La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

03/05/2016 | FRANCE | N°15/04845

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 2 - chambre 1, 03 mai 2016, 15/04845


Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 2 - Chambre 1



ARRET DU 03 MAI 2016



(n° 213 , 8 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : 15/04845



Décision déférée à la Cour : Jugement du 07 Janvier 2015 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 10/17548





APPELANTE



SCI LE CHATEAU DU FRANCPORT, société civile immobilière, agissant poursuites et diligences de

son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 1]

[Localité 2]



N° SIRET : 431 309 160



Représentée par Mes Sorin MARGULIS et Me Chloé BONNET, avocats au...

Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 2 - Chambre 1

ARRET DU 03 MAI 2016

(n° 213 , 8 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 15/04845

Décision déférée à la Cour : Jugement du 07 Janvier 2015 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 10/17548

APPELANTE

SCI LE CHATEAU DU FRANCPORT, société civile immobilière, agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 1]

[Localité 2]

N° SIRET : 431 309 160

Représentée par Mes Sorin MARGULIS et Me Chloé BONNET, avocats au barreau de PARIS, toque : E1850,

INTERVENANT VOLONTAIRE

Monsieur [J] [P]

[Adresse 4]

[Adresse 2]

[Localité 1]

Né le [Date naissance 1] 1951 à [Localité 5] (Angleterre)

Représenté par Me Sorin MARGULIS, avocat au barreau de PARIS, toque : E1850

INTIME

L'AGENT JUDICIAIRE DE L'ETAT

[Adresse 3]

[Localité 3]

Représenté par Me Alexandre DE JORNA, avocat au barreau de PARIS, toque : C0744

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 27 Janvier 2016, en audience publique, devant la Cour composée de :

M. Jacques BICHARD, Président de chambre

Madame Marie-Sophie RICHARD, Conseillère

Mme Marie-Claude HERVE, Conseillère

qui en ont délibéré

Greffier, lors des débats : Mme Lydie SUEUR

ARRET :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par M. Jacques BICHARD, président et par Mme Lydie SUEUR, greffier

****

La S.A CHATEAU DU FRANCFORT assurant la gestion d'une résidence hôtelière située au lieudit [Adresse 5]) a fait l'objet d'une procédure de liquidation judiciaire prononcée par un jugement du tribunal de commerce de Compiègne du 29 septembre 2000.

Le mandataire liquidateur a porté à la connaissance du procureur de la République près ce tribunal des faits qui l'ont conduit à ouvrir une information judiciaire pour banqueroute, blanchiment d'argent et abus de biens sociaux.

Dans le cadre de cette information, le juge d'instruction a ordonné le placement sous scellés du château du Francport, le 27 août 2002.

La S.C.I [Adresse 4] agissant en qualité de propriétaire du bien immobilier, a sollicité la mainlevée des scellés et le juge d'instruction a rejeté cette demande par une ordonnance du 12 janvier 2006.

Estimant que la S.C.I n'était plus valablement représentée, le président du tribunal de grande instance de Compiègne saisi sur requête du juge d'instruction a désigné un mandataire ad'hoc, le 14 avril 2006.

Une ordonnance du juge d'instruction du 26 juillet 2006 a ordonné la mainlevée des scellés. Un procès-verbal de constat a été établi par un huissier de justice le 14 septembre 2006. Le 15 septembre 2006, l'administrateur ad'hoc a adressé un courrier au juge d'instruction pour l'informer de ce que le château avait été vandalisé et vidé de ses meubles.

Le 22 avril 2009, le président du tribunal de grande instance de Compiègne a rétracté l'ordonnance désignant un administrateur ad'hoc.

Le 13 septembre 2010, la S.C.I [Adresse 4] a fait assigner l'agent judiciaire de l'Etat (AJE) devant le tribunal de grande instance de Paris sur le fondement de l'article L141-1 du code de l' organisation judiciaire, pour obtenir l'indemnisation du préjudice résultant de la dégradation de l'immeuble, évalué à 5 534 075,14 €.

Par un jugement du 7 janvier 2015, le tribunal a déclaré la S.C.I [Adresse 4] irrecevable en toutes ses demandes pour défaut de qualité à agir et l'a condamnée aux dépens.

La S.C.I [Adresse 4] a formé appel de cette décision le 3 mars 2015.

Dans ses dernières conclusions communiquées par voie électronique le 2 janvier 2016, la S.C.I [Adresse 4] sollicite l'infirmation du jugement et demande à la cour de la déclarer recevable à agir et de condamner l'AJE sur le fondement de la faute lourde à lui payer la somme de 5 534 075,14 € en réparation du préjudice matériel subi; subsidiairement de constater qu'elle a subi un préjudice anormal et spécial et condamner l'AJE sur cet autre fondement à lui payer la même somme et en tout état de cause de le condamner à lui payer une indemnité de 10 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile. A titre infiniment subsidiaire, la S.C.I [Adresse 4] déclare qu'elle ne s'oppose pas à une expertise pour déterminer l'étendue du préjudice.

Dans ses dernières conclusions communiquées par voie électronique le 6 janvier 2016, M. [J] [P] demande que son intervention volontaire soit déclarée recevable et il s'associe aux demandes présentées par la S.C.I [Adresse 4].

Dans ses dernières conclusions communiquées par voie électronique le 17 juillet 2015 décembre 2015, l'AJE réclame la confirmation du jugement, à titre subsidiaire, il conclut à l'absence de faute lourde, encore plus subsidiairement au rejet des pièces rédigées en anglais, à la réduction du préjudice et à la désignation d'un expert aux frais de la M. [J] [P].

Le ministère public a fait signifier des conclusions le 18 décembre 2015 aux termes desquelles il conclut à la recevabilité de la demabde et à l'existence d'une faute lourde. Il s'en remet sur l'appréciation du préjudice.

MOTIFS DE LA DECISION :

1 - Sur la recevabilité des demandes :

La S.C.I [Adresse 4] conclut tout d'abord à la recevabilité de sa demande au regard des règles sur la prescription quadriennale. Elle fait valoir qu'elle n'a pu avoir accès au château que le 26 juillet 2006 et qu'elle n'a eu connaissance de l'étendue des dommages que le jour des constatations de l'huissier de justice le 14 septembre suivant, de sorte que la prescription n'a commencé à courir que le 1er janvier 2007 en application de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968.

La S.C.I [Adresse 4] conclut ensuite à sa qualité à agir contestant le caractère fictif que le tribunal lui a attribué. Elle ajoute que M. [R] qui a été désigné en qualité de co-gérant non associé par une assemblée générale du 7 décembre 2006 a qualité pour représenter la S.C.I en justice, sans qu'il soit nécessaire qu'il justifie d'un mandat spécial et a également intérêt à agir.

M. [J] [P] explique que c'est uniquement grâce à son investissement financier que l'acquisition du château de francport s'est réalisée et qu'il est 'l'ayant droit économique' de la S.C.I . Il ajoute qu'en cette qualité, il subit un préjudice personnel et direct résultant de la faute lourde commise par l'Etat et qu'il a intérêt à intervenir à l'instance pour se joindre aux demandes que la société a formulées. Il conclut donc à la recevabilité de son intervention volontaire.

L'AJE conclut tout d'abord au défaut de qualité et d'intérêt pour agir de M. [R]. Il soulève en outre l'acquisition de la prescription quadriennale faisant valoir que le délai de 4 ans commence à courir s'agissant d'une créance de dommage à compter du 1er jour de l'année au cours de laquelle celui-ci s'est produit. Il conclut que l'action étant née le 1er janvier 2006, la prescription était acquise au 31 décembre 2009, soit 9 mois avant que le tribunal ne soit saisi, le 13 septembre 2010. Enfin, il soutient que la S.C.I [Adresse 4] est fictive en l'absence de volonté commune des associés de collaborer à une exploitation commune, invoquant notamment l'absence de libération du capital

social et le non paiement du prix du château. Il conclut donc à sa nullité et en conséquence à son impossibilité d'agir en justice.

Une S.C.I [Adresse 4] a été constituée le 4 mars 2000 entre la société LEXADMIN TRUST COMPANY et la société LEX HOLDING COMPANY ayant toutes deux leurs sièges sociaux aux îles Grenadines. Celui de la S.C.I a été établi au château du Francport et le capital social a été fixé à 5 300 000 F mais n'a jamais été libéré.

Si les associés n'avaient pas d'obligation à ce sujet, l'absence de libération est de nature à susciter des doutes sur leur affectio societatis alors que la réalisation de l'objet social, à savoir l'acquisition et l'exploitation de tous immeubles ou locaux d'habitation, professionnels ou commerciaux, supposait de disposer de fonds importants.

La S.C.I est devenue propriétaire du château du Francport par l'effet d'un acte notarié du 23 mai 2000. Elle l'a acquis de la société de droit irlandais RUISLIP INTERNATIONAL LTD ayant notamment pour associés M. [J] [P] et son frère [V], moyennant le prix de 5 300 000 € payé hors la vue du notaire. M. [J] [P] a expliqué à ce sujet qu'il avait prêté les fonds nécessaires à l'acquisition du château en 1998 par la société RUISLIP INTERNATIONAL et qu'il avait écrit à cette dernière qu'il avait convenu d'un prêt avec la S.C.I et que sa créance se trouvait ainsi remboursée.

La S.C.I n'avait pas de compte bancaire et les frais de sa constitution ainsi que ceux d'acquisition du château ont été payés pour un montant total de 345 000 F par la S.A [Adresse 4] liée à la société RUISLIP par un mandat de gestion verbal selon les déclarations de M. [J] [P], au moyen de fonds versés par une société étrangère.

Des travaux d'aménagement en vue de transformer les lieux en résidence hôtelière ont été réalisés à hauteur d'environ 1 8 00 000 F. Ils ont été payés par la S.A sans qu'une convention ne soit souscrite entre la S.C.I et la S.A qui a cédé son fonds de commerce le 30 septembre 2000 à la SARL FRANCPORT MANAGEMENT sans aucune contrepartie et sans que les immobilisations financées par la SA ne donnent lieu à indemnisation de la part de la S.C.I. La sarl a elle-même continué à régler les travaux pour un montant d'environ 2 millions d'euros de septembre 2000 à décembre 2001 recevant en contre partie des fonds de sociétés étrangères.

Son patrimoine ayant été placé sous scellés en 2002, l'appelante n' a entrepris aucune démarche auprès du juge d'instruction avant 2006, seul M. [P] s'inquiétant de sa dégradation. L'inertie de la S.C.I dans la gestion de son bien immobilier, a conduit le président du tribunal de grande instance de Compiègne à designer un administrateur ad'hoc chargé de veiller à la conservation et l'entretien des lieux par une ordonnance du 14 avril 2006. Il faudra attendre 3 ans pour que la S.C.I fasse valoir qu'elle était régulièrement représentée et obtienne la rétractation de cette ordonnance, le 22 avril 2009, alors même que le président a relevé qu'elle disposait d'un gérant associé depuis sa création puis à compter du 7 décembre 2006, d'un gérant non associé. Ainsi si de 2002 à 2009, la société était représentée régulièrement , il n'en demeure pas moins qu'elle s'est abstenue d'assurer elle-même la défense de ses intérêts patrimoniaux pendant toute cette période.

Néanmoins, il convient de constater que le 17 octobre 2013, la S.C.I a donné le château à bail commercial à la société TERRES DE KEOPS en cours de formation, que le 22 avril 2015 elle a sollicité du président du tribunal de grande instance de Compiègne la désignation d'un prestataire de sécurité privé chargé de la surveillance de ce bien et que le 2 juin 2015 elle a obtenu un jugement de ce même tribunal prononçant la résiliation dudit contrat.

Il ressort de ces éléments qu' au moins depuis le mois d'octobre 2013, la S.C.I [Adresse 4] représentée par son gérant, accomplit des actes juridiques en vue de réaliser son objet social et de conserver son patrimoine.

Ces circonstances ne permettent pas de considérer que la société est fictive et ses demandes ne peuvent donc être déclarées irrecevables pour ce motif.

La S.C.I qui est dotée de la personnalité morale est représentée par son gérant non associé M. [R] désigné lors d'une assemblée générale du 7 décembre 2006 ainsi qu'il est mentionné dans l'ordonnance du 22 avril 2009.

Les statuts de la S.C.I stipulent que la gérance est investie des pouvoirs les plus étendus pour agir au nom de la société en vue de la réalisation de l'objet social.

L'action en justice qui vise à obtenir de l'Etat une indemnisation à raison des dommages subis par le château du Francport entre dans l'objet social de la société et son gérant dispose donc du pouvoir pour agir en son nom, sans qu'une délibération de l'assemblée générale des associés sur ce point, soit nécessaire.

La S.C.I est propriétaire du château du Francport par l'effet de la vente notariée intervenue le 22 mai 2000 et la société venderesse n'en sollicite pas la résolution pour non paiement du prix de sorte que juridiquement l'appelante en est le propriétaire et qu'elle a donc intérêt à agir.

Enfin, la levée des scellés ayant été réalisée le 26 juillet 2006, il y a lieu de considérer que c'est à compter de cette date que la S.C.I [Adresse 4] a pu se rendre compte de l'étendue des dommages subis par le château. Le délai de la prescription quadriennale a ainsi commencé à courir le 1er janvier 2007 et non pas comme le prétend l'AJE le 1er janvier 2006 sauf à faire commencer le délai avant même que l'intéressé ait eu la possibilité matérielle d'agir ce qui conduirait à raccourcir le délai de 4 ans prévu par la loi du 31 décembre 1968.

Ce délai de 4 ans n'était donc pas expiré lorsque la S.C.I a agi en justice le 13 septembre 2010 et l'action de la S.C.I [Adresse 4] n'était pas prescrite.

L'appelante doit ainsi être déclarée recevable à agir et le jugement du 7 janvier 2015 sera donc infirmé.

2 - Sur la responsabilite de l'Etat :

A titre principal, la S.C.I [Adresse 4] soutient que la responsabilité de l'Etat est engagée sur le fondement de la faute lourde en raison du dysfonctionnement du service public de la Justice. Elle fait valoir que si elle n'était pas directement impliquée dans la procédure pénale au cours de laquelle les scellés ont été apposés, ceux-ci ont été décidés en raison des doutes existant dans l'esprit du magistrat instructeur sur les conditions dans lesquelles le château avait été acquis et sur les modalités de financement des travaux dont il avait fait l'objet. Elle ajoute qu'elle était directement concernée par la désignation de l'administrateur ad'hoc sollicitée par le juge d'instruction et qu'elle a ensuite demandé au juge la mainlevée des scellés de sorte qu'elle a bien eu la qualité d' usager du service public de la justice.

L'AJE ne lui conteste pas cette qualité, faisant uniquement valoir qu'une demande à titre subsidiaire sur le fondement de la rupture de l'égalité devant les charges publiques démontre son incertitude sur les bases juridiques de son action.

Il ya lieu de constater que la S.C.I [Adresse 4] a sollicité du juge d'instruction la mainlevée des scellés et la restitution du château du Francport et que sa demande a été rejetée par une ordonnance rendue le 12 janvier 2006, qu'elle a dû également saisir le président du tribunal de grande instance de Compiègne d'une requête en rétractation de l'ordonnance de désignation d'un administrateur chargé de veiller à la bonne conservation du château. Elle peut donc se prévaloir de la qualité d'usager du service public

de la justice et agir sur le fondement de l'article L141-1 du code de l' organisation judiciaire .

Elle fait ensuite valoir que les mesures prises par le juge d 'instruction en 2002 pour assurer la conservation du château étaient insuffisantes au regard de la nature du bien en cause et qu'à partir du 5 novembre 2004, celui-ci a été alerté à plusieurs reprises sur les risques encourus et les dégradations commises mais qu'il a fallu attendre 2006 pour que des mesures soient prises. Elle déclare qu'elle-même ne pouvait faire assurer le gardiennage des lieux tant que les scellés étaient maintenus, ce qui empêchait toute assurance.

L'AJE conteste l'existence d'une faute lourde. Il soutient que le juge d'instruction a pris les mesures nécessaires pour assurer la sécurité lors de l'apposition des scellés et il relève que celui-ci ne disposait d'aucun élément lui permettant de déterminer le propriétaire réel des lieux. Il ajoute que jusqu'à la levée des scellés, le juge n'a eu aucun interlocuteur représentant valablement la S.C.I. II relève qu'aucune demande de mainlevée des scellés n'a été présentée de 2002 à 2005, qu'une requête en ce sens a été déposée au mois de décembre 2005, qu'elle a été rejetée et que la S.C.I a renoncé à faire appel alors que l'inaptitude du service public de la justice ne peut être caractérisée que lorsque l'exercice des voies de recours n'a pas permis de réparer le mauvais fonctionnement allégué. Enfin, l'AJE soutient que l'apposition des scellés sur le château ne faisait pas obstacle à l'instauration d'un gardiennage par le propriétaire.

Le procès-verbal de saisie et d'apposition des scellés dressé le 27 août 2002, énonce les dispositions prises par le juge d'instruction :' donnons pour instruction d'apposer des verrous sur l'ensemble des portes permettant l'accès au château, à l'exception de la porte principale et ce afin de préserver les lieux et que faisons apposer une bande police autour de la totalité du château.....mentionnons que 6 jeux de clés sont placés sous scellés, une seule des portes ne comporte pas de serrure supplémentaire intérieur mais dont l'accès est bloqué de l'extérieur. Mentionnons que nous faisons placer sur la porte principale du château un verrou extérieur par le serrurier....mentionnons que nous vérifions que toutes les issues du rez de chaussée sont bien fermées (portes et fenêtres) et inaccessibles de l'extérieur...'

Ces dispositions étaient de nature à assurer une sécurité suffisante du bâtiment constituant le château du Francport et il ne peut être retenu de dysfontionnement du service public à ce stade. Il ressort en outre de ce procès-verbal que l'apposition des scellés n'a été effectuée que sur les portes du bâtiment principal et non pas sur l'accès au parc ni à la maison de gardien de sorte que la S.C.I qui savait que la propriété n'était pas couverte par une assurance, pouvait prendre les mesures nécessaires en vue d'en faire assurer le gardiennage. Si elle avait un doute sur la possibilité de mettre en ouvre un tel dispositif, elle pouvait interroger le juge d'instruction à ce sujet, ce qu'elle n'a pas fait.

Il convient ensuite de constater que la S.C.I va restée inactive du mois de juillet 2002 jusqu'au mois de décembre 2005 et qu'elle ne fera part d'aucune difficulté au juge d'instruction pendant toute cette période.

Néanmoins, le 5 novembre 2004, le conseil de M. [J] [P] a écrit au juge d'instruction que la situation du château était dramatique, qu'il était squatté, qu'il n'était pas entretenu ni assuré. Il a adressé une 2eme lettre le 11 février 2005 en mentionnant que le château serait périodiquement habité par des squatters. Enfin, le 28 mars 2006, il a de nouveau écrit au magistrat afin de lui signaler les propos d'une voisine sur les dégradations commises.

La S.C.I [Adresse 4] verse aux débats en pièce 18 une attestation datée du 10 mai 2006 présentée comme émanant du maire de la commune de [Localité 4] au Bac, dans laquelle il indique que le château est constamment visité par des pilleurs, qu'il a alerté à plusieurs reprises les autorités pour dénoncer le non respect des scellés et qu'il existerait de nombreux rapports de gendarmerie à ce sujet.

Cependant cette pièce qui ne répond pas aux exigences de l'article 202 du code de procédure civile ne sera pas prise en considération car son auteur ne peut être identifié avec certitude en l'absence de pièce d'identité et alors que cette attestation porte la mention ' P le maire' , ce qui signifie qu'il ne l'a pas personnellement signée. Par ailleurs elle n'est accompagnée d'aucune autre pièce qui permettrait de retenir l'exactitude des faits rapportés (lettre aux autorités, rapports de gendarmerie).

Néanmoins il ressort suffisamment des trois lettres adressées par le conseil de M. [J] [P] entre novembre 2004 et mars 2006 que le juge d'instruction a été informé des dégradations affectant le bâtiment sur lequel il avait fait apposer les scellés de sorte qu'il lui appartenait de prendre des dispositions pour faire assurer sa conservation, peut important que M. [J] [P] n'ait aucune qualité pour signaler les faits.

Il y a lieu de constater qu'à la suite de la lettre du 26 mars 2006, le procureur de la République a pris des réquisitions le 3 avril suivant, que le juge d'instruction a saisi le 4 avril le président du tribunal de grande instance de Compiègne d'une demande en vue de la désignation d'un administrateur ad'hoc chargé de veiller à la conservation et l'entretien du bien, et qu'une ordonnance en ce sens a été rendue le 14 avril 2006.

Il sera ainsi retenu que la carence du service public pour traiter les difficultés qui lui étaient signalées a pris fin début avril 2006 à la suite de la lettre du 26 mars précédent.

