RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 3
ARRÊT DU 29 Mars 2016
(n° , 06 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 15/06999
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 27 Mai 2015 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS RG n° F14/02912
APPELANT
Monsieur [Z] [N]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
né le [Date naissance 1] 1974 à [Localité 1]
comparant en personne,
assisté de Me Philippe GUMERY, avocat au barreau de PARIS, toque : L0148
INTIMÉE
SAS ARES & COMPANY FRANCE
[Adresse 2]
[Adresse 2]
N° SIRET : 514 233 196 00039
représentée par M. [K] [M] (Administrateur de la société CORCORAN) en vertu d'un pouvoir général,
assisté de Me Arnaud CHATILLON, avocat au barreau de PARIS, toque : C1596
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 08 Février 2016, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Monsieur Daniel FONTANAUD, Président de chambre, chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Monsieur Daniel FONTANAUD, Président
Madame Isabelle VENDRYES, Conseillère
Madame Laurence SINQUIN, Conseillère
qui en ont délibéré
Greffier : Mademoiselle Marjolaine MAUBERT, lors des débats
ARRÊT :
- contradictoire.
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile.
- signé par Monsieur Daniel FONTANAUD, Président et par Madame Marjolaine MAUBERT, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE
Monsieur [Z] [N], engagé par la société ARES ET COMPANY FRANCE à compter du 1er mars 2010, en qualité de 'principal', par contrat de travail conclu le 9 décembre 2009, au dernier salaire mensuel brut de 10366,41 euros, a démissionné par lettre du 25 septembre 2012 et effectué son préavis jusqu'au 25 décembre 2012.
Par jugement du 27 mai 2015, le Conseil de prud'hommes de PARIS a débouté Monsieur [N] de ses demandes notamment au titre de la clause de non-concurrence et de sa rémunération variable.
Monsieur [N] en a relevé appel.
Par conclusions visées au greffe le 8 février 2016 au soutien de ses observations orales auxquelles il est expressément fait référence en ce qui concerne ses moyens, Monsieur [N] demande à la cour de condamner la société ARES au paiement de la somme de 83 499,96 euros au titre de l'indemnité compensatrice de la clause de non concurrence, et subsidiairement à la somme de 83499,96 euros à titre des dommages et intérêts pour avoir respecté une clause de non-concurrence illicite, et de condamner la société à lui verser les sommes de 43 976 euros au titre de la rémunération variable pour l'année 2012, 20000 euros de dommages et intérêts pour inexécution de ses obligations par ARES et 10 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Par conclusions visées au greffe le 8 février 2016 au soutien de ses observations orales auxquelles il est expressément fait référence en ce qui concerne ses moyens, la société ARES sollicite le rejet des demandes de Monsieur [Z] [N]. Elle sollicite la condamnation du salarié à lui verser la somme de 5 000 Euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Pour plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs conclusions visées par le greffier et développées lors de l'audience des débats.
MOTIFS
Sur la clause de non-concurrence
Principe de droit applicable
L'exigence d'une contrepartie financière à la clause de non-concurrence répond à la nécessité d'assurer la sauvegarde et l'effectivité de la liberté fondamentale d'exercer une activité professionnelle. Le salarié est en droit de prétendre au paiement de l'indemnité compensatrice de non concurrence alors même qu'il a retrouvé un emploi, dès lors qu'il a respecté l'interdiction de non-concurrence, étant précisé qu'il appartient à l'employeur de rapporter la preuve d'une éventuelle violation de la clause de non-concurrence.
Par ailleurs, en l'absence de contrepartie financière, la clause de non-concurrence insérée dans le contrat de travail est nulle.
Application du droit à l'espèce
Monsieur [N] demande le paiement de la contrepartie financière de la clause de non-concurrence prévue à l'article 15 de son contrat de travail en ces termes :
« En raison de la nature des fonctions exercées par Monsieur [Z] [N], en cas de rupture du présent contrat pour quelque cause que ce soit, Monsieur [Z] [N] s'interdit de s'intéresser à quelque titre que ce soit, directement ou indirectement à toute entreprise ayant une activité susceptible de concurrencer en tout ou partie celle de la société.
