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12/04/2016 | FRANCE | N°14/11262

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 4, 12 avril 2016, 14/11262


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS







COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 4



ARRÊT DU 12 Avril 2016

(n° , 8 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : S 14/11262



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 30 Juillet 2014 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de CRETEIL - section commerce RG n° 12/02584







APPELANTE



Madame [W], [W], [F] [G] épouse [I]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

née le

[Date naissance 1] 1961 à [Localité 1]

comparante en personne, assistée de Me Latifa MASKROT EL IDRISSI, avocat au barreau de PARIS, toque : E0025







INTIMEE



SA TRANSAT FRANCE VENANT AUX D...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 4

ARRÊT DU 12 Avril 2016

(n° , 8 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S 14/11262

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 30 Juillet 2014 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de CRETEIL - section commerce RG n° 12/02584

APPELANTE

Madame [W], [W], [F] [G] épouse [I]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

née le [Date naissance 1] 1961 à [Localité 1]

comparante en personne, assistée de Me Latifa MASKROT EL IDRISSI, avocat au barreau de PARIS, toque : E0025

INTIMEE

SA TRANSAT FRANCE VENANT AUX DROITS DE LA SOCIETE LOOK VOYAGE

[Adresse 2]

[Adresse 2]

représentée par Me Pauline MORDACQ, avocat au barreau de PARIS, toque : P0380 substitué par Me Françoise FELISSI, avocat au barreau de PARIS, toque : P0380

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 01 Mars 2016, en audience publique, devant la Cour composée de :

M. Bruno BLANC, Président

Mme Soleine HUNTER FALCK, Conseillère

Mme Roselyne GAUTIER, Conseillère

qui en ont délibéré

Greffier : Madame Chantal HUTEAU, lors des débats

ARRET :

- Contradictoire,

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile.

- signé par Monsieur Bruno BLANC, Président et par Madame Marine POLLET, Greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire

La cour est saisie de l'appel interjeté le 14.10.2010 par [W] [W] [I] du jugement rendu le 30.07.2014 par le Conseil de Prud'hommes de Créteil section Commerce, qui a débouté la salariée de l'ensemble de ses demandes ainsi que la SA TRANSAT FRANCE, venant aux droits de la SA LOOK, de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

FAITS ET DEMANDES DES PARTIES :

La SA TRANSAT FRANCE a une activité d'agence de voyages et de tourisme.

[W] [W] [I], née en 1961, a été engagée par contrat à durée indéterminée par la SA LOOK le 07.08.1995 en qualité de agent de réservation niveau III catégorie employé à temps complet.

L'entreprise est soumise à la convention collective des agences de voyage et de tourisme; elle comprend plus de 11 salariés. La moyenne mensuelle des salaires s'établit à 1.328 €.

[W] [I] a signé un avenant le 02.11.1995 relatif à la structure et au montant de son salaire.

Le 18.02.1997, le médecin du travail a déclaré la salarié apte sur poste informatique aménagé et avec aménagement d'horaires ; une réduction de son temps de travail (136 h par mois soit les lundi, mardi, jeudi et vendredi de 9h30 à 18h30) avec diminution corrélative de sa rémunération a été convenue dans un avenant signé le 25.02.1997.

Un nouvel avenant a été conclu le 02.11.1999 relatif à l'application de l'accord d'aménagement et de réduction du temps de travail.

Le 09.12.2002 les parties sont convenues dela modification des horaires de la salariée dans la journée.

[W] [I] a été mise en mi-temps thérapeutique à compter du 03.04.2008 à la suite d'un arrêt de travail pour accident de trajet.

Le 13.08.08, un avertissement lui a été notifié par son employeur pour non respect des horaires de travail, sans en informer son responsable hiérarchique en dépit des directives qui lui avaient été données ; [W] [I] a contesté cet avertissement le 11.09.08, mais la sanction a été confirmée le 06.10.08.

A la suite de la révision de la convention collective applicable, et en application de la nouvelle grille de classification, son poste a été classifié groupe B avec le statut employé, son salaire étant aligné sur le SMCG correspondant.

