RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 5
ARRÊT DU 14 Avril 2016
(n° 345, 5 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 13/07203
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 21 Juin 2013 par le Conseil de prud'hommes - Formation de départage de PARIS - RG n° 10/13570
APPELANTE
AGS CGEA IDF OUEST
[Adresse 1]
[Adresse 1]
représentée par Me Arnaud CLERC, avocat au barreau de PARIS, toque : T10 substitué par Me Charlotte CASTETS, avocat au barreau de PARIS, toque : T10
INTIMES
Monsieur [G] [A]
[Adresse 2]
[Adresse 2]
né le [Date naissance 1] 1978 à [Localité 1]
comparant en personne, assisté de Me Danielle MARSEAULT DESCOINS, avocat au barreau de PARIS, toque : R099
PARTIE INTERVENANTE
La SCP BTSG - Mandataire judiciaire de SARL INTERGARDE
[Adresse 3]
[Adresse 3]
non représentée
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 15 mars 2016, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Anne-Marie GRIVEL, Conseillère, chargée d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Madame Marie-Bernard BRETON, Présidente
Madame Anne-Marie GRIVEL, Conseillère
Madame Marie-Liesse GUINAMANT, Vice-Présidente placée
Greffier : M. Franck TASSET, lors des débats
ARRÊT :
- RÉPUTÉ CONTRADICTOIRE
- mis à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,
- signé par Madame Anne-Marie GRIVEL, Conseillère pour le Président empêché et par M. Franck TASSET, Greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
M. [G] [A], qui avait été engagé le 24 août 2009 par la Sarl Intergarde en qualité de chef de sécurité incendie (SSIAP2), a été convoqué le 29 mars 2010, avec mise à pied à titre conservatoire le même jour, à un entretien préalable à un licenciement fixé au 8 avril et repoussé au 28 avril, à l'issue duquel aucun licenciement n'a été décidé et la mise à pied a été maintenue sans être levée. C'est dans ces conditions que, le salarié n'ayant pas repris le travail, il a saisi la juridiction prud'homale le 21 octobre 2010 d'une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail.
Entre-temps, par jugement du 16 février 2010, le Tribunal de commerce de Paris a placé la Sarl Intergarde en redressement judiciaire, procédure qui a été convertie en liquidation judiciaire par jugement du 8 mars 2011 désignant la SCP B.T.S.G prise en la personne de Me [Q] [I] en qualité de liquidateur judiciaire.
Par jugement du 21 juin 2013, le Conseil de prud'hommes de Paris, statuant en formation de départage, a :
' prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail à effet au 21 octobre 2010 aux torts de la société,
' fixé au passif de la société Intergarde les sommes de :
- 426,69 € à titre de rappel de salaire pour le mois d'octobre 2009
- 42,66 € au titre des congés payés incidents
- 9398,92 € à titre de rappel de salaire pour les périodes de mise à pied et du 1er avril au 21 octobre 2010
- 939,89 € au titre des congés payés afférents
- 1609,83 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis
- 160,98 € au titre des congés payés incidents
- 375,62 € au titre de l'indemnité de licenciement
- et 12 000 € à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
' dit que l'AGS devra garantir le paiement de ces sommes dans la limite du plafond,
' ordonné à Me [I] la remise d'un certificat de travail, d'une attestation Pôle Emploi et des bulletins de paie du 1er avril au 21 octobre 2010 conformes au jugement dans les deux mois de sa notification,
' débouté les parties du surplus de leurs demandes,
' ordonné l'exécution provisoire,
' et inscrit les dépens au passif de la société Intergarde.
L'AGS a interjeté appel de cette décision le 19 juillet 2013.
A l'audience du 15 mars 2016, elle demande à la Cour d'infirmer le jugement, et, à titre subsidiaire, de prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail au 29 mars 2010 ou, au plus tard, au 10 juin 2010, et de débouter M. [A] de ses demandes salariales et indemnitaires. Elle rappelle en tout état de cause les limites de sa garantie.
Elle fait valoir que la mise à pied conservatoire était parfaitement justifiée compte tenu du comportement du salarié qui s'était rendu coupable de faits réitérés d'insultes, dénigrement et refus d'obtempérer, et ce, même si la procédure disciplinaire n'a pas été achevée, compte tenu du contexte économique difficile de la société qui pensait surtout à sauvegarder son activité, si bien qu'aucun salaire n'est dû pour cette période. Elle soutient que le salarié ne peut venir reprocher à la société l'absence de fourniture de travail alors qu'il a délibérément refusé de reprendre son activité à l'issue de sa mise à pied, et que sa demande de résiliation judiciaire du contrat n'est donc pas fondée. En tout état de cause, elle considère que le salarié n'étant plus au service de son employeur depuis le 29 mars 2010, dernier jour travaillé, et en tout cas depuis le 10 juin 2010, date où il a été mis en demeure de reprendre son poste, la résiliation ne peut prendre effet qu'à cette date. Elle conteste enfin le montant des indemnités de rupture sollicitées compte tenu d'une durée de travail dans l'entreprise de sept mois et demi et relève l'absence de justification du préjudice allégué.
M. [A] demande pour sa part la confirmation du jugement et la fixation au passif de la société d'une somme supplémentaire de 8000 € au titre des manquements de l'employeur.
A titre subsidiaire, si la Cour de faisait pas droit à la demande de résiliation, il demande de fixer sa créance revalorisée aux sommes de :
- 50 967,21 € à titre de rappel de salaire du 21/10/2010 au 21/06/2013,
- 5096,72 € au titre des congés payés afférents
- 3219,66 € au titre du préavis (2 mois au lieu d'un)
- 321,96 € au titre des congés payés sur préavis
- 1287,20 € à titre d'indemnité de licenciement.
Il demande également d'ordonner à Me [I] de lui remettre les bulletins de paie, l'attestation Pôle Emploi, le certificat de travail sous astreinte de 50 € par jour de retard.
Il expose qu'il a saisi le conseil de prud'hommes le 21 octobre 2010 d'une demande de résiliation judiciaire qui équivalait à une prise d'acte judiciaire de la rupture, se trouvant depuis le mois d'avril 2010 sans activité et ses demandes de reprendre le travail s'étant soldées par des refus, la société ne lui adressant plus ses plannings à partir de juin. Il considère donc que la rupture du contrat de travail est imputable à l'employeur qui l'a laissé sans travail et sans salaire, ne l'ayant même pas prévenu de l'ouverture de la procédure collective de redressement judiciaire, et que celui-ci a implicitement admis cette prise d'acte puisqu'il lui a réglé ses congés payés et qu'il n'a pas été licencié par le mandataire. Il souligne enfin que si la Cour ne prononçait pas la résiliation judiciaire au jour de la saisine, elle créerait une ancienneté plus importante lui ouvrant droit également à un rappel de salaire sur trois ans.
La SCP BTSG, prise en la personne de Me [I], bien que régulièrement convoquée par le greffe par lettre recommandée dont l'accusé de réception est revenu signé le 18 décembre 2013, n'a pas comparu à l'audience. L'arrêt sera donc réputé contradictoire.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions visées par le greffier et développées lors de l'audience des débats.
MOTIFS
Attendu qu'en application de l'article 1184 du code civil, le salarié peut demander la résiliation judiciaire de son contrat de travail en cas de manquement suffisamment grave de l'employeur à ses obligations ;
Attendu qu'il ressort des pièces produites au dossier que la société Intergarde, après avoir convoqué Monsieur [A] le 1er mars 2010 à un entretien préalable à un licenciement fixé au 9 mars auquel elle n'a donné aucune suite, l'a convoqué de nouveau le 29 mars à un entretien préalable au 8 avril, repoussé, en raison de l'arrêt de travail pour maladie du salarié, au 28 avril, en le mettant à pied à titre conservatoire ; qu'à l'issue de cet entretien elle n'a pris aucune décision ni même levé la mise à pied malgré les interrogations du salarié par lettres des 29 avril, et 3, 28 et 31 mai 2010 ; qu'elle a cependant adressé à Monsieur [A] son planning du mois de mai mais a refusé qu'il reprenne son poste, ainsi qu'il résulte tant de ses courriers auxquels elle n'a pas répondu que des attestations des collègues du salarié ; que bien que la mesure conservatoire ait pris fin automatiquement en l'absence de poursuite de la procédure disciplinaire dans le délai d'un mois après le jour de l'entretien préalable conformément à l'article L.1332-2 du code du travail, la société n'a pas fourni de travail au salarié malgré ses demandes répétées, lui a adressé début juin le planning du mois de mai et n'a pas répondu à sa protestation du 10 juin 2010, mais lui a adressé une 'mise en demeure de justification d'absence' le 22 juin suivant lui reprochant ses absences à son poste à compter du 11 juin sans lui fournir le planning correspondant ; que le salarié a encore réclamé la régularisation de sa situation par lettres recommandées des 30 juin et 5 septembre 2010 avant de saisir la juridiction prud'homale ; que l'employeur, qui n'a pas fourni de travail à l'intéressé ni payé les salaires, a ainsi violé ses obligations principales, et la résiliation du contrat de travail doit être prononcée à ses torts, produisant ainsi les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse ; que le salarié n'étant pas resté à son service, ainsi qu'il le soutient, passé la saisine du conseil de prud'hommes, est fondé à obtenir que la résiliation judiciaire soit prononcée à cette date ; que le jugement sera confirmé sur ce point ;
Attendu que le jugement sera également confirmé en ce qui concerne la condamnation au paiement du rappel de salaire jusqu'à cette date du 21 octobre 2010, dont le montant n'est pas contesté par l'appelante ; qu'à cette date, le salarié comptait plus d'un an d'ancienneté et que le jugement sera confirmé en ce qui concerne le montant des indemnités de rupture allouées justement calculées sur cette base ; qu'il en sera de même s'agissant de la remise des documents de fin de contrat, qui ne peut être assortie d'une astreinte que l'ouverture de la procédure collective interdit en vertu de l'article L.622-7 du code de commerce, étant assimilable à une demande en paiement ;
Attendu que le salarié est en droit de réclamer en réparation de la rupture de son contrat de travail des dommages-intérêts qui doivent être fixés, par application de l'article L.1235-5 du code du travail compte tenu de son ancienneté inférieure à 2 ans, en fonction de son préjudice ; que l'intéressé, qui était âgé de 32 ans au moment de la rupture, ne donne aucune justification de sa situation postérieure à celle-ci, dans une branche d'activité où les mois d'inactivité qui ont précédé sa saisine de la juridiction prud'homale lui ont permis de rechercher un emploi, l'intéressé indiquant à l'audience être actuellement pompier ; que les dommages-intérêts, qui n'ont vocation qu'à indemniser le préjudice résultant de la rupture, seront ainsi fixés à 1500 €, le jugement étant réformé sur ce point ; que par ailleurs, l'incertitude sur sa situation au sein de l'entreprise pendant plusieurs mois lui a causé un préjudice moral et financier distinct qui sera justement indemnisé par l'allocation d'une somme de 1500 € ;
Attendu que l'AGS devra garantir le paiement des sommes allouées dans la limite du plafond légal applicable ;
Attendu que le liquidateur judiciaire sera condamné au paiement des dépens de première instance et d'appel, en vertu de l'article L.641-13 du code de commerce ;
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant publiquement, par arrêt réputé contradictoire et en dernier ressort,
Confirme l'arrêt, sauf en ce qui concerne l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et les dépens ;
Statuant de nouveau sur ces chefs et y ajoutant,
Fixe au passif de la sarl Intergarde représentée par son liquidateur judiciaire la SCP BTSG, les sommes de :
- 1500 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
- et 1500 € à titre de dommages-intérêts pour manquements contractuels ;
Dit que l'AGS devra garantir le paiement de ces sommes dans la limite du plafond légal applicable ;
Condamne la SCP BTSG prise en la personne de Me [I] en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Intergarde aux dépens de première instance et d'appel.
Le Greffier Pour le Président empêché