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31/03/2016 | FRANCE | N°15/07161

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 9, 31 mars 2016, 15/07161


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 9



ARRÊT DU 31 Mars 2016



(n° , 6 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : S 15/07161 - S 15/07545



Décision déférée à la cour : jugement rendu le 9 juin 2015 par le conseil de prud'hommes de CRÉTEIL -section encadrement- RG n° 11/03027





APPELANTE à titre principal (15/07161)

INTIMÉE à titre incident (15/07545)



Madame [I] [M] épouse [T]

[Adres

se 1]

[Adresse 2]

née le [Date naissance 1] 1963 à [Localité 1]

comparante en personne, assistée de Me Kheir AFFANE, avocat au barreau de PARIS, A0253





INTIMÉE à titre princip...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 9

ARRÊT DU 31 Mars 2016

(n° , 6 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S 15/07161 - S 15/07545

Décision déférée à la cour : jugement rendu le 9 juin 2015 par le conseil de prud'hommes de CRÉTEIL -section encadrement- RG n° 11/03027

APPELANTE à titre principal (15/07161)

INTIMÉE à titre incident (15/07545)

Madame [I] [M] épouse [T]

[Adresse 1]

[Adresse 2]

née le [Date naissance 1] 1963 à [Localité 1]

comparante en personne, assistée de Me Kheir AFFANE, avocat au barreau de PARIS, A0253

INTIMÉE à titre principal (15/07161)

APPELANTE à titre incident (15/07545)

SARL INNOTHERA SERVICE

[Adresse 3]

[Adresse 4]

représentée par Me Véronique MARTIN BOZZI, avocat au barreau de PARIS, L0305

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 21 janvier 2016, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Monsieur Benoît HOLLEAUX, conseiller, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Catherine SOMMÉ, président

Monsieur Benoît HOLLEAUX, conseiller

Madame Christine LETHIEC, conseiller

Greffier : Madame Marine POLLET, lors des débats

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Catherine SOMMÉ, président et par Madame Marine POLLET, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Vu le jugement du conseil de prud'hommes de [Localité 2] du 9 juin 2015 ayant :

- retenu sa compétence d'attribution,

- condamné la SARL INNOTHERA SERVICES à payer à Mme [I] [T] les sommes indemnitaires de 37 836,65 € à titre de licenciement sans cause réelle et sérieuse, et 1 200 € en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté Mme [I] [T] de ses autres demandes,

- condamné la SARL INNOTHERA SERVICES aux dépens ;

Vu la déclaration d'appel de Mme [I] [T] reçue au greffe de la cour le 13 juillet 2015 ;

Vu la déclaration d'appel de la SARL INNOTHERA SERVICES reçue au greffe de la cour le 22 juillet 2015 ;

Vu les écritures régulièrement communiquées et oralement soutenues à l'audience du 21 janvier 2016 auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens de Mme [I] [T] qui demande à la cour de :

-confirmer la décision entreprise en ce qu'elle a jugé son licenciement sans cause réelle et sérieuse ainsi qu'en ses dispositions au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

-l'infirmer pour le surplus et, statuant à nouveau, condamner la SARL INNOTHERA SERVICES à lui régler les sommes de :

117 456 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

29 364 € d'indemnité pour préjudice moral,

29 364 € d'indemnité pour harcèlement moral,

29 364 € d'indemnité pour discrimination liée à son état de santé,

38 022, 96 € de rappel d'heures supplémentaires et 3 802,29 € de congés payés afférents,

3 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Vu les écritures régulièrement communiquées et oralement soutenues à l'audience du 21 janvier 2016 auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens de la SARL INNOTHERA SERVICES qui demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a dit le licenciement de Mme [I] [T] sans cause réelle et sérieuse, statuant à nouveau de ce chef, de la débouter de sa demande indemnitaire afférente, de le confirmer pour le surplus, et de la condamner à lui payer la somme de 1 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

MOTIFS

La SARL INNOTHERA SERVICES a engagé Mme [I] [T] en contrat de travail à durée indéterminée à temps plein à compter du 1er février 1993 en qualité de « comptable unique » au coefficient 290 de la convention collective nationale de l'industrie textile et moyennant une rémunération de base de 12'500 francs bruts mensuels, contrat suivi d'un 1er avenant applicable le 1er février 2000 fixant le temps de travail sur la base d'un forfait au maximum de 208 jours annuels, d'un 2ème le 1er janvier 2001 lui conférant les fonctions de « responsable comptable branche production » au groupe VI-niveau C de la convention collective nationale de l'industrie pharmaceutique, d'un 3ème le 1er avril 2001 portant sa rémunération annuelle brute à 38'645,83 € payable sur 13 mois, et d'un 4ème le 1er novembre 2008 lui confiant pour une période probatoire de six mois la mission de « Responsable des services comptables ».

Par une lettre du 13 septembre 2011, la SARL INNOTHERA SERVICES a convoqué l'appelante à un entretien préalable prévu le 22 septembre avec dispense d'activité et lui a notifié le 29 septembre 2011 son licenciement pour, d'une part, ses insuffisances professionnelles se matérialisant au travers d'« une implication très insuffisante dans la mise en place du nouvel ERP SAP » qui est le nouveau progiciel de comptabilité mis en 'uvre au sein du groupe (« Plus généralement nous constatons l'absence totale de toute initiative et d'implication dans la mise en 'uvre de ce projet déterminant et relevant directement de votre mission ») avec une absence de management de l'équipe placée sous son autorité, une non clôture dans les délais des comptes de l'entreprise sur l'exercice 2010, une habitude de défaut de partage de l'information avec son adjointe, une non auto liquidation de la TVA sur les prestations de services hors Union Européenne au 22 février 2011, une non conformité avec la réglementation sur la TVA en matière d'exportations vers la Bulgarie et la Roumanie, un non traitement de la DADS 2 courant mai 2011 et, d'autre part, son « agressivité vis-à-vis des personnels ».

Dans le dernier état de la relation contractuelle de travail, Mme [I] [T] percevait un salaire de base en équivalent temps plein de 4'894,62 € correspondant à un emploi de « Responsable des services comptables » au groupe conventionnel VI-niveau C, avec la mention sur ses bulletins de paie d'une « convention de forfait jours ».

*

La SARL INNOTHERA SERVICES produit aux débats des échanges de courriels fournis notamment entre Mme [J], ingénieur d'application en charge de l'installation du nouveau progiciel de gestion comptable intégré « ERP SAP », et Mme [I] [T] qui devait assurer une contribution sans faille de son service en vue du passage sur le nouveau système informatique programmé pour le 17 janvier 2011'; dont il résulte qu'il était plus précisément demandé à cette dernière la création d'un nouveau fichier comptable permettant une interface technique avec ce progiciel'; qu'en dépit de relances courant novembre 2010 elle a été dans l'incapacité d'établir comme demandé un cahier des charges exhaustifs puisque celui qu'elle a adressé à Mme [J] le 10 du même mois, faute d'être finalisé, n'a pu été validé par les informaticiens et le contrôle de gestion'; que relancée pour donner des informations complémentaires elle ne s'est pas spontanément exécutée ce qui a contraint le responsable projet à intervenir personnellement courant décembre 2010'; qu'elle a montré le même défaut de réactivité concernant la réalisation des 590 tests d'intégration rendus nécessaires malgré les relances de la direction financière dès septembre 2010, que la direction générale a été rendue destinataire le 12 décembre 2010 d'un courriel des commissaires aux comptes l'alertant sur les retards récurrents pris par le service de la comptabilité dans la maitrise de ce progiciel même sur des opérations simples avec un risque de blocage'; qu'il en a été de même s'agissant du plan de comptes du groupe ainsi que du suivi dudit projet courant janvier-février 2011.

Au vu d'autres pièces versées par l'employeur, des carences ont également été relevées, toutes imputables à Mme [I] [T], dans la passation des écritures comptables sur le nouveau progiciel en janvier-février 2011 avec, dans le même temps, des erreurs affectant la clôture des comptes dans l'ancien système, ce qui s'est encore traduit par des retards et des négligences constatés entre février et septembre 2011 concernant la réglementation en matière de TVA sur les prestations de services et les livraisons intra-communautaires, ainsi que la DADS 2.

En réponse, l'appelante se contente d'invoquer un manque de formation et d'adaptation de la part de l'employeur alors même que le volet technique du projet était confié à un prestataire qui l'a accompagnée tout au long du processus, et que les insuffisances ainsi relevées sont en lien direct avec sa mission de responsable de la comptabilité, mission qu'elle n'a pas menée avec toute l'attention attendue sans qu'il puisse être reproché à la SARL INNOTHERA SERVICES un manque de soutien ou d'encadrement, bien au contraire, comme cela a été précédemment rappelé, peu important en définitive qu'elle ait pu être félicitée par sa hiérarchie en 2003, ce qui n'est pas en soi de nature à atténuer ses nombreux dysfonctionnements à un moment où l'entreprise attendait de sa part une collaboration exemplaire à la hauteur des responsabilités qui lui avaient été confiées.

Après infirmation du jugement entrepris sur ce point, le licenciement de Mme [I] [T] sera jugé comme reposant sur une cause réelle et sérieuse, ce qui ne pourra que conduire au rejet de sa demande indemnitaire à ce titre.

*

La décision déférée sera confirmée en ce qu'elle a rejeté la réclamation indemnitaire de l'appelante pour préjudice moral (29'364 €) lié, selon elle, aux « pressions incessantes de sa hiérarchie sur l'état d'avancement du progiciel », ce qui constituerait un manquement de la SARL INNOTHERA SERVICES à ses obligations légales de sécurité de résultat et de prévention, dès lors, d'une part, que l'employeur était légitime dans ses attentes au moment de la période critique entre septembre 2010 et février 2011 eu égard à l'importance de l'enjeu et que, d'autre part, il n'a pas occulté cette problématique sur les risques psychosociaux au travers de la création d'un « groupe projet » qui a commencé ses travaux à compter d'avril 2011.

*

Mme [I] [T] n'établit aucun fait qui permettrait de présumer qu'elle a été victime d'un harcèlement moral au sens de l'article L.1152-1 du code du travail, considérant qu'elle a été admise à un mi-temps thérapeutique conforme à son état de santé à compter du 23 mai 2011, qu'à l'issue d'une période d'arrêts de maladie du 17 au 31 août la médecine du travail l'a déclarée apte lors de la visite de reprise organisée 1er septembre 2011, que pour palier les absences de la salariée et compte tenu de ses besoins en terme d'effectif pour renforcer le service de la comptabilité l'intimée était en droit de recruter un autre « chef comptable-post projet SAP » à compter de mars 2011 en la personne de Mme [G] qui avait une fonction de support dès lors qu'il était difficile à l'appelante de reprendre son emploi sans le moindre accompagnement à une époque de suivi du développement du progiciel ERP SAP, et que rien ne vient établir qu'elle aurait été affectée à des tâches subalternes ne correspondant pas son niveau de qualification.

Le jugement critiqué sera ainsi confirmé en ce qu'il l'a déboutée de sa demande indemnitaire de ce chef (29'364 €).

*

L'appelante ne présente pas davantage des éléments de fait laissant supposer qu'elle aurait été victime d'une discrimination directe ou indirecte liée à son état de santé au sens de l'article L.1132-1 du code du travail, discrimination résultant du fait non déterminant en lui-même que dans le cadre de son mi-temps thérapeutique il lui a été demandé de travailler avec Mme [G] pour des raisons organisationnelles, avec l'intention non dissimulée de sa hiérarchie de poser des « jalons successifs » en vue de son « retour à une activité normale » - courriel du directeur financier, M. [D], du 8 septembre 2011 -, ce qui n'apparaît pas constituer une raison illicite en application du texte précité.

La décision querellée sera en conséquence confirmée en ce qu'elle a rejeté la réclamation indemnitaire à ce titre (29'364 €) de Mme [I] [T].

*

Si la SARL INNOTHERA SERVICES se prévaut de l'avenant précité applicable à compter du 1er février 2000 et qui prévoie une convention de forfait dans la limite de 208 jours de travail sur l'année par référence à l'accord collectif d'entreprise du 26 janvier 2000 en son article 5.1 stipulant que « pour les cadres, la durée du travail s'apprécie en journées de travail effectif, soit, au maximum 208 jours par an, compte tenu de la large latitude qui est la leur pour organiser leurs horaires », Mme [I] [T] lui oppose le fait que ledit avenant ne l'informe en rien sur le principe de forfaitisation concernant plus précisément les moyens de décompte et de contrôle de son temps de travail, comme l'intimée n'a pris aucune mesure propre à satisfaire l'objectif de protection en matière de droit à la santé et au repos.

L'article L.3121-43 du code du travail rappelle que : « Peuvent conclure une convention de forfait en jours sur l'année, dans la limite de la durée annuelle de travail fixée par l'accord collectif prévu à l'article L.3121-39': 1° Les cadres qui disposent d'une autonomie dans l'organisation de leur emploi du temps et dont la nature des fonctions ne les conduit pas à suivre l'horaire collectif applicable ' ».

Dans la mesure où en l'espèce cette convention de forfait en jours n'est pas de nature dans sa mise en 'uvre entre les parties à garantir que l'amplitude et la charge de travail imposées à la salariée restent raisonnables tout en assurant une répartition équilibrée de ses activités au service de l'entreprise, et donc à assurer la protection de sa santé et de sa sécurité au travail, il y a lieu de la juger nulle et de nul effet.

Dès lors que Mme [I] [T] a été soumise à tort à une convention de forfait en jours, elle peut prétendre au paiement d'un rappel d'heures supplémentaires dont il appartient à la cour de vérifier l'existence et le nombre conformément aux dispositions issues de l'article L.3171-4 du code du travail.

L'appelante étaye sa demande en produisant aux débats de nombreux courriels de nature professionnelle jusque tard en soirée, y compris certains weekends, avec des amplitudes horaires pouvant dépasser 13 heures certaines journées en semaine, ainsi qu'un décompte détaillé de son temps de travail sur la période de janvier 2008 à février 2011 à due concurrence de la somme réclamée, demande à laquelle s'oppose la SARL INNOTHERASERVICES qui se contente d'indiquer que la preuve d'heures supplémentaires n'est pas rapportée par la salariée et que seules les heures de travail commandées par l'employeur ouvrent droit à rémunération.

Au vu de ces éléments, la cour a la conviction que la salariée a effectué les heures supplémentaires alléguées.

Infirmant la décision critiquée, l'intimée sera ainsi condamnée à régler à Mme [I] [T] la somme à ce titre de 38'022,96 € et 3'802,29 € d'incidence congés payés, avec intérêts au taux légal partant du 18 novembre 2011, date de réception par l'employeur de la convocation en bureau de conciliation.

*

La SARL INNOTHERA SERVICES sera condamnée en équité à verser à l'appelante la somme complémentaire de 3'000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens d'appel.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

ORDONNE la jonction de l'instance SARL INNOTHERA SERVICES/[T] (RG 15/07545) avec l'instance principale [T]/SARL INNOTHERA SERVICES (RG 15/07161)';

CONFIRME le jugement entrepris en ses dispositions sur le préjudice moral, le harcèlement moral, la discrimination, l'article 700 du code de procédure civile et les dépens';

L'INFIRME pour le surplus et statuant à nouveau,

DIT et JUGE que le licenciement de Mme [I] [T] repose sur une cause réelle et sérieuse, en conséquence, la DÉBOUTE de sa demande de dommages-intérêts de ce chef,

CONDAMNE la SARL INNOTHERA SERVICES à régler à Mme [I] [T] la somme de 38'022,96 € à titre de rappel d'heures supplémentaires et celle de 3'802,29 € d'incidence congés payés, avec intérêts au taux légal partant du 18 novembre 2011';

Y ajoutant,

CONDAMNE la SARL INNOTHERA SERVICES à payer à Mme [I] [T] la somme de 3'000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile';

CONDAMNE la SARL INNOTHERA SERVICES aux dépens d'appel.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 9
Numéro d'arrêt : 15/07161
Date de la décision : 31/03/2016

Références :

Cour d'appel de Paris K9, arrêt n°15/07161 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2016-03-31;15.07161 ?
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