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12/05/2016 | FRANCE | N°14/10022

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 7, 12 mai 2016, 14/10022


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 7



ARRÊT DU 12 MAI 2016

(n° , pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : S 14/10022



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 17 Juin 2014 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS Section commerce RG n° F 13/11292





APPELANTE

Madame [O] [A] [E]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

représentée par Me Isabelle GOMME, avocat au barreau de

PARIS, toque : J112







INTIMEE

SAS REDER

[Adresse 2]

[Adresse 2]

représentée par Me Marilyn HAGÈGE, avocat au barreau de PARIS, toque : D0139 substitué par Me Emilie NIEUV...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 7

ARRÊT DU 12 MAI 2016

(n° , pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S 14/10022

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 17 Juin 2014 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS Section commerce RG n° F 13/11292

APPELANTE

Madame [O] [A] [E]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

représentée par Me Isabelle GOMME, avocat au barreau de PARIS, toque : J112

INTIMEE

SAS REDER

[Adresse 2]

[Adresse 2]

représentée par Me Marilyn HAGÈGE, avocat au barreau de PARIS, toque : D0139 substitué par Me Emilie NIEUVIAERT, avocat au barreau de PARIS, toque : B0566

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 03 Juillet 2015, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Monsieur Rémy LE DONGE L'HENORET, Conseiller, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Monsieur Patrice LABEY, Président de chambre

Monsieur Rémy LE DONGE L'HENORET, Conseiller

Monsieur Philippe MICHEL, Conseiller

Greffier : Madame Wafa SAHRAOUI, lors des débats

ARRET :

- CONTRADICTOIRE

- mis à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, délibéré prorogé ce jour.

- signé par Monsieur Patrice LABEY, Président, et par Madame Wafa SAHRAOUI, Greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Mme [O] [A] [E] a été embauchée par la société REDER en qualité d'assistante de clientèle, dans le cadre d'un contrat a durée déterminée du 3 décembre 2009 pour la période du 1er janvier 2010 au 28 février, renouvelé par avenant en date du 18 février 2010.

La relation contractuelle s'est poursuivie à compter du 1er avril 2010 dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée.

Mme [A] [E] qui a été successivement promue 'Chef d'équipe Référent CRC' par avenant en date du 6 avril 2010, puis Superviseur Junior le 29 juin 2011, percevait une rémunération 1985,62 € dans le dernier état des relations contractuelles régies par la convention collective de la vente à distance.

Le 25 mars 2013, la société REDER notifiait à Mme [A] [E] un avertissement au motif qu'elle aurait adopté un comportement incompatible au vu de ses obligations en tant que superviseur le 2 mars 2013.

Par lettre remise en mains propres le 29 mars 2013, Mme [A] [E] contestait cet avertissement.

Mme [A] [E] a fait l'objet le 4 avril 2013 d'une convocation à un entretien préalable, assortie d'une mise à pied a titre conservatoire remise en main propre le 8 avril 2013, qui s'est tenu le 15 avril 2013 au motif que le visionnage des caméras de surveillance des locaux réalisé à la suite de la contestation de son avertissement aurait montré que la salariée aurait eu d'autres comportements inappropriés au cours de cette journée du 2 mars 2013.

Le Comité d'Entreprise consulté par la société REDER sur le projet de licenciement de Mme [A] [E] en raison de sa qualité de membre du CHSCT, n'a pas émis d'avis, étant en partage de voix.

Le 25 avril 2013, la société REDER a notifié à Mme [A] [E] sa 'mutation disciplinaire n'entraînant pas de modification du contrat de travail ' pour les motifs suivants :

'Vous avez été amenée successivement pendant la journée du 2 mars 2013, date où vous supervisiez seule le plateau du centre relation clients du site de [Localité 1], à porter une couronne sur votre tête et faire des révérences, à porter un collant sur la tête en étant accroupie en riant auprès de personnes que vous encadriez, à coiffer une personne de votre groupe.'

Le 27 avril 2013, Mme [A] [E] a été placée en arrêt maladie.

Le 24 mai 2013, Madame [A] [E] a contesté par courrier sa mutation, indiquant 'refuser cette mutation et demander à être maintenue dans ses fonctions '.

Le 16 juillet 2013, Mme [A]-[E] a saisi le Conseil de prud'hommes de PARIS aux fins d'annulation de l'avertissement du 25 mars 2013 et de la mutation disciplinaire du 25 avril 2013 et de résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l'employeur pour harcèlement moral et/ou modification de son contrat de travail non justifiée, sans son accord malgré sa qualité de salariée protégée et a présenté les chefs de demandes suivants à l'encontre de la société REDER :

- Indemnité compensatrice de préavis . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4.264,00 € ;

- Indemnité compensatrice de congés payés sur préavis . . . . . . . . . . . . . . . . . 426,40 € ;

- Indemnité de licenciement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.931,50 € ;

- Perte de chance de pouvoir utiliser le DIF . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1.237,00 € ;

- Dommages et intérêts du fait du caractère illicite du licenciement et subsidiairement sans cause réelle et sérieuse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 31.320,00 € ;

-Dommages et intérêts spécifiques pour préjudice moral du fait du harcèlement et subsidiairement pour exécution fautive du contrat de travail . . . . . . . . 17.792,00 € ;

- Article 700 du Code de Procédure Civile . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.000,00 € ;

- Exécution provisoire article 515 Code de procédure civile ;

La Cour est saisie d'un appel formé par Mme [A] [E] contre le jugement du Conseil de prud'hommes de PARIS en date du 17 juin 2014 qui l'a déboutée de l'ensemble de ses demandes.

Postérieurement et par lettre recommandée avec accusé de réception du 18 septembre 2014, la salariée a notifié à l'employeur une prise d'acte de la rupture de son contrat.

Vu les écritures du 03 juillet 2015 au soutien des observations orales par lesquelles Mme [A] [E] demande à la cour d'infirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris et d'annuler l'avertissement en date du 25 mars 2013 ainsi que sa mutation disciplinaire signifiée le 25 avril 2013 et de juger bien fondée sa prise d'acte de rupture de son contrat de travail, de juger, qu'elle s'analyse en un licenciement nul du fait de sa qualité de salariée protégée et de condamner la societe REDER :

' à lui verser :

- au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, la somme de 4.264 € ;

-au titre des Conges Payés afférents : 426,40 € ;

- au titre de l'indemnité compensatrice de conges payés 4.326,72 € (à tout le moins 270,41 €) ;

- au titre de l'indemnité de licenciement, la somme de 3.198,00 € ;

- au titre de la perte de chance de pouvoir utiliser le DIF, 915 € ;

- au titre des dommages et intérêts du fait du caractère illicite du licenciement et subsidiairement sans cause réelle et sérieuse, 31.320 € ;

-au titre des dommages et intérêts spécifiques pour préjudice moral du fait du harcèlement et subsidiairement pour exécution fautive du contrat de travail, 17.792 € ;

' à lui délivrer sous astreinte une attestation pôle emploi conforme ;

' à lui verser la somme de 3000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Vu les écritures du 03 juillet 2015 au soutien de ses observations orales au terme desquelles la SAS REDER demande à la cour de confirmer le jugement déféré et de débouter Mme [A] de l'ensemble de ses demandes, de fixer son salaire de référence à la somme de 1985,62 € et de la condamner à lui verser 2.500 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

A l'audience du 3 juillet 2005, la cour a proposé aux parties de recourir à une mesure de médiation ce qu'elles ont acceptée. Après échec de la médiation, l'affaire a été rappelée à l'audience du 7 janvier 2016 et mise en délibéré.

Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties la cour, conformément à l'article 455 du code de procédure civile , renvoie aux conclusions déposées et soutenues l'audience ;

MOTIFS DE LA DECISION

Lorsque qu'un salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur, cette rupture produit soit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués le justifiaient, soit dans le cas contraire d'une démission ;

L'écrit par lequel le salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur, ne fixe pas les limites du litige ; dès lors le juge est tenu d'examiner les manquements de l'employeur invoqués devant lui par le salarié même si celui-ci ne les a pas mentionnés dans cet écrit ;

En droit, lorsque qu'un salarié titulaire d'un mandat électif ou de représentation prend acte de la rupture de son contrat en raison de faits qu'il reproche à son employeur, cette rupture produit, soit les effets d'un licenciement nul pour violation du statut protecteur, lorsque les faits invoqués et établis par le salarié présentent une gravité telle qu'elle est de nature à empêcher la poursuite du contrat de travail, soit, dans le cas contraire d'une démission ;

Lorsqu'elle est justifiée, la prise d'acte ouvre droit, au titre de la violation du statut protecteur, à une indemnité forfaitaire égale aux salaires que le salarié aurait dû percevoir jusqu'à la fin de la période de protection en cours.

Lorsqu'un salarié demande la résiliation judiciaire de son contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur, alors qu'il n'est plus au service de son employeur au jour où il est statué sur la demande de résiliation judiciaire, cette dernière prend effet, si le juge la prononce, au jour du licenciement.

