RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 6
ARRÊT DU 30 Mars 2016
(n° , pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 13/06086 EMJ
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 16 Mai 2013 par le Conseil de prud'hommes - Formation de départage de PARIS RG n° 10/01015
APPELANTE
Madame [P] [P]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
comparante en personne, assistée de Me Laurent SUSSAN, avocat au barreau de PARIS, toque : C2606
INTIMEE
SELAFA MJA prise en la personne de Maitre [N] [N] es-qualité de Mandataire Liquidateur de la SA CRM COMPANY GROUP
[Adresse 2]
[Adresse 2]
représentée par Me Catherine LAUSSUCQ, avocat au barreau de PARIS, toque : D0223 substitué par Me Isabelle TOLEDANO, avocat au barreau de PARIS, toque : E1354
PARTIE INTERVENANTE :
AGS CGEA IDF EST
[Adresse 3]
[Adresse 3]
représenté par Me Arnaud CLERC, avocat au barreau de PARIS, toque : T10 substitué par Me Mathilda DECREAU, avocat au barreau de PARIS, toque : T10
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 15 Février 2016, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Elisabeth MEHL-JUNGBLUTH, Conseillère, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Monsieur Benoît DE CHARRY, Président
Madame Catherine BRUNET, Conseillère
Madame Elisabeth MEHL-JUNGBLUTH, Conseillère
Greffier : Mme Eva TACNET, greffière lors des débats
ARRET :
- contradictoire
- mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.
- signé par Monsieur Benoît DE CHARRY, président et par Madame Eva TACNET, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
RAPPEL DES FAITS, PROCEDURE ET MOYENS DES PARTIES
Madame [P] [P] a été engagée par contrat à durée indéterminée du 15 février 1996 par la société NDC et ASSOCIES, société d'agence de communication en qualité de chef de publicité, statut cadre.
En août 2006, la société CRM COMPANY a acquis la société NDC et ASSOCIES.
Crée en 2001, la société CRM COMPANY a, courant 2006, racheté outre la société NDC et ASSOCIES, la société SINGAPOUR et la société COCCINELLES et a été introduite en bourse.
En 2008, CRM COMPANY a poursuivi ses acquisitions par les sociétés MEGALOSTUDIO, XOTOX, EVALIMAGE et MS CONSEIL, toutes spécialisées dans la communication relationnelle.
Le siège social des sociétés composant le groupe a été rassemblé au [Adresse 4].
Le 12 juin 2008 la société CRM COMPANY GROUP et ses 9 filiales ont constitué une UES.
Au 31 décembre 2008, les sociétés CRM SANTE, XOTOX, COCCINELLES, avaient été absorbées par THE CRM COMPANY, et EVALIMAGE par SINGAPOUR de sorte que début 2009, NDC et ASSOCIES, employeur de Madame [P] [P] faisait partie du groupe CRM COMPANY, qui ne regroupait plus que 6 sociétés soit, CRM COMPANY GROUP, THE CRM COMPANY MARKETING ET SERVICES, CRM INTERACTIONS, SINGAPOUR, NDC et ASSOCIES, et MEGALOSTUDIO.
La restructuration du groupe a perduré en 2009.
Ainsi notamment le 29 janvier 2009, la société THE CRM COMPANY, filiale à 100% de CRM COMPANY GROUP, a notifié à Madame [P] [P] que l'activité à laquelle elle était rattachée au sein de la société NDC ASSOCIES avait été reprise en location-gérance par elle et que son contrat de travail lui avait été automatiquement transféré aux mêmes conditions.
Au mois de juin 2009, le groupe CRM COMPANY a procédé à l'élection d'une délégation unique du personnel au comité d'entreprise dans le cadre de l'unité économique et sociale constituée par les 4 sociétés constituant encore le groupe.
Le 14 octobre 2009 le comité d'entreprise consulté, a rendu un avis favorable aux 8 suppressions envisagées dont celle de l'emploi de Madame [P] [P] et l'administration a été informée de la réorganisation.
Le 19 octobre 2009 Madame [P] [P] a été convoquée un entretien préalable à son éventuel licenciement économique pour le 30 octobre 2009.
Par courrier du 17 novembre 2009, Madame [P] [P] a été licenciée pour motif économique.
En dernier lieu elle exerçait les fonctions de directrice conseil statut cadre niveau 3. 3 de la convention collective nationale de la publicité applicable.
En décembre 2009, par la poursuite de la restructuration du groupe ont encore été absorbées et dissoutes, les sociétés CRM INTERACTION, NDC et ASSOCIES, SINGAPOUR et THE CRM COMPANY aux droits de laquelle est venue la SA CRM COMPANY GROUP.
Contestant notamment le bien-fondé de son licenciement, Madame [P] [P] a saisi le 25 janvier 2010, le conseil de prud'hommes de Paris.
Le 29 septembre 2010, Madame [P] [P] a fait valoir sa priorité de réembauchage.
Par jugement en départage en date du 16 mai 2013 le conseil de prud'hommes de Paris :
- a dit Madame [P] [P] irrecevable en sa demande de nullité du licenciement,
- a débouté Madame [P] [P] de l'ensemble de ses demandes,
- la condamner à payer à la CRM COMPANY GROUP la somme de 500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- a condamné Madame [P] [P] aux dépens.
Madame [P] [P] a régulièrement interjeté appel.
Par jugement du 15 octobre 2014, le tribunal de commerce de PARIS a prononcé l'ouverture d'un redressement judiciaire de la SA CRM COMPANY GROUP, et a fixé la date de cessation des paiements au 15 avril 2013.
Par jugement du 11 décembre 2014, un plan de cession a été adopté.
Le 14 octobre 2015, le tribunal de commerce a prononcé la liquidation judiciaire et désigné maître [N] [N] en qualité de mandataire liquidateur.
L'affaire a été appelée et évoquée à l'audience du 15 février 2016.Les parties ont développé leurs conclusions visées ce jour.
Madame [P] [P] demande à la cour d'infirmer le jugement du conseil de prud'hommes du 16 mai 2013 en toutes ses dispositions. Elle reproche à l'employeur l'absence de plan de sauvegarde l'emploi, l'absence de motif économique de son licenciement contenu dans la lettre du 17 novembre 2009, l'inexistence d'un reclassement préalable et individualisé, et la violation des critères d'ordre et de la priorité de ré embauchage.
Elle demande en conséquence à la cour :
- à titre principal de dire que son licenciement est nul pour absence de PSE,
- de fixer son indemnité pour licenciement nul à la somme de 94 897 euros,
- en tout état de cause de dire que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse est abusif et qu'il produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse et de condamner la liquidation de CRM COMPANY GROUP à lui verser les sommes suivantes sur la base d'un salaire brut mensuel de référence de 5 250 euros :
*94'897 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
*5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile
- d'ordonner d'office le remboursement de 6 mois d'indemnités de chômage aux organismes intéressés en application de l'article L 1235 ' 4 du code du travail
- d'ordonner la remise des documents sociaux, l'attestation pôle emploi, le reçu pour solde de tout compte et les bulletins de paie complémentaires, dans les 10 jours du prononcé de l'arrêt d'appel sous astreinte de 150 euros par jour de retard passé ce délai,
- de se réserver expressément le pouvoir de liquider cette astreinte en application de l'article 35 de la loi du 9 juillet 1991,
- d'assortir les condamnations d'intérêts au taux légal à compter de la convocation devant le bureau de conciliation le 1er février 2010 et la capitalisation des intérêts,
- de dire que les indemnités et créances seront fixées et prises en charge dans le cadre de la liquidation, par l'AGS, en application du plafond 6.
Maître [N] [N] ès-qualités de liquidateur de la société CRM COMPANY GROUP développe que la SA THE CRM COMPANY, employeur de Madame [P] [P] faisait partie en 2009 du groupe CRM COMPANY constitué de plusieurs sociétés ayant la même activité de conseil en marketing, communications et bases de données, toutes radiées ou en cours de liquidation à ce jour, qui a été confronté à la récession économique en 2008 qui a entrainé des pertes financières de plusieurs millions d'euros et des difficultés économiques nécessitant la dissolution de plusieurs sociétés du groupe dès 2008, la nécessité de restructurer l'ensemble d'entre elles et de procéder à des licenciements économiques dont Madame [P] [P] pour laquelle aucun reclassement n'a été possible.
Il ajoute que les demandes de Madame [P] [P] concernant la nullité de son licenciement pour absence de mise en place d'un PSE sont prescrites, subsidairement mal fondées.
Maitre [N] [N] ès-qualités de liquidateur de la société CRM COMPANY GROUP conclut en conséquence en demandant à la cour de confirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Paris, de dire Madame [P] [P] prescrite ou mal fondée dans toutes ses demandes et de la condamner à lui payer la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Le centre de gestion et d'études AGS d'île de France ouest précise que l'instance s'inscrit dans le cadre des dispositions des articles L625 '1 et suivants du code du commerce et qu'elle est intervenante forcée en la cause de sorte que les demandes en condamnation de Madame [P] [P] sont irrecevables et ne peuvent tendre qu'à la fixation des créances au passif de la procédure collective et à voir préciser si elle doit ou non sa garantie dans la limite des plafonds légaux.
Sur le fond elle s'associe aux explications de mandataire liquidateur soulevant l'irrecevabilité, subsidiairement le mal fondé, de toutes les demandes et en tout cas concluant à la réduction des indemnités sollicitées en l'absence de preuve du préjudice subi.
Elle rappelle enfin qu'elle n'est pas concernée par les demandes de remboursement à pôle emploi des allocations chômage, ni par la délivrance de documents, que les intérêts ont nécessairement été arrêtés au jour de l'ouverture de la procédure collective, que sa garantie ne couvre que les créances de nature salariale dans la limite des plafonds légaux.
Par note en délibéré madame [P] a transmis à la cour les éléments sur son revenu.
Il est référé pour de plus amples exposés des prétentions et demandes des parties aux conclusions des parties déposées et visées ce jour.
MOTIFS
Vu le jugement du conseil de prud'hommes, les pièces régulièrement communiquées et les conclusions des parties, soutenues oralement à l'audience.
Sur la nullité du licenciement pour absence de plan de sauvegarde de l'emploi
Madame [P] [P] est entrée au sein de la société NDC et ASSOCIES à compter du 15 février 1996.
En août 2006, la société CRM COMPANY a acquis la société NDC et ASSOCIES.
Le 12 juin 2008 la société CRM COMPANY GROUP et ses filiales dont NDC et ASSOCIES ont constitué une UES.
Dans sa note d'information destinée à l'ensemble du personnel du groupe CRM COMPANY, le dirigeant Monsieur [Y] explique 'que le groupe est ce jour constitué de 8 sociétés juridiquement distinctes entre lesquelles existent une complémentarité d'activité et une communauté d'intérêts et de direction telle, qu'en réalité elles ne font qu'un en quelque sorte, 'l'entreprise CRM COMPANY' ou 'l'unité économique et sociale CRM COMPANY'.
Le 29 janvier 2009 le contrat de travail de Madame [P] [P] a été automatiquement transféré aux mêmes conditions, à la société THE CRM COMPANY, filiale à 100% de CRM COMPANY GROUP, et devenue CRM COMPANY GROUP par transmission universelle du patrimoine en décembre 2009, qui a informé Madame [P] [P] que l'activité à laquelle elle était rattachée au sein de la société NDC ASSOCIES avait été reprise en location-gérance par elle.
Le 17 novembre 2009 Madame [P] [P] a été licenciée pour motif économique.
Madame [P] [P] soutient que son licenciement individuel pour motif économique intervenu alors que la procédure mise en 'uvre par l'employeur est nulle et de nul effet en raison de l'absence de PSE, est lui-même nulle.
Maître [N] [N] ès-qualités de liquidateur de la société CRM COMPANY GROUP répond que la demande relative à la nullité de la procédure de licenciement pour absence de PSE est irrecevable car elle se prescrit par un an à compter de la notification du licenciement du 17 novembre 2009 et, que si le conseil de prud'hommes de Paris a été saisi le 1er février 2010 par Madame [P] [P], celle-ci n'a formulé la demande de nullité du licenciement pour la première fois que le 31 janvier 2011.
Mais le délai de 12 mois visé par Maître [N] [N] ès-qualités de liquidateur de la société CRM COMPANY GROUP, offert au salarié pour contester la régularité ou la validité du licenciement pour motif économique et prévu par le second alinéa de l'article L 1235 ' 7 du code du travail, n'est applicable qu'aux contestations susceptibles d'entraîner la nullité de la procédure de licenciement collectif pour motif économique, en raison de l'absence ou de l'insuffisance d'un plan de sauvegarde de l'emploi.
Or en l'espèce la cour n'est saisie que de la cause et de la régularité d'un licenciement individuel pour motif économique de sorte que l'action en nullité de son licenciement économique pour absence de PSE n'est pas soumise à ce délai abrégé et n'est donc pas prescrite.
Maître [N] [N] ès-qualités de liquidateur de la société CRM COMPANY GROUP soutient alors que l'employeur n'était pas tenu d'établir un PSE puisqu'au jour du licenciement, la société CRM COMPANY GROUPE ne comptait que 31 salariés et qu'au sein de l'UES seul un licenciement a été notifié sur la période de 30 jours entourant celui-ci
Aux termes de l'article L 1233 ' 61 du code du travail, dans les entreprises de 50 salariés et plus, lorsque le projet de licenciement concerne 10 salariés ou plus dans une même période de 30 jours, l'employeur doit établir et mettre en 'uvre un plan de sauvegarde de l'emploi pour éviter les licenciements ou en limiter le nombre.
Les conditions d'effectifs et de nombre de licenciements dont dépend l'obligation d'établir un plan de sauvegarde de l'emploi, doivent s'apprécier non plus au niveau de l'entreprise mais au niveau de l'UES si la décision de licencier a été prise au niveau de celle-ci
En conséquence, dans la mesure où la société THE CRM COMPANY a été incluse dans une UES CRM COMPANY GROUP formée en juin 2008, Maître [N] [N] ès-qualités de liquidateur de celle-ci ne peut s'opposer à voir établir son manquement à l'obligation de conclusion d'un PSE, au seul motif que la société liquidée ne comptait qu'un effectif de 31 salariés au jour du licenciement et il importe de vérifier à quel niveau les licenciements ont été décidés pour élever, le cas échéant, les conditions d'effectifs et de nombre de licenciement, au niveau de l'UES.
Madame [P] [P] explique que tous les licenciements ont été décidés par l'UES dans le cadre d'une stratégie de réduction de la masse salariale; que du 1er avril 2008 au 30 juin 2010, le groupe a réduit ses effectifs de 70 personnes au minimum.
Les documents produits (organigrammes du groupe, extraits Kbis, statuts, documents comptables..) et les développements du mandataire liquidateur de l'employeur de Madame [P] [P], démontrent, qu'en deux ans, de 2006 à 2008, par plusieurs acquisitions, un groupe de plusieurs sociétés, regroupées géographiquement avec une direction commune et spécialisées dans la communication relationnelle s'est créé; que dès 2008 ce groupe a été confronté à la récession économique et a dû faire face à d'importantes difficultés économiques; que les choix de restructuration du groupe par des fusions et dissolutions de certaines sociétés et de suppression de postes,ont été menés au niveau de l'UES.
Ainsi les rapports de gestion 2008 et 2009 faits aux assemblées générales ordinaires annuelles pour rendre compte de 'l'activité de la société CRM COMPANY GROUP et de ses filiales au cours des exercices clos les 31 décembre 2008 et 21 décembre 2009 et soumettre à son approbation les comptes sociaux et consolidés ', démontrent largement cette décision de réduire la masse salariale dans une politique globale du groupe et développent qu'il 'mobilise ses moyens sur la conduite de sa restructuration et l'adaptation de la taille du groupe au niveau de rémunération apportée par ses clients et qui une fois ce redimensionnement effectué pourra réorienter ses énergies sur la conquête de nouveaux marchés'.
D'ailleurs les quelques autres lettres de licenciement économiques produites par Madame [P] [P] exposent toutes que 'l'ensemble des sociétés du groupe est confronté à de sérieuses difficultés qui l'oblige à se restructurer rapidement pour tenter de sauvegarder sa compétitivité...' et 'un projet de réorganisation et de compression des effectifs' du 5 octobre 2009 qui retrace également la période antérieure, démontre encore que les réflexions sur l'effectif et la nécessité de supprimer des postes, se faisaient au niveau de l'UES.
Ainsi dans la mesure où dans le cadre de la maîtrise des coûts de structure dans laquelle entre le niveau de masse salariale, l'UES a choisi de restructurer les sociétés qui la composent et de baisser de manière significative le nombre des salariés, les conditions qui imposaient la mise en place d'un plan de sauvegarde de l'emploi s'apprécient au niveau de l'UES qui a pris la décision de cette restructuration et des licenciements.
Maître [N] [N] ès-qualités de liquidateur de la société CRM COMPANY GROUP, aux arguments de laquelle l'AGS s'associe, précise alors qu'à supposer retenue l'existence d'une décision des licenciements au niveau de l'UES, le seuil de 10 salariés sur 30 jours ne serait pas atteint les allégations de Madame [P] [P] selon lesquelles le groupe aurait notifié 77 ruptures entre 2008 et 2009, sans emport sur l'obligation d'établir un PSE qui ne s'étend pas au nombre de licenciement effectués sur 2 ans, étant de surcroît totalement fantaisistes.
Madame [P] [P] répond que quel que soit le mode de rupture choisi et mis en 'uvre par l'employeur, le motif est toujours économique et que tous les départs doivent être comptés; que le livre d'entrée et sortie du personnel incomplètement produit, témoigne suffisamment qu'entre 2008 et 2010 le groupe CRM qui occupait 181 salariés en a sorti 144 soit 80 % de l'effectif, dont 52 pour la seule année 2009 de sorte que l'employeur ne pouvait s'exonérer de l'établissement d'un PSE qui aurait contenu notamment des dispositions particulières en matière de reclassement alors que sur ce point le seul effort de reclassement de la société se résume à la proposition de CRP.
Les conditions d'effectifs et de nombre de licenciements s'apprécient au moment où la procédure de licenciement est engagée et l'effectif est calculé selon les modalités de droit commun.
Sont à prendre en compte tous le modes de rupture, s'ils ont une cause économique et s'inscrivent dans un processus de réduction des effectifs dont ils constituent la ou l'une des modalités, ces modes de rupture ne pouvant être utilisés comme un moyen pour contourner les règles du licenciement économique et priver les salariés des garanties d'un plan de sauvegarde de l'emploi.
En l'espèce la société, hormis la situation confuse de Monsieur [R] qui revient en mai 2009 sur une volonté de démissionner claire et non équivoque donnée par courrier du 15 décembre 2008, ne donne pas d'éléments pour démontrer, au regard de ces règles et de la volonté affichée du groupe de réduire les effectifs, que tous les départs visibles sur le registre du personnel et dont pour certains elle produit la lettre de licenciement économique, ou 'l'accord de résiliation mutuelle pour motif économique', n'ont pas tous une cause économique et seraient pour certains à exclure du total des départs à prendre en compte dans le calcul des seuils applicables au PSE.
Afin de déterminer la procédure applicable, il convient donc d'apprécier le nombre de toutes les ruptures de contrats de travail dans l'UES sur une période de 30 jours, chacune de ces périodes courant à compter du premier entretien préalable au licenciement de plusieurs salariés pour le même motif économique.
Mais, trouvent aussi à s'appliquer, les dispositions des article L 1233 ' 26 et 27 du code du travail, qui, afin d'éviter que les employeurs procèdent à des petits licenciements pour échapper à la procédure de licenciement d'au moins 10 salariés sur 30 jours, prévoient d'une part que lorsque l'entreprise d'au moins 50 salariés a procédé pendant 3 mois consécutifs au licenciement de plus de 10 salariés au total sans atteindre 10 licenciements dans une même période de 30 jours, tout nouveau licenciement économique envisagé au cours des 3 mois suivants est soumis aux dispositions régissant le licenciement d'au moins 10 salariés sur 30 jours et d'autre part que l'entreprise procédant au cours d'une année civile à des licenciements économiques de plus de 10 salariés sans avoir été tenue de présenter un PSE, doit en établir un pour tout nouveau licenciement économique envisagé au cours des 3 mois premiers de l'année civile suivante.
Ainsi c'est à tort que la société entend se soustraire à toute obligation à l'établissement d'un PSE en se limitant à constater que l'UES n'a procédé à aucun licenciement économique dans les 30 jours entourant le licenciement de Madame [P] [P] et l'appréciation de l'obligation d'établir un PSE doit s'effectuer au regard de l'ensemble de ces règles.
En l'espèce la procédure de licenciement de Madame [P] [P] a été engagée le 19 octobre 2009, elle a été licenciée le 17 novembre 2009, les rapports de gestion et bilans comptables démontrent que les premières décisions de licenciement économique ont été prises courant 2008 et que l'effectif moyen de l'UES a été ainsi réduit de 46 salariés de décembre 2008 à décembre 2009 soit:
2008:192
2009:146 au 31 décembre 2009
Par ailleurs le registre du personnel de l'UES montre qu'en 2008 et plus précisément depuis la constitution de l'UES en juin 2008, une trentaine de salariés sont sortis de son effectif et qu'il est ainsi établi qu'elle a procédé au cours de l'année civile précédent le licenciement économique de Madame [P] [P] à plus de 10 ruptures pour motifs économiques sans avoir présenté un PSE, ce qui lui imposait en application de la deuxième règle précitée, d'en établir un pour tout nouveau licenciement économique envisagé au cours des 3 premiers de l'année civile suivante alors que les nombreux départs comptabilisés au début de l'année 2009 ont été effectués sans offrir aux salariés licenciés pour motif économique, le bénéfice d'aucun plan.
En outre en se limitant à la période de 3 mois consécutifs précédant la procédure de licenciement de Madame [P] [P] courant à compter du 19 août 2009, la lecture du registre du personnel démontre plus de 10 départs au total de sorte que même sans atteindre 10 licenciements dans une même période de 30 jours, tout nouveau licenciement économique envisagé au cours des 3 mois suivants, dont celui de Madame [P] [P], était soumis aux dispositions régissant le licenciement d'au moins 10 salariés sur 30 jours .
En conséquence il apparaît que le licenciement de Madame [P] [P] s'inscrit dans le cadre de la politique d'un groupe qui a absorbé des concurrents, a constitué une UES qui a décidé de restructurer son groupe et dégraisser sa masse salariale pour adapter ses coûts de fonctionnement à la rémunération de ses clients, en procédant depuis la constitution de l'UES au mois de juin 2008 et au cours de l'année 2009, à des ruptures pour motif économique qui l'obligeaient à établir un PSE.
En l'absence de PSE, la procédure mise en 'uvre par l'employeur pour licencier Madame [P] [P] est nulle et de nul effet .
En conséquence le jugement du conseil de prud'hommes est infirmé et la cour déclare le licenciement de Madame [P] [P] nul.
Sur les demandes indemnitaires
- Sur la demande au titre du licenciement nul
Sur le fondement de l'article L 1235'11 du code du travail, lorsque le juge constate que le licenciement est intervenu alors que la procédure de licenciement est nulle, il octroie au salarié une indemnité à la charge de l'employeur qui ne peut être inférieure aux salaires des 12 derniers mois.
Madame [P] [P] sollicite à ce titre une somme de 94 897euros exposant qu'elle était âgée de 40 ans au moment des faits, qu'elle a fini par créer son entreprise après être restée au chômage pendant plus de 18 mois jusqu'à être en fin de droit et sans perspectives d'amélioration et qu'elle vit encore des périodes difficiles, que son employeur a agi avec une légèreté blâmable, que cette période noire aura aussi une incidence sur sa pension retraite.
Maître [N] [N] ès-qualités de liquidateur de la société CRM COMPANY GROUP répond que les éléments du dossier démontrent que la salariée, dès le mois de juillet 2009, avait indiqué qu'elle souhaitait quitter la société parce qu'elle avait d'autres projets professionnels; qu'elle a d'ailleurs créé une société de conseil en relations publiques communication en janvier 2010, soit moins de 2 mois après son licenciement et qu'elle ne produit pas les comptes permettant de connaître de l'activité de cette société ni ne justifie de ses recherches d'emploi si ce n'est deux lettres de candidature ; qu'en tout état de cause elle doit apporter la preuve de son préjudice en comparant sa perte financière entre la rémunération qu'elle a perçue du pôle emploi avec son salaire net si elle avait continué à faire partie des effectifs de l'entreprise.
Considérant qu'en cours de délibéré madame [P] a justifié de ses revenus de 2008 à 2012, considérant son ancienneté (14 ans), son salaire moyen brut de 5 250 euros, son indemnisation par pôle emploi malgré la création d'une entreprise, la cour trouve les éléments pour fixer le montant de l'indemnité pour licenciement nul à la somme de 80 000 euros.
- Sur la demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
Un salarié licencié a vocation à obtenir, réparation du préjudice résultant du caractère illicite de son licenciement, qui correspond soit à l'indemnité prévue par l'article L 1235 '3 du code du travail, ou à l'indemnité due au titre de l'absence de plan de sauvegarde l'emploi prévu par l'article L 1235 ' 11 du même code, seule la plus élevée de ces indemnités pouvant être obtenue, le salarié ne pouvant prétendre deux fois à la réparation d'un même préjudice.
En conséquence dans la mesure où la cour a fait droit à sa demande de réparation du préjudice résultant du caractère illicite du licenciement en retenant l'indemnité légale la plus élevée, le salarié a été rempli de ses droits et la présente demande devient sans objet.
Sur la remise des documents sociaux
En application de l'article R 1234-9 du code du travail, les employeurs sont tenus, au moment de la résiliation, de l'expiration ou de la rupture du contrat de travail, de délivrer au salarié des attestations ou justification qui leur permettent d'exercer leurs droits aux prestations mentionnées à l'article L 5421-2 du code du travail, et de transmettre ces mêmes attestations aux organismes gestionnaires du régime d'assurance chômage.
En conséquence, la rupture du contrat de travail étant fixée au 17 novembre 2009, la cour ordonne à Maître [N] [N] ès-qualités de liquidateur de la société CRM COMPANY GROUP de remettre à Madame [P] [P] l'attestation pôle emploi, le reçu pour solde de tout compte et les bulletins de paie complémentaires sans qu'il y a lieu néanmoins de prononcer une astreinte.
Sur le cours des intérêts
Conformément aux dispositions de l'article L622'28 du code de commerce, les intérêts ont été nécessairement arrêtés au jour de l'ouverture de la procédure collective soit à un moment où en application des articles 1153 et 1153-1 du code civil, ils n'avaient pas commencé à courir.
En conséquence les dommages et intérêts alloués ne sont pas assortis d'intérêts.
Sur le remboursement à pôle emploi des allocations chômage
Dans le cas prévu à l'article L 1235 ' 11 du code du travail lorsque le juge constate que le licenciement est intervenu alors que la procédure de licenciement est nulle, il ordonne le remboursement par l'employeur fautif aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versé au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de 6 mois d'indemnités de chômage par salarié intéressé.
À ce titre la cour fixe la créance de ces organismes au passif de la société un montant fixé à 6 mois d'indemnités de chômage.
Sur les frais irrépétibles et les dépens
Il n'est pas inéquitable de condamner Maître [N] [N] ès-qualités de liquidateur de la société CRM COMPANY GROUP, à payer à Madame [P] [P] la somme de 1 500 au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour l'ensemble de la procédure et de le débouter de ses prétentions à ce titre.
Partie succombante, Maître [N] [N] ès-qualités de liquidateur de la société CRM COMPANY GROUP sera condamné au paiement des dépens.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Infirme le jugement en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau et ajoutant,
Dit que le licenciement de Madame [P] [P] est nul en l'absence de PSE,
Ordonne à Maître [N] [N] ès-qualités de liquidateur de la société CRM COMPANY GROUP, à inscrire au passif de cette société , au bénéfice de Madame [P] [P]:
- une créance d'un montant de 80 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement nul,
- Dit que cette créance ne porte pas intérêts .
Condamne Maître [N] [N] ès-qualités de liquidateur de la société CRM COMPANY GROUP à remettre à Madame [P] [P] l'attestation pôle emploi, reçu pour solde de tout compte et les bulletins de paie conformes à la décision sans qu'il n'y ait lieu au prononcé d'une astreinte,
Déboute Madame [P] [P] du surplus de ses prétentions,
Condamne Maître [N] [N] ès-qualités de liquidateur de la société CRM COMPANY GROUP à inscrire au passif de cette société au bénéfice des organismes ayant servi à Madame [P] [P] des indemnités de chômage, un montant égal au montant versé à celui-ci au titre de ses indemnités du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de 6 mois,
Déclare le jugement opposable à l'AGS dans la limite des créances dues en exécution du contrat de travail et dans les conditions et la limite des plafonds légaux,
Condamne Maître [N] [N] ès-qualités de liquidateur de la société CRM COMPANY GROUP à payer à Madame [P] [P] la somme de 1 500 sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne Maître [N] [N] ès-qualités de liquidateur de la société CRM COMPANY GROUP aux dépens de première instance et d'appel.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT