures par semaine sur la totalité de l'année 2009 et les 9 mois et six jours de l'année 2010, sur la base d'un taux horaire de 17,14 €, soit de 21,425 € au taux de125 % et à 25,71 € au taux de 150 %.
Soit une majoration des heures supplémentaires calculées selon les modalités suivantes :
- 8 h de la 36ème h à la 43ème h : 8 x 21,425 € = 171,40 €,
- 76 h de la 44ème h à la 119 ème h = 76 x 25,71 € = 1.953,96 € ,
Soit 2.125,36 € par semaine x (52 +40 ) =195.533,12 €
Il est donc dû la somme de 195.533,12 € à ce titre outre 19.553,31€ au titre des congés payés afférents.
En ce qui concerne les repos compensés à 100 % au delà de la 43ème heure dans les entreprises de plus de 20 salariés, le nombre d'heures réalisées M. [M] au delà du contingent annuel de 130 heures supplémentaires, doit être calculé de la manière suivante :
76 h x 90 semaines = 6840 h - (130 h x2) = 6580 h rémunérées sur la base d'un taux horaire de 17, 14 € =112.781,20 € ;
Il est donc dû la somme de 112.781,20 € à ce titre, outre 11.278,12 € au titre des congés payés afférents.
Sur les dommages et intérêts pour violation du temps de repos journalier et hebdomadaire :
L'article L 3121-6 du Code du travail dispose qu'exception faite de la durée d'intervention, la période d'astreinte est prise en compte pour la durée minimale de repos quotidien et des durées de repos hebdomadaire, toutefois l'article L 3121-7 du même code subordonne la mise en place des astreintes, non prévues par une convention collective ou un accord collectif étendu ou un accord d'entreprise ou d'établissement, à l'information et à la consultation du comité d'entreprise ou à défaut des délégués du personnel après information de l'inspecteur du travail, sur les conditions de son organisation par l'employeur et des compensations financières ou en repos auxquelles elles donnent lieu.
Faute pour l'employeur de justifier de la mise en oeuvre d'une telle procédure et de produire les relevés d'intervention de M. [M] qu'il détient, il y a lieu de faire droit à la demande de dommages et intérêts de l'intéressé à hauteur de 20.000 € compte tenu des sommes précédemment allouées en rémunération au titre de l'astreinte et du repos compensateur.
Sur le licenciement :
Il résulte des articles'L.1234-1 et L.1234-9 du code du travail que, lorsque le licenciement est motivé par une faute grave, le salarié n'a droit ni à un préavis ni à une indemnité de licenciement.
La faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle fait obstacle au maintien du salarié dans l'entreprise y compris pendant la durée du préavis.
L'employeur qui invoque la faute grave pour licencier doit en rapporter la preuve.
En application des dispositions de l'article L.1235-1 du code du travail, en cas de litige relatif au licenciement, le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties, au besoin après toutes mesures d'instruction qu'il estime utiles ; si un doute subsiste, il profite au salarié.
La lettre de licenciement qui circonscrit les limites du litige et qui lie le juge, est ainsi motivée: "...avons recueilli vos explications qui ne nous ont malheureusement pas permis de modifier notre appréciation des motifs à l'origine de la mesure, à savoir la multiplication de carences et de négligences dans l'exercice de vos fonctions de Responsable d'atelier. En effet, nous vous rappelons que vous avez pris vos nouvelles fonctions de « Responsable d'Atelier » au sein de notre entreprise le 1er Septembre 2008. Or, nous avons eu à déplorer une succession de manquements inacceptables de la part d'un responsable d'atelier, caractérisant une inexécution fautive, de vos obligations contractuelles, comme l'attestent les éléments suivants:
En premier lieu nous avons constaté au cours de ces deux derniers mois que certaines restitutions de tracteurs à la suite de leur passage à l'atelier ont été effectuées sans que les mémoires de masse aient été préalablement vidées. Or, Il vous appartient en tant que Responsable de l'atelier de vérifier que cette opération est bien effectuée car elle est indispensable pour récupérer tes données afin que nous puissions les fournir en cas de contrôle de la DRE sous peine de sanctions pécuniaire (amende de 5eme classe). Par ailleurs, la responsabilité pénale de l'employeur peut être engagée dans une telle situation.
De plus, suite à la mise en place le 1erseptembre dernier d'un plan d'actions transmis par Mr [T], Responsable technique et Maintenance du Groupe GEODIS BM, nous avons constaté votre absence manifeste de volonté de le mettre en place et d'en assurer le suivi. Ainsi, vous attendez les réunions mensuelles pour évoquer les éventuels problèmes rencontrés. A aucun moment, vous n'avez jugé nécessaire d'informer ce dernier ou moi-même des éventuelles infaisabilités de certaines actions à mener.