Le 19.08.09, [W] [I] a été classée en invalidité catégorie 1 par la CRAM IDF.

Dans un courrier du 28.10.2010, [W] [I] a dénoncé un harcèlement moral de la part de son superviseur, [E]. [E].

Un nouvel arrêt maladie est intervenu du 27.11 au 14.12.2010, suivi de congés payés puis d'arrêts de travail reconduits durant l'année 2011.

Le Dr [Q] a constaté le 10.01.2011 un stade très évolué de la maladie de Stardardt fundus flavimaculatus.

Une réunion s'est tenue le 24.11.11 en présence du médecin du travail et de membres du CHSCT pour envisager la reprise de la salariée.

[W] [I] a été déclarée apte à la reprise par le médecin du travail le 05.12.2011, sur son poste aménagé (logiciel, téléagrandisseur) avec les restrictions suivantes :

- pas de prise répétée de ligne téléphonique,

- aménagement horaire sur 3 jours consécutifs dans la semaine, 5 heures par jours à partir de 9h30 et 1 heure de pause.

Cet avis a été confirmé le 15.01.2012.

En sortant d'une visite au médecin du travail le 19.03.2012, [W] [I] a été victime d'un accident du travail et placée en arrêt de travail.

Elle a été déclarée inapte le 19.03.2012 par le médecin du travail, puis inapte au poste précédemment occupé avec danger immédiat en application de l'article R 4624-31 du code du travail le 16.04.2012 : il était précisé 'Les capacités restantes de Mme [I] prenant en compte son état de santé actuel lui permettent d'occuper tout poste au sein de votre établissement ou groupe avec les restrictions suivantes :

- pas de liaison avec le service réservation de LOOK VOYAGE,

- pas de prise répétée de ligne téléphonique,

- maintien de l'aménagement du poste actuel : logiciel, téléagrandisseur, 5 h de travail fixe, 3 jours consécutifs dans la semaine, préférable à partir de 9h30 avec une heure de pause'.

Le 21.03.2012, la SA TRANSAT FRANCE a effectué une déclaration d'accident du travail la concernant.

Les délégués du personnel ont été consulté sur le reclassement de la salariée le 24.04.2012 et ont conclu que :

- aucun des postes ouverts dans le groupe n'était compatible avec les restrictions à l'inaptitude de [W] [W] [I] ;

- il serait utile d'approfondir son reclassement au sein de l'équipe Carnets de voyage en précisant : 'S'il est difficilement imaginable qu'[W] puisse produire des carnets physiques, peut être la dématérialisation en cours permet elle de trouver un poste qui satisfasse aux exigences étudiées. Certains délégués du personnel estiment que cette possibilité existe, d'autres non'

- aucun autre service du groupe ne permet de trouver un poste qui corresponde aux restrictions envisagées.

L'employeur a répondu le 02.05.2012 que la création d'un poste adapté à la salariée n'apparaissait pas possible, tant du point de vue des restrictions à son aptitude que du risque pour le service apporté aux clients.

Dans une lettre du 16.04.2012, le médecin du travail a confirmé à l'employeur que l'état physique de la salariée ne lui permettait plus d'être sur le poste habituellement occupé, ce qui avait justifié l'application des dispositions de l'article R 4624-31 ; il appartenait à la SA TRANSAT FRANCE de procéder à des recherches de reclassement tenant compte des préconisations émises.

[W] [I] a été convoquée par lettre du 02.05.2012 à un entretien préalable fixé le 14.05.2012, puis licenciée par son employeur le 01.06.2012 pour les motifs suivants :

'Suite à une chute intervenue le 19 mars 2012 en sortant des locaux de la médecine du travail, vous avez été arrêtée jusqu'au 15 avril 2012 inclus. Lors de la visite de reprise organisée le 16 avril, le médecin du travail vous a déclarée inapte au poste que vous occupiez précédemment, à l'issue d'une seule visite, conformément à l'article R. 4624-31 du Code du travail.

L'avis d'inaptitude précisait :

« Les capacité restantes de Mme [I] prenant en compte son état de santé actuel lui permettent d'occuper tout poste au sein de votre établissement ou groupe avec les restrictions suivantes :

- pas de liaison avec le service réservation de Look Voyages ;

- pas de prise répétée de ligne téléphonique ;

- maintien de l'aménagement du poste actuel : logiciel, télé-agrandisseur, 5h de travail par jour, 3 jours consécutifs dans la semaine, préférable à partir de 9h30, avec une heure de pause, »

Nous avons alors recherché toutes les possibilités de reclassement au sein de l'entreprise et du groupe, au besoin par la mise en 'uvre de mesures telles que mutation, transformation de poste de travail, aménagement du temps de travail, sans trouver de solution compatible avec les restrictions reprises ci-dessus.

Bien que nous ignorions, l'origine de votre inaptitude, dès lors que l'avis du médecin du travail a été rendu à l'issue de la visite de reprise organisée suite à un arrêt de travail consécutif à un malaise ayant fait l'objet d'une déclaration d'accident de travail, nous avons appliqué, par prudence, les dispositions des articles L.1226-10 et suivants du code du travail.

Nous avons donc informé les délégués du personnel qu'il n'existait pas, dans l'entreprise ou dans le groupe, de poste qui, tout en correspondant à vos compétences ou à celles que vous pourriez acquérir au cours d'une formation que nous pourrions mettre en oeuvre, permette à la fois :

- de continuer à travailler dans le bureau qui a été aménagé pour répondre à votre déficience visuelle ou dans un autre aménagé de même manière ;

- de ne pas répondre au téléphone de manière répétée ;

- et de n'avoir aucun contact avec le service réservation de Look Voyages,

et les avons consultés à ce sujet, le 24 avril 2012.

Les délégués du personnel ont estimé qu' « aucun des postes actuellement ouverts dans le groupe n'était compatible avec les restrictions » précitées. Ils nous ont néanmoins demandé de réétudier une éventuelle possibilité de reclassement au sein de l'équipe Carnets de voyage, tout en précisant qu' 'aucun autre service du groupe ne permet de trouver un poste qui correspondent aux restrictions envisagées'. Cette nouvelle étude a malheureusement confirmé que votre reclassement au sein de

cette équipe était impossible. Vous trouverez ci-joint, pour votre information, la réponse apportée aux délégués du personnel à ce sujet.

Votre reclassement au sein de l'entreprise et du groupe s'avérant impossible, nous sommes au regret de vous informer que nous devons procéder à votre licenciement pour inaptitude. Votre contrat de travail sera donc rompu à la date de première présentation de la présente lettre à votre domicile.'

[W] [I] a contesté ce licenciement le 11.07.12, sanction qui a été confirmée le 20.07.2012.

Le 06.09.2012 la CPAM 94 a reconnu le caractère professionnel de l'accident du 19.03.2012.

Le CPH de Créteil a été saisi par [W] [I] le 23.10.2012 en contestation de la décision rendue.

[W] [I] demande à la cour d'infirmer le jugement dans toutes ses dispositions, et de :

- constater que [W] [W] [I] a été victime d'un harcèlement moral causé par son employeur et qu'il a conduit au prononcé de l'inaptitude de [W] [W] [I] ;

- constater que cette rupture s'analyse en un licenciement nul et de nul effet ;

- déclarer la société TRANSAT FRANCE responsable de cette rupture abusive ;

en conséquence, à titre principal :

- prononcer la nullité du licenciement de [W] [W] [I] et ordonner sa réintégration au sein de la société TRANSAT FRANCE sous astreinte définitive de 350 € par jour de retard ;

- ordonner le paiement d'une indemnité de 44 953,50 € en réparation du préjudice subi ;

- condamner la société TRANSAT FRANCE à rembourser les indemnités Pôle Emploi

perçues par la salariée à première demande, le cas échéant ;

- condamner la société TRANSAT FRANCE à verser à [W] [W] [I] la somme de 15 000 € en réparation du préjudice moral qu'elle a subi du fait du caractère vexatoire du licenciement intervenu ;

