RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 7
ARRÊT DU 12 Mai 2016
(n° 326 , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 15/06531
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 19 Mai 2015 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de FONTAINEBLEAU - RG n° 14/00199
APPELANTE
Association COMITE D'ENTRAIDE AUX FRANCAIS RAPATRIES (Association CEFR)
[Adresse 1]
[Adresse 2]
non comparante, représenté par Maître Vatier, avocat du barreau de Paris (P 82)
INTIMEE
Madame [I] [F] épouse [S]
[Adresse 3]
[Adresse 4]
née le [Date naissance 1] 1970 à [Localité 1]
comparante et assistée de Maître BAUDIN-VERVAECKE (D 1390)
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 12 Février 2016, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Mme Pascale WOIRHAYE, Conseillère, chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de:
- Monsieur Patrice LABEY, Président de chambre
- Monsieur Philippe MICHEL, Conseiller
- Madame Pascale WOIRHAYE, conseillère
qui en ont délibéré
Greffier : Mme Fanny MARTINEZ, lors des débats
ARRET :
- CONTRADICTOIRE
- mis à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Monsieur Patrice LABEY, Président, et par Madame Cécile DUCHE-BALLU, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par la magistrate signataire.
FAITS ET PROCEDURE
Madame [I] [S] a été engagée par contrat à durée indéterminée à compter du 1er janvier 2010 comme aide médico-psychologique par l'association Comité d'entraide aux Français rapatriés (le CEFR) pour être mise à disposition de l'EHPAD [Établissement 1], après avoir exercé la fonction d'agent de soins dans cet établissement du 15 septembre 2008 au 31 octobre 2009. Madame [I] [S] était affectée à l'unité de vie sécurisée des résidents désorientés.
L'entreprise emploie plus de 11 salariés et elle est assujettie à la convention collective nationale FEHPA51. La rémunération moyenne mensuelle de Madame [I] [S] était de 1.904.09 €.
Par courrier du 27 mai 2014, Madame [I] [S] a été convoquée à l'entretien préalable au licenciement du 10 juin 2014 et mise à pied du 27 mai 2014 au 23 juin 2014, date de son licenciement pour faute grave.
Elle a saisi le Conseil de prud'hommes de Fontainebleau le 28 juillet 2014 pour solliciter dans le dernier état de ses demandes que le licenciement soit jugé nul ou sans cause réelle et sérieuse et obtenir outre un rappel de salaires pour la période de la mise à pied et les congés afférents, des indemnités de rupture et dommages et intérêts, la remise des documents de fin de contrat sous astreinte,
ainsi que les frais irrépétibles et dépens.
Par jugement en date du 19 mai 2015, l'Association CEFR a été condamnée à verser à Madame [I] [S], avec intérêts de droit, les sommes suivantes :
- 1.771,15 € au titre de rappel de salaire, et 177,15 € de congés payés afférents,
- 3 808.18 € au titre de l'indemnité compensatrice de préavis et 380.81 € de congés payés afférents,
- 1 713.67 € au titre de l'indemnité de licenciement,
- 10.000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- 1.500 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
La remise des documents de rupture a été ordonnée sous astreinte.
Le CEFR a formé régulièrement appel par son conseil le 29 juin 2015 de la décision qui lui avait été notifiée le 24 juin 2015.
L'affaire a été évoquée contradictoirement à la première audience en date du 12 février 2016, les parties ayant précisé s'être entendues pour que l'indemnité de licenciement ne soit pas immédiatement exécutée par l'appelante.
Vu les écritures développées oralement devant la Cour par l'Association France HORIZON venant aux droits du CEFR au soutien de son argumentation en appel par lesquelles elle a demandé que le jugement, qui comporte une contradiction notoire entre le motif de bien fondé du licenciement et la condamnation de l'employeur pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, soit infirmé et que Madame [I] [S] soit déboutée de toutes ses demandes Elle a sollicité à titre reconventionnel que Madame [I] [S] soit condamnée à :
- lui rembourser la somme de 6.499,04 € versée au titre de l'exécution provisoire,
- lui payer la somme de 3.000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
- payer les entiers dépens.
Vu les écritures développées oralement devant la Cour par Madame [I] [S] tendant à obtenir l'entière confirmation du jugement et y ajoutant, la condamnation du CEFR à lui payer la somme de 2.500 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Pour un exposé complet des prétentions et moyens des parties, la Cour renvoie à leurs écritures visées par le greffier le 27 janvier 2016, auxquelles leurs conseils respectifs se sont expressément référés.
MOTIFS DE L'ARRÊT
Sur le motif du licenciement
La lettre de licenciement qui fixe les limites du litige est ainsi rédigée :
'Je vous ai convoquée le 10 juin 2014 à un entretien préalable à une sanction que j'envisageais à votre égard. Les explications que vous avez fournies au cours de cet entretien ne m'ont pas permis de modifier mon appréciation des faits et j'ai décidé de vous licencier pour les motifs suivants :
- Le 22 mai 2014 à 13 heures 15, vous avez administré une dose de resperidone à une résidente qui gémissait en raison d'une douleur au poignet. Vous ne vous êtes pas souciée de la posologie et n'avez pas informé l'équipe médicale de votre décision prise pour votre propre tranquillité et non pas pour le bien être de la personne prise en charge sur laquelle vous avez crié après avoir dit à une stagiaire « ça ne va pas le faire ».
- Le même jour, à 19 heures 30, vous avez renvoyé sans ménagement une résidente de la pièce où vous vous trouviez lui disant d'un ton fort qu'il « fallait qu'elle reste dans sa chambre, que tout le monde est couché ». Cette remarque, faite sur le coup de la colère, parce que la résidente vous dérangeait pendant que vous regardiez la télévision, était bien évidemment inopportune, les personnes accueillies ayant toute la liberté pour déambuler dans l'unité de vie.
Ces deux actes graves illustrent votre attitude inadaptée à l'encontre des résidents.
Vous faites preuve d'agressivité et tenez des propos déplacés à leur égard. Ainsi :
- Vous vous moquez d'une résidente qui souffre de troubles digestifs et d'une autre personne accueillie que vous qualifiez de « chochotte ».
- Vous vous énervez lorsque les résidents s'impatientent plutôt que de tenter de les apaiser.
- Vous avez des gestes brusques à l'encontre d'un résident qui peine à sortir de son fauteuil.
- Le 26 mai, vous avez contraint une résidente à se lever alors qu'elle souhaitait rester au lit en raison de douleur au dos.
- Vous avez fait une remarque déplacée concernant le changement d'une poche de colostomie d'un résident..
- vous mangez des gourmandises devant les personnes accueillies en disant « ils me font chier à me regarder comme ça »,
- Vous couchez les résidents avec brusquerie et précipitation pour pouvoir passer des appels téléphoniques personnels et regarder la télévision.
Outre votre comportement à l'encontre des résidents, j'ai également à déplorer votre attitude à l'égard de vos collègues envers lesquels vous tenez des propos déplacés et autoritaires, ne remettant jamais en cause votre pratique pourtant perfectible. Vous avez notamment laissé une stagiaire réaliser seule des toilettes pour pouvoir vaquer à vos obligations personnelles.
Au vu de ces différents éléments, votre licenciement est prononcé pour faute grave, privative d'indemnités de licenciement et de préavis. Votre contrat prendra donc fin dès la première présentation de ce courrier'.
Il résulte des articles L.1234-1 et L.1234-9 du code du travail que, lorsque le licenciement est motivé par une faute grave, le salarié n'a droit ni à un préavis ni à une indemnité de licenciement ; la faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise même pendant la durée du préavis ; l'employeur qui invoque la faute grave pour licencier doit en rapporter la preuve.
Il résulte de la lettre de licenciement que, se plaçant d'abord sur le terrain disciplinaire, l'employeur a énoncé trois faits de maltraitance :
- deux datés du 22 mai 2014, soit à 13h15 l'administration à Madame [X] d'un médicament Resperidone sans prescription médicale et à 19h30 un comportement inadapté pour contraindre une résidente à regagner sa chambre ;
- un du 26 mai 2014, pression sur un résident de façon à l'obliger à se lever alors qu'il disait souffrir du dos.
Les autres faits attestés par témoins relèvent d'un comportement général illustrant une insuffisance professionnelle :
- comportement inadapté aux angoisses et à la désorientation des résidents,
- moqueries, gestes brusques ou remarques humiliantes envers les résidents,
- propos déplacés ou autoritaires envers les collègues de travail et stagiaires.
Le fait le plus grave concerne l'administration du Respéridone et il est nié par Madame [I] [S] qui verse aux débats le planning démontrant qu'elle ne travaillait pas le 22 mai 2014, mais le 21 mai 2014, et un extrait du cahier de liaison de l'établissement, où cet incident n'est pas inscrit. Elle nie avoir administré ce médicament le 21 mai 2014 également et verse une attestation en sa faveur de la famille de Madame [X]. En tout état de cause, elle affirme savoir parfaitement qu'elle n'est pas habilitée à administrer des médicaments d'elle-même mais seulement ce qui est préparé à l'avance par le personnel de santé.
Les deux témoins directs de ce fait sont Madame [A] [Y] et Madame [O] [U], qui le fixent, à leur attestation respective, au 21mai 2014, journée de service de Madame [I] [S] (de 13h15 à 21h). La différence d'une journée entre la lettre de licenciement et les attestations des témoins oculaires est donc une simple erreur de plume de la part de l'employeur, que la production du planning de service contribue à rectifier et qui ne fait pas grief à Madame [I] [S] qui peut exercer son droit de défense.
Madame [K] [U], stagiaire, atteste donc que le 21 mai 2014 Madame [X] souffrait du poignet et que Madame [I] [S] a dit 'elle crie trop, ça ne va pas le faire, on va la coucher' qu'elle s'est munie du médicament Risperidone et 'sans en informer l'équipe médicale ni même se soucier du dosage, elle a rempli la pipette et l'a introduite de façon agressive dans la bouche de la résidente'. Elle ajoute que Madame [I] [S] lui a demandé de l'aide pour la coucher et que le même jour elle a refusé de lui changer sa protection souillée sous prétexte qu'elle a été changée. Elle affirme : 'sa façon de vouloir coucher les résidents sans arrêt est faite de manière à se débarrasser et être tranquille pour téléphoner ou regarder la télévision'.
Madame [A] [Y], agent de soins à l'EHPAD depuis 2005, atteste également des mêmes propos concernant Madame [X] le 21 mai 2014 à 13h15 en confirmant que Madame [I] [S] avait rempli une pipette de risperdane sans regarder le dosage.
Contrairement à ce que soutient Madame [I] [S] ses collègues n'avaient pas à renseigner le cahier de liaison, mais, s'agissant d'un dysfonctionnement grave, elles étaient fondées à en référer à leur hiérarchie qui a pris la décision adaptée à la situation en adressant une lettre de convocation à Madame [I] [S] quelques jours plus tard et en la mettant à pied.
Quoiqu'en dise Madame [I] [S], qui justifie suivre des formations régulières, l'administration de médicaments non autorisée de sa part est crédible au regard de l'attestation de Madame [Q] [M], infirmière, qui indique : 'plusieurs remarques sur le traitement des résidents m'ont fait me méfier par rapport à la distribution des médicaments ('elle n'en a pas besoin, elle est bien'), de celle de Madame [M] [Z], infirmière coordinatrice, qui souligne que Madame [I] [S] discutait régulièrement les décisions médicales ou les prises en charge infirmière et transmettait ses inquiétudes aux familles, et de celle du docteur [V] [R] enfin, certifiant qu'elle avait en février 2014 rappelé à Madame [I] [S] l'importance d'orienter les familles des résidents vers les infirmières, infirmière coordinatrice et elle-même, médecin coordonnateur, pour toute question relative à l'état de santé du résident ou sa prise en charge médicale et d'informer systématiquement les infirmières en cas d'évolution de leur état de santé.
La faute professionnelle commise par Madame [I] [S], aide-soignante et aide médico-psychologique, pourtant parfaitement formée et qui n'avait jamais fait l'objet d'avertissement préalablement, consistant à administrer de son propre chef un médicament à doser de type Rispéridone nécessitant une prescription médicale, constitue une faute grave engageant la santé ou la vie du résident en situation de faiblesse, et par conséquent la responsabilité de son employeur qui rendait impossible la poursuite du contrat de travail et justifiait la mise à pied qui a suivi.
Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres griefs, le jugement sera donc infirmé en ce qu'il a jugé sans cause réelle et sérieuse le licenciement pour faute grave de Madame [I] [S]
Sur les effets du licenciement
Tirant les conséquences de la faute grave, la cour infirmera le jugement en ce qu'il a alloué à Madame [I] [S] un rappel de salaires pour la période de la mise à pied et les congés afférents, une indemnité compensatrice de préavis et les congés afférents, une indemnité légale de licenciement et des dommages et intérêts et en ce qu'il a condamné l'employeur à délivrer des documents de rupture conformes.
Il sera donné acte à l'association France HORIZON du paiement de la somme de 6.499,04 € à Madame [I] [S] en application de l'exécution provisoire, sans qu'il soit nécessaire de condamner Madame [I] [S] au remboursement, lequel devra être opéré de plein droit en suite de l'arrêt d'infirmation du jugement valant titre exécutoire à son profit.
Sur le surplus
Madame [I] [S] qui succombe en appel n'est pas fondée à obtenir l'application de l'article 700 du code de procédure civile, mais elle versera sur ce même fondement à l'association France HORIZON la somme de 1.500€ à ce titre.
Madame [I] [S] sera condamnée aux dépens d'appel.
PAR CES MOTIFS,
La cour, statuant publiquement par arrêt contradictoire mis à la disposition des parties au greffe,
INFIRME le jugement du conseil de prud'hommes de Fontainebleau en date du 19 mai 2015.
Statuant de nouveau,
DÉBOUTE Madame [I] [S] de l'intégralité de ses demandes formées contre l'Association France HORIZON venant aux droits de l'Association Comité d'entraide aux Français rapatriés.
DIT que le présent arrêt vaut titre pour le remboursement par Madame [I] [S] des sommes perçues en exécution du jugement du conseil de prud'hommes de Fontainebleau en date du 19 mai 2015.
CONDAMNE Madame [I] [S] aux dépens de l'instance d'appel et à payer à l'Association France HORIZON la somme de 1.500 euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.
REJETTE toute autre demande.
LE GREFFIERLE PRÉSIDENT