RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 10
ARRÊT DU 30 Mars 2016
(n° , 06 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 15/07925
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 19 Janvier 2015 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS RG n° 12/14109
APPELANTE
Madame [I] [S]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
née le [Date naissance 1] 1969 à [Localité 1]
comparante en personne,
assistée de Me Christophe CROLET, avocat au barreau de VAL-DE-MARNE, toque : PC394
INTIMÉE
Association CENTRE DENTAIRES NORD MAGENTA
[Adresse 2]
[Adresse 2]
N° SIRET : 348 865 312 00022
représentée par Me Bettina SCHMIDT, avocat au barreau de PARIS, toque : L0237
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 11 Février 2016, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Mme Marie-Antoinette COLAS, Présidente de chambre, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Madame Marie-Antoinette COLAS, président de chambre
Madame Françoise AYMES-BELLADINA, conseiller
Madame Chantal GUICHARD, conseiller
qui en ont délibéré
Greffier : Mademoiselle Marjolaine MAUBERT, lors des débats
ARRÊT :
- contradictoire.
- prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Marie-Antoinette COLAS, présidente de chambre et par Madame Marjolaine MAUBERT, greffière auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE
Mme [S] a été engagée par l'association Centre Dentaire Magenta suivant un contrat de travail à durée indéterminée en date du 25 novembre 2010, en qualité de chargée de la communication externe.
Les relations contractuelles étaient régies par la convention collective des établissements privés d'hospitalisation, de soins, de cure et de garde à but non lucratif.
Après avoir été convoquée à un entretien préalable qui a eu lieu le 13 novembre 2012, elle s'est vu notifier son licenciement pour faute grave par lettre recommandée du 23 novembre 2012.
Estimant ne pas avoir été remplie de ses droits et contestant le bien-fondé de son licenciement, Mme [I] [S] a saisi le conseil de prud'hommes de Paris afin d'obtenir un rappel au titre de trois jours de RTT, de deux jours de récupération, un remboursement de notes de frais, un rappel de salaire pour la mise à pied conservatoire outre les congés payés afférents, les indemnités de rupture, des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et pour le caractère vexatoire de licenciement.
Par jugement du 19 janvier 2015, le conseil de Paris a fixé le salaire moyen mensuel de Mme [I] [S] à la somme de 2400 euros et a condamné l'association Centre Dentaire Magenta à verser à Mme [I] [S] les sommes suivantes :
- 1688 euros au titre du rappel de salaire sur la mise à pied outre les congés payés afférents,
- 4800 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis outre les congés payés afférents,
- 480 euros au titre de l'indemnité de licenciement,
- 1000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Appelante de ce jugement, Mme [I] [S] demande à la cour de le confirmer s'agissant des condamnations prononcées mais de l'infirmer en ce qu'il l'a déboutée du surplus de ses demandes.
Elle réclame en effet :
- 14'400 euros au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- 5000 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice distinct,
- 273 euros au titre de trois jours de RTT,
- 182 euros au titre de deux jours de récupération,
- 1500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
L'association Centre Dentaire Magenta a relevé appel incident du jugement déféré en ce qu'elle sollicite l'infirmation des condamnations prononcées à son encontre. Elle s'oppose à l'intégralité des demandes formulées par la salariée et réclame à son tour 3000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
À titre subsidiaire, elle propose que la rémunération brute mensuelle de la salariée soit arrêtée à 2400 euros, que l'indemnité compensatrice de préavis soit limitée à un mois compte tenu des dispositions conventionnelles applicables.
Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie pour un plus ample exposé des faits, des prétentions et des moyens développés, aux conclusions respectives des parties, visées par le greffier et soutenues oralement lors de l'audience.
MOTIFS
Lors des débats comme aux termes de ses écritures, Mme [I] [S] réclame le paiement de trois jours de RTT, de deux jours de récupération correspondant au jour de Noël et au jour de l'an de l'année 2011 sans produire aucun élément pour justifier le caractère bien-fondé de sa demande.
Le jugement déféré qui l'a déboutée de ses demandes à ces titres sera confirmé.
Sur la rupture du contrat de travail';
En application des dispositions de l'article L. 1235 -1 du code du travail, en cas de litige, le juge à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties...si un doute subsiste, il profite au salarié.
Constitue une faute grave un fait ou un ensemble de faits imputables au salarié constituant une violation de ses obligations d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise.
Il incombe à l'employeur d'établir la réalité des griefs qu'il formule.
Aux termes de la lettre de licenciement, qui circonscrit le litige, l'employeur reproche à la salariée les griefs suivants :
- les refus réitérés, sans aucune raison valable de fournir le fichier de clients développé dans le cadre de ses fonctions alors que ce fichier était nécessaire à l'activité du centre dentaire,
- le refus de collaborer avec sa nouvelle collègue,
- l'annulation de rendez-vous organisés par sa collègue sans en avoir préalablement informé l'employeur.
Tout en contestant le bien-fondé de son licenciement, Mme [I] [S] soutient que l'employeur ne lui a pas remis, concomitamment à la notification orale d'une mesure de mise à pied conservatoire, la convocation à l'entretien préalable, que par suite, le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse.
L'employeur répond que Mme [I] [S] s'est en effet vu notifier oralement une mise à pied conservatoire le 12 octobre 2012, qu'il l'a convoquée le même jour à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 23 octobre 2012, que consécutivement à une erreur d'adresse, elle n'a reçu cette convocation que le 29 octobre 2012. Il précise lui avoir adressé une nouvelle convocation par lettre du 31 octobre 2012 pour le 13 novembre 2012.
Il fait observer que la salariée était en arrêt maladie du 12 au 24 octobre 2012 inclus, qu'elle n'aurait pu assister à l'entretien préalable initialement prévu pour le 23 octobre 2012, qu'elle s'est présentée au travail le 25 octobre 2012, que Mme [V] lui a confirmé la mise à pied conservatoire par un mail.
Les différents documents afférents à ces modalités de convocation sont communiqués aux débats.
Il en résulte que l'employeur a effectivement engagé la procédure de licenciement concomitamment à la notification de la mise à pied conservatoire.
Mme [I] [S] soutient par ailleurs que la mise à pied prononcée a le caractère d'une mise à pied disciplinaire, que par suite, l'employeur avait épuisé son pouvoir disciplinaire et ne pouvait plus la sanctionner par le licenciement ultérieurement prononcé.
D'après les documents communiqués, il est patent que, bien qu'ayant notifié à la salariée une mise à pied, l'employeur n'a pas opéré de retenue de salaire sur le mois d'octobre 2012 mais a procédé à une telle retenue a posteriori, sur le bulletin de paie de novembre 2012 établi lorsque la décision de licencier Mme [I] [S] pour faute grave a été prise et notifiée.
A priori, l'employeur n'a pas l'obligation de rémunérer la salariée durant la mise à pied conservatoire sauf si la sanction finalement notifiée ne correspond pas à un licenciement pour faute grave ou faute lourde.
Dans le cas présent, le fait que l'employeur n'ait pas, dans un premier temps, opéré de retenue de salaire sur la période du 12 octobre au 30 octobre 2012, cette retenue ayant été effectuée ultérieurement, ne fait pas perdre à la mise à pied prononcée son caractère conservatoire dès lors que la procédure de licenciement était engagée.
Le moyen soulevé est donc inopérant.
Sur le fond';
L'employeur fait valoir que par une première lettre du 9 mai 2012, soit cinq mois après le début de l'arrêt maladie de la salariée, il a demandé à celle-ci de fournir son fichier de contacts développé depuis son embauche auprès des divers organismes de santé pour permettre la poursuite des actions de prospection auprès des hôpitaux.
Il ajoute que compte tenu de la densité du réseau hospitalier de Paris et de sa région, l'embauche d'une seconde chargée de coordination s'est avérée nécessaire d'où la demande réitérée d'obtenir de Mme [I] [S] son fichier pour permettre à la nouvelle salariée embauchée de prospecter efficacement.
Il explique que Mme [I] [S] s'est limitée à lui adresser une liste des hôpitaux parisiens et de la région parisienne mentionnant leurs adresses respectives, leurs numéros de téléphone à l'accueil ainsi que les spécialités traitées, ce qui est accessible à tout à chacun par une consultation sur internet mais qu'elle n'a pas accepté de délivrer le fichier enrichi des contacts plus précis qu'elle a constitué au cours de son activité.
Il relève que la nouvelle salariée a été mise en difficulté dans l'exécution de ses missions pour notamment prendre contact avec l'hôpital [Établissement 1], Mme [I] [S] ayant refusé de lui communiquer les contacts qu'elle avait au sein dudit hôpital pour contrer l'opposition d'un professeur à l'envoi de patients vers l'association Centre Dentaire Magenta notamment, qu'elle a aussi entravé les actions engagées par Mme [E] à l'hôpital [Établissement 2] dès lors qu'il a annulé des déjeuners organisés par celle-ci ce qui est attesté par Mme [G].
Mme [I] [S] explique':
- avoir satisfait à la demande faite en communiquant la liste de tous les services des hôpitaux qu'elle visitait pour son travail,
- n'avoir jamais bénéficié d'un tel fichier lorsqu'elle a remplacé Mme [Z],
- n'avoir pas eu l'obligation contractuelle de constituer les fichiers demandés,
- avoir noué des contacts intuitu personnae,
- avoir constaté que la nouvelle salariée avait utilisé la liste qu'elle avait transmise.
Elle ajoute et justifie par ailleurs que certains professeurs ont refusé de travailler avec le centre dentaire. Dans ce contexte, pour contrer ces oppositions, elle évoque les contacts pris avec des membres des personnels des services des professeurs en cause, lesquels membres du personnel ont transgressé les ordres de la hiérarchie en leur envoyant des patients. Elle en justifie ainsi l'impossibilité de communiquer leurs noms sous peine qu'ils perdent leurs postes.
S'il est exact que la salariée n'avait pas un statut de profession libérale susceptible de lui permettre de créer une clientèle propre, la cour relève que l'employeur n'avait pas mis en place, dès l'origine de la relation contractuelle, une procédure précise et claire sur les modalités de comptes rendus des contacts pris, sur l'information relative aux praticiens contactés et rencontrés, aux actions engagées à l'égard des différents interlocuteurs au sein du réseau hospitalier parisien et de la région parisienne.
Les demandes faites à la salariée alors qu'elle était en arrêt de travail et réitérées à son retour, l'embauche d'une nouvelle salariée sur un poste équivalent exigeaient certainement de la part de la salariée qu'elle s'adaptât à de nouvelles modalités de travail et de reportings.
Toutefois, au regard des modalités effectives d'exercice de ses missions telles qu'elles les avait initiées y compris à l'égard de tiers, membres du réseau hospitalier, et telles qu'elles avaient été acceptées par l'employeur pendant plusieurs mois, la cour considère qu'un doute raisonnable sur le prétendu défaut de loyauté de la salariée et l'insubordination alléguée caractérisés par les trois comportements qui lui sont reprochés, subsiste.
La cour infirmera le jugement déféré, le doute devant profiter à la salariée. Le licenciement est en conséquence dépourvu de cause réelle et sérieuse.
Sur les conséquences du licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse';
La cour confirmera le jugement déféré en ce qu'il a accordé à la salariée, un rappel de salaire pour la mise à pied conservatoire outre les congés payés afférents ainsi qu' une indemnité de licenciement sur la base d'un salaire de 2400 euros.
S'agissant de la durée du préavis, il est exact que l'article 15.02.2.1 de la convention collective nationale des établissements privés d'hospitalisation de soins de cure et de garde à but non lucratif du 31 octobre 2051 prévoit qu'elle est d'un mois pour les non-cadres justifiant d'une ancienneté de service continu inférieure à 2 ans.
Dans le cas présent, l'ancienneté de la salariée est inférieure à deux années puisqu'elle a été engagée le 25 novembre 2010 et licenciée par lettre du 23 novembre 2012.
La cour infirmera donc le jugement déféré et fixera l'indemnité compensatrice de préavis à la somme de 2400 euros à laquelle s'ajouteront les congés payés afférents.
Compte tenu de l'effectif de l'entreprise, des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée à la salariée, de son âge, de son ancienneté (près de deux années), de sa capacité à trouver un nouvel emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle et des conséquences du licenciement à son égard, tels qu'ils résultent des pièces et des explications fournies, la cour est en mesure d'allouer à Mme [I] [S] des dommages et intérêts d'un montant de 14 400 euros, en application de l'article'L.1235-5 du Code du travail.
Sur la demande de dommages et intérêts sur les conditions vexatoires du licenciement' ;
Une mise à pied conservatoire de longue durée alors qu'il a été précédemment constaté que le licenciement ne repose sur aucune cause réelle et sérieuse, présente un caractère vexatoire avéré à l'origine d'un préjudice moral qui sera, dans le cas d'espèce, exactement réparé par l'allocation d'une somme de 2000 euros.
Sur les demandes d'indemnités en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile';
L'équité commande tout à la fois de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a accordé à Mme [I] [S] une indemnité de 1000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et de lui allouer une nouvelle indemnité de 2000 euros sur le même fondement pour les frais exposés par elle en cause d'appel.
L'association Centre Dentaire Magenta, qui succombe dans la présente instance, sera déboutée de sa demande à ce titre et condamnée aux entiers dépens.
PAR CES MOTIFS
Statuant par un arrêt contradictoire, mis à disposition au greffe,
Confirme le jugement déféré en ce qu'il a condamné l'employeur à verser à la salariée un rappel de salaire au titre de la mise à pied disciplinaire outre les congés payés afférents, une indemnité légale de licenciement, une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile et en ce qu'il a débouté la salariée de ses demandes au titre des jours de RTT, des jours fériés,
Le réforme pour le surplus';
Dit que le licenciement prononcé ne repose sur aucune cause réelle et sérieuse,
Condamne l'association Centre Dentaire Magenta à verser à Mme [I] [S] les sommes suivantes :
- 2400 euros au titre du préavis outre les congés payés afférents,
- 14'400 euros à titre des dommages-intérêts pour licenciement abusif,
- 2000 euros au titre de dommages-intérêts pour les conditions vexatoires de licenciement,
- 2000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Déboute l'association Centre Dentaire Magenta de sa demande d'indemnité en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne l'association Centre Dentaire Magenta aux entiers dépens.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE