La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

31/03/2016 | FRANCE | N°15/04091

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 5, 31 mars 2016, 15/04091


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 5



ARRÊT DU 31 Mars 2016

(n° , 9 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : S 15/04091



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 27 Novembre 2014 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS RG n° 13/13870





APPELANTE

Madame [O] [R] épouse [K]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

née le [Date naissance 1] 1957 à [Localité 1]

comparante en

personne,

assistée de Me Frédérique PONS, avocat au barreau de PARIS, toque : A0193







INTIMEE

SNC PRISMA MEDIA

[Adresse 2]

[Adresse 2]

représentée par Madame [A] [U] en ve...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 5

ARRÊT DU 31 Mars 2016

(n° , 9 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S 15/04091

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 27 Novembre 2014 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS RG n° 13/13870

APPELANTE

Madame [O] [R] épouse [K]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

née le [Date naissance 1] 1957 à [Localité 1]

comparante en personne,

assistée de Me Frédérique PONS, avocat au barreau de PARIS, toque : A0193

INTIMEE

SNC PRISMA MEDIA

[Adresse 2]

[Adresse 2]

représentée par Madame [A] [U] en vertu d'un pouvoir de Madame [C] [G], Directrice des ressources humaines, en date du 22 Février 2016

assistée par Me Laurent KASPEREIT, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE, toque : 1701

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 23 Février 2016, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Marie-Bernard BRETON, Présidente, ainsi que Madame Marie-Liesse GUINAMANT, Vice-Présidente placée, chargées d'instruire l'affaire.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Madame Marie-Bernard BRETON, Présidente

Madame Anne-Marie GRIVEL, Conseillère

Madame Marie-Liesse GUINAMANT, Vice-Présidente placée

qui en ont délibéré

Greffier : Madame Laura CLERC-BRETON, lors des débats

ARRÊT :

- contradictoire

- mis à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

- signé par Madame Marie-Bernard BRETON, Présidente et par Madame Laura CLERC-BRETON, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE ET PRÉTENTIONS RESPECTIVES DES PARTIES

Mme [O] [R] épouse [K] a été engagée par la société PRISMA MEDIA, pour une durée indéterminée à compter du 3 août 1987, en qualité de rédactrice. Elle occupait en dernier lieu les fonctions de rédactrice en chef-adjointe, directrice des services Mode.

Deux avertissements lui ont été notifiés les 11 avril et 17 juin 2013, que l'intéressée a contestés en saisissant le Conseil de prud'hommes de Paris le 11 septembre 2013.

Par lettre du 11 octobre 2013, Mme [R] a été convoquée à un entretien préalable à un éventuel licenciement, fixé au 22 octobre suivant. Son licenciement lui a été notifié le 25 octobre 2013.

Par ordonnance en date du 12 mars 2014, le juge des référés a ordonné la réintégration de Mme [R], au motif que le contrat était suspendu depuis le 15 octobre 2013 dans le cadre d'un arrêt pour accident du travail. Cette décision, confirmée par arrêt du 9 octobre 2014, a été exécutée à compter du 21 mars suivant.

Par lettre du 4 avril 2014, Mme [R] a été convoquée à un nouvel entretien préalable à un éventuel licenciement, fixé au 14 avril suivant. Son licenciement lui a été notifié le 17 avril 2014.

Par jugement du 27 novembre 2014, notifié le 25 mars 2015, le Conseil de prud'hommes de Paris a condamné la société PRISMA MEDIA à payer à Mme [R] la somme de 15 000 euros au titre de la prime sur objectifs 2013, ainsi qu'une indemnité de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ; il l'a déboutée du surplus de ses demandes.

Mme [R] a interjeté appel de cette décision le 17 avril 2015.

Parallèlement, par décision du 7 décembre 2015, la commission arbitrale des journalistes a fixé à 115 000 euros le montant de l'indemnité complémentaire de licenciement due à Mme [R] .

Lors de l'audience du 23 février 2016, Mme [R] a demandé à la Cour de rejeter l'exception de sursis à statuer, de déclarer nuls les avertissements des 10 avril et 17 juin 2013 et de condamner la société PRISMA MEDIA à lui payer les sommes suivantes :

- 50 000 € au titre du préjudice moral résultant du harcèlement moral,

- 10 000 € au titre du préjudice pour manquement de l'employeur à son obligation de sécurité,

- 5 000 € au titre du préjudice moral résultant de l'avertissement du 11 avril 2013,

- 5 000 € au titre du préjudice moral résultant de l'avertissement du 17 juin 2013,

- 208 106 € au titre du préjudice subi du fait du licenciement intervenu le 17 avril 2014,

- 15 000 € au titre de la partie variable de la rémunération 2013,

- 7 320 € à titre de complément d'indemnité conventionnelle,

- le complément des sommes dues au titre de la participation pour 2014,

- 28 239 € à titre de rappel des salaires au titre des heures supplémentaires sur les 3 années antérieures à la rupture,

- 2 823,90 € à titre de rappel de congés payés

- 42 236 € à titre d'indemnité forfaitaire en application de l'article L.8223-1 du code du travail

- 10 000 € en réparation du préjudice subi du fait du manquement de l'employeur aux dispositions de l'article L. 3121-46 du même code,

- 10 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Au soutien de ses demandes, Mme [R] expose, notamment, que les appréciations de ses supérieurs ont toujours été excellentes avant que deux supérieurs hiérarchiques lui fassent subir, en 2013 et en 2014, puis lors de sa pseudo-réintégration, des agissements répétés de harcèlement moral qui ont altéré son état de santé, que les deux avertissements ont pour cause son refus de subir des faits de harcèlement moral, que son licenciement est nul pour ce motif mais également parce qu'il est motivé par l'exercice de son droit d'agir en justice, qu'à titre subsidiaire, il est dépourvu de cause réelle et sérieuse, la lettre de licenciement énonçant des motifs imprécis et les pièces produites par l'employeur n'étant pas probantes, qu'elle n'a pas perçu la prime prévue par avenant à son contrat, que la convention de forfait-jour est nulle et que ses heures supplémentaires ne lui ont pas été rémunérées, et enfin que la demande de sursis à statuer formée par la société n'est pas fondée, celle-ci cherchant, par cette manoeuvre dilatoire, à se dérober à ses obligations en invoquant une enquête pénale en cours.

En défense, la société PRISMA MEDIA demande à titre principal le sursis à statuer dans l'attente de l'issue de la procédure pénale résultant des plaintes déposées par Mme [R].

A titre subsidiaire, la société PRISMA MEDIA demande la confirmation du jugement, sauf en ce qui concerne les dispositions lui faisant grief, ainsi que la condamnation de Mme [R] à lui verser une indemnité de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile. Elle fait valoir que Mme [R] inverse les rôles en se plaignant de harcèlement moral, alors que son comportement lui avait été reproché à plusieurs reprises mais n'a fait qu'empirer, malgré les deux avertissements justifiés, et s'est encore dégradé à la suite de sa réintégration dans l'entreprise et ce, malgré plusieurs mises en garde, que son prétendu accident du travail n'a pas été reconnu comme tel par le Tribunal des affaires de sécurité sociale et le médecin du travail l'a reconnue apte, que tant les avertissements que le licenciement étaient justifiés, que Mme [R] ne démontre pas avoir rempli les objectifs lui donnant droit à la prime qu'elle réclame, que la convention de forfait-jours était valable et qu'en toute hypothèse, Mme [R] ne rapporte pas la preuve des heures supplémentaires qu'elle prétend avoir effectuées, et que la demande de complément d'indemnité conventionnelle est irrecevable.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions visées par le greffier et développées lors de l'audience des débats.

SUR QUOI, LA COUR

Sur l'exception de sursis à statuer

Attendu qu'il résulte des dispositions de l'article 378 du code de procédure civile que la juridiction civile peut surseoir à statuer dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, lorsque l'issue d'une autre procédure en cours, notamment pénale, est susceptible d'influer sur celui dont elle est saisie ; qu'en l'espèce, la société PRISMA MEDIA fait valoir que Mme [R] a porté plainte en novembre 2013 pour harcèlement moral, puis en décembre 2014 pour faux témoignage et subordination de témoins ; que, toutefois, en l'absence de toute précision sur l'état d'avancement de l'examen desdites plaintes, et alors que la présente juridiction est en mesure d'apprécier les pièces qui lui sont soumises sur un plan exclusivement social, la demande de sursis à statuer sera rejetée ;

Sur l'exécution du contrat

En ce qui concerne le harcèlement moral et le manquement à l'obligation de sécurité

Attendu qu'il résulte de l'article L.1152-1 du code du travail qu'aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ; que l'article L.1154-1 du même code prévoit qu'en cas de litige, le salarié concerné établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement et qu'il incombe alors à l'employeur, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ;

Attendu qu'au soutien de sa demande de dommages et intérêts pour harcèlement moral au cours des années 2013 et 2014, ainsi que pour manquement à l'obligation de sécurité de résultat, Mme [R] prétend notamment que son travail a été dénigré par ses supérieures hiérarchiques directes, Mme [X] et Mme [B], rédactrices en chef, qui lui ont assigné des objectifs confus, ont refusé de lui accorder un entretien individuel séparément, préférant être deux pour mieux faire pression sur elle, que le premier avertissement est dû uniquement à ses demandes d'explications légitimes, qu'elles l'ont soumise à un contrôle tatillon, que personne ne s'est soucié de sa charge de travail, qu'elle a vu ses responsabilités réduites et son image mise à mal, qu'elle a été victime d'humiliations, d'accusations infondées, que son employeur a refusé de mener une enquête interne, qu'il n'a pas tenu compte de l'alerte du coach de la salariée, qu'il a pris parti contre elle sans prendre le temps de vérifier les assertions des autres salariés, qu'il l'a licenciée une première fois alors qu'elle était en arrêt suite à une déclaration d'accident du travail, peu important qu'ensuite aucun lien n'ait été retenu avec son travail, qu'il ne l'a pas réintégrée dans ses fonctions ; que l'ensemble de ces faits ont profondément altéré son état de santé, ainsi que les certificats médicaux l'établissent ;

Attendu toutefois, concernant en premier lieu les faits imputés à Mme [X] et Mme [B], que contrairement à ce qu'affirme Mme [R], les difficultés relationnelles qu'elles lui ont été reprochées au cours de l'entretien d'évaluation de 2013 avaient déjà été observées auparavant, par d'autres personnes ; qu'ainsi, l'entretien annuel d'appréciation du 12 mars 2010, rédigé par Mme [H] [Q], met en évidence le « manque de souplesse » dans le mode de fonctionnement de la salariée avec son équipe, les « réflexions très directes » qui « peuvent être mal perçues même si elles ne sont pas intentionnellement blessantes », « l'absence d'écoute des autres même si elle a fait des progrès », l'obligation qui lui est faite de ne pas « fermer les portes et [de] chercher des solutions acceptables pour tout le monde », ou encore d'être « plus à l'écoute, et [de] ne pas chercher à imposer son point de vue » ; que la salariée a indiqué elle-même, dans ledit document, « être vive parfois », ajoutant que « c'est difficile d'être à la fois impliquée et d'avoir du recul mais c'est mon rôle et je vais m'y atteler » ; que les difficultés relationnelles pointées dès 2010 dans ce rapport, qui n'a pas été contesté par l'intéressée, sont corroborées par d'autres pièces, notamment des mails anciens, lesquels comportent une part de spontanéité que Mme [R] ne peut sérieusement contester ; que, par exemple, par courriel du 21 juillet 2011, Mme [M] expliquait avoir « évoqué la problématique de ses relations interpersonnelles avec la salariée », ajoutant que « son relationnel fermé et cassant fait qu'au bout du compte un certain nombre de personnes n'ont plus envie de travailler avec elle (cf. le Web et le marketing par exemple) » ; qu'ainsi Mme [R] ne peut sérieusement soutenir avoir été victime de l'arrivée des deux nouvelles rédactrices en chef, qui seraient à l'origine d'une cabale à son égard, ses problèmes relationnels étant connus avant leur nomination, voire reconnus par l'intéressée elle-même, bien qu'elle les minimisât ; que si Mme [X] et Mme [B] ont choisi de recevoir ensemble la salariée, après qu'elle eut sollicité à la suite de la communication du support d'entretien annuel d'évaluation 2013 un entretien individuel avec chacune, Mme [R] n'établit pas avoir subi des pressions lors de cet réunion, alors au contraire qu'il apparaît légitime que l'entretien soit commun dès lors que le rapport, rédigé par les deux rédactrices en chef, l'était aussi ; qu'elles n'ont pas davantage fixé des objectifs confus à l'intéressée ; qu'elles ont en tout état de cause pris le temps toutes les deux de répondre à l'ensemble des questions posées par la salariée sur ce sujet ; que Mme [R] n'établit pas davantage qu'elles se seraient livrées à un contrôle tatillon, les échanges de mails produits par les parties établissant seulement qu'elles ont cherché, en vain au demeurant, à rappeler, de manière parfaitement adaptée, leur position hiérarchique que Mme [R] avait tendance à oublier ;

Attendu, en deuxième lieu, que s'il est exact qu'il a été reproché à Mme [R] de ne pas être suffisamment attentive à la qualité de ses relations avec sa hiérarchie ou avec ses collaborateurs, et formulé ainsi une critique sur un aspect de son travail, c'est à juste titre, ce qui exclut tout dénigrement ; qu'en effet, les attestations produites par l'employeur révèlent les graves difficultés relationnelles de l'intéressée avec certaines personnes, corroborées par de nombreuses autres pièces, en particulier des mails, nonobstant les attestations versées par la salariée faisant état de relations cordiales de l'intéressée avec d'autres personnes, ce que n'excluent pas les premières attestations ; que, par exemple, Mme [M], dont le courriel de 2011 a été évoqué supra, insistait dans un courriel du 12 avril 2013 sur la nécessité de changer de comportement, en ces termes : «'Les petites phrases' comme tu le dis, je les considère comme inappropriées au monde de l'entreprise. Ce sont des phrases qui blessent, stressent et sont perçues comme agressives et dénigrantes. Elles déstabilisent vraiment tes interlocuteurs » ; que, par courriel du 4 juin 2013, la collaboratrice directe de la salariée, Mme [W], alors en congé maladie, a expliqué ne plus pouvoir supporter d'être dévalorisée et humiliée, de sorte qu'elle ne pouvait plus envisager de retravailler avec Mme [R] ; que ce courriel adressé à Mme [X] faisait suite à celui adressé le 21 mai 2013 à Mme [R], par lequel Mme [W], utilisant un ton demeurant amical et mesuré, reconnaissant même avoir apprécié l'échange intellectuel avec sa supérieur hiérarchique, indiquait ne plus être en état de supporter, comme elle l'avait fait jusqu'à présent, ce qui est décrit dans la lettre comme des brimades quotidiennes ; que, par ailleurs, les élus du CHSCT ont indiqué lors de la réunion du 18 juin 2013 que la salariée faisait régner « la terreur » autour d'elle ; qu'ainsi la salariée n'apporte pas la preuve d'un quelconque dénigrement, de qui que ce soit, Mme [X] et Mme [B] n'ayant par ailleurs fait que gérer une situation ancienne, difficile et conflictuelle au sein de la société, en raison de l'absence de toute réflexion de la salariée sur son rapport à l'autre, malgré les remarques constructives qui lui avaient déjà été faites ;

Attendu, en troisième lieu, que contrairement à ce que soutient Mme [R], la société PRISMA MEDIA a, dans un premier temps, tenté de l'aider en cherchant à faire la part des choses entre les nombreuses plaintes contre elle et la version des faits de la salariée, ayant tendance même à soutenir cette dernière ; que, toutefois, la multiplication des faits en question, tant à l'égard de sa hiérarchie que de ses collaborateurs, ont forcé la société PRISMA MEDIA à intervenir de manière plus directive, sans qu'une enquête n'apparaisse pour autant nécessaire eu égard à la concordance des éléments et témoignages recueillis ; que le courriel de son coach du 26 juillet 2013, dont il n'est pas établi que son employeur n'aurait pas tenu compte, était contredit par les constatations précédentes ; que cette intervention a d'abord consisté à faire prendre conscience à la salariée de la nécessité de changer de comportement, ce qu'elle n'a pas compris ; que le premier avertissement n'est dû qu'au refus de Mme [R] d'évoluer de manière positive ; que ce n'est qu'en raison de son refus de se remettre en question que la société PRISMA MEDIA a dû envisager le licenciement de Mme [R] ; que si celui du 25 octobre 2013 a été annulé, la société PRISMA MEDIA établit avoir réintégré la salariée dans ses fonctions, tout en tenant compte de son absence pendant plusieurs mois ;

Attendu, en quatrième lieu, que si elle a vécu des moments, non d'humiliation mais de critiques appuyées émanant de son employeur, tenu à une obligation de sécurité de résultat et donc de soutien aux personnes qu'elle avait elle-même blessées, Mme [R] ne les doit qu'à elle-même compte tenu du comportement susmentionné ;

Attendu qu'il résulte de ce qui précède que, non seulement Mme [R] n'établit aucun fait laissant supposer qu'elle aurait été victime de harcèlement moral, mais que son employeur, qui n'a ainsi commis à son égard aucun manquement à son obligation de sécurité, démontre en revanche qu'elle a été l'auteur de faits susceptibles de revêtir une telle qualification ;

Attendu, par conséquent, que la demande de dommages et intérêts pour harcèlement moral et manquement à l'obligation de sécurité ne peut être que rejetée ;

En ce qui concerne les avertissements des 11 avril et 17 juin 2013

Attendu que Mme [R] demande l'annulation des deux avertissements qui lui ont été notifiés en 2013, d'abord sur le motif du harcèlement moral ; que, toutefois, ainsi qu'il a été dit, l'intéressée n'établit nullement avoir été victime de harcèlement moral ; qu'elle conteste ensuite les faits pour lesquels elle a été sanctionnée ; qu'aux termes de l'avertissement du 11 avril, il est reproché à la salariée un « comportement et des propos excessifs et inacceptables » tenus à l'égard des rédactrices en chef, Mme [X] et Mme [B], à l'occasion de la contestation par la salariée de l'entretien d'évaluation 2013, traitant la première de menteuse, lui reprochant de ne rien y connaître en mode, de ne pas être un bon manager, et dénigrant par ailleurs le travail d'autres salariés ; qu'alors que les propos évoqués sont précis, corroborés par les attestations des rédactrices en question, et concordants avec les précédentes remarques portées sur l'attitude de l'intéressée par d'autres, Mme [R] n'apporte aucun élément susceptible de les remettre en cause ; que ce premier avertissement ne peut par conséquent pas être annulé ; que le second avertissement du 17 juin 2013 évoque notamment la plainte de Mme [W], sa collaboratrice, dont il a été dit qu'elle était justifiée ; que le demande d'annulation de cet avertissement sera également rejetée ; que, pour les mêmes motifs, Mme [R] ne pourra être que déboutée de sa demande de dommages et intérêts à ce titre ;

En ce qui concerne le temps de travail

Attendu qu'en vertu des dispositions de l'article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou nombre d'heures de travail effectuées, l'employeur doit fournir au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié ; que le juge forme sa conviction au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles ; que si la preuve des horaires de travail effectués n'incombe ainsi spécialement à aucune des parties et si l'employeur doit être en mesure de fournir des éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié, il appartient, cependant, à ce dernier de fournir préalablement au juge des éléments de nature à étayer sa demande ;

Attendu qu'à supposer même que la convention de forfait soit nulle, la demande de Mme [R] au titre des heures supplémentaires n'est pas suffisamment étayée ; qu'en effet, la salariée se borne à indiquer qu'elle aurait effectué cinq heures supplémentaires en moyenne par semaine ; que si elle produit un décompte manuscrit pour la période comprise entre novembre 2011 à octobre 2013, il ne permet pas davantage d'étayer sa demande dès lors qu'il ne fait qu'évoquer des considérations générales : 80 jours de voyage, pendant lesquels elle « supervisai[t] et organisai[t] tout », et « 7 mois (200 jours environ) de collections à 12 heures de travail minimum avec parfois les dîners », des horaires normaux correspondant à 10h-19h30 minimum, avec une pause déjeuner à la cantine de 20 minutes, ainsi que le fait que, de retour chez elle, elle continuait à réfléchir à « l'organisation et aux rubriques en permanence », sans aucun justificatif déterminant à l'appui ; que les autres pièces ne permettent pas davantage d'étayer sa demande ; qu'ainsi, et sans qu'il soit besoin d'examiner la convention de forfait, Mme [R] sera déboutée de ses demandes de rappel de salaire et d'indemnité pour travail dissimulé ; qu'en outre, sa demande fondée sur l'article L. 3121-46 du même code ne pourra qu'être rejetée dès lors que, en tout état de cause, elle ne rapporte la preuve d'aucun préjudice ;

En ce qui concerne la prime sur objectifs 2013

Attendu s'agissant de la prime sur objectifs 2013, dont le principe a été prévu par un avenant du 10 novembre 2011, que c'est à juste titre que les premiers juges ont condamné la société PRISMA MEDIA à payer à Mme [R] la somme de 15 000 euros, correspondant au montant maximum dû en cas de réalisation de ses objectifs qualitatifs et quantitatifs, l'employeur se bornant à affirmer qu'ils n'ont pas été réalisés en raison de jours d'absence pour maladie et du premier licenciement ; que le jugement entrepris sera ainsi confirmé sur ce point ;

En ce qui concerne la demande au titre de la participation

Attendu que la demande au titre de la participation n'est nullement développée et que la pièce produite à cet égard ne permet pas davantage de justifier la demande, qui sera par conséquent rejetée ;

Sur la rupture du contrat

Attendu que les termes de la lettre de licenciement fixant les limites du litige, il convient de rappeler que Mme [R] a été licenciée par lettre du 17 avril 2014 aux motifs suivants :

« Nous faisons suite à l'entretien du 14 avril 2014 au cours duquel Madame [B], Rédactrice en chef de Prima et Madame [M], Editrice du Pôle féminin, vous ont expliqué les raisons pour lesquelles nous envisagions une mesure de licenciement.

Ainsi depuis l'été 2011, vous avez été alertée à plusieurs reprises par votre hiérarchie sur la nécessité de vous adapter à l'évolution du Pôle féminin, de respecter les consignes de votre direction et d'adopter un comportement en adéquation avec votre poste de Rédactrice en chef adjointe ' Directrice des services Mode au sein de Femme Actuelle et de Prima.

En dépit de ces alertes, vous avez fait l'objet d'un premier avertissement en date du 11 avril 2013 motivé par un dénigrement de votre hiérarchie et un refus de respecter les directives de votre hiérarchie et le mode de fonctionnement de l'entreprise.

Vous n'avez pas tenu compte de cette première sanction puisque vous avez fait ensuite l'objet d'un second avertissement en date du 17 juin 2013 motivé par votre comportement à l'égard de l'une de vos collaboratrices. Vous n'avez pas non plus tenu compte de cette seconde sanction puisque votre comportement a perduré par la suite, les Rédactrices en chef dont vous dépendez, Mesdames [X] et [B] ayant continué à se plaindre d'un manque de respect des consignes de travail ainsi que d'un refus systématique de communication et de coopération.

Il vous a également été reproché vos propos déplacés, votre attitude individualiste et votre comportement vis-à-vis de votre hiérarchie et de vos collaborateurs.

C'est la raison pour laquelle votre licenciement vous avait été notifié le 25 octobre 2013.

Depuis cette date, les rédactions de Femme Actuelle et de Prima ont retrouvé une sérénité certaine et l'organisation du travail est redevenue normale et efficace.

Cependant et en raison du fait que vous aviez déclaré avoir été victime d'un accident du travail quelques jours avant votre licenciement, cette mesure a été annulée par la formation de référé du Conseil de prud'hommes de Paris que vous aviez saisi.

Votre réintégration a par conséquent été ordonnée alors même que la CPAM a refusé de prendre en charge l'accident dont vous dites avoir été la victime.

Votre réintégration a suscité un fort émoi au sein des rédactions de Femme Actuelle et de Prima et notamment auprès des Rédactrices en chef dont vous dépendez et de certains collègues et collaborateurs. Plusieurs d'entre eux se sont manifestés afin de faire part d'une crainte de retour à la situation antérieure et, en particulier, d'être de nouveau les victimes de votre comportement.

Nonobstant ces craintes, tout a été fait pour que votre réintégration se déroule dans les meilleures conditions possibles. Mesdames [X] et [B] se sont immédiatement rapprochées de vous pour vous confier du travail.

Or la violence de votre réaction est inacceptable.

Vous avez en effet répondu aux sollicitudes de votre hiérarchie de façon extrêmement agressive et cru pouvoir exiger la présence de la DRH lors des entretiens que vous pourriez voir avec votre hiérarchie (emails du 24 mars 2014), ce qui est incompatible avec le fonctionnement normal d'un service quel qu'il soit.

Vous avez également critiqué le travail qui vous était confié, considérant qu'il portait sur une période trop lointaine et estimant que vous aviez été mise à l'écart ou dépossédée de vos prérogatives.

Il vous a déjà été répondu sur ce point et il est évident qu'un travail important a été effectué pendant votre absence sur les numéros de printemps ; raison pour laquelle il vous a été demandé de commencer à travailler sur les numéros de fin d'année. Il vous a toutefois aussi été formellement précisé que vous seriez associée au travail déjà entamé des numéros précédents.

Vous avez donc incontestablement retrouvé l'ensemble de vos prérogatives et plutôt que de vous investir avec professionnalisme, vous avez persisté à entretenir une vive polémique avec votre hiérarchie et vos collègues de travail, sur des motifs infondés, dégradant ainsi plus encore l'ambiance de travail au sein du service.

Il est par ailleurs mensonger de prétendre, comme vous le faites, que vous n'avez pas pu disposer de l'ensemble de votre matériel de travail dès votre arrivée le 24 mars 2014. Comme il vous l'a déjà été dit et comme vous le savez parfaitement, votre badge a été réactivé dès votre retour et vous avez aussitôt récupéré les clés de votre caisson et de votre armoire. Vous avez également immédiatement récupéré votre ordinateur qui n'avait pas bougé et avez pu accéder aux serveurs selon les procédures en vigueur dans notre entreprise. C'est en raison d'un problème technique que votre téléphone a été rétabli ultérieurement.

Non seulement vous n'êtes victime d'aucun agissement malveillant mais c'est votre comportement vis-à-vis de votre hiérarchie, dont vous refusez l'autorité, de vos collègues et collaborateurs, que vous traitez avec le plus grand mépris, qui met en péril le bon fonctionnement de l'organisation.

La façon dont vous vous êtes adressée à Madame [X] (email du 27 mars 2014) au sujet d'un casting auquel vous ne vous êtes pas rendue en est le parfait exemple. Il en existe d'autres tout aussi révélateurs.

Votre hiérarchie ne pouvait laisser perdurer une telle situation plus longtemps.

Votre Editrice, Madame [M], s'est ainsi adressée à la DRH le 2 avril 2014 pour indiquer que la situation de la rédaction s'était fortement dégradée depuis votre retour et pour critiquer votre attitude agressive, demandant à ce que des mesures soient prises pour y mettre un terme de toute urgence.

De même et le même jour, Madame [B] se plaignait de votre comportement agressif, du dénigrement systématique du travail des autres dont vous étiez l'auteur, et dénonçait une ambiance contre-productive au sein du service.

De même et enfin, Madame [X] sollicitait notre aide à la même période face à votre comportement dont elle estimait qu'il atteignait profondément sa santé et son équilibre.

Ces réactions sont donc unanimes et sont confortées par celles d'autres collaborateurs qui ont pu constater votre comportement ou en être les victimes.

Madame [W] [N] est véritablement en panique et a demandé, dès le 25 mars 2014, à être protégée de vous.

Madame [Y], Directrice Artistique de Prima, a également dénoncé votre agressivité et votre cynisme, considérant que cela ne pouvait plus durer ainsi.

Madame [C], Directrice Artistique adjointe de Prima, considère elle aussi qu'il est compliqué d'envisager un travail constructif avec vous.

Un grand nombre de collaborateurs du Pôle ont exprimé le même sentiment notamment la Directrice Artistique de Femme Actuelle et plusieurs Rédactrices en chef adjointes de Femme Actuelle et Prima.

Vos explications ne nous ayant pas permis de modifier notre appréciation de la situation, dans ce contexte et afin de réserver la situation et la santé de nos équipes comme de permettre le rétablissement de conditions de travail sereines et apaisées au sein du service, nous vous notifions votre licenciement pour motif personnel en raison des motifs évoqués ci-dessus » ;

Attendu qu'il résulte des pièces du dossier, qu'alors qu'elle avait été avertie par les mesures prises précédemment par son employeur de la nécessité absolue d'adopter un comportement différent de celui qui avait été le sien auparavant, Mme [R] a persévéré dans la même logique, s'enfermant au contraire dans un comportement de contestation systématique et agressive ; que, par exemple, alors qu'elle venait d'être réintégrée le lundi 24 mars 2014, Mme [R] a aussitôt répondu aux messages d'accueil, particulièrement courtois, des rédactrices en chef en des termes inacceptables, en contestant les consignes qui lui étaient données et en ajoutant être disponible « pour en parler avec la DRH » ; que, le jeudi 27 mars, elle proposait à Mme [X] de manière ironique d'engager un interprète afin de comprendre ses instructions ; que le vendredi 28 mars, Mme [X] relate par mail que M. [F] est venue la chercher en urgence car il entendait Mme [R] crier sur Mme [W] laquelle, en état de choc, a dû rentrer chez elle ; que de nombreux salariés travaillant avec Mme [R] ont sollicité en urgence de leur employeur une solution, ne pouvant plus travailler dans des conditions mettant en danger leur équilibre et leur santé ; qu'ainsi le licenciement de Mme [R], qui est fondé exclusivement sur un comportement qui ne pouvait davantage être toléré, repose à tout le moins sur une cause réelle et sérieuse, la faute grave n'ayant pas été évoquée ; que, par conséquent, outre que sa demande de complément d'indemnité conventionnelle de licenciement est irrecevable compte tenu de la décision arbitrale intervenue le 7 décembre 2015, ses autres demandes seront rejetées comme non fondées ;

Sur les dépens et les frais de procédure

Attendu que Mme [R] perdant à l'instance d'appel sera condamnée aux dépens de celle-ci et à payer à la société PRISMA MEDIA la somme de 1 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement par arrêt contradictoire, mis à disposition des parties au greffe,

CONFIRME le jugement déféré en toutes ses dispositions ;

Y ajoutant,

CONDAMNE Mme [O] [R] épouse [K] aux dépens ;

CONDAMNE Mme [O] [R] épouse [K] à payer à la société PRISMA MEDIA la somme de 1 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 5
Numéro d'arrêt : 15/04091
Date de la décision : 31/03/2016

Références :

Cour d'appel de Paris K5, arrêt n°15/04091 : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2016-03-31;15.04091 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award