La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

23/03/2016 | FRANCE | N°14/09855

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 4 - chambre 5, 23 mars 2016, 14/09855


Grosses délivrées RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 4 - Chambre 5



ARRÊT DU 23 MARS 2016



(n° , 11 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : 14/09855

Décision déférée à la Cour : Jugement du 18 Mars 2014 -Tribunal de Grande Instance de CRETEIL - RG n° 07/04835





APPELANTS



Monsieur [L] [E]

[Adresse 5]

entreprise générale maçonnerie

[Localité 3]



Repré

senté par : Me Sarra JOUGLA YGOUF, avocat au barreau de PARIS, toque : C0875

et assistée par Me DEROUET Loic-Clément , avocat au barreau de PARIS



La SMA, nouvelle dénomination de la SMABTP agissant ...

Grosses délivrées RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 4 - Chambre 5

ARRÊT DU 23 MARS 2016

(n° , 11 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 14/09855

Décision déférée à la Cour : Jugement du 18 Mars 2014 -Tribunal de Grande Instance de CRETEIL - RG n° 07/04835

APPELANTS

Monsieur [L] [E]

[Adresse 5]

entreprise générale maçonnerie

[Localité 3]

Représenté par : Me Sarra JOUGLA YGOUF, avocat au barreau de PARIS, toque : C0875

et assistée par Me DEROUET Loic-Clément , avocat au barreau de PARIS

La SMA, nouvelle dénomination de la SMABTP agissant en la personne de ses représentants légaux

[Adresse 2]

[Localité 2]

N° SIRET : 775 68 4 7 644

Représentée par : Me Sarra JOUGLA YGOUF, avocat au barreau de PARIS, toque : C0875 et assistée par Me DEROUET Loic-Clément , avocat au barreau de PARIS

INTIMES

Monsieur [N] [W]

né le [Date naissance 1] 1944 à [Localité 9] (94)

23 [Adresse 4]

[Localité 4]

Représenté par : Me Laurence TAZE BERNARD, avocat au barreau de PARIS, toque : P0241 et assistée par Me JEAN Christophe avocat au barreau de PARIS

Madame [V] [U] [J]

née le [Date naissance 2] 1947 à [Localité 5]

[Adresse 1]

[Localité 1]

Représentée par : Me Laëtitia WADIOU de la SELARL MODERE & ASSOCIES, avocat au barreau de VAL-DE-MARNE, toque : PC 41 et assistée par Me BERHEIN Laure, avocat au barreau de Créteil.

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 12 Janvier 2016, en audience publique, devant la Cour composée de :

Madame Marie-Agnès CHAUMAZ, Présidente de chambre

Monsieur Claude TERREAUX, Conseiller

Madame Maryse LESAULT, Conseillère

qui en ont délibéré

Greffier, lors des débats : Madame Coline PUECH

ARRÊT :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Marie-Agnès CHAUMAZ, président et par Madame Madame Anne-Charlotte Cos, greffier présent lors du prononcé auquel a été remis la minute par le magistrat signataire.

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Mme [J] était propriétaire d'une maison d'habitation située [Adresse 4] à [Localité 8] (ci-après « l'Immeuble » ou « le Pavillon »), comprenant un bâtiment principal et un studio indépendant en fond de parcelle.

Ayant souhaité agrandir la surface habitable de l'immeuble, elle indique avoir confié à [Q] [E] - qui exerçait son activité sous forme d'entreprise individuelle - des travaux d'extension.

Ces travaux, selon une déclaration d'achèvement de travaux signée le 2 août 2001 mais jamais déposée en mairie (Cf. pièce n° 5 et 5 bis), auraient pris fin le 10 novembre 1995.

En fait, la demande de permis de construire ne sera déposée qu'en avril 1996 soit près de six mois après l'achèvement des travaux par M. [B] [R], architecte à PARIS (75011), et sera accordé le 8 août 1996 soit près de 9 mois après le prétendu achèvement des travaux.

Mme [J] a vendu son bien à M. [N] [W] selon promesse de vente du 27 mars 2001, sous conditions suspensives moyennant un prix de 1.480.000 FRF (225.624 €), augmenté de la somme de 100.000 FRF (15.244 €), en règlement des frais d'acte. L'acte authentique de vente a été signé le 24 Août 2001.

En 2002 M. [W] a constaté d'importantes fissures à l'extérieur et à l'intérieur du pavillon et a fait une déclaration de sinistre auprès de sa compagnie d'assurances AXA, laquelle a missionné un expert pour déterminer les causes de ces désordres.

Ces fissures ont continué à se développer par la suite et procès-verbal de constat d'huissier établi le 11 avril 2006, mettant en outre en évidence des désordres d'humidité importants apparus dans le studio indépendant du bâtiment principal.

Dans son rapport remis à AXA en décembre 2005 l'expert mandaté GEO EST a conclu que :

-ces désordres avaient en fait pour origine une insuffisance constructive au niveau de l'extension réalisée dans les années 1995-1996, ainsi précisée : « les fondations de ce pavillon, de type semelle filante, se situent à 0,35m de profondeur dans le limon argileux. Cette semelle, faiblement encastrée, ne respecte pas la protection hors gel du pavillon »,

- « on notera que le faible encastrement et la configuration globale de la fondation ' non conformes à la réglementation- constituent un facteur aggravant. En l'état, la fondation n'est pas à même de pouvoir reprendre les mouvements différentiels du sol qui peuvent être modérés dans les recouvrements de surface (matériaux peu plastiques) ».

Sur assignation de M.[W] du 2 juin 2006 une expertise a été ordonnée le 25 juillet 2006 mais sur appel de M.[W] et appel incident de Mme [J] la cour d'appel a rejeté en l'état la demande d'expertise au motif qu'il était nécessaire que le juge du fond se prononce préalablement sur la question de savoir si le bref délai de l'article 1648 du code civil avait été respecté.

Sur assignation à jour fixe de M.[W] celui-ci a demandé au juge de référés du tribunal de grande instance de Créteil de juger que son action en garantie des vices cachés et son action en responsabilité de maître d'ouvrage ne sont pas prescrites et d'ordonner une expertise au contradictoire de Mme [J], de la SCP notariale COUDURIER DUFOUR PICOT et de l'agence immobilière VAL ENTREPRISES.

Par ordonnance du 25 juillet 2006 le juge des référés a mis hors de cause la SCP notariale et l'agence immobilière mais a fait droit à la demande d'expertise en désignant M.[M].

Par Jugement du 4 septembre 2007 le tribunal de grande instance de CRETEIL a désigné M. [F], en qualité d'expert avec mission notamment de : « - se rendre sur place à [Localité 8], [Adresse 4] ; examiner et décrire précisément les travaux d'extension réalisés par Mme [J] avant la vente ; examiner et décrire précisément les fissures apparentes sur les murs intérieurs et extérieurs ainsi que tous autres désordres affectant tant le bâtiment principal que l'annexe située en fond de parcelle ; dire quelles sont l'origine et la cause de ces désordres ».

Sur appel formé par Mme [J], la cour d'appel de PARIS a confirmé ce jugement par arrêt 13 novembre 2008.

Le juge de la mise en état du tribunal de CRETEIL a, par ordonnance du 8 Février 2011, déclaré le jugement du 4 septembre 2007 commun et opposable à M. [E] et à son assureur la SMABTP.

L'expert judiciaire a déposé son rapport le 25 mai 2012.

Il a conclu que les travaux exécutés par l'entreprise [E] étaient à l'origine des désordres survenus dans le pavillon.

Par jugement rendu le 18 mars 2014 assorti de l'exécution provisoire, le tribunal de grande instance de Créteil a :

- déclaré M.[W] recevable,

- condamné in solidum Mme [J], M.[E] et la SMAPTB à payer à M.[W] les sommes de :

-63 948,55 € HT outre TVA applicable au jour du jugement, au titre de la remise en conformité de la charpente,

- 15 995 € HT outre TVA applicable au jour du jugement, au titre des travaux de réfection du carrelage et de la peinture,

- dit que ces sommes seront actualisées selon l'indice BT01 de la construction, les indices de référence étant ceux en vigueur au 25 mai 1012 date du dépôt du rapport d'expertise et la date du jugement,

- 1496,20€ TTC au titre des frais de sondage réalisés par la société MVT,

- 1000 € au titre des frais de déménagement et de stockage des meubles et matériel électro- ménager pendant la durée des travaux,

- 2000€ au titre du préjudice de jouissance,

- 8000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- accordé le bénéfice des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile au conseil de M.[W],

- rejeté le surplus des demandes.

Le jugement entrepris a été exécuté par la SMABTP assureur de garantie décennale M.[E].

La SMABTP en a interjeté appel.

1- Par conclusions du 30 octobre 2014 la SMA venue aux droits de la SMABTP demande à la cour au visa des articles 2270 ancien, 1792-4-1 et 1792-4-3, 1147 du code civil, 287 à 295 et 299 du code de procédure civile, vu la jurisprudence, de :

A titre principal,

- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a fait droit aux demandes de condamnation formées à l'encontre de l'entreprise [E] et de son assureur la SMA malgré l'expiration de la garantie décennale, et statuant à nouveau,

- constater que la réception des travaux est intervenue le 10 novembre 1995 et que par exploit du 22 septembre 2010, soit près de 15 ans après la réception des travaux, M. [W] a assigné M. [E] et la SMA,

- en conséquence, juger la demande de M. [W] à l'égard de M. [E] et de la SMA radicalement irrecevable car prescrite,

- à titre subsidiaire, infirmer le jugement entrepris en ce qu'il n'a pas tenu compte de la sphère d'intervention limitée de l'entreprise [E] et, statuant à nouveau, constater qu'aucun élément ne démontre que l'entreprise [E] aurait réalisé les travaux l'extension litigieux à l'origine des désordres et que les devis de l'entreprise [E] versés aux débats sont empreints à de multiples irrégularités qui font douter de leur authenticité ;

- donner acte à M. [E] et à la SMA qu'ils arguent de faux les devis versés aux débats ; en conséquence, rejeter les demandes de condamnation formulées par M. [W] à l'encontre de M. [E] et de la SMA,

- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il n'a pas tenu compte des limites de garanties de la police souscrite auprès de la SMA,

- juger que :

- la SMA est bien fondée à opposer ses limites de garanties ainsi que le montant des franchises contractuelles,

- les garanties souscrites par M. [E] auprès de la SMA ne sont pas mobilisables au titre de la responsabilité contractuelle,

- les préjudices et autres frais de relogement allégués par M.[W] constituent des dommages immatériels relevant des garanties facultatives de la police, lesquelles ont cessé au jour de la résiliation du contrat,

En tout état de cause,

- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné M. [E] et le SMA au paiement de la somme de 8.000 € au titre de l'article 700 du CPC ainsi qu'aux dépens,

- condamner M. [W] ou tout succombant à leur verser la somme de 5.000 € à titre de dommages et intérêts sur le fondement de l'article 1382 du code civil,

- condamner M. [W] ou tout succombant à leur verser la somme de 4.000 € sur le fondement de l'article 700 du C.P.C. et aux dépens dont recouvrement conformément aux dispositions de l'art. 699 du CPC.

2- Par conclusions du 18 décembre 2014 M. [W] demande à la cour au visa des articles 245 et 331 du code de procédure civile, 1147, 1792 et suivants, 2241 et suivants du code civil, vu le jugement avant-dire droit du 4 septembre 2007, l'ordonnance du juge de la mise en état du 8 Février 2011, le rapport d'expertise du 25 Mai 2012 de :

-confirmer partiellement le jugement du tribunal de grande instance de CRETEIL du 18 Mars 2014 et le jugement rectificatif du 9 Mai 2014 en ce qu'ils ont :

.dit son action recevable et fondée,

.constaté l'absence de prescription de l'action décennale et écarté la fin de non-recevoir formée par la SMABTP,

.constaté que les désordres survenus dans le pavillon sis [Adresse 4] à [Localité 8] (cadastré Section AR n° [Cadastre 1]) avaient manifestement pour origine les travaux d'extension -contraires aux règles de l'art- commandés par Mme [J] et réalisés par l'entreprise R [E] assurée par la SMABTP,

