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30/03/2016 | FRANCE | N°15/03350

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 6, 30 mars 2016, 15/03350


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS







COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 6



ARRÊT DU 30 Mars 2016

(n° , pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : S 15/03350



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 15 Septembre 2014 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS section RG n° 11/12099





APPELANTE

Madame [Q] [A]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

représentée par Me Gérard CHEMLA , avocat au barreau de

REIMS







INTIMEE

SA SOCIETE GENERALE

[Adresse 2]

[Adresse 2]

représentée par Me Emmanuelle ORENGO, avocat au barreau de PARIS, toque : P0077







COMPOSITION DE LA COUR :



L'...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 6

ARRÊT DU 30 Mars 2016

(n° , pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S 15/03350

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 15 Septembre 2014 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS section RG n° 11/12099

APPELANTE

Madame [Q] [A]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

représentée par Me Gérard CHEMLA , avocat au barreau de REIMS

INTIMEE

SA SOCIETE GENERALE

[Adresse 2]

[Adresse 2]

représentée par Me Emmanuelle ORENGO, avocat au barreau de PARIS, toque : P0077

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 26 Janvier 2016, en audience publique, devant la Cour composée de :

Mme Benoit DE CHARRY, Président de chambre

Madame Catherine BRUNET, Conseillère

Mme Céline HILDENBRANDT, Vice-présidente placée

qui en ont délibéré

Greffier : Mme Lynda BENBELKACEM, lors des débats

ARRET :

- contradictoire

- mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.

- signé par Monsieur Benoît DE CHARRY, président et par Madame Lynda BENBELKACEM, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire

RAPPEL DES FAITS, PROCEDURE ET MOYENS DES PARTIES

Madame [Q] [A] a été engagée par la SA SOCIETE GENERALE par contrat de travail à durée indéterminée en date du 5 septembre 1983.

Les relations contractuelles entre les parties sont soumises à la convention collective nationale de la banque.

La SA SOCIETE GENERALE occupe à titre habituel au moins onze salariés.

Le 1er septembre 2009, Madame [Q] [A] a été nommée responsable de l'agence [Localité 1] [Localité 2].

Par lettre en date du 26 novembre 2010, Madame [Q] [A] a été convoquée à un entretien préalable fixé au 10 décembre 2010.

Par lettre en date du 21 décembre 2010, Madame [Q] [A] a été licenciée pour motif disciplinaire.

Madame [Q] [A] a saisi la commission paritaire de recours interne qui, dans sa séance du 26 janvier 2011, a, s'agissant des membres désignés par la direction, considéré que les faits étaient constitutifs d'une faute qui justifiait la sanction prononcée et que le cas devait être réexaminé d'un point de vue social, et s'agissant des membres désignés par les organisations syndicales, émis un avis devant aboutir au maintien de Madame [Q] [A] dans l'entreprise, accompagné d'une mobilité géographique afin de la sortir de l'environnement social.

Par lettre du 1er février 2011, la SA SOCIETE GENERALE a prononcé la rétrogradation avec changement de poste de Madame [Q] [A] : celle-ci a été placée au niveau F immédiatement inférieur à celui qu'elle occupait à [Localité 1], et elle a été affectée en qualité de conseillère de clientèle à l'agence de [Localité 3]. Le 8 mars suivant, les parties ont signé un document récapitulant les nouvelles fonctions de Madame [Q] [A] qui précise que sa rémunération annuelle garantie passe de 33 835 euros à 32 335 euros, outre indemnisation de la mobilité.

Le 16 septembre 2011, Madame [Q] [A], considérant avoir été l'objet d'un harcèlement moral et de sanctions injustifiées et sollicitant le prononcé de la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts exclusifs de son employeur, a saisi le conseil de prud'hommes de Paris qui, par jugement en date du 15 septembre 2014 auquel la Cour se réfère pour l'exposé de la procédure antérieure et des prétentions initiales des parties, l'a déboutée de l'ensemble de ses demandes.

