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30/03/2016 | FRANCE | N°14/00470

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 10, 30 mars 2016, 14/00470


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 10



ARRÊT DU 30 Mars 2016



(n° , 08 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : S 14/00470



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 30 Septembre 2013 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOBIGNY RG n° 12/00456



APPELANTE

SA AIR FRANCE

N° SIRET : 420 495 178 00014

D.P. AV.

[Adresse 1]

[Adresse 1]

représentée par

Me Baudouin DE MOUCHERON, avocat au barreau de PARIS, toque : T03, substitué par Me Aurélien BOULANGER, avocat au barreau de PARIS



INTIMEE

Madame [Y] [Q]

née le [Date naissance 1] 1969 à...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 10

ARRÊT DU 30 Mars 2016

(n° , 08 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S 14/00470

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 30 Septembre 2013 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOBIGNY RG n° 12/00456

APPELANTE

SA AIR FRANCE

N° SIRET : 420 495 178 00014

D.P. AV.

[Adresse 1]

[Adresse 1]

représentée par Me Baudouin DE MOUCHERON, avocat au barreau de PARIS, toque : T03, substitué par Me Aurélien BOULANGER, avocat au barreau de PARIS

INTIMEE

Madame [Y] [Q]

née le [Date naissance 1] 1969 à [Localité 1]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

comparante en personne

assistée de Me Armelle RONZIER JOLY, avocat au barreau de PARIS, toque : B0255

(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2014/003051 du 26/02/2014 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de PARIS)

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 08 Février 2016, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Mme Stéphanie ARNAUD, Vice-président placé, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Madame Marie-Antoinette COLAS, président de chambre

Madame Françoise AYMES-BELLADINA, conseiller

Madame Stéphanie ARNAUD, vice président placé faisant fonction de conseiller par ordonnance du Premier Président en date du 26 novembre 2015

Greffier : Mme Caroline CHAKELIAN, lors des débats

ARRET :

- contradictoire

- prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Marie-Antoinette COLAS, président de chambre et par Madame Caroline CHAKELIAN, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Madame [Y] [Q] a été engagée par la société Air France le 15 janvier 1999 par contrat à durée indéterminée en qualité de personnel navigant commercial.

La société compte plus de dix salariés. La relation de travail est soumise aux dispositions de l'accord collectif d'entreprise.

Par courrier recommandé daté du 23 juin 2010, Madame [Q] a pris acte de la rupture de son contrat de travail aux torts de son employeur. Elle a saisi le conseil de prud'hommes de Bobigny qui, par jugement du 30 septembre 2013, a partiellement fait droit à ses demandes et condamné l'employeur à lui verser les sommes suivantes avec intérêts au taux légal :

- 8.832,36 euros à titre de rappel de salaire pour la période du 1/01/2010 au 23/06/2010, outre les congés afférents,

- 5.888,24 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, outre les congés afférents,

- 7.360,30 euros au titre de l'indemnité de licenciement,

- 17.664,72 euros au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Le jugement a également condamné l'employeur à verser la somme de 1.200 euros au conseil de Madame [Q] en application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridictionnelle.

La société Air France a régulièrement interjeté appel de cette décision et, à l'audience du lundi 8 février 2016, demande à la cour de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a jugé que la salariée n'a été victime d'aucun harcèlement et de l'infirmer pour le surplus en déboutant Madame [Q] de l'ensemble de ses demandes. La société sollicite en outre la somme de 3.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Madame [Q] demande à la cour de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a jugé que la prise d'acte de la rupture devait s'analyser en un licenciement sans cause réelle et sérieuse, de confirmer le jugement sur le montant de l'indemnité compensatrice de préavis et les congés afférents mais de l'infirmer pour le surplus. Elle réclame la condamnation de la société Air France à lui verser les sommes suivantes :

- 17.664,72 euros à titre de rappel de salaire pour la période du 1er janvier au 23 juin 2010, outre les congés afférents,

- 3.000 euros à titre de dommages et intérêts pour non respect de l'obligation de reprise du salaire conformément aux dispositions de l'article L1226-4 et suivants du code du travail,

- 21.941,89 euros au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement,

- 17.664,72 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 80.500 à titre de dommages et intérêts en réparation des préjudices moral, professionnel et financier,

- 38.171,52 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement,

- 6.000 euros à titre de dommages et intérêts pour non remise des documents sociaux en exécution du jugement,

- 3.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Elle sollicite également la capitalisation des intérêts et la remise d'un certificat de travail, de bulletins de paie et d'une attestation pôle emploi conformes à l'arrêt à intervenir sous astreinte de 200 euros par jour et par document.

Madame [Q] demande enfin la condamnation de la société Air France à verser à Maître Ronzier Joly la somme de 5.040 euros sur le fondement des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 au titre de la procédure d'appel et de confirmer la somme allouée à ce titre en première instance.

Pour plus ample exposé de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs conclusions visées par le greffier, développées lors de l'audience des débats.

***

MOTIFS

Sur les faits de harcèlement

Aux termes de l'article L.1153-1, du code du travail, les agissements de harcèlement de toute personne dans le but d'obtenir des faveurs de nature sexuelle à son profit ou au profit d'un tiers sont interdits.

Aux termes de l'article L.1152-1 du Code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

L'article L.1154-1 du même code prévoit qu'en cas de litige, le salarié concerné établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement et il incombe alors à l'employeur, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

En l'espèce Madame [Q] indique avoir fait l'objet à deux reprises d'actes de harcèlement sexuel et d'intimidation de la part d'un collègue de travail. Une première fois lors du vol [Localité 2] [Localité 3] du 27 septembre 2006 et une seconde fois en juin 2007 dans l'hôtel où l'équipage était logé.

Pour étayer ses affirmations, elle produit notamment :

- un courrier non datée qu'elle a adressé à la direction d'Air France dans lequel elle relate les faits dont elle prétend avoir été victime,

- un certificat médical daté du 4 janvier 2008 faisant état d'un état dépressif,

- sa plainte pour harcèlement moral et sexuel en date du 22 février 2008,

- une main courante du 13 juillet 2007,

- un email de Madame [G] [V] en date du 18 novembre 2008, membre d'équipage sur le vol [Localité 3] [Localité 4] en juin 2007 indiquant « C'est ainsi que [Y] m'a raconté sa mésaventure sur un vol précédent sur [Localité 2] qui datait de quelques mois. Elle semblait très affectée par ce qui s'était passé sur cette rotation et de se retrouver confrontée à nouveau à l'une des personnes qui avait participé activement à ce traumatisme ' Je n'ai rien noté de particulier lors de ce vol aller (') Arrivés à l'hôtel à [Localité 4], après avoir pris chacun les clefs de nos chambres, nous nous sommes retrouvés à 4 personnes dans l'ascenseur. [Y], [O], une autre hôtesse et moi-même. J'ai été étonnée de constater que [O] ignorait totalement [Y]. Autant il plaisantait avec nous, de manière franche et directe, autant il l'occultait complètement ' Aucun regard, aucun geste, comme si elle n'existait pas dans cet espace restreint. Cela m'a réellement interpellée ' Ils sont descendus au même étage. Toujours sans un regard. J'ai senti [Y] très tendue. Comme figée. Je me suis dit que j'allais l'appeler dès mon arrivée dans la chambre pour la réconforter. [Y] était très agitée. Ébranlée, avec de la colère dans la voix. Elle m'a raconté que [O] s'était mis à lui parler dès la fermeture des portes de l'ascenseur. La narguant, susurrant des paroles déplacées, autant de menaces déguisées. Des paroles qui peuvent être prises pour un jeu, certes, lorsque deux personnes sont complices mais qui sonnent comme une menace lorsqu'une quelconque animosité existe (') Le lendemain matin, elle n'est pas descendue dans la salle du petit déjeuner non plus, préférant sans doute rester à distance. Par contre [O] est apparu en milieu de matinée et s'est installé à la table de l'équipage. Quasi immédiatement, il s'est mis à nous poser des questions sur [Y]; « Vous la connaissez ' Vous la trouvez comment ' » Les personnes autour de la table sont restées très évasives (') C'est à ce moment là que [O] s'est mis à nous raconter l'épisode de la veille dans le couloir de l'hôtel. Les faits restaient les mêmes, mais l'éclairage était très différent. Dans sa bouche, il s'agissait juste d'une plaisanterie qu'il avait voulu faire entre camarades et la réaction qu'il décrivait de [Y] était assez proche de l'hystérie (') Sur le vol de retour [Localité 3], un peu avant l'embarquement, [O] est descendu du pont principal pour venir plaisanter avec l'équipe de l'arrière. Occultant à nouveau [Y] d'une manière ostensible à mes yeux, jusqu'à ce qu'il se tourne vers elle d'une façon assez brutale. Sous couvert de plaisanterie toujours, mais je n'ai pu m'empêcher de noter une différence de ton. Je ne me souviens plus du sujet abordé ni des termes employés, mais [Y] ne s'est pas laissée faire (...) »,