De la même manière, depuis plusieurs semaines, de nombreux semis étaient sur le parc en attente de réparation sans que vous ne donniez la moindre consigne à votre équipe concernant lesdites réparations au motif que vous « attendiez les consignes ». Une telle inertie dans l'exécution de votre mission cause nécessairement un préjudice important à la société du fait de l'immobilisation de véhicules.
Par ailleurs, le service Achats vous a informé au mois de Mai du rachat du véhicule parc 91810 et vous a demandé d'effectuer le changement des plaques d'Immatriculation Or, lors de la visite de Monsieur [T] le 1er septembre dernier, nous avons découvert avec stupéfaction que le changement n'avait toujours pas été effectué.
Durant toute cette période et par manque de suivi du parc de votre part, cette remorque a circulé avec des fausses plaques, délit passible d'une amende pouvant aller jusqu'à 30 000 €. Le 09 septembre 2010, un conducteur affecté au trafic Samada s'est présenté à l'atelier pour faire un complément d'huile sur l'ensemble 51517 ainsi que de lui procurer un bidon d'huile pour l'ensemble 56026 Immobilisé sur le site de [Localité 2] suite à un relevé de niveau jugé trop bas par le brigadier, Mr [R] [H]. Suite à cette demande, vous avez catégoriquement refusé de lui fournir le bidon d'huile réclamé, prétextant qu'en tant que chauffeur il n'était pas habilité à effectuer un quelconque complément sur un véhicule.
Vous n'avez même pas pris le soin de contacter l'exploitation du site de [Localité 2] pour connaître la teneur du problème rencontré et envisager une solution de secours. De ce fait, le véhicule a été immobilisé pendant 4 heures sur site dans l'attente d'un dépannage extérieur, obligeant l'exploitation à réorganiser les tournées.
Le 10 septembre 2010, vous avez envoyé un mail à l'exploitation avec la liste des véhicules devant passer les « mines » (visites techniques), Dans ce fichier était indiqué que la remorque 79499 arrivait à échéance le 16 septembre 2010. Entre le 10 septembre et le 16 septembre, vous n'avez à aucun moment relancé l'exploitation afin que le nécessaire soit fait avant votre départ en congés payés le 20 septembre 2010. De plus, vous n'avez même pas pris le soin de sensibiliser votre collaborateur assurant l'intendance pendant vos congés payés sur le délai dépassé et la nécessité de faire rapatrier en urgence cette remorque. En date du 1er octobre 2010, cette remorque n'était toujours pas conforme. Vous n'êtes pas sans ignorer qu'en cas d'accident avec un véhicule non conforme à la réglementation, la responsabilité pénale de l'employeur peut être engagée.
- En outre, le 14 septembre dernier, l'exploitation vous a demandé d'effectuer des réparations sur un frigo de location de longue durée. Toutefois, malgré cette demande expresse, vous avez jugé bon de ne pas effectuer lesdites réparations et avez indiqué à l'exploitation de rendre ce véhicule en état. Or, vous n'ignorez pas que le matériel restitué en mauvais état sera dans tous les cas facturé à notre société, II vous a alors été demandé d'évaluer la situation et le coût pour effectuer les réparations puis, afin de facturer le transporteur responsable de l'état du frigo, il vous a été demandé de fournir le constat contradictoire qui aurait du être effectué lors du retour de la semi. Toutefois, vous avez été dans l'incapacité de fournir ce constat contradictoire en nous indiquant qu'aucun constat n'était effectué par l'atelier.
De telles carences dans la gestion des restitutions de matériels ne sont pas acceptables.
- Enfin, dans la nuit du 10 au 11 septembre 2010, Mr [L] conducteur Bourgey Montreuil Francilienne a rencontré un problème avec son ensemble, à savoir que la main de frein était arrachée. Il vous a alors contacté. Vous lui avez tout naturellement rétorqué qu'il y avait un numéro d'urgence mentionné dans son véhicule, et qu'il fallait appeler à ce numéro.
En tant que responsable d'atelier nous ne pouvons tolérer un tel comportement. De plus, pour rappel, une astreinte a été mise en place au sein du service atelier afin d'avoir une meilleure réactivité et une diminution de nos coûts de dépannage extérieur,
L'ensemble de ces carences et négligences dans l'exécution de votre fonction n'est pas admissible et constitue un manquement grave à vos obligations contractuelles, notamment au regard des conséquences préjudiciables pour le bon fonctionnement de l'atelier et de notre flotte de véhicules.
Les explications recueillies au cours de cet entretien ne nous ont pas permis de modifier notre appréciation. Votre licenciement prend effet immédiatement à la date de la présente lettre, et votre solde de tout compte sera arrêté à cette même date, sans indemnité de licenciement ni de préavis,...'
Pour infirmation et pour la reconnaissance du caractère gravement fautif des manquements de M. [M], la SAS BM FRANCILIENNE fait notamment valoir que ces manquements ne relèvent pas de l'insuffisance professionnelle, que la procédure disciplinaire engagée quelques jours après la constatation des derniers manquements, qu'en toute hypothèse dans le délai de prescription n'avait aucun caractère tardif et que rien ne justifie d'écarter les échanges de courriels des débats.
Sur le fond l'employeur soutient essentiellement que dès lors qu'une cellule technique régionale avait été mise en place pour harmoniser le fonctionnement des deux ateliers et notamment remédier à la désorganisation imputable à M. [M], le sous effectif qu'il invoque est inopérant au regard des manquements qui lui sont reprochés et dont la matérialité est établie, arguant de ce que l'intéressé ne relançait jamais le service exploitation alors qu'il était de sa responsabilité que les véhicules soient conformes, que le vidage des mémoires de masse dont la responsabilité était partagée entre M. [M] et le chef de parc, n'avaient pas été vidés depuis 2008, de sorte que des réparations demeuraient en attente.
M. [M] rétorque notamment que la procédure n'a pas été engagée à son encontre dans un délai restreint, que l'atelier était en sous-effectif et qu'après son licenciement 5 salariés ont été recrutés pour la cellule technique, qu'il n'avait pas en charge la récupération des mémoires de masse qui relevait du chef de parc, que l'absence d'initiative alléguée est contredite par l'octroi de primes exceptionnelles et par l'absence de passé disciplinaire, que la désorganisation de l'entreprise et la rotation des camions du parc dont il n'avait pas la maîtrise, ne lui permettaient de savoir où ils se trouvaient.
S'agissant des courriels produits en copie par son employeur dont M. [M] sollicite le rejet mais qui ne sont pas argués de faux, la cour dans l'exercice de son pouvoir souverain, est en mesure d'en apprécier la valeur probatoire et de tenir compte le cas échéant du caractère incomplet des échanges produits, sans qu'il y ait lieu d' écarter ces pièces des débats.
En ce qui concerne le caractère tardif de l'engagement d'une procédure disciplinaire à son égard le 6 octobre 2010, les seuls courriels qu'il produit pour étayer les griefs qu'il impute au salarié, sont tous antérieurs au 14 septembre 2010, mis à part celui du 1er octobre 2010 (pièce 15 de l'employeur) émis par M. [M] concernant la péremption d'une 'semi' mais qui n'est que partiellement produite , au travers son réacheminement et qui par conséquent ne permet pas d'en appréhender l'historique et par ce biais de mesurer la justification postérieurement à cet envoi de l'engagement de la procédure disciplinaire et en particulier d'apprécier, la nécessité de procéder à la mise à pied notifiée à l'intéressé à cette date au regard de la gravité du manquement allégué.
Dans ces conditions, nonobstant le respect par l'employeur du délai de prescription de l'article L. 1332-4 du Code du travail, l'engagement d'une procédure disciplinaire et la mise à pied du salarié plus de trois semaines après la révélation des manquements les plus récents et plus de cinq semaines après le courriel du 2 septembre 2009 de M. [T] concernant l'immatriculation non conforme d'un semi en dépit de la gravité alléguée, démontrent de fait, que les fautes qui lui étaient imputées, n'avaient pas constitué pour l'employeur un obstacle à son maintien dans l'entreprise et par conséquence apparaissent tardives et de nature à ôter tout caractère sérieux au licenciement de M. [M].
Au surplus, non seulement il n'est produit aux débats aucune fiche de définition précise du poste de M. [M] et des tâches lui incombant, contrairement au contenu de l'annonce publiée en octobre 2010 pour son remplacement, mais en outre son entretien annuel évaluation en date du 4 février 2010, ne comporte aucune rubrique concernant la gestion administrative des véhicules, constituant une part importante des griefs que lui impute son employeur, le vidage des mémoires de masse, à l'origine d'interrogation lors d'une réunion en octobre 2010, relevant de la responsabilité du chef de parc.
De surcroît, la conclusion du courriel de M. [E] en date du 17 septembre 2010, au terme d'un échange de courriels entamé le 14 septembre 2010 concernant la restitution d'un véhicule endommagé par un sous-traitant, selon laquelle M. [M] ne maîtrisait pas la restitution des matériels, démontre que les manquements qui lui seraient à ce titre imputables ne pourraient relever en réalité que de l'insuffisance professionnelle, ni l'inertie imputée de manière très subjective dans la mise en oeuvre du plan d'action de M. [T], ni le caractère illégitime du refus de remise d'un bidon d'huile pour un tracteur dont la jauge était sèche, c'est à dire en manque de 6 litres sous le niveau minimum, n'étant en outre pas caractérisé.
Par ailleurs, en retenant que le salarié n'avait fait l'objet d'aucun reproche depuis son embauche en 1993 , qu'il faisait l'objet de bonnes notations et bénéficiait de nombreuses primes, que les motifs invoqués par l'employeur relevaient d'un problème d'organisation dénoncé par M. [M] dès mars 2010 et que la problématique de mémoire de masse existait depuis 2008 pour estimer que l'employeur ne rapportait pas la preuve de la faute grave, les premiers juges ont par des motifs, dont les débats devant la cour n'ont pas altéré la pertinence, fait une juste application de la règle de droit et une exacte appréciation des faits et documents de la cause, il sera seulement ajouté que contrairement à ce qui est soutenu par l'employeur, M. [M] justifie des relances qu'il opérait auprès du service d'exploitation, en particulier en ce qui concerne le passage aux mines.
Il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu de déclarer le licenciement dénué de cause réelle et sérieuse et de confirmer le jugement entrepris de ce chef.
Sur les conséquences
Compte tenu de l'effectif du personnel de l'entreprise, de la perte d'une ancienneté de 17 ans et six mois à la date du licenciement pour un salarié âgé de 41 ans ainsi que des conséquences matérielles et morales du licenciement à son égard, à raison en particulier de la difficulté à retrouver un emploi stable, ainsi que cela résulte de l'attestation Pôle emploi produite mentionnant que la perte de l'emploi qu'il avait retrouvé au 31 décembre 2013, date à laquelle il a été admis au bénéfice de l'allocation de retour à l'emploi, ainsi que cela résulte des pièces produites et des débats, il lui sera alloué, en application de l'article L 1235-3 du Code du travail (L.122-14-4 ancien), une somme de 100.000 € à titre de dommages-intérêts ;
Le licenciement étant dépourvu de cause réelle et sérieuse, le salarié peut prétendre aux indemnités de licenciement, compensatrice de préavis et de congés afférents ainsi qu'au rappel de salaire sur la mise à pied calculés sur la moyenne des trois derniers mois calculée en y intégrant le rappel de salaire au titre de l'astreinte, à la somme de 11.000 €.
L'Article 17 de la convention collective nationale du Transport Routier (annexe IV cadre) dispose qu'en cas de rupture du contrat individuel de travail du fait de l'employeur, l'indemnité de licenciement se calcule sur la base de son salaire effectif au moment de la rupture au taux de 4/10 de mois par année de présence dans la catégorie " Ingénieurs et cadres " et le cas échéant au taux de 3/10 de mois par année de présence dans les catégories " Techniciens et agents de maîtrise " et " Employés ".
M. [M] a occupé un poste d'employé ou d'agent de maîtrise du 24 avril 1993 au 1 avril 2009, soit pour une durée de 15 ans et 11 mois, de sorte que la somme due à ce titre calculée en application des dispositions sus-visées est de 52.525 € (3/10 x 11.000 € x 15 ans et 11 mois)
M. [M] a occupé un poste de cadre du 01 avril 2009 au 20 octobre 10 ainsi que pendant les trois mois préavis pour une durée totale de 22 mois, de sorte que la somme due à ce titre calculée en application des dispositions sus-visées est de 8.066,66 € (22 mois x 4/10 x 11.000€), soit une somme totale de 60591,66 € au titre de l'indemnité de licenciement.
Par ailleurs, le rappel de salaire correspondant aux 18 jours de mise pied est fixé à la somme de 6.600 € outre 660 € au titre des congés payés afférents et l'indemnité compensatrice de préavis à la somme de 33.000 € outre 3.300 € au titre des congés payés afférents.
Sur le treizième mois
Le licenciement de M. [M] étant dénué de cause réelle et sérieuse, le calcul du treizième mois doit couvre la totalité de l'année 2010 compte tenu des trois mois de préavis, il est donc fondé à réclamer la somme de 11.000 € desquels il y a lieu de déduire la somme de 2.152,22 € déjà perçue à ce titre, soit la somme de 8.847,78 €.
Sur la remise des documents sociaux
La demande de remise de documents sociaux conformes est fondée ; il y sera fait droit dans les termes du dispositif ci-dessous sans qu'il y ait lieu à astreinte ;
Sur le remboursement ASSEDIC
En vertu l'article L 1235-4 ( L 122-14-4 alinéa 2 ancien) du Code du travail dont les conditions sont réunies en l'espèce, le remboursement des indemnités de chômage par la SAS BM FRANCILIENNE , employeur fautif, est de droit ; ce remboursement sera ordonné ;
Sur les intérêts au taux légal
En application de l'article 1153 du code civil les sommes à caractère salarial porteront intérêts au taux légal à compter de la convocation de la Société devant le conseil de prud'hommes le30 juin 2011, et les sommes à caractère indemnitaire à compter de la décision qui les alloue en application de l'article 1153-1 du code civil ;
En application de l'article 1154 du code civil, la capitalisation des intérêts est de droit dès lors qu'elle est régulièrement demandée ; elle ne peut être ordonnée qu'à compter de la demande qui en est faite et ne peut rétroagir avant cette demande ; elle peut être demandée pour les intérêts antérieurs dès lors qu'une année entière s'est déjà écoulée depuis la demande, à venir dès lors qu'une année entière se sera écoulée ; il doit être fait droit à cette demande';
En ce qui concerne l'indemnité de licenciement qui n'est pas laissée à l'appréciation du juge, mais qui résulte de l'application de la loi ou de la convention collective, les intérêts sur la somme accordée au salarié courent, conformément à l'article 1153 du code civil, au jour de la réception par l'employeur de sa convocation devant le conseil de prud'hommes ;
Sur l'article 700 du Code de procédure civile
L'équité et la situation économique respective des parties justifient qu'il soit fait application de l'article 700 du code de procédure civile dans la mesure énoncée au dispositif ;
PAR CES MOTIFS,
La cour, statuant en dernier ressort et par arrêt contradictoire mis à la disposition des parties au greffe,
CONFIRME le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré le licenciement de M. [G] [M] dénué de cause réelle et sérieuse et reconnu en son principe l'existence d'une astreinte,
LE RÉFORME pour le surplus ,
et statuant à nouveau
Condamne la SOCIETE GEODISvenant aux droits de la SAS BOURGEY MONTREUIL FRANCILIENNE à verser à M. [G] [M] :
- 6.600 € à titre de rappel de salaire sur mise à pied ;
- 660€ à titre de congés payés afférents ;
- 33.000 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis ;
- 3.300 € à titre de congés payés afférents ;
- 60.591,66 € à titre d'indemnité de licenciement ;
- 8.847,78 € à titre de prime de 13ème mois ;
- 100.000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement dénué de cause réelle et sérieuse;- - 195.533,12 € à titre de rappel de salaire au titre de l'astreinte du 1er juillet 2008 au 28 octobre 2010 ;
- 19.553,31 € à titre de congés payés afférents ;
- 112.781,20 € à titre de rappel de salaire au titre du repos compensateur ;
- 11.278,12 € à titre de congés payés afférents ;
- 20.000 € à titre de dommages et intérêts pour pour violation du temps de repos journalier et hebdomadaire ;
RAPPELLE que les sommes de nature salariale porteront intérêts au taux légal à compter de la date de la réception par l'employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation, les autres sommes portant intérêts au taux légal à compter du présent arrêt ;
ORDONNE la capitalisation des intérêts en application de l'article 1154 du code civil ;
ORDONNE la remise par la société GEODIS à M. [G] [M] de l'attestation POLE EMPLOI, du certificat de travail et du bulletin de salaire conformes au présent arrêt dans le mois de sa signification ;
CONDAMNE la SOCIETE GEODIS à payer à M. [G] [M] 2.500 € en application de l'article 700 du code de procédure civile,
DÉBOUTE la SOCIETE GEODIS de sa demande fondée sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
DÉBOUTE les parties de leurs autres demandes,
ORDONNE le remboursement par la SOCIETE GEODIS à l'organisme social concerné des indemnités de chômage payées à M. [G] [M] dans les limites des six mois de l'article L 1235-4 du code du travail.
CONDAMNE la aux entiers dépens de première instance et d'appel,
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT
P. LABEY