Toutefois, dès lors que le salarié a pris acte de la rupture de son contrat de travail après avoir sollicité la résiliation judiciaire de son contrat de travail, la juridiction saisie n'a plus à statuer sur le bien fondé de la demande de résiliation.

L'employeur qui, ayant connaissance d'un ensemble de faits commis par le salarié, choisit de n'en sanctionner que certains, ne peut plus ultérieurement prononcer une nouvelle mesure disciplinaire pour sanctionner les autres faits antérieurs à la première sanction, la notification d'une mesure disciplinaire ayant pour effet d'épuiser son pouvoir disciplinaire concernant l'ensemble des faits, même distincts, imputés au salarié pendant la période antérieure.

Aux termes de l'article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Selon l'article L.1152-2 du code du travail, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral et pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés.

L'article L.1154-1 du même code prévoit qu'en cas de litige, le salarié concerné établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement et il incombe alors à l'employeur, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

En l'espèce, il est établi que les manquements imputés par Mme [A] [E] à son employeur à l'appui tant de sa demande de résiliation judiciaire que de sa prise d'acte, concernent le caractère injustifié des sanctions qui lui ont été notifiées, la modification unilatérale de son contrat de travail imposée par la société REDER alors qu'elle avait la qualité de salariée protégée et le harcèlement moral dont elle aurait été victime.

En ce qui concerne les sanctions prononcées à son encontre, la salariée invoque d'une part le caractère injustifié de l'avertissement prononcé en raison de la faible importance du fait litigieux et de l'absence de perturbation qui en aurait résulté et d'autre part de l'irrégularité de la mutation disciplinaire prononcée tant à raison de la violation du principe non bis in idem, que de l'illicéïté des moyens de surveillance mis en oeuvre par son employeur et de la violation de son statut protecteur.

L'avertissement prononcé à l'encontre de Mme [A] [E] est motivé de la manière suivante :

« Nous avons eu à regretter un comportement inapproprié à vos fonctions de « Superviseur Junior » lors de la journée du 2 mars 2013, journée pendant laquelle vous aviez la responsabilité de 17 personnes sur le plateau. Vous avez mimé un « défilé de mode » avec une couronne sur la tête en dansant et ce dans l'après-midi. Madame [Q] [L], votre responsable, vous a convoqué le 11 mars 2013 pour vous demander des explications. Vous avez reconnu les faits et vous vous êtes justifiée en reconnaissant que vous aviez eu cette attitude parce que l'activité était calme. Ces faits constituent un accomplissement défectueux de la tâche prévue dans votre contrat de travail, et nous amènent donc à vous notifier ici un avertissement qui sera versé à votre dossier personnel. Si de tels incidents se renouvelaient, nous pourrions être amenés à prendre une sanction plus grave'. »

En l'espèce, il est établi que dans l'après midi du 2 mars 2011, Mme [A] [E] qui exerçait des fonctions de superviseur junior, à l'occasion de la pause qu'elle prenait sans pour autant quitter le plateau où travaillaient l'ensemble des opérateurs placés sous sa responsabilité, a, répondant à un compliment d'un salarié sur ses qualités d'encadrant, coiffé une couronne provenant de la galette des rois organisée dans l'entreprise et opéré une révérence.

S'il est loisible à un employeur, selon la conception qu'il peut avoir de l'encadrement, de rappeler à l'ordre un superviseur dont il trouve que la familiarité du comportement à l'égard des salariés placés sous son contrôle, est de nature à affecter son autorité, l'avertissement prononcé dans telles conditions dont il ressort que les faits litigieux qui n'ont pas été directement constatés par sa hiérarchie mais rapportés de manière déformée, le défilé de mode évoqué relevant manifestement d'une interprétation subjective, apparaît disproportionné à l'égard d'une jeune salariée exempte d'antécédents disciplinaires dont les promotions successives et rapprochées démontrent une parfaite adaptation à son emploi, le relâchement reproché s'inscrivant de surcroît dans la continuité d'un moment festif organisé au sein de l'entreprise.

Par ailleurs, la mise à pied conservatoire notifiée à Mme [A] [E] le 8 avril 2013 est ainsi rédigée : "Nous avons été amené à prendre connaissance des images vidéo de la journée du samedi 02 mars 2013 et ce suite à votre contestation du 28 mars 2013. Les images, que nous avons visualisées, sont en effet très différentes d'une simple danse qui vous avait été reprochée et encore plus loin d'une révérence que vous indiquez sur votre courrier. Vous avez une tenue très indécente, aguicheuse, et incorrecte et ce devant des collaborateurs masculins. Ce comportement est inadmissible, notamment par rapport à votre rôle de Superviseur. C'est pourquoi, nous notifions par la présente, une mise pied à titre conservatoire à effet immédiat. Votre présence dans l 'entreprise n'est pas autorisée car vous perturbez de façon importante son fonctionnement. Nous vous demandons de ne plus vous représenter à votre travail jusqu'à nouvel ordre...."

En outre, la mutation disciplinaire notifiée à Mme [A] [E] le 25 avril 2013 est motivée de la manière suivante : " Vous avez été amenée successivement pendant la journée du 2 mars 2013, date où vous supervisiez seule le plateau du centre relation clients du site de [Localité 1], à porter une couronne sur votre tête et faire des révérences, à porter un collant sur la tête en étant accroupie en riant auprès de personnes que vous encadriez, à coiffer une personne de votre groupe".

Il résulte de la notification de la mise à pied sus-visée que l'employeur reconnaît avoir à la suite de la contestation par la salariée de son avertissement, visionné les enregistrements des caméras de surveillance pour constater des comportements dont il n'avait pas encore connaissance lors du prononcé de l'avertissement initial.

Dans ces circonstances, non seulement la reprise par l'employeur de l'épisode relatif à la couronne sans indiquer comme il en avait la possibilité, qu'il avait déjà fait l'objet d'un avertissement, constitue une violation du principe non bis in idem, mais il est également avéré ainsi que cela résulte du procès verbal d'huissier, que les images retenues à faute à l'encontre de Mme [A] [E] proviennent des caméras 5 et 6 pour lesquelles il n'est justifié d'aucune déclaration à la Cnil, étant de surcroît relevé que les deux seules caméras déclarées l'ont été à des fins de sécurité étrangères à la surveillance du personnel et qu'il n'est justifié d'aucune information individuelle des salariés, la panneau d'information invoqué, dont la localisation est incertaine, étant à cet égard particulièrement sommaire et non conforme aux exigences légales.

La sanction prononcée dans de telles conditions à l'égard de Mme [A] [E] est nulle et de nul effet.

Ceci étant, la décision prise par l'employeur de procéder à la mutation disciplinaire de Mme [A] [E] sans son accord, sur un poste où elle se trouvait placée sous la subordination d'une employée alors qu'elle occupait des fonctions d'agent de maîtrise, est de surcroît intervenue en violation du statut protecteur de l'intéressée membre du CHSCT, peu important qu'elle ne soit pas entrée en vigueur du fait du placement de la salariée en arrêt maladie et que l'employeur ait pu assortir la décision de précision concernant la conservation de son statut et de sa rémunération.

Au surplus, les circonstances de la rétrogradation disciplinaire prononcée à l'encontre d'une salariée qui avait antérieurement bénéficié d'une succession de promotions, à la suite de la notification d'un avertissement pour des faits dont il n'est pas démontré qu'ils aient pu effectivement affecter le fonctionnement du plateau de télé-opérateurs dont Mme [A] [E] avait la responsabilité et de la remise en main propre devant ces mêmes agents de la mise à pied conservatoire, en ce qu'elles procèdent d'un management volontairement humiliant, et excèdent les limites du pouvoir de direction de l'employeur, ont eux seuls eu pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, et ont contribué à altérer sa santé physique ou mentale ainsi que cela résulte des pièces produites aux débats en particulier du rapport d'expertise psychiatrique du Docteur [S] mais également de compromettre son avenir professionnel, et permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral à l'encontre de Mme [A] [E]..

La société REDER qui se contente d'estimer justifiées les sanctions prononcées à l'encontre de la salariée et d'affirmer que son affectation au service courrier sous la responsabilité d'une employée ne constituait pas une rétrogradation et que la dégradation de son état de santé est davantage liée à sa vie privée, ne justifie pas son attitude à l'égard de l'intéressée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement, alors que face au refus de la salariée d'occuper le poste où il l'avait mutée, il lui appartenait de solliciter l'autorisation de procéder à son licenciement ou de donner suite à la demande de rupture conventionnelle formulée par la salariée dans un tel contexte.

Compte tenu des manquements de l'employeur à l'égard de Mme [A] [E] à une période où elle bénéficiait de la protection de son statut de membre du CHSCT, il y a lieu de dire que la prise d'acte de rupture du contrat de travail de Mme [A] [E] produira les effets d'un licenciement nul.

Compte tenu de l'effectif du personnel de l'entreprise, de la perte d'une ancienneté de 3 ans et 4 mois pour une salariée âgée de 26 ans ainsi que des conséquences matérielles et morales du licenciement à son égard, en particulier la dégradation de son état de santé et le fait qu'elle ne soit pas parvenue à retrouver un emploi avec un niveau de rémunération équivalent ainsi que cela résulte des pièces produites et des débats, il lui sera alloué une somme de 15.500 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul ;

Le licenciement étant nul, le salarié peut prétendre aux indemnités de licenciement, compensatrice de préavis et de congés afférents tel qu'il est dit au dispositif, sur la base d'une moyenne de salaire de 2.132 € calculée sur les douze derniers mois et non de 1.985,62 € correspondant aux derniers bulletins de salaire.

En ce qui concerne le rappel d'indemnité compensatrice de congés payés, ainsi que le souligne l'employeur, la salariée n'est pas fondée à réclamer les congés correspondant aux périodes où elle était en arrêt de travail, de sorte qu'il y a lieu de limiter à 1.812,96 € l'indemnité correspondant au solde de 24 jours de congés non pris.

Sur le préjudice moral spécifique :

Indépendamment des conséquences de la rupture précédemment indemnisées, s'agissant en particulier de son incidence sur les capacités de Mme [A] [E] à retrouver un emploi, les faits de harcèlement dont elle a été l'objet et en particulier les circonstances de notification de la mise à pied et des termes connotés utilisés évoquant une conduite indécente et une attitude aguicheuse à l'encontre des collaborateurs masculins, qui ont manifestement affecté l'allant dont cet agent de maîtrise faisait preuve, tant sur le plan professionnel que sur le plan privé, est à l'origine d'un préjudice distinct qu'il convient d'indemniser à hauteur de 10.000 €.

Sur la perte de chance d'utiliser son droit au DIF :

La société REDER n'est pas contredite pas Mme [A] [E] quand elle indique avoir porté sur chaque feuille de paie, le montant des droits acquis à ce titre et dont le transfert peut être sollicité sur son compte personnel de formation depuis le 1er janvier 2015.

Le préjudice allégué de ce chef n'étant pas établi, il n'y a pas lieu de faire droit à la demande formulée à ce titre.

Sur la perte du bénéfice de la mutuelle :

La demande de réparation formulée à ce titre par la salariée n'étant pas chiffrée, est irrecevable.

Sur la remise des documents sociaux

La demande de remise de l'attestation Pôle Emploi rectifiée est fondée ; il y sera fait droit dans les termes du dispositif ci-dessous sans qu'il y ait lieu à astreinte ;

Sur l'article 700 du Code de procédure civile

L'équité et la situation économique respective des parties justifient qu'il soit fait application de l'article 700 du code de procédure civile dans la mesure énoncée au dispositif ;

PAR CES MOTIFS,

La cour, statuant en dernier ressort et par arrêt contradictoire mis à la disposition des parties au greffe,

INFIRME le jugement entrepris,

et statuant à nouveau

DECLARE fondée la prise d'acte de rupture du contrat de travail de Mme [O] [A] [E];

DIT que la prise d'acte de rupture du contrat de travail de Mme [O] [A] [E] produit les effets d'un licenciement nul,

CONDAMNE la SAS REDER à payer à Mme [O] [A] [E] :

- 15.500 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul;

- 1.812,96 € à titre de rappel du solde d'indemnité compensatrice de congés payés ;

- 4.264 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis ;

- 426 € au titre des congés afférents ;

- 3.198 € à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement ;

- 10.000 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral spécifique résultant du harcèlement moral ;

RAPPELLE que les sommes de nature salariale porteront intérêts au taux légal à compter de la date de la réception par l'employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation, les autres sommes portant intérêts au taux légal à compter du présent arrêt,

CONDAMNE la SAS REDER à remettre à Mme [O] [A] [E] une attestation destinée au Pôle Emploi conforme au présent arrêt dans un délai de deux mois à compter de sa signification,

CONDAMNE la SAS REDER à payer à Mme [O] [A] [E] 3.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile,

DÉBOUTE la SAS REDER de sa demande fondée sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

DÉBOUTE les parties de leurs autres demandes,

CONDAMNE la SAS REDER aux entiers dépens de première instance et d'appel,

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

P. LABEY


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 7
Numéro d'arrêt : 14/10022
Date de la décision : 12/05/2016

Références :

Cour d'appel de Paris K7, arrêt n°14/10022 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2016-05-12;14.10022 ?
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