Cependant il sera retenu qu'entre le 5 novembre 2004 et fin mars 2006, le service public de la justice n'a pas réagi aux signalements qu'il a reçus alors qu'il lui appartenait d'assurer la conservation du bâtiment sur lequel il avait fait apposer des scellés et qu'il avait donc rendu inaccessible à son propriétaire.

Il importe peu que la S.C.I n'ait pas épuisé les voies de recours dès lors qu'elle se plaignait de dégradations matérielles déjà réalisées que l'exercice d'une action judiciaire n'était plus susceptible de faire disparaître.

Constitue une faute lourde engageant la responsabilité de l'Etat sur le fondement de l'article L141-1 du code de l' organisation judiciaire, toute déficience caractérisée par un fait ou une série de faits traduisant l'inaptitude du service public de la justice à remplir la mission dont il est investi.

Il y a donc lieu de retenir que la responsabilité de l'Etat se trouve engagée par l'inertie du service public de la justice pendant la période susvisée.

3 - Sur le préjudice :

La S.C.I [Adresse 4] réclame la somme de 5 534 075,14 € au titre des travaux qui ont été réalisés en vue de remettre le château en état. Elle précise qu'elle n'a pas elle-même acquitté les factures, que celles-ci l'ont été par une société HELTFIELD PROPERTIES LTD qui a cédé sa créance sur la S.C.I à M. [J] [P] et qu'elle-même a signé une reconnaissance de dette au profit de ce dernier le 9 novembre 2009. Elle verse par ailleurs aux débats un ensemble de pièces se rapportant aux travaux.

L'AJE conteste l'évaluation du préjudice relevant l'absence de pièces probantes sur l'état du château et du mobilier avant l'apposition des scellés et l'absence de pièces corroborant l'exécution des travaux dont le paiement est sollicité. Il fait valoir que les frais de restauration extérieure ne peuvent être mis à la charge de l'Etat puisqu'ils sont rendus nécessaires par la carence de la S.C.I à assurer le gardiennage des lieux.

Le préjudice indemnisable est celui qui est en relation directe avec la faute lourde retenue, c'est à dire les dégradations commises à l'intérieur du château entre novembre 2004 et début avril 2006.

Or d'une part l'état intérieur du château au moment de l'apposition des scellés n'est que partiellement connu alors que l'album photographique des gendarmes révèle des travaux inachevés; d'autre part, il y a lieu de relever que des dégradations ont été commises entre juillet 2002 et novembre 2005 ainsi que le signalait la lettre du 5 novembre 2004 alors que l'inertie totale de la S.C.I pendant cette période pour assurer la conservation de son patrimoine est avérée.

S'agissant des dégradations ayant pu être commises entre novembre 2004 et début avril 2006, il convient de relever que la lettre du 11 février 2005 ne fait mention d'aucun élément précis, indiquant seulement au conditionnel que le château serait habité périodiquement par des squatters. La lettre du 28 mars 2006 indique qu'une voisine avait fait part de dégradations de plus en plus graves comme par exemple le démontage et le vol de cheminées anciennes. Néanmoins le rédacteur de l'acte ne fait que rapporter les propos d'un tiers et ceux-ci ne peuvent donc être retenus comme constituant une preuve certaine des faits allégués.

Ainsi la S.C.I [Adresse 4] ne rapporte pas la preuve du préjudice directement imputable au dysfonctionnement du service public de la justice et une expertise ne serait pas une mesure efficace alors que le château, selon les déclarations de l'appelante, a été remis en état.

La S.C.I [Adresse 4] doit donc être déboutée de ses demandes.

Il n'y a pas lieu de faire application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

Infirme le jugement du 7 janvier 2015,

Statuant à nouveau,

Donne acte à M. [J] [P] de son intervention volontaire à l'instance,

Déclare les demandes de la S.C.I [Adresse 4] recevables,

Déboute la S.C.I [Adresse 4] de ses demandes,

Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la S.C.I [Adresse 4] aux dépens.

LE GREFFIER,LE PRESIDENT,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 2 - chambre 1
Numéro d'arrêt : 15/04845
Date de la décision : 03/05/2016

Références :

Cour d'appel de Paris C1, arrêt n°15/04845 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2016-05-03;15.04845 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award