Madame [Q] [A] a relevé appel de ce jugement par déclaration parvenue au greffe de la cour le 26 mars 2015.

Madame [Q] [A] soutient qu'elle a subi des agissements constitutifs de harcèlement moral, qu'elle est fondée à obtenir le prononcé de la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de la SA SOCIETE GENERALE produisant les effets d'un licenciement nul, ainsi que l'annulation des sanctions disciplinaires prononcées sur des griefs contraires à la réalité.

En conséquence, elle sollicite l'infirmation du jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Paris le 15 septembre 2014, le prononcé de la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts exclusifs de la SA SOCIETE GENERALE et l'annulation des sanctions qui lui ont été infligées et la condamnation de son employeur à lui payer :

*100 000 euros à titre de dommages et intérêts spécifiques liés aux faits de harcèlement moral,

*6472 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

*66 661,40 au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement,

*110 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

*50 000 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice distinct,

*9400 euros au titre des rappels de salaires suite à l'annulation des sanctions,

*3000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

ces sommes étant majorées d'un intérêt au taux légal à compter du 15 avril 2011, date de la mise en demeure, avec capitalisation des intérêts.

En réponse, la SA SOCIETE GENERALE fait valoir qu'aucun des faits de harcèlement moral dont Madame [Q] [A] se prétend victime n'est avéré, au contraire des faits ayant justifié le prononcé de sa rétrogradation et de sa mutation. Elle estime infondée la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail ainsi que celles relatives aux sanctions disciplinaires prononcées.

En conséquence, elle sollicite la confirmation du jugement, le débouté de Madame [Q] [A] de l'ensemble de ses demandes et sa condamnation à lui verser 1000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

MOTIFS

Vu le jugement du conseil de prud'hommes, les pièces régulièrement communiquées et les conclusions des parties, visées par le greffier et soutenues oralement à l'audience, auxquels il convient de se référer pour plus ample information sur les faits, les positions et prétentions des parties.

Sur le harcèlement moral

Aux termes de l'article L1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Aux termes de l'article L1154-1 de ce même code, lorsque survient un litige relatif à l'application de l'article précité, le salarié établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Au cas d'espèce, Madame [Q] [A] fait valoir qu'elle a été victime de méthodes managériales déplorables caractérisées par les cinq agissements suivants :

-avoir subi de façon soudaine, injustifiée et injuste des reproches systématiques sur son travail, et s'être vue privée sans motif du versement d'une prime,

-avoir été exclue des communications générales et victime de propos déplacés par son supérieur hiérarchique,

-avoir subi des pressions constantes de sa hiérarchie,

-avoir fait l'objet d'une procédure disciplinaire fondée sur des griefs contraires à la réalité,

-s'être fait extorquer sous la contrainte son consentement à sa rétrogradation et à sa mutation.

Sur les reproches systématiques sur son travail

Madame [Q] [A] fait valoir que depuis son arrivée à la DEC de [Localité 1], son ascension est stoppée, que ses compétences professionnelles sont systématiquement remises en cause et qu'elle fait l'objet de reproches injustifiés et réitérés. Elle ajoute qu'elle n'a pas perçu de prime individuelle après mutation.

Pour établir ces faits, elle verse aux débats plusieurs courriels qu'elle a rédigés et adressés, non pas à la banque mais à des tiers et qui ne sont pas de nature à établir la réalité des faits qu'ils relatent.

En revanche, elle produit deux courriers que lui a adressés son employeur, les 21 mai et 7 juillet 2010, contenant de multiples reproches, sa lettre de réponse du 7 juin 2010 aux observations qui lui avaient été faites, ainsi que le compte-rendu d'un entretien qui s'est tenu le 9 juillet 2010 entre elle et son supérieur.

La lettre du 21 mai 2010 impute à Madame [Q] [A] de ne pas avoir respecté certaines instructions et de ne pas avoir tenu compte de plusieurs rappels et directives transmises par sa hiérarchie. Elle relate que quatre réclamations de clients ont été adressées à la Société Générale concernant l'exercice de sa fonction. La lettre du 7 juillet suivant détaille les reproches exprimés dans la lettre du 21 mai et se réfère, pour chacun des points évoqués, à des documents écrits. Elle avise la salariée du non-versement de la prime prévue, sous réserve de bonne adaptation, au titre de l'indemnisation individuelle de la mobilité géographique, compte tenu du constat de son niveau de prestations professionnelles. Le compte-rendu d'entretien du 9 juillet 2010, tenu en présence d'un délégué du personnel accompagnant Madame [Q] [A], revient sur les points évoqués dans les courriers des 21 mai et 7 juillet précédents.

Si Madame [Q] [A] n'établit pas que son ascension a été stoppée à compter du moment où elle a été nommée à la DEC de [Localité 1], elle démontre en revanche que de façon réitérée, aux dates ci-dessus rappelées, son employeur lui a exprimé de nombreux reproches quant à son travail et a refusé de lui verser une prime.

La matérialité de l'expression répétée de reproches et celle du non-versement de la prime de mobilité sont établies.

Sur l'exclusion de la liste de diffusion et les propos déplacés

Madame [Q] [A] fait valoir qu'elle vit depuis plusieurs années une véritable mise au placard, qu'elle a été exclue de la liste de diffusion des mails en mai 2010 sans raison, ce qui l'a contraint à demander à plusieurs reprises sa réintégration au sein de cette liste, qu'elle a été exclue des réunions des directeurs d'agence et que son supérieur a tenu à son égard des propos déplacés et misogynes, n'hésitant pas à lui rappeler qu'après tout « elle n'est qu'une femme ».

Afin d'établir la matérialité de ces faits, Madame [Q] [A] produit plusieurs courriels.

Celui qu'elle a écrit à son ami le 30 septembre 2009, dans lequel elle relate qu'on lui a dit qu'elle ne reste qu'une femme, est insuffisant à établir que de tels propos lui on été tenus.

Par un mail du 17 mai 2010, les directeurs d'agence ont été convoqués à une réunion le vendredi 28 mai 2010. Madame [Q] [A] ne figure pas parmi les destinataires de ce message, alors qu'elle dirige l'agence de [Localité 1] [Localité 2]. Elle ne figure pas non plus parmi les destinataires du message du 31 mai 2010 contenant le planning pour les réunions de printemps des 2, 3 et 11 juin.

La SA SOCIETE GENERALE ne conteste pas qu'elle était concernée par ces réunions et qu'il y a eu omission de lui adresser ces mails.

Il s'ensuit que la matérialité des faits d'exclusion de la liste de diffusion des E-mails sur des sujets concernant la salariée est établie.

Sur les pressions constantes de sa hiérarchie

Madame [Q] [A] fait valoir qu'elle a subi de la part de sa direction du mépris, un dénigrement de son travail et de l'hostilité de manière systématique.

Elle verse aux débats des messages dont elle est l'auteur et qui sont insuffisants pour établir la matérialité des faits qu'ils relatent, ainsi que plusieurs attestations de ses proches qui ne contiennent aucune constatation directe par leurs auteurs de faits de la nature de ceux allégués par la salariée, commis par la direction de la banque, à son encontre.

Les faits ne sont pas établis.

Sur la procédure disciplinaire fondée sur des griefs contraires à la réalité

Madame [Q] [A] fait valoir que son employeur a voulu la piéger et lui a imputé des griefs contraires à la vérité pour engager une procédure disciplinaire.

Le 26 octobre 2010, Madame [Q] [A] dit avoir été convoquée au siège de la direction de [Localité 1] où elle explique avoir été mise en présence d'un auditeur qui l'a interrogée sur un certain nombre de dossiers de son agence, alors qu'elle n'avait pas été informée de l'objet de l'entretien et n'avait donc pas consulté au préalable ces dossiers. Elle conteste le bien-fondé des griefs qui lui ont ensuite été faits par son employeur et qui sont les suivants :

Un conflit d'intérêts, en favorisant l'un des deux partenaires financiers de la banque, spécialisés dans le recouvrement et la restructuration de crédit, en l'espèce le cabinet Point Finances dont son compagnon était le représentant.

Le non-respect des règles professionnelles, ainsi que des instructions, consignes et directives, données par sa hiérarchie, en transmettant directement les dossiers de clients au cabinet de courtage sans proposer toutes les solutions internes possibles.

Madame [Q] [A] soutient qu'elle n'avait pas été informée de l'objet du rendez-vous, ce que ne conteste pas l'employeur.

Ainsi elle établit que le recueil de ses observations sur des faits qui lui étaient reprochés comme pouvant constituer des fautes a été opéré en prenant la prenant au dépourvu et sans que celle-ci puisse s'attendre à subir un interrogatoire dans le cadre d'un audit pouvant présenter une dimension disciplinaire.

Le surlendemain de son audition par l'auditeur, Madame [Q] [A] a présenté des troubles anxieux réactionnels et un syndrome dépressif, attesté par les pièces médicales produites aux débats, qui ont justifié un arrêt de travail pour motif médical du 28 octobre 2010 au 31 janvier 2011, soit durant plusieurs mois.

Il n'est pas contesté que le partenaire de PACS de Madame [Q] [A] est le représentant d'une société spécialisée dans la restructuration de crédit. Il est également avéré qu'alors que la banque la SA SOCIETE GENERALE travaille dans ce domaine avec deux partenaires financiers, tous les dossiers transmis par Madame [Q] [A] ont été dirigés vers le cabinet que dirige son conjoint, et aucun à l'autre organisme, ce qui démontre qu'elle a choisi de favoriser l'un des deux interlocuteurs de la banque, et donc de favoriser, par ce choix exclusif, l'activité de son partenaire de pacs avec qui elle a des intérêts financiers communs.

Or, dans une note du 11 février 2010 adressée aux directeurs d'agence, le directeur commercial de Madame [Q] [A] rappelait qu'en accord avec VEGALIS, qui est l'autre organisme spécialisé en restructuration de crédit, il avait donné son accord à la société Point Finances pour travailler avec elle « avec le même objectif que Végalis », ce qui implique que Point Finances n'était pas appelé à remplacer VEGALIS et que les deux organismes avaient une vocation concurrente à se voir transmettre des dossiers de clients en difficulté. Il s'ensuit que Madame [Q] [A] n'a pas observé les directives de son supérieur.

Par ailleurs, cette même note rappelait à Madame [Q] [A] que VEGALIS et POINT FINANCES étaient appelés à intervenir auprès des clients de la la SA SOCIETE GENERALE « après que nous ayons eu en interne recours à toutes les solutions possibles (dont UNIVERSO ».

Or il s'avère que Madame [Q] [A] a transmis les dossiers de clients au cabinet de courtage Point Finances, alors qu'ils n'avaient pas été préalablement transmis pour étude à UNIVERSO, et il importe peu à cet égard que certains de ces dossiers n'auraient pas, après examen, été éligibles à une solution interne de restructuration. Tenue envers son employeur d'un devoir de loyauté et de ne pas nuire aux intérêts de la SA SOCIETE GENERALE Madame [Q] [A] ne pouvait se dispenser d'étudier effectivement les solutions internes avant de transmettre, après avoir constaté objectivement l'absence de telles solutions, les dossiers litigieux à une société extérieure, ce qu'elle s'est abstenue de faire.

Dès lors, les griefs imputés à Madame [Q] [A] ne sont pas contraires à la réalité et la salarié n'établit pas que des griefs infondés lui ont été reprochés.

Sur le consentement à une rétrogradation et à une mutation extorqué sous la contrainte

Madame [Q] [A] fait valoir que la direction des ressources humaines lui a fait la proposition le 31 janvier 2011, soit d'accepter une rétrogradation et une mobilité géographique, soit d'être licenciée, que cette proposition fait état d'un délai de réflexion de 3 heures et de l'obligation de quitter son logement de fonction sous un mois en cas de refus, et que face au risque de licenciement et d'expulsion, elle a accepté sous la pression de sa direction, cette rétrogradation et cette mutation.

Au soutien de sa position, Madame [Q] [A] produit aux débats le message qu'elle a reçu du SNBSG le 31 janvier 2011 qui lui annonce la proposition qui lui sera faite si elle choisit de rester dans l'entreprise, à savoir une nomination à [Localité 3], avec une rémunération au niveau F. Ce message ajoute qu'une réponse impérative doit être donnée à la direction avant 16 heures et que si Madame [Q] [A] choisit de ne pas rester dans l'entreprise, la lettre de licenciement lui sera envoyée dès le lendemain matin.

La SA SOCIETE GENERALE répond que la mesure de rétrogradation avait été envisagée dès le début de la procédure, que de nombreux échanges étaient intervenus entre la direction et le SNB à ce sujet, dont Madame [Q] [A] avait été nécessairement informée.

Les avis de la commission paritaire de recours interne dont l'un préconise une mobilité géographique, sont en date du 26 janvier 2011. La SA SOCIETE GENERALE ne démontre pas à quelle date elle a communiqué ces avis à Madame [Q] [A], faute de justifier de l'envoi de la lettre datée du 26 janvier 2011, par laquelle elle précise qu'elle lui fera part, dans les tous prochains jours, de sa décision suite à l'avis rendu. Elle ne produit aux débats aucun échange avec celle-ci relatif à une possible mutation avant la remise en main propre, le 1er février 2011, de la lettre prononçant la rétrogradation avec changement de poste et elle ne conteste pas la teneur du message du syndicat, en date de la veille, selon lequel l'acceptation de la mutation devait intervenir le jour même avant 16 heures et qu'à défaut, une lettre de licenciement serait envoyée dès le lendemain matin. Madame [Q] [A] a accepté le poste de conseiller de clientèle, niveau F, à l'agence de [Localité 3], le 1er février 2011. Madame [Q] [A] était à l'époque en arrêt maladie. Cette circonstance et la brièveté du délai qui a été accordé à la salarié pour accepter sa mutation, ou la refuser à peine de voir se finaliser la procédure de licenciement, font que son consentement à ces mesures a été obtenu sous la contrainte de l'employeur qui a exigé une réponse dans un délai insignifiant, faisant obstacle à toute possibilité pour la salariée de réfléchir voire de prendre conseil.

Les faits allégués par Madame [Q] [A] sont établis.

En définitive, la cour retient que la salariée a établi les faits suivants : reproches réitérés de la part de l'employeur à l'égard de son travail, non-versement d'une prime, omission d'adresser à la salariée certains messages la concernant, organisation de l'audition de la salariée sans qu'elle soit avertie au préalable de la nature de son audition, celle-ci immédiatement suivie d'un arrêt de travail pour motif médical, obtention sous la contrainte d'une acceptation d'une mutation accompagnée d'une rétrogradation avec perte de rémunération.

Ces faits, de par leur nature, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral.

Il incombe à la SA SOCIETE GENERALE de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

S'agissant des reproches exprimés en mai et juillet 2010, la SA SOCIETE GENERALE fait valoir qu'ils étaient objectivement fondés, mais ne verse aux débats aucune pièce démontrant la commission par Madame [Q] [A] des faits qui lui sont imputés, de même qu'aucun des courriers de réclamation émanant de clients, évoqués par l'employeur, n'est produit. La SA SOCIETE GENERALE ne justifie pas une mauvaise adaptation à son poste de Madame [Q] [A], constituant une cause objective du défaut de versement de la prime de mobilité.

S'agissant de l'omission de lui adresser certains messages électroniques la concernant, la SA SOCIETE GENERALE explique qu'il s'agit d'oublis, mais ne prouve pas que ce soit le cas.

S'agissant des conditions dans lesquelles Madame [Q] [A] a été entendue par l'auditeur, la SA SOCIETE GENERALE fait valoir que la mesure d'enquête sert précisément à recueillir des éléments factuels, et qu'il apparaît délicat de pouvoir convoquer formellement la salariée en l'informant précisément de l'objet de l'entretien avec l'auditeur, un salarié malintentionné pouvant, en prévision de l'entretien, être tenté de détruire des documents qui pourraient s'avérer utiles à l'enquête. Cette explication n'est pas probante, notamment dans la mesure où il n'a pas été demandé à Madame [Q] [A] de se munir des documents nécessaires et où, lors de l'audition, l'auditeur avait connaissance des faits imputés à Madame [Q] [A] puisqu'on peut lire dans son rapport établi le jour même « que la délégation de [Localité 4] a sollicité l'intervention de l'audit concernant les opérations initiées par la responsable de l'agence de [Localité 1] [Localité 2], qui a transmis au cabinet de courtage « Point Finances », dont son conjoint est le représentant sur la zone de chalandise de [Localité 1], plusieurs dossiers de clients sollicitant le regroupement voire la restructuration de crédits, et ce principalement entre février et septembre 2010, et que ce même rapport cite 10 dossiers de clients au rachat de crédit dont le nom et le montant de la dette sont cités, ce qui démontre que l'auditeur avait, au préalable, recueilli les éléments factuels nécessaires à son enquête.

S'agissant des conditions d'obtention du consentement de Madame [Q] [A] aux mesures de mutation et de rétrogradation, la SA SOCIETE GENERALE ne démontre pas en quoi le recueil de ce consentement était nécessaire et devait s'opérer avec autant de précipitation.

Ainsi, la SA SOCIETE GENERALE ne rapporte pas la preuve qui lui incombe tant sur le caractère non constitutif de harcèlement de ces agissements, que sur le caractère justifié par des éléments objectifs, étrangers à tout harcèlement, des décisions qu'elle a prises.

La diversité de ces agissements et leur survenue au cours de plusieurs mois, de mai 2010 à janvier 2011, établissent leur caractère répété.

Leur survenue a eu pour effet une dégradation des conditions de travail de Madame [Q] [A], susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

La cour retient l'existence d'un harcèlement moral dont a été victime Madame [Q] [A].

Le jugement sera infirmé sur ce point.

Le harcèlement moral dont a été victime Madame [Q] [A] a causé un préjudice qui sera réparé par l'allocation d'une somme de 20 000 euros.

Sur les sanctions disciplinaires

Madame [Q] [A] estime injustifiées les sanctions de mutation et de rétrogradation. Elle demande leur annulation ainsi qu'un rappel de salaire correspondant à la perte de rémunération consécutive à la rétrogradation.

La SA SOCIETE GENERALE répond que les faits ayant justifié la sanction étaient parfaitement avérés.

En cas de contestation devant le juge prud'homal de toute mesure disciplinaire prise à son encontre par un salarié, le juge apprécie la régularité de la procédure et si les faits reprochés à l'intéressée sont de nature à justifier la sanction contestée. Au cas d'espèce, la commission par Madame [Q] [A] des fautes retenues par son employeur pour prononcer sa mutation et sa rétrogradation, est établie ainsi qu'il a été exposé ci-dessus. Les sanctions prononcées sont justifiées et proportionnées aux faits commis. En conséquence leur annulation n'est pas encourue.

En conséquence, Madame [Q] [A] ne peut prétendre à l'allocation de rappel de salaire au titre de sa rétrogradation.

Le jugement sera confirmé sur ce point.

Sur la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail

Le salarié peut obtenir la résiliation judiciaire de son contrat de travail en cas de manquements de l'employeur à ses obligations rendant impossible la poursuite du contrat de travail.

Les manquements doivent être appréciés en tenant compte de toutes les circonstances intervenues jusqu'au jour de la décision judiciaire, notamment si à cette date les faits incriminés ont cessé ou ont été régularisés

Madame [Q] [A] fonde sa demande de résiliation judiciaire sur les faits de harcèlement moral examinés ci-dessus.

La cour a retenu l'existence de faits constitutifs de harcèlement moral subis par Madame [Q] [A] entre le mois de mai 2010 et le mois de janvier 2011. Elle a écarté le caractère injustifié de la décision de mutation, accompagnée de rétrogradation, prise par l'employeur.

Madame [Q] [A] n'invoque pas l'existence de nouveaux faits constitutifs de harcèlement moral survenus depuis sa prise de poste à [Localité 3], ou la persistance de faits ce cette nature.

Depuis cette prise de poste, il y a plusieurs années, la relation de travail se poursuit.

Ainsi, les faits de harcèlement moral dont Madame [Q] [A] a été l'objet sont anciens et ils ont cessé.

Il en résulte que les manquements de l'employeur à ses obligations ne sont pas à ce jour d'une gravité telle qu'ils rendent impossible la poursuite du contrat de travail.

La demande de prononcé de la résiliation judiciaire du contrat de travail n'est pas fondée.

Le jugement sera, sur ce point, confirmé.

Sur la demande de dommages et intérêts distincts

Madame [Q] [A] sollicite la condamnation de la SA SOCIETE GENERALE à lui payer 50 000 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice distinct faisant valoir que son employeur l'a accusée des pires faits, ce qui a altéré sa santé, et l'a éloignée géographiquement de son compagnon, ce qui a occasionné au ménage un préjudice financier.

Elle ne justifie pas subir un préjudice consécutif à l'imputation de reproches injustifiés, distinct de celui résultant du harcèlement moral réparé par l'allocation de dommages et intérêts déterminés ci-dessus. La mutation à [Localité 3] étant justifiée, Madame [A] n'est pas fondée à réclamer la réparation d'un préjudice induit par l'éloignement géographique des lieux de résidence des membres du couple.

La demande de dommages et intérêts complémentaires ne sera pas accueillie.

Sur le cours des intérêts

Conformément aux dispositions de l'article 1153-1 du code civil, les dommages et intérêts alloués seront assortis d'intérêts au taux légal à compter de la présente décision.

La capitalisation des intérêts est de droit, dès lors qu'elle est demandée et s'opérera par année entière en vertu de l'article 1154 du code civil.

Sur les frais irrépétibles

Partie succombante, la SA SOCIETE GENERALE sera condamnée à payer à Madame [Q] [A] la somme de 2000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Sur les dépens

Partie succombante, la SA SOCIETE GENERALE sera condamnée au paiement des dépens.

PAR CES MOTIFS

La cour,

INFIRME le jugement mais seulement en ce qu'il a rejeté la demande de dommages et intérêts pour harcèlement moral,

ET STATUANT à nouveau sur le chef infirmé:

CONDAMNE la SA SOCIETE GENERALE à payer à Madame [Q] [A] les sommes de 20 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du harcèlement moral, avec intérêts au taux légal à compter du jour du présent arrêt,

ORDONNE la capitalisation des intérêts pourvu qu'ils soient dus pour une année entière au moins,

CONFIRME le jugement déféré pour le surplus,

AJOUTANT,

CONDAMNE la SA SOCIETE GENERALE à payer à Madame [Q] [A] la somme de 2000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

DÉBOUTE les parties de leurs demandes plus amples et contraires,

CONDAMNE la SA SOCIETE GENERALE au paiement des dépens.

LA GREFFIERE LE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 6
Numéro d'arrêt : 15/03350
Date de la décision : 30/03/2016

Références :

Cour d'appel de Paris K6, arrêt n°15/03350 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2016-03-30;15.03350 ?
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