Cette interdiction de concurrence est limitée à une période d'un an à compter de la cessation effective d'activité et couvre la France Métropolitaine.
En contrepartie, la société versera à Monsieur [Z] [N], pendant la durée de la non-concurrence, une indemnité mensuelle égale à 5/10ème de la moyenne mensuelle des appointements dont Monsieur [Z] [N] a bénéficié au cours des 12 derniers mois de présence dans la société, et ce tant que Monsieur [Z] [N] n'a pas retrouvé un emploi et dans la limite de la durée de non concurrence ».
Le salarié avait déjà sollicité le paiement de cette contrepartie par courrier le 18 janvier et 25 février 2013, ce qui n'est pas contesté par l'employeur. Par courrier du 22 janvier 2013, la société ARES indique au salarié que le paiement de la contrepartie financière est conditionné par le fait que le salarié ne doit pas avoir retrouvé un emploi.
Par courrier du 8 février 2013, Maître CHATILLON, avocat de la société ARES confirme au salarié 'que la société ARES (...) n'entend nullement se soustraire au paiement de (l') indemnité de non-concurrence, mais (...) subordonne son règlement au fait que vous n'ayez pas repris une activité professionnelle depuis le 25 décembre 2012 et que vous êtes toujours chercheur d'emploi' et lui rappelle qu'il n'est pas 'libéré' de la clause de non-concurrence.
Ainsi rédigé la clause de non-concurrence a pour effet, soit d'interdire au salarié de retrouver un emploi conforme à son expérience professionnelle, portant ainsi atteinte à la liberté fondamentale d'exercer une activité professionnelle, soit de priver l'obligation de non concurrence de contrepartie financière, et dès lors, d'une condition de validité. En conséquence, la clause de non concurrence insérée dans le contrat de travail de Monsieur [N] est nulle.
La société ARES fait valoir de façon inopérante que le départ à l'étranger de Monsieur [N] ne s'inscrit pas dans le cadre du respect de la clause de non concurrence, mais d'un projet personnel, la vie privée de l'intéressé étant sans incidence sur l'exécution du contrat de travail et ses suites.
En l'espèce, les attestations versées au débat par l'employeur témoignent du fait que le salarié a recherché un emploi en dehors du territoire de France métropolitaine. Le salarié communique son contrat de travail aux termes duquel il est engagé par la société CHAPPUIS HALDER & CIE LIMITED, dont le siège social est situé à Londres, et son lieu de travail habituel est fixé à Londres.
L'intéressé communique ses bulletins de salaire desquels il ressort qu'il n'est pas soumis aux cotisations salariales applicables en France aux résidents français.
De plus, il ressort des éléments versés au débat que la société anglaise est sans lien avec la société parisienne CHAPPUIS HALDER & CIE FRANCE comme l'indique leur immatriculation au registre du commerce et des société respectivement en Angleterre et en France.
Par ailleurs, l'extrait de K-bis de la société française n'indique aucun autre établissement ou filiale, ce que confirme le courrier du 7 mars 2013 adressé par le cabinet français à la société ARES en réponse à la sommation interpellative du 26 février 2014. La page d'accueil du site CHAPPUIS HALDER & CIE FRANCE, qui fait état de bureaux, sous la même enseigne à Londres, ne suffit pas à établir la mobilité des salariés entre les deux entités économiquement et juridiquement indépendantes.
Pour démontrer que le salarié mène des activités concurrentes sur le territoire français au sein du cabinet CHAPPUIS HALDER & CIE FRANCE, l'employeur produit un extrait du site des 'pages jaunes' mentionnant le numéro du bureau parisien, ainsi qu'un extrait du site 'annuaire inversé' pour un numéro de mobile.