- un courrier de Monsieur [C] [S], ami de la salariée, indiquant « J'ai constaté qu'elle a été profondément ébranlée par des événements survenus à l'automne 2006 puis à l'été 2007. Depuis ces événements, dont elle dit qu'ils avaient impliqué deux collègues, elle est apparue déprimée, anxieuse, se plaignant de troubles du sommeil et de cauchemars récurrents »,

- un rapport des UMJ daté du 7 mars 2008 concluant que « les données de l'entretien sont compatibles avec l'agression rapportée »,

- une attestation de la psychologue clinicienne en charge du suivi thérapeutique de la salariée entre novembre 2008 et décembre 2009 indiquant qu'elle a développé « un syndrome post-traumatique ».

En l'état des explications et des pièces fournies, la matérialité d'éléments de fait précis et concordants laissant supposer l'existence d'un harcèlement moral et/ou sexuel n'est pas démontrée. En effet, si on ne peut douter de la souffrance psychologique de Madame [Q], aucun élément extérieur et objectif ne permet de corroborer ses allégations et d'établir un lien direct avec son état de santé, ce que relève également la commission de prévention des harcèlements d'Air France. Il n'existe aucun témoin des faits qui sont par ailleurs contestés par le collègue incriminé. Le courriel de Madame [V] ne fait état que des déclarations rapportées par la salariée et de l'interprétation d'un comportement sans établir la réalité de faits laissant supposer l'existence d'un harcèlement ou d'une agression.

Les demandes relatives au harcèlement doivent par conséquent être rejetées.

Par suite, le jugement déféré est confirmé en ce qu'il a débouté Madame [Q] de sa demande d'indemnisation en réparation des faits de harcèlement dont elle aurait été victime.

Sur la prise d'acte

En cas de prise d'acte de la rupture du contrat de travail par le salarié, cette rupture produit, soit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, si les faits invoqués la justifiaient, soit, dans le cas contraire, d'une démission.

Il appartient au salarié d'établir les faits qu'il allègue à l'encontre de l'employeur.

L'écrit par lequel le salarié prend acte de la rupture du contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur ne fixe pas les limites du litige ; le juge est tenu d'examiner les manquements de l'employeur invoqués devant lui par le salarié, même si celui-ci ne les a pas mentionnés dans cet écrit.

En l'espèce, Madame [Q] a pris acte de la rupture de son contrat de travail aux torts de son employeur, par courrier du 23 juin 2010 rédigé en ces termes :

« Par la présente, je prends acte de la rupture de contrat à vos torts et demande de dommages et intérêts, ce qui est prévu en cas de comportement fautif de l'employeur.

J'exerce la fonction de Personnel Navigant Commercial depuis le 15 janvier 1999 en CDI.

Veuillez notifier mon statut dans l'entreprise afin d'engager la procédure ad hoc. »

En l'espèce, Madame [Q] estime que son employeur n'a pas tenu compte des propositions du médecin du travail dans le cadre de son reclassement et a également manqué à son obligation de sécurité de résultat.

Ainsi elle fait valoir que dans le cadre d'une visite de reprise après maladie du 2 octobre 2009, le médecin du travail a rendu l'avis suivant « Inaptitude temporaire au vol. Apte au sol pour 6 mois en mi-temps thérapeutique sous réserve accord SS ». Elle ajoute qu'au terme de son arrêt maladie le 1er janvier 2010, elle s'est tenue à la disposition de son employeur qui n'a jamais organisé de visite de reprise, ne lui a proposé aucun poste et n'a ainsi pas tenu compte des prescriptions du médecin du travail en ne la reclassant pas en violation des dispositions conventionnelles.

S'agissant de l'obligation de sécurité de résultat pesant sur l'employeur, Madame [Q] précise que la société Air France n'a pas pris l'initiative d'organiser une visite médicale de reprise au terme de son arrêt de travail alors que la dernière visite datait de trois mois et que son état de santé avait pu évoluer entre temps. Elle ajoute que suite aux faits de harcèlement dont elle a été victime, la société Air France n'a rien mis en 'uvre pour préserver sa santé physique et psychique et notamment en faisant en sorte qu'elle ne soit jamais planifiée sur les mêmes vols que son agresseur.

Concernant le reclassement de la salariée, la société Air France fait valoir que suite à l'avis du médecin du travail du 2 octobre 2009, Madame [Q] a à nouveau bénéficié d'un arrêt de travail pour maladie jusqu'au 31 décembre 2009. Aucune reprise d'activité n'était dès lors possible, le contrat de travail étant encore suspendu.

De la même manière, les dispositions conventionnelles relatives au reclassement des salariés déclarés inaptes provisoires au vol, ne pouvaient s'appliquer, Madame [Q] étant toujours en arrêt maladie.

Sur l'absence de convocation à une visite de reprise, la société Air France constate que la salariée a été convoquée devant le CEMA, en charge d'apprécier son aptitude à la reprise d'une activité vol, mais qu'elle ne s'est pas rendue au rendez-vous fixé au 15 février 2010.

Elle estime que Madame [Q] ne s'est pas tenue à la disposition de son employeur au terme de son arrêt de travail, en sollicitant une rupture conventionnelle de son contrat de travail, exprimant ainsi sa volonté de quitter l'entreprise.

Enfin s'agissant des mesures mises en 'uvre pour préserver la santé et la sécurité de la salariée, la société Air France fait valoir que lorsqu'elle a été informée des faits le 23 juin 2007, la direction a immédiatement reçu Madame [Q], l'invitant à consulter un médecin du travail et a diligenté une enquête. Elle a ensuite donné une suite favorable aux demandes de mobilité et de passage en temps alterné formulées par la salariée, qu'elle a reçue à plusieurs reprises. L'employeur précise que la commission locale de prévention contre le harcèlement a également été réunie le 12 mai 2009.

L'article R. 4624-22 du code du travail dans sa rédaction antérieure au 30 janvier 2012 applicable à l'espèce, dispose que le salarié bénéficie d'un examen de reprise du travail par le médecin du travail (') après une absence d'au moins vingt-et-un jours pour cause de maladie ou d'accident non professionnel.

Seul l'examen pratiqué par le médecin du travail dont doit bénéficier le salarié à l'issue des périodes de suspension du contrat de travail lors de la reprise du travail en application des articles R4624-21 et R4624-22 du Code du travail met fin à la période de suspension.

Il n'est pas contesté que Madame [Q] a bénéficié d'un arrêt de travail pour maladie, renouvelé à plusieurs reprises entre le 25 mars 2008 et le 31 décembre 2009.

Dès lors, les préconisations du médecin du travail suite à la visite de reprise effectuée le 2 octobre 2009, n'avaient pas lieu d'être appliquées compte tenu du renouvellement de l'arrêt de travail au cours des mois qui ont suivi. Une nouvelle visite médicale de reprise devait être organisée après le 31 décembre 2009 à défaut de laquelle le contrat de travail demeurait suspendu.

Madame [Q] ne peut donc invoquer un manquement de l'employeur s'agissant de l'absence de reclassement au sol en application des dispositions conventionnelles ou d'une absence de respect des préconisations du médecin du travail.

Lorsque le salarié a manifesté son intention de reprendre ou a repris le travail, l'initiative de faire passer au salarié une visite de reprise revient à l'employeur. Cette obligation relève de l'obligation générale de sécurité de résultat inscrite à l'article L4121-1 du code du travail. Toutefois, cette obligation de l'employeur d'organiser une visite de reprise suppose que le salarié ait manifesté l'intention de reprendre son travail. En l'absence de toute initiative du salarié traduisant son désir de reprendre le travail, l'employeur n'est tenu par aucune obligation à cet égard et le contrat de travail demeure suspendu. Ainsi un salarié ne peut, après avoir cessé d'adresser à son employeur des arrêts maladie, reprocher à ce dernier de ne pas l'avoir convoquée à une visite de reprise, alors qu'il n'avait pas demandé à reprendre le travail.

En l'espèce, il n'est pas contesté que la société Air France n'a pas pris l'initiative d'organiser une nouvelle visite médicale de reprise au terme de l'arrêt de travail de la salariée. Pour autant, il ressort des pièces versées aux débats, que Madame [Q] a adressé le 31 décembre 2009 une demande de rupture conventionnelle de son contrat de travail à effet au 31 janvier 2010. Elle a ainsi manifesté une volonté de mettre un terme à la relation de travail et n'a par la suite ni sollicité une reprise de son activité ni l'organisation d'une visite de reprise. Elle ne conteste par ailleurs pas, son absence à la visite du 15 février 2010 organisée par le CEMA en charge d'évaluer son aptitude à la reprise d'une activité vol.

Dès lors, aucun manquement justifiant une prise d'acte aux torts de l'employeur ne peut être invoqué sur ce point.

Enfin s'agissant des mesures mises en 'uvre pour préserver la santé et la sécurité de la salariée suite à sa dénonciation des faits de harcèlement dont elle aurait été victime, il convient de constater que la société Air France a été informée des faits par un courrier du 23 juin 2007. Il n'est pas contesté qu'à la suite de ce courrier, Madame [Q] a été reçue par la direction de l'entreprise dès le 26 juin et a été orientée vers la médecine du travail préalablement informée de sa situation.

Une enquête interne a ensuite été diligentée, la personne incriminée par Madame [Q] a ainsi été entendue, ce dont la salariée était informée dès le 25 juillet 2007.

Le 3 août 2007, la société Air France a donné une suite favorable à la demande de mobilité de Madame [Q] à compter du 1er janvier suivant.

Le 18 septembre 2007, la direction de la société a invité Madame [Q] à venir consulter les photos des différents membres d'équipage afin qu'elle puisse identifier un éventuel témoin des faits dont elle aurait été victime. Relancée par la salariée, la direction l'informait les 16 et 22 octobre 2007, que le salarié témoin se trouvait en arrêt maladie, raison pour laquelle il n'avait pas été entendu.

Par courrier du 12 décembre 2008, l'employeur informait la salariée que l'enquête interne n'avait pas permis de confirmer ses déclarations et qu'une réunion informelle avait été organisée à la demande de deux membres du CHSCT afin de faire le point sur sa situation et de mettre en place pour son retour un accompagnement personnalisé.

Le 12 mai 2009, la commission locale de prévention contre les harcèlements s'est réunie.

Si on ne peut que constater l'importante durée des investigations menée par la société Air France, il n'en demeure pas moins qu'immédiatement après avoir été informée des faits par la salariée, cette dernière a été reçue par la direction et orientée vers la médecine du travail qui lui a proposé la mise en place d'un suivi thérapeutique. Il convient également de constater que Madame [Q] a rapidement été affectée sur une nouvelle division afin qu'elle ne soit plus amenée à côtoyer son ancien collègue de travail, étant précisé que suite aux faits du 27 octobre 2006, Madame [Q] n'avait jamais rencontré Monsieur [O] [A] jusqu'au 18 juin 2007.

Dès lors, la société Air France ayant pris les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale de sa salariée aucun manquement ne peut lui être reproché sur ce point.

Au regard de l'ensemble de ces éléments, aucun manquement ne pouvant être mis à la charge de l'employeur, la prise d'acte de Madame [Q] doit s'analyser comme une démission.

Dans ces conditions, les demandes de Madame [Q] au titre de l'indemnisation de son préjudice pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et de son préjudice moral et financier doivent être rejetées. Le jugement déféré sera infirmé.

Sur la demande de rappel de salaires

Le manquement de l'employeur à ses obligations telles qu'elles résultent des dispositions de l'article R 4624-21 et R.4624-22 du code du travail relatives à la visite médicale de reprise se résout en dommages et intérêts mais ne permet pas à la salariée qui n'a pas exécuté de prestation de travail de demander utilement un rappel de salaire.

Madame [Q] sera déboutée du chef de cette demande de rappel de salaire, étant observé qu'elle n'a pas sollicité de dommages et intérêts. Le jugement déféré sera en conséquence infirmé sur ce point.

Sur la demande de dommages et intérêts pour non respect de l'obligation de reprise du paiement du salaire

Aux termes de l'article L1226-4 du code du travail, lorsqu'à l'issue d'un délai d'un mois à compter de la date d'examen médical de reprise, le salarié déclaré inapte n'est pas reclassé dans l'entreprise ou s'il n'est pas licencié l'employeur lui verse, dès l'expiration de ce délai, le salaire correspondant à l'emploi que celui-ci occupait avant la suspension de son contrat de travail.

Dans la mesure où il a été relevé précédemment que la salariée n'a pas manifesté l'intention de reprendre son travail, que l'absence de visite de reprise ne peut être reprochée à l'employeur. La demande d'indemnisation de Madame [Q] de ce chef sera par conséquent rejetée.

Sur la remise tardive des documents sociaux rectifiés

Le jugement du conseil de prud'hommes de Bobigny ordonnant la remise des documents sociaux rectifiés n'étant pas revêtu de l'exécution provisoire, il ne saurait être fait grief à la société Air France, qui a régulièrement interjeté appel de cette décision, de ne pas avoir délivré lesdits documents. La demande d'indemnisation de Madame [Q] sera par conséquent rejetée.

Sur la demande de remise des documents sociaux

Eu égard aux précédents développements, la demande relative à la remise sous astreinte d'un certificat de travail, de bulletins de paie et d'une attestation Pôle Emploi est sans objet et sera donc rejetée.

Sur les frais de procédure

Il n'est pas inéquitable que chacune des parties conserve la charge des frais non compris dans les dépens qu'elle a pu exposer, il n'y a donc pas lieu à indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

Confirme le jugement déféré en ce qu'il a rejeté les demandes de dommages et intérêts de la salariée pour harcèlement,

L'infirme pour le surplus,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Déboute Madame [Q] de l'ensemble de ses demandes,

Déboute les parties de leur demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991,

Laisse à chacune des parties les dépens exposés par elle.

LE GREFFIER LE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 10
Numéro d'arrêt : 14/00470
Date de la décision : 30/03/2016

Références :

Cour d'appel de Paris L1, arrêt n°14/00470 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2016-03-30;14.00470 ?
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