- condamner la société TRANSAT FRANCE à verser à [W] [W] [I] la somme de 50 000 € en réparation de son préjudice causé par les faits de harcèlement subis durant 8 années ;

à titre subsidiaire :

- constater l'absence de tentative sérieuse de reclassement et que le licenciement ainsi intervenu est dépourvu de toute cause réelle et sérieuse ;

Par conséquent :

- condamner la société TRANSAT FRANCE à verser à [W] [I] la somme de 1 954,50 € au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, outre la somme de 194,45 € au titre des congés payés afférents ;

- condamner la société TRANSAT FRANCE à verser à [W] [I] la somme de 1 465,86 € au titre de l'indemnité conventionnelle ;

- condamner la société TRANSAT FRANCE à verser à [W] [I] la somme de 44 953,50 € à titre de dommages-intérêts en raison du licenciement sans cause réelle ni sérieuse ;

- condamner la société TRANSAT FRANCE à verser à [W] [W] [I] la somme de 50 000 € en réparation de son préjudice causé par les faits de harcèlement subis durant 8 années ;

- condamner la société TRANSAT FRANCE à verser à [W] [W] [I] la somme de 15 000 € en réparation de son préjudice distinct subi après son licenciement ;

- dire et juger que les sommes ainsi allouées porteront intérêt au taux légal à compter de

la saisine du Conseil ;

- condamner la société TRANSAT FRANCE à la somme de 3 000 € au titre de l'article

700 du CPC et aux entiers dépens.

De son côté, la SA TRANSAT FRANCE demande de confirmer le jugement, de débouter l'appelant de toutes ses demandes et de condamner [W] [I] à payer la somme de 2.000 € pour frais irrépétibles.

SUR CE :

Il est expressément fait référence aux explications et conclusions des parties visées à l'audience.

Sur le harcèlement moral :

Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel (article L 1152-1 C.Trav) et ce indépendamment de l'intention de son auteur.

De même, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir les agissements répétés de harcèlement moral ou pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés (art L 1152-2).

Toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance de ces dispositions, toute disposition ou tout acte contraire est nul (art L 1152-3).

En cas de litige relatif à l'application de ces dispositions, dès lors que le salarié concerné apporte un commencement de preuve de faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement, il incombe à la partie défenderesse, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements pris dans leur ensemble ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ; la charge de la preuve repose sur l'employeur.

Le CPH de Créteil dans sa décision du 30.07.2014 a retenu que les faits invoqués de harcèlement moral n'étaient ni répétitifs ni constitutifs d'abus mais étaient liés aux impératifs inhérents à la bonne gestion de l'entreprise, et à tort ou à raison mal ressentis par la salariée ; l'employeur a constamment répondu aux demandes d'adaptation du poste et d'aménagement des horaires de [W] [W] [I] ; cette dernière, bénéficiant d'outils de travail adaptés à sa dégénérescence oculaire, a pu exercer son emploi pendant des années dans des conditions similaires à celles de ses collègues.

A l'appui de ses allégations, [W] [W] [I] verse aux débats divers éléments et évoque la dégradation de ses conditions de travail qui serait liée à l'arrivée de [E]. [E], sa nouvelle responsable hiérarchique depuis novembre 2004 ; elle a ainsi contesté l'évaluation établie en novembre 2004 sans recul suffisant, ainsi que les suivantes, et oppose ses bons résultats antérieurs ; or il est exact qu'en 2003 son manager, [E]. [J], avait estimé que sa performance était constante et répondait aux exigences du poste, alors que l'année suivante, [E]. [E] a conclu qu'une amélioration était requise en termes d'organisation et de travail en équipe, appréciation renouvelée le 28.06.2005, le travail en équipe étant même devenu insuffisant le 15.12.2006.

[W] [I] a affirmé avoir toujours respecté les procédures d'absence et de retard dans son courrier de contestation de l'avertissement qui lui a été notifié le 13.08.2008 et a évoqué des difficultés de transports en commun.

Elle met en avant la différence de traitement évoquée dans son courrier de dénonciation du 28.10.2010 ; ainsi sa supérieure hiérarchique effectuait ses entretiens d'évaluation en présence du directeur commercial, qui selon elle était chargé de la surveiller, et a tardé à procéder à celui de juin 2010 ; son employeur lui a répondu le 20.07.2012 en évoquant la réunion s'étant tenue le 23.11.10 et en reconnaissant le différend ayant existé avec son manager, qui lui reprochait de nombreuses erreurs et ne l'avait pas convié aux réunions de service puisque son travail était différent. Dans son attestation, sa collègue [Y]. [R] déclare que [W] [W] [I] faisait l'objet de moqueries et d'humiliations, ses responsables mettant parfois en doute son handicap, mais aussi qu'elle n'était pas invitée aux réunions d'équipe mensuelles, repas de noël, qu'elle n'était pas destinataire de certains courriels, qu'elle ne commettait pas davantage d'erreurs que les autres salariés du service.

Le Dr [H] le 08.02.2011 a fait référence à une souffrance psychique ressentie par [W] [W] [I] qui avait évoqué, notamment, des difficultés relationnelles dans son travail. Un projet de protocole a été établi pour préparer le retour au travail de la salariée lors de la réunion du 24.11.2011, sans qu'il puisse être mis en place du fait de son absence.

Ces éléments peuvent laisser présumer l'existence d'un harcèlement moral subi par [W] [W] [I].

La SA TRANSAT FRANCE de son côté observe que les évaluations apportées à partir de 2005 sont équilibrées et mettent en lumière de réelles connaissances techniques et une expérience professionnelle mais aussi une insuffisance de chiffre d'affaires et une faible implication dans les projets. [W] [I] n'a pas sollicité l'annulation de l'avertissement du 13.08.08. Pour contredire la mise à l'écart de la salariée, la SA TRANSAT FRANCE produit deux attestations signées de deux collègues, [Z]. [B] et [Q]. [U], cette dernière ayant encadré [W] [W] [I] avant [E]. [E], et qui a constaté ses retards répétés mais aussi un isolement qu'elle estime volontaire, ainsi qu'un manque de respect vis à vis de sa hiérarchie, elle n'a pas relevé de brimades alors qu'en revanche le personnel se montrait solidaire au regard de ses difficultés. La SA TRANSAT FRANCE produit des échanges de courriels faisant apparaître certaines erreurs commises par [W] [W] [I] en septembre / octobre 2010. Elle fait état de la réunion du 24.11.10 ayant eu pour objet, à la suite de la plainte formulée par la salariée et de son absence prolongée, de vérifier la réalité de ses plaintes et d'aménager ses conditions de travail ; le protocole prévoyait le changement de supérieur hiérarchique. Enfin, il n'y a pas eu d'atteinte à la vie privée du seul fait de l'ouverture d'une enveloppe contenant une fiche de paie, fait unique, ou de propos que la salariée prétend avoir entendus, et l'employeur a justifié de ses démarches vis à vis de la CPAM dans sa lettre du 20.07.2012.

Il en résulte que le harcèlement moral décrit par [W] [W] [I] n'est pas prouvé au vu des griefs qu'elle formule pris dans leur ensemble, l'employeur ayant suffisamment démontré les mesures prises, en faveur de la salariée, pour adapter son poste de travail ainsi que ses horaires à la dégradation progressive de son état de santé et de sa cécité progressive. Le Dr [Q], ophtalmologue, a posé le diagnostic de la maladie subie par [W] [W] [I] déjà en 2007 et en a constaté l'évolution en 2011. Le Dr [H], neurologue, a déclaré avoir vu [W] [W] [I] depuis 2005 et constaté la souffrance psychologique de sa patiente, les troubles évoqués étant fortement en rapport avec sa maladie.

Dans ce contexte très particulier la SA TRANSAT FRANCE justifie du comportement adapté de la responsable de [W] [W] [I] à son égard, le témoignage apporté par [Y]. [R] ne pouvant à lui seul démontrer le harcèlement ressenti ou une différence de traitement.

La nullité du licenciement ne s'impose donc pas ni la réintégration de la salariée. Le caractère vexatoire du licenciement n'est à ce stade pas démontré.

Sur le bien fondé et les conséquences du licenciement :

La SA TRANSAT FRANCE conteste le caractère professionnel de l'accident survenu le 19.03.2012 et reconnu comme tel par la CPAM 94 le 06.09.2012 ; elle allègue avoir procédé à une déclaration d'accident du travail 'par précaution' à la suite de la chute de la salariée sur le perron des locaux de la médecine du travail après la visite effectuée dans le cadre d'une inaptitude.

Or cet accident est intervenu à l'issue d'une visite de reprise au cours de la quelle le médecin du travail avait déclaré la salariée inapte et l'avait adressée à son médecin traitant, donc après reprise par la salariée de son travail, dans le cadre de son travail, sur le temps de travail. Il s'agit donc bien d'un accident du travail.

[W] [I] a été revue par le médecin du travail le 16.04.12, à l'issue de la période de suspension liée à cet accident du travail, qui l'a déclarée inapte à son poste avec danger grave et immédiat pour sa santé en cas de maintien dans le poste, et a préconisé des restrictions précises en vue d'un reclassement dans l'établissement ou le groupe.

En application de l'article L 1226-10 du code du travail il appartenait à l'employeur de prendre l'avis des délégués du personnel sur les propositions de reclassement, ce qu'il a fait tout en émettant des réserves. Il devait également proposer un emploi, tenant compte des prescriptions médicales, et aussi comparable que possible à l'emploi précédemment occupé au besoin par la mise en oeuvre de mesures telles que mutations, transformations de postes de travail ou aménagement du temps de travail.

Or les délégués du personnel ont été convoqués dès le 18.04.2012 à une réunion fixée le 24 suivant, par un courriel qui concluait après communication de la liste des postes disponibles en France : 'Nous sommes à (cette) date incapables de trouver un poste qui soit compatible avec les restrictions mentionnées par le médecin du travail'.

Certains délégués du personnel ont émis la possibilité d'un reclassement au sein de l'équipe Carnets de voyage en raison de la dématérialisation en cours. L'employeur a répondu par la négative en opposant l'absence de poste disponible dans le service et la nature d'une partie des tâches impliquant une grande réactivité ou un contact avec le service réservation qui n'aurait pas respecté les prescriptions médicales.

La liste des postes disponibles a été étudiée par les délégués du personnel qui ont conclu à leur incompatibilité avec les prescriptions médicales ; l'organigramme du groupe a été produit.

Par ailleurs, la SA TRANSAT FRANCE produit un courriel émanant de TRANSAT AT Inc (Canada) du 20.04.12 indiquant qu'il n'y avait pas de poste correspondant au profil dans les implantations hors de France.

Il en résulte que l'employeur a effectué une recherche loyale et sérieuse en vue du reclassement de la salariée, qui n'a pas abouti.

Le licenciement de [W] [W] [I] dans ces conditions est fondé sur une cause réelle et sérieuse ; il convient de confirmer la décision prise par le conseil de prud'hommes dans toutes ses dispositions.

[W] [I] invoque enfin un préjudice distinct subi après son licenciement sans apporter d'explications plus précises ; il a néanmoins été décidé que l'employeur avait justifié du traitement de son dossier postérieurement au licenciement dans le courrier du 20.07.2012.

L'équité et la situation économique des parties justifient que soient laissés à la charge de chacune d'elles les frais exposés qui ne sont pas compris dans les dépens.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement contradictoirement :

Déclare l'appel recevable ;

Confirme le jugement rendu le 30.07.2014 par le Conseil de Prud'hommes de Créteil section Commerce en toutes ses dispositions ;

Condamne [W] [I] aux dépens d'appel.

LE GREFFIER LE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 4
Numéro d'arrêt : 14/11262
Date de la décision : 12/04/2016

Références :

Cour d'appel de Paris K4, arrêt n°14/11262 : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2016-04-12;14.11262 ?
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