Cependant, aucun de ces deux documents n'établit un lien entre le bureau parisien et Monsieur [N] dont le nom n'est pas mentionné.
La société ARES produit également un profil sur le réseau numérique LINKED IN et le courriel de démission d'un certain [N] [Q] qui a quitté la société pour intégrer le cabinet CHAPPUIS HALDER & CIE FRANCE. Or, si le projet professionnel de ce salarié présente une ressemblance troublante avec celui de Monsieur [N], qui a également démissionné pour travailler chez CHAPPUIS HALDER & CIE LIMITED, ces éléments ne suffisent pas en l'espèce à caractériser une violation de l'obligation de non-concurrence.
Le seul document caractérisant un lien entre Monsieur [N] et la société CHAPPUIS HALDER & CIE FRANCE, en ce qu'il y serait associé, date de 2015 : or l'obligation de non concurrence était limitée à la durée d'un an à compter du départ effectif du salarié, soit jusqu'au 25 décembre 2013.
Enfin, la société ARES communique plusieurs documents mettant en évidence des actes de concurrence déloyale commis par un certain Monsieur [P], dont il est établi qu'il est en contact avec Monsieur [N]. Cependant, aucun des documents communiqués ne prouve que des actes de concurrence déloyale sont également imputables à Monsieur [N], d'autant que le contenu du mail, dont il est en copie, n'apparaît pas.
Ainsi, la société ARES ne rapporte pas la preuve que Monsieur [N] travaillait ou menait effectivement des activités à [Localité 2] ou en connexion avec un cabinet parisien, ni que des actes de concurrence déloyale lui soient personnellement imputables. Il s'ensuit que le salarié a bien respecté la clause de non-concurrence illicite insérée dans son contrat de travail.
Le jugement du Conseil de prud'hommes sera donc infirmé sur ce point.
Evaluation du montant de la condamnation
Le salarié est bien fondé à demander des dommages et intérêts pour avoir respecté une clause de non concurrence illicite.
Il ressort de la clause, telle qu'elle est rédigée, que Monsieur [N] pouvait prétendre pendant la durée de la non-concurrence à 'une indemnité mensuelle égale à 5/10 ème de la moyenne mensuelle des appointements dont Monsieur [Z] [N] a bénéficié au cours des 12 derniers mois de présence dans la société'. En se référant à la moyenne mensuelle des appointements et non au salaire fixe du salarié, les parties ont étendu la notion d'appointement à la rémunération variable.
Il ressort des éléments versés au débat que le salaire moyen brut de Monsieur [N] sur les douze derniers mois s'élève à 13 705,21 euros par mois.
Le salarié aurait donc du percevoir la somme de 82 231,26 euros (13 705,21 x 5/10 sur 12 mois) en contrepartie de l'obligation de non concurrence à laquelle il s'est astreint.
En conséquence, la société ARES sera condamnée à verser à Monsieur [N] la somme de 82 231,26 euros à titre d'indemnité compensatrice de la clause de non concurrence illicite.
La clause de non concurrence prévoit expressément que la société pourra délier le salarié de son obligation dans un délai de huit jours qui suit la notification de la rupture du contrat de travail. L'employeur n'étant pas libre de renoncer à tout moment à la clause de non concurrence, l'intéressé, qui ne justifie pas un préjudice distinct né d'une incertitude quant à l'étendue de sa liberté de travail, sera débouté de sa demande.
Sur la rémunération variable
Principe de droit applicable
Lorsqu'elle est payée en vertu d'un engagement unilatéral, une prime constitue un élément de salaire et est obligatoire pour l'employeur dans les conditions fixées par cet engagement ; seule une clause précise définissant objectivement l'étendue et les limites de l'obligation souscrite peut constituer une condition d'application d'un tel engagement. Il en résulte que le salarié doit pouvoir vérifier que le calcul de sa rémunération a été effectué conformément aux modalités prévues, à défaut les modalités ne lui sont pas opposables. Il appartient au juge de déterminer le montant de celle-ci en fonction des critères visés aux contrats et des accords des années précédentes.
Application du droit à l'espèce
En l'espèce, l'article 6 du contrat de travail du 30 mars 2010 prévoit le versement d'une rémunération variable en ces termes :
« Monsieur [Z] [N] pourra percevoir une rémunération variable individuelle en fonction de ses performances et des résultats du Cabinet, dont les modalités seront déterminées ultérieurement.
La société ARES & COMPANY France accordera à Monsieur [Z] [N] une avance
sur rémunération variable d'un montant annuel de dix mille (10 000,00) euros payable en DOUZE (12) versements mensuels égaux payables en fin de mois, concomitamment au paiement de son salaire de baise mensuel ».
Par courrier du 30 mars 2010, la société ARES indique, en préalable, au salarié que 'la rémunération individuelle variable peut représenter jusqu'à 50% de la rémunération de base d'un principal' et fixe ses objectifs individuels annuels de vente sont de 1,5 millions d'euros à compter de 2010.
La société ARES rappelle dans ses conclusions que le calcul de la prime est fonction des résultats de l'entreprise et de ceux du salarié. Elle indique, produisant le compte de résultat de la société ARES que son chiffre d'affaire en 2012 est moindre que celui réalisé en 2011, et précise que le résultat net de l'entreprise serait déficitaire de 22 321 euros. Elle précise qu'à ce titre la société à provisionné un montant pour les bonus de 117 094 euros en 2012 contre 252 635 en 2011. La société expose en outre que Monsieur [N] a réalisé un chiffre d'affaire de 468000 euros seulement et n'aurait signé aucun contrat en 2012.
Le salarié affirme avoir réalisé un chiffre d'affaire hors taxe de 1 962 000 euros au cours de l'année 2012. Il produit en ce sens les contrats de prestations de service dont il n'est pas signataires.
Cependant, il ressort de l'ensemble des éléments versés au débat que si les objectifs individuels étaient connus du salarié, les performances de l'entreprise et les modalités de calcul de la rémunération variable n'ont pas été portées à sa connaissance. La société ARES ne justifie pas les modalités de détermination du montant de la rémunération variable, non plus que le salarié n'a pas atteint ses objectifs.
Il ressort des pièces communiquées que Monsieur [N] a perçu une avance sur rémunération variable de 10 000 euros ainsi qu'un bonus de 43976 euros au titre de ses performances en 2011.
Les parties s'accordent sur le fait que l'intéressé a perçu un bonus d'un montant de 5000 euros en plus des avances sur rémunération variables à hauteur de 10000 euros au titre des performances pour l'année 2012.
En conséquence, la cour dispose d'éléments suffisants pour fixer le bonus dû au salarié pour l'année 2012 à la somme 43 976 euros.
Le salarié ayant déjà perçu 5 000 euros, la société ARES sera condamnée à lui verser la somme de 38 976 euros à titre de solde de rémunération variable pour l'année 2012.
En conséquence, le jugement du Conseil de prud'hommes sera infirmé sur ce point.
PAR CES MOTIFS
INFIRME le jugement sauf en ce qu'il a débouté le salarié de sa demande de dommages et intérêts en réparation du préjudice découlant de l'inexécution de ses obligations contractuelles par la société ARES ET COMPANY FRANCE,
Statuant à nouveau,
CONDAMNE la société ARES ET COMPANY FRANCE à payer à Monsieur [Z] [N] la somme de :
- 82 231,26 euros à titre de dommages et intérêts pour avoir respecté la clause illicite de non concurrence,
- 38 976 euros à titre de solde de rémunération variable pour l'année 2012.
Y ajoutant,
Vu l'article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE la société ARES ET COMPANY FRANCE à payer à Monsieur [Z] [N] en cause d'appel la somme de 1500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
DÉBOUTE les parties du surplus des demandes,
LAISSE les dépens à la charge de la société ARES ET COMPANY FRANCE.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT