RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 9
ARRÊT DU 30 Mars 2016
(n° , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 13/03860
Décision déférée à la cour : jugement rendu le 13 mars 2013 par le conseil de prud'hommes de BOBIGNY - section encadrement - RG n° 12/03237
APPELANT
Monsieur [L] [P]
[Adresse 1]
[Adresse 2]
[Adresse 3]
né le [Date naissance 1] 1957 à [Localité 1] ([Localité 1])
comparant en personne, assisté de Me Grégoire LUGAGNE DELPON, avocat au barreau de [Localité 1]
INTIMEE
SA ASL AIRLINES FRANCE ANCIENNEMENT DENOMMEE SA EUROPE AIRPOST
[Adresse 4]
[Adresse 5]
représentée par Me Georges LACOEUILHE, avocat au barreau de PARIS, A0105
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 27 janvier 2016, en audience publique, devant la cour composée de :
Monsieur Benoît HOLLEAUX, conseiller faisant fonction de président
Madame Christine LETHIEC, conseiller
Madame Anne DUPUY, conseiller
qui en ont délibéré
Greffier : Madame Marion AUGER, lors des débats
ARRET :
- contradictoire
- prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Monsieur Benoît HOLLEAUX, conseiller faisant fonction de président et par Madame Marion AUGER, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Vu le jugement du conseil de prud'hommes de Bobigny du 13 mars 2013 ayant débouté M. [L] [P] de toutes ses demandes et l'ayant condamné aux dépens';
Vu la déclaration d'appel de M. [L] [P] reçue au greffe de la cour le 18 avril 2013';
Vu l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 25 novembre 2015 ordonnant la réouverture des débats à l'audience du 27 janvier 2016 ;
Vu les écritures régulièrement communiquées et oralement soutenues à l'audience du 27 janvier 2016 auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens de M. [L] [P] qui demande à la cour':
' d'infirmer le jugement entrepris
' statuant à nouveau, de':
- requalifier les contrats de travail à durée déterminée en un contrat à durée indéterminée
- dire que son salaire de référence est de 8'416,41 €
- juger que la rupture du contrat à durée indéterminée ainsi requalifié s'analyse en un licenciement illégitime et, en conséquence, condamner la SA ASL AIRLINES, anciennement dénommée EUROPE AIRPOST, à lui verser les sommes de :
' 8 998,10 € d'indemnité de requalification
' 25 249,23 € d'indemnité compensatrice de préavis et 3 246,32 € d'incidence congés payés
' 42 082,05 € d'indemnité légale de licenciement
' 100 996,92 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
- juger qu'il est de fait resté à la disposition de la SA ASL Airlines du 13 mars 2007 au 30 mai 2012, dire que son ancienneté cumulée est de cinq ans et deux mois (13 mars 2007/30 mai 2012) ou subsidiairement de cinq ans et trois jours (13 mars 2007/ 15 mars 2012) et, en conséquence, la condamner à lui payer les sommes de':
' 346'756,09 € de rappel de salaires
' 28'896,33 € de rappel de primes de fin d'année sur les périodes considérées
' 8'323,19 € de rappels au titre de la participation et de l'intéressement sur la période considérée
' 1'708,13 € au titre de la portabilité des droits de mutuelle indûment acquittés
- juger qu'en dépit de sa mise à disposition permanente, il n'a pas pu bénéficier des changements de catégorie professionnelle auxquels il pouvait prétendre et, en conséquence, condamner la SA ASL Airlines à lui régler les sommes de':
' 14'904,63 € de rappel de salaires s'y rapportant
' 1'242,03 € de rappel de primes de fin d'année au titre de ce changement de catégorie professionnelle
- la condamner à lui verser les autres sommes de':
' 50'000 € d'indemnité pour «traitement inégalitaire et perte de chance»
' 163 994 € à titre de dommages-intérêts complémentaires au visa de l'article 1382 du code civil (demande nouvelle)
' 8'000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile
- dire que la SA Asl Airlines devra lui remettre sous astreinte les bulletins de paie et une attestation Pôle Emploi conformes
- dire que les sommes lui revenant seront assorties des intérêts au taux légal «à compter de la demande en justice» avec capitalisation dans les conditions de l'article 1154 du code civil';
Vu les écritures régulièrement communiquées et oralement soutenues à l'audience du 27 janvier 2016 auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens de la SA ASL Airlines, anciennement dénommée Europe Airpost, qui demande à la cour':
' à titre principal, de confirmer le jugement déféré avec la condamnation de M. [L] [P] à lui régler la somme de 2'500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile
' subsidiairement, de réduire ses prétentions indemnitaires à de plus justes proportions.
MOTIFS
Sur la requalification en un contrat de travail à durée indéterminée et les demandes y étant liées
La SA ASL Airlines, compagnie aérienne, a initialement conclu avec M. [L] [P] une convention de stage à des fins de «formation et de perfectionnement professionnel» sur la période du 13 au 25 mars 2007, y étant rappelé qu'il ne s'agit pas d'un contrat de travail et qu'il ne bénéficiera d'aucune gratification.
Les parties ont ultérieurement conclu un contrat de travail à durée déterminée sur la période du 7 avril au 31 octobre 2007 «afin de permettre d'assurer le surcroît d'activité lié à la réalisation de nouvelles lignes provisoires de transport de passagers», M. [L] [P] étant ainsi engagé en qualité de pilote commandant de bord, catégorie C5, contrat qui sera suivi d'avenants de prolongation ainsi que de nouveaux contrats pour le même motif, excepté du 2 au 8 mars 2009 pour remplacer un salarié absent, le dernier de ceux-ci ayant expiré le 8 octobre 2011 qui correspond au dernier jour travaillé.
*
Au soutien de sa demande en requalification, M. [L] [P] rappelle qu'il appartient à l'intimée de démontrer la réalité du surcroît temporaire d'activité comme motif retenu de recours au contrat à durée déterminée, considère que celui-ci n'est pas établi dès lors qu'il a été engagé en vertu de huit contrats ou avenants entre le 7 avril 2007 et le 8 octobre 2011, ne manque pas de relever non sans pertinence «qu'au bout de quatre ans, le provisoire devient définitif», et constate qu'il n'a jamais été justifié par la SA ASL Airlines de la création de ces lignes aériennes provisoires.
En réponse, pour conclure à «la parfaite validité des contrats à durée déterminée», la SA ASL Airlines considère que cet accroissement temporaire d'activité ressort sur les périodes d'embauche de l'appelant d'une augmentation sensible des personnels navigants techniques (PNT) ainsi que des heures de vol réalisées, des programmations des vols effectués en période estivale, ainsi que des tableaux des cycles et des heures de vol.
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L'article L.1242-2 du code du travail précise qu'un contrat de travail à durée déterminée ne peut être conclu que pour l'exécution d'une tâche précise et temporaire et notamment en cas d'«accroissement temporaire de l'activité de l'entreprise» (2°), à rapprocher des dispositions de l'article L.1242-1 du code du travail rappelant qu'': «Un contrat de travail à durée déterminée, quel que soit son motif, ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise».
C'est à l'employeur qu'il appartient de rapporter la preuve d'un accroissement temporaire de son activité justifiant le recours au contrat à durée déterminée.
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Force est de constater la défaillance manifeste sur un plan probatoire de la SARL ASL Airlines qui se contente de produire devant la cour les plannings de vol de M. [L] [P], les tableaux de ses effectifs PNT ainsi que les tableaux des heures de vol réalisées au sein de l'entreprise, pièces ne démontrant pas à leur examen ce surcroît d'activité annoncé qui serait «lié à la réalisation de nouvelles lignes provisoires de transport de passagers».
Nonobstant en effet ce que prétend la SA ASL Airlines, cet accroissement temporaire d'activité durant les périodes d'embauche de l'appelant ne peut résulter de la seule augmentation des personnels navigants techniques (PNT) et des heures de vol réalisées, ainsi que de ses programmations de vols par cycles, dès lors que sur la création de nouvelles lignes provisoires, qui est la raison expressément retenue pour justifier ce cas de recours au contrat à durée déterminée, elle ne présente aucun élément permettant d'en vérifier la réalité.
Au surplus, il sera observé que le caractère «temporaire» de ce prétendu accroissement d'activité apparaît difficilement défendable dans la situation de M. [L] [P] qui a pu cumuler à certaines périodes une durée d'activité au service de l'intimée allant jusqu'à 8 mois renouvellement compris (mars/novembre 2008)
*
Dans la mesure où en définitive l'embauche de M. [L] [P] en tant que pilote commandant de bord pour faire voler les avions de la SA ASL Airlines est en lien direct avec l'activité normale et permanente de celle-ci qui ne justifie pas par ailleurs de son programme de création de lignes aériennes nouvelles à la même époque, après infirmation du jugement entrepris, il convient de requalifier la relation entre les parties en un contrat à durée indéterminée avec effet au 7 avril 2007, et de la condamner à lui payer la somme de 8'998,10 € à titre d'indemnité de requalification en application de l'article L.1245-2 du code du travail, soit l'équivalent du dernier salaire mensuel qu'il a perçu en septembre 2011 avant sa saisine de la juridiction prud'homale courant septembre 2012, avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt.
Sur le fondement du dernier alinéa du même article L.1245-2, la SARL ASL Airlines sera tout autant condamnée à régler à M. [L] [P] la somme de 25'249,23 € à titre d'indemnité compensatrice conventionnelle de préavis équivalente à trois mois de salaires (8'416,41 € de salaire moyen de référence x 3) par renvoi aux dispositions issues du paragraphe VIII-7.1.1 de l'accord collectif d'entreprise du 20 février 2007, outre 2 524,92 € d'incidence congés payés, ainsi que la somme de 37'611,36 € d'indemnité légale de licenciement telle que prévue par l'article R.423-1 du code de l'aviation civile, et celle de 67'000 € représentant l'équivalent de 8 mois de salaires à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse en vertu de l'article L.1235-3 du code du travail.
Les indemnités de rupture seront assorties des intérêts au taux légal partant de la réception par l'employeur de la convocation directe en bureau de jugement (pour mémoire), et les dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse des intérêts au taux légal à compter du présent arrêt.
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Le salarié engagé par plusieurs contrats à durée déterminée non successifs avec le même employeur et qui obtient ultérieurement en justice une requalification en un contrat de travail à durée indéterminée par application de l'article L.1245-1, comme dans le présent cas d'espèce, ne peut prétendre à un rappel de salaires au titre des périodes non travaillées séparant chacun de ces contrats, autrement appelé périodes intermédiaires ou interstitielles, que s'il établit s'être tenu à la disposition de l'employeur pendant ces mêmes périodes pour effectuer un travail.
Dès lors que M. [L] [P], au-delà de ses affirmations pour les besoins de la cause, ne démontre pas s'être réellement tenu à la disposition permanente de la SA ASL Airlines pendant ces périodes intermédiaires séparant les différents contrats à durée déterminée conclus avec celle-ci, la décision déférée sera confirmée en ce qu'elle l'a débouté de sa demande de rappel de salaires ramenée en cause d'appel à la somme de 346'756,09 €, ainsi que de ses réclamations afférentes au titre de la prime de fin d'année, de la participation, de l'intéressement, de la portabilité des droits, et des rappels spécifiques de salaires et de primes pour changement de catégorie professionnelle.
Sur les demandes indemnitaires pour traitement inégalitaire avec perte de chance, et pour dommages-intérêts complémentaires
S'étant vu proposer des contrats de travail à durée déterminée en violation de la législation en la matière, contrairement à ce qu'indique l'intimée, M. [L] [P] n'a pu de fait bénéficier des avantages conventionnels - accord collectif d'entreprise du 20 février 2007 - réservés aux seuls pilotes de la compagnie titulaires d'un contrat à durée indéterminée, avantages au rang desquels figure la possibilité d'accéder à la liste de classement professionnel qui lui aurait permis de postuler à certains postes du type officier de sécurité des vols (OSV) ou instructeur sur Boeing 737, et de suivre un programme de formation sur Boeing 737 dit de nouvelle génération (NG), son défaut d'habilitation sur ce type de machine compromettant sérieusement ses chances de retrouver un emploi auprès d'autres compagnies aériennes qui exigent un nombre minimum d'heures de vol correspondant à la classification de type B.737 NG
Infirmant le jugement critiqué, l'intimée sera ainsi condamnée à payer à M. [L] [P] la somme de 30'000 € à titre de dommages-intérêts pour traitement inégalitaire et perte de chance, avec intérêts au taux légal partant du présent arrêt.
*
M. [L] [P] ne pourra qu'être débouté de sa demande indemnitaire complémentaire nouvelle sur le fondement de l'article 1382 du code civil à due concurrence de la somme de 163'994 €, demande qui repose sur les incidences fiscales attendues au titre des rappels de rémunérations sollicités contre la SA ASL Airlines, rappels auxquels il n'a pas été fait droit pour les raisons précédemment exposées.
Sur la délivrance des documents sociaux conformes'et la capitalisation des intérêts
La SA ASL Airlines délivrera à l'appelant les bulletins de paie ainsi qu'une attestation Pôle Emploi conformes au présent arrêt sans qu'il y ait lieu au prononcé d'une astreinte.
Il sera ordonné la capitalisation des intérêts au taux légal sur les sommes allouées à l'appelant dans les conditions de l'article 1154 du code civil.
Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens'
L'intimée sera condamnée en équité à régler à M. [L] [P] la somme de 3'500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel.
PAR CES MOTIFS'
LA COUR,
CONFIRME le jugement entrepris seulement en ses dispositions sur le rappel de salaires, la prime de fin d'année, la participation, l'intéressement, la portabilité des droits, ainsi que sur les rappels de salaires et de primes pour changement de catégorie professionnelle';
L'INFIRME pour le surplus et statuant à nouveau,
REQUALIFIE les contrats de travail à durée déterminée ayant lié les parties en un contrat à durée indéterminée avec effet au 7 avril 2007;
DIT et juge que la cessation du lien contractuel intervenue le 8 octobre 2011 s'analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse, en conséquence, condamne la SA ASL Airlines à régler à M. [L] [P] les sommes de':
' 8'998,10 € à titre d'indemnité de requalification, avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt.
' 25'249,23 € d'indemnité compensatrice conventionnelle de préavis, 2 524,92 € d'incidence congés payés, et 37'611,36 € d'indemnité légale de licenciement, avec intérêts au taux légal partant de la réception par l'employeur de la convocation directe en bureau de jugement (pour mémoire)
' 67'000 € à titre de dommages-intérêts sur le fondement de l'article L.1235-3 du code du travail, avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt
' 30'000 € d'indemnité pour traitement inégalitaire et perte de chance, avec intérêts au taux légal partant du présent arrêt ;
Y ajoutant,
DÉBOUTE M. [L] [P] de sa demande indemnitaire complémentaire sur le fondement de l'article 1382 du code civil;
ORDONNE la capitalisation des intérêts au taux légal sur les sommes revenant à M. [L] [P] dans les conditions de l'article 1154 du code civil;
ORDONNE la délivrance par la SA ASL Airlines à M. [L] [P] des bulletins de paie et d'une attestation Pôle Emploi conformes au présent arrêt';
CONDAMNE la SA ASL Airlines à verser à M. [L] [P] la somme de 3'500 € en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE la SA ASL Airlines aux entiers dépens de première instance et d'appel.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT