Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 2 - Chambre 1
ARRET DU 17 MAI 2016
(n° 236 , 4 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 14/12861
Décision déférée à la Cour : Jugement du 21 Mai 2014 -Tribunal de Grande Instance de Paris - RG n° 13/02548
APPELANT
Monsieur [H] [P]
[Adresse 1]
[Localité 2]
Né le [Date naissance 1] 1943 à [Localité 3]
Représenté par Me Orly REZLAN, avocat au barreau de PARIS, toque : A0764
INTIMES
L'AGENT JUDICIAIRE DE L'ETAT
[Adresse 2]
[Adresse 2]
[Localité 1]
Représenté par Me Alexandre DE JORNA, avocat au barreau de PARIS, toque : C0744
MINISTERE PUBLIC :
L'affaire a été communiquée au Ministère Public, représenté par Monsieur Jérôme BETOULLE, Avocat Général, qui a fait connaître son avis par conclusions écrites en date du 24 Juin 2015.
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 10 Février 2016, en audience publique, devant la Cour composée de :
M. Jacques BICHARD, Président de chambre
Madame Marie-Sophie RICHARD, Conseillère
Mme Marie-Claude HERVE, Conseillère
qui en ont délibéré
Greffier, lors des débats : Mme Lydie SUEUR
ARRET :
- Contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par M. Jacques BICHARD, président et par Mme Lydie SUEUR, greffier.
*****
Sur le fondement de l'article L 141-1 du code de l'organisation judiciaire, invoquant le déni de justice en raison de la durée déraisonnable de l'instruction pénale à ce jour non terminée, M. [H] [P] qui a été mis en examen le 19 décembre 2002, à la suite du décès d'enfants dû à un variant de la maladie de Creutzfeldt-Jacob, des chefs d'homicide involontaire, de violation manifestement délibérée d'une obligation de sécurité, tromperie sur l'origine, la qualité, ou la quantité d'une marchandise dangereuse pour la santé de l'homme, de faux et usage de faux, de mise en danger d'autrui, faits supposés avoir été commis au sein de la société DISTRICOUPE dont il était le directeur des achats et qui était le fournisseur exclusif et la filiale de la société BUFFALO GRILL, a recherché la responsabilité de l'Etat devant le tribunal de grande instance de Paris dont il a déféré à la cour le jugement rendu le 21 mai 2014 auquel il est expressément renvoyé pour l'exposé précis des circonstances de la cause, qui l'a débouté de l'intégralité de sa demande.
Vu les dernières conclusions communiquées par la voie électronique le 18 janvier 2016 par M. [H] [P] qui, arguant de l'absence de disjonction des affaires de santé publique et de fraude alimentaire qui n'avaient aucun lien entre elles, ce qui a eu pour conséquence d'allonger anormalement les délais de traitement, alors que la Cour de cassation a annulé par un arrêt du 1er octobre 2003 sa mise en examen pour homicide involontaire, demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris et de condamner l'agent judiciaire de l'Etat à lui payer la somme de 150 000 euros en réparation de son préjudice moral, outre une indemnité de 15 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Vu l'ordonnance rendue le 14 avril 2015 par le conseiller de la mise en état qui a déclaré irrecevables les conclusions communiquées par la voie électronique le 21 novembre 2014 par l'agent judiciaire de l'Etat .
Vu l'avis écrit en date du 24 juin 2015 dont il n'est pas contesté que les parties en ont eu régulièrement connaissance, aux termes duquel le Ministère Public conclut à la confirmation du jugement dont s'agit.
SUR QUOI LA COUR
C'est par des motifs appropriés que la cour adopte que le tribunal a débouté M. [H] [P] de ses demandes.
En effet au regard des exigences de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, le délai raisonnable pour tout justiciable de voir statuer sur ses prétentions est une notion dont l'appréciation in concreto est fonction de la nature et de la complexité de l'affaire, du comportement du requérant et des autorités compétentes.
En l'espèce il est certes constant qu'un délai de 11 ans et 7 mois s'est écoulé entre la mise en examen de M. [H] [P] et l'arrêt prononcé le 5 juillet 2013 par la chambre de l'instruction de cette cour qui a ordonné la disjonction des faits reprochés à l'appelant et dit qu'il n'y avait lieu à suivre à son encontre des chefs de tromperie sur l'origine, la qualité, ou la quantité d'une marchandise dangereuse pour la santé de l'homme et de mise en danger d'autrui par violation de la réglementation sur l'estampillage ou l'importation de viandes anglaises et ceci malgré les demandes de disjonction que celui-ci a présentées les 17 février 2009, 2 juin 2010, 16 mars 2011, 20 octobre 2011, les trois premières demandes ayant été rejetées par le juge d'instruction alors qu'à la suite de la quatrième, demeurée sans réponse, l'intéressé a directement saisi le président de la chambre de l'instruction.
Mais la complexité de l'affaire résultant du nombre important de personnes concernées (mis en examen et témoins ) et de la dimension internationale du litige, ainsi que de ses enjeux en termes de santé publique dés lors qu'il existait un risque sérieux de fraude alimentaire lié à une violation de l'embargo de la viande bovine en provenance de Grande Bretagne décrété en 1996, ont justifié le nombre important et la durée des interrogatoires, des commissions rogatoires tant nationales ( écoutes téléphoniques et perquisitions au sein de multiples sociétés), qu' internationales ( Allemagne, Autriche, Hollande, Italie ), des investigations menées en France mais aussi en Irlande, et des expertises ordonnées (M. [N], M. [J], expert en informatique M. [G], M. [R], expert en comptabilité ) dont la nécessité à la manifestation de la vérité n'est pas remise en cause et alors qu'il n'est pas davantage démontré que ces différents événements ne se sont pas déroulés de façon régulière et constante sans temps de latence particulier.
Ainsi dans son arrêt du 21 février 2003 la chambre de l'instruction de cette cour, statuant sur appel du rejet par le juge des libertés et de la détention de la demande de mise en liberté présentée par M. [H] [P] constatait la nécessité de poursuivre des investigations notamment auprès de fournisseurs avec lesquels celui-ci était en relation.
Dans son ordonnance du 17 mars 2003 le juge des libertés et de la détention mentionnait également les investigations en cours afin de vérifier très précisément la provenance des viandes utilisées et le rôle exact tenu au quotidien par l'appelant dans le choix des origines et des quantités de viandes achetées.
Le juge d'instruction, dans son ordonnance de rejet de la première demande de disjonction présentée par M. [H] [P] rendue le 17 mars 2009 relevait notamment que l'expertise alors confiée à M. [J], expert dont le rapport numéro 2 venait de lui parvenir, n'était pas terminée, l'expert devant rédiger un rapport numéro 3 portant notamment 'sur le lien entre les factures VAN STAR MEAT et DISTRICOUPE, ce dernier point intéressant particulièrement Monsieur [P] qui se fournissait chez VAN STAR MEAT '.
Egalement dans son ordonnance du 25 juin 2010, le juge d'instruction invoquait la nécessité de poursuivre l'instruction contre l'intéressé au motif que ' les seuls résultats de l'expertise informatique de M. [J] n'ayant pu intéresser qu'une période du dernier trimestre 2000 étant inopérants pour innocenter en l'état M. [P] qui se fournissait chez [W] ' il convenait dés lors de procéder à la mise en examen, prévue en juillet 2010, de son employé, M. [Z], et dans ces circonstances, il ne peut davantage être valablement reproché au juge d'instruction, ainsi que le fait M. [H] [P], d'avoir tardé pour procéder à la mise en examen de cette personne.
Tout autant dans son ordonnance du 8 avril 2011 le juge d'instruction mentionnait la nécessité d'une confrontation entre l'appelant et M. [Z], laquelle certes n'a pas eu lieu, ce qui peut cependant s'expliquer par les déclarations de M. [Z] qui a toujours contesté avoir contrevenu à l'embargo sur les viandes provenant de Grande Bretagne et avoir soudoyé M. [H] [P] ( page 17 du réquisitoire définitif ).
Enfin, lorsqu'il a estimé que la disjonction pouvait intervenir, il importe de relever, ainsi que cela résulte du réquisitoire définitif du 12 avril 2013 que le juge d'instruction, au demeurant concomitamment à la quatrième demande présentée par M. [H] [P], a, aux termes d'une ordonnance de soit communiqué du 27 octobre 2011, saisi le Parquet à cette fin.
Quant à la critique particulièrement portée par l'appelant dénonçant un délai de plus de deux ans entre le retour en juin 2005 d'une commission rogatoire exécutée en Grande Bretagne et la désignation en novembre 2007 de M. [J] en vue d'une nouvelle mission d'expertise en informatique, celle-ci ne peut être retenue dans la mesure où M. [H] [P] ne produit pas aux débats les éléments de la procédure pénale qui seuls
permettraient à la cour de vérifier les circonstances et la chronologie des multiples événements de la procédure pénale ayant déterminé le juge d'instruction à désigner à plusieurs reprises l'expert [J].
Ainsi il s'avère que les faits de tromperie et de mise en danger d'autrui reprochés à l'appelant ont nécessité jusqu'en 2011 des investigations nombreuses et approfondies, notamment d'ordre comptable et informatique, dont la mise en oeuvre a exigé du temps, alors même que le réquisitoire définitif rappelle que M. [H] [P] dont l'honnêteté était remise en cause par plusieurs personnes qui l'accusaient de 'toucher des enveloppes', 'est ainsi apparu tout au long des investigations comme l'élément déterminant au sein de la cellule DISTRICOUPE, boucher de formation, ancien chef boucher des boucheries BERNARD, il avait une parfaite connaissance de l'ensemble des intervenants de la filière de la viande bovine et une expérience professionnelle, de sorte que de l'avis unanime c'était lui qui avait le pouvoir dans l'entreprise et non pas [V] [Y], pourtant directeur général' et que de nombreux témoignages concordants accréditaient l'hypothèse selon laquelle, postérieurement à l'embargo, des viandes dont l'estampille avait été retirée, et donc très probablement d'origine britannique, avaient été livrées et travaillées par DISTRICOUPE.
Et seul l'ensemble de ces investigations nécessaires, réalisées à la requête du juge d'instruction a permis de parvenir à l'arrêt de renvoi des fins des poursuites des chefs de tromperie et de mise en danger d'autrui rendu par la chambre de l'instruction de cette cour.
En conséquence le refus de disjonction opposé par le juge d'instruction ne peut être considéré comme ayant constitué une cause anormale de l'allongement déraisonnable de l'instruction pénale et ceci quand bien même M. [H] [P] n'a été entendu qu'une seule foie, en 2003, par le juge d'instruction.
Le jugement déféré est donc confirmé.
La solution du litige au regard de l'équité ne commande pas d'allouer à l'appelant une indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Confirme le jugement déféré.
Condamne M. [H] [P] aux dépens.
LE GREFFIER,LE PRESIDENT,