.condamné solidairement Mme [J], M. [E] et la SMABTP à lui payer au titre des travaux réparatoires et des frais annexes les sommes suivantes : 63.948,55 € TTC au titre du devis de la société ERIBOIS du 11 Mai 2012 actualisé selon l'indice BT 01 (valeur en Juin 2012 : 874), 15.995 € HT au titre du devis de la société BASTIL DECO n°120512 actualisé selon l'indice BT 01(valeur en Juin 2012 : 874), 1.496,20 € TTC au titre du devis de la société MVT actualisé selon l'indice BT 01 (valeur en juin 2012 : 874) .condamné solidairement Mme [J], M. [E] et son assureur, la SMABTP à payer à M. [W] une indemnité de 8.000 € sur le fondement de l'article 700 du CPC ainsi qu'aux dépens de première instance y compris les honoraires d'expertise (13.665,50 €).

-le déclarer recevable et fondé en son appel incident,

Statuant à nouveau, condamner solidairement Mme [J], M.[E] et la SMA nouvelle dénomination de la SMABTP à payer à M. [N] [W] :

- 5.310,96 € TTC au titre du déménagement des meubles et matériel électro-ménager de l'ensemble de la pièce, leur stockage pendant la durée des travaux, assorti d'un intérêt au taux légal à compter de l'arrêt à intervenir,

- 3.000 € au titre des frais d'hébergement à l'hôtel pendant une durée d'un mois, assorti d'un intérêt au taux légal à compter de l'arrêt à intervenir,

- 3.200 € au titre du préjudice de jouissance assorti d'un intérêt au taux légal à compter de l'arrêt à intervenir,

-débouter Mme [J], M. [E] et la SMA de toutes leurs demandes, fins et conclusions,

- condamner solidairement Mme [J], M. [E] et la SMA à régler à M. [W] la somme de 15.000 € à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice moral,

- condamner solidairement Mme [J], M. [E] et son assureur, la SMA à payer à M. [W] la somme de 10.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

-dire que ces sommes porteront intérêts au taux légal,

-ordonner la capitalisation des intérêts à compter de la présente demande,

- condamner solidairement Me [J], M. [E] et son assureur, la SMA, aux dépens d'appel qui seront recouvrés dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile.

3-Par conclusions du 6 octobre 2014 Mme [J], appelante incidente, demande à la cour de déclarer son appel incident recevable et vu les articles 1792 et suivants du code civil, de :

-constater et au besoin juger que sa responsabilité décennale est forclose depuis le 10 novembre 2005 ou à tout le moins depuis le 11 mars 2006,

En conséquence, réformer le jugement dont appel et déclarer irrecevable la demande formée par M. [W] pour cause de prescription.

Subsidiairement,

- rejeter l'exception de faux en écritures opposée par la SMABTP,

- vu les articles 1147, 1792 et suivants du code civil, confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné M. [E] et son assureur la SMABTP, in solidum avec Mme [J], au paiement des condamnations prononcées du chef des demandes formulées par M. [W],

En tout état de cause,

- condamner la partie succombante au paiement de la somme de 5.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens d'appel, dont recouvrement selon les dispositions de l'article 699 de code procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 1er décembre 2015.

SUR CE LA COUR

Sur la prescription et la recherche de responsabilité de l'entreprise [E]

Mme [J] soutient que la prescription est acquise depuis le 10 novembre 2005 et à tout le moins depuis le 11 mars 2005.

La SMABTP assureur de M.[E] fait valoir pour sa part que la réception a eu lieu le 10 novembre 1995 et que l'action est prescrite dès lors que M.[W] ne l'a assignée, comme son assuré M.[E] que près de 15 ans plus tard le 22 septembre 2010.

Le jugement entrepris a rejeté cette fin de non- recevoir en retenant qu'aucune des pièces versées ne caractérisait une volonté non équivoque du maître de l'ouvrage de recevoir les travaux plus de dix ans avant la première assignation, en référé, de M.[W], du 6 juin 2006.

Il incombe à Mme [J] de faire la preuve de la réception des travaux alléguée, dont elle prétend qu'elle a été tacite.

L'expert judiciaire a conclu (page 17) qu'il n'y a pas eu de réception des travaux par Mme [J].

Si Mme [J] a fait figurer dans l'acte de promesse de vente du 27 mars 2001 l'indication « maison ayant fait l'objet d'un agrandissement en 1994 » (pièce 1) force est de constater qu'elle ne produit aucun acte de réception, alors que cet acte doit être établi par le maître d'ouvrage au contradictoire de l'entreprise concernée, et qu'il constitue le point de départ des garanties prévues par les articles 1792 et suivants du code civil.

Bien plus il résulte de ses propres conclusions (page 5) que les travaux n'étaient pas achevés, cela dans les termes suivants :

« qu'en tout état de cause, il ressort des éléments du dossier que la réception, à tout le moins tacite, des travaux réalisés par l'entreprise [E] 'certes non achevés sur les finitions comme en atteste les factures produites à l'expertise par la concluante, mais achevés sur le gros-oeuvre et la structure, doit être fixée au 10 novembre 1995 ».

La réception est un acte unique portant sur l'ouvrage concerné par les travaux dans son ensemble et l'affirmation d'un inachèvement suffit à écarter l'existence d'une réception tacite.

Au surplus une acceptation tacite suppose à tout le moins le paiement de l'intégralité des travaux.

Or, force est de constater que Mme [J] ne produit pas les différentes factures ayant donné lieu au versement des acomptes en paiement de ces travaux ni le moindre élément comptable probant quant à ces versements, cela alors que la preuve même de l'intervention de l'entreprise [E] est contestée par AXA assureur de M.[W].

La seule mention sur une pièce produite par Mme [J], mais non cotée, de paiements de 2 x 60000Frs + 50000Frs +30000Frs ne correspond en rien aux travaux litigieux. En effet :

- il s'agit d'une page 2/2 d'un devis sur laquelle a été apposé la date du 16 mars 1995, suivi de la signature [J], et à droite un cachet attribué à l'entreprise [E],

- le total des sommes présentées comme paiement représentent un montant total de 200 000Frs ce qui ne peut correspondre, pour autant que la pièce existe réellement, qu'à un autre devis du 16 février 1995 également produit en copie non cotée concernant des travaux de ravalement, changement fenêtres, toitures » dont le montant est de 200 000Frs .

- or un autre devis est également produit en copie non cotée, sous même en-tête [E], daté du 24 janvier 1995. Ce devis est mentionné comporter deux feuilles mais dont seule la première est au dossier. Il s'élève à un coût de 300 000Frs (et non pas 200 000Frs) et désigne comme travaux, avec un taux de TVA de 18,60% ce qui laisse supposer qu'il ne s'agit pas de la maison d'habitation de Mme [J], les prestations suivantes :

« -démolition des façades arrière et de la toiture jusqu'au fettage.

-reconstruction des murs avec les ouvertures des portes et fenêtres

-rehaussement des deux pignons,

-charpente à refaire en placo de plâtre dans la salle à manger et dans la chambre arrière

-pose de la laine de verre épaisseur 200 dans la partie agrandie,

-modification pour la salle de bain,

-changement du carrelage sur salle à manger, cuisine et couloir,

-doublage sur les murs des parties neuves en placo plâtre + polyester + pose des bandes à joint et enduit de finition,

-ravalement sur les parties neuves prêt à recevoir un enduit de finition

-nettoyage et enlèvement des gravas à la décharge »

Il est audacieux de penser qu'un entrepreneur réduise d'un tiers le montant d'un devis de cette importance.

Il sera observé que les pièces produites par Mme [J] qui viennent d'être citées paraissent modifiées par rapport à celles présentées à l'expert, lequel (page 37) a indiqué qu'il s'agissait de devis non signé de Mme [J], alors que l'une d'entre elles présentée à la cour porte la signature [J].

Il sera signalé que dans son dire récapitulatif du 27 avril 2012 le conseil de l'entreprise [E] et de son assureur a indiqué que « les travaux de l'entreprise [E] ont consisté en la pose de carrelage et à l'exécution de ravalement extérieur du pavillon à l'exclusion de tous autres travaux ».

Pour mémoire il sera rappelé que la promesse de vente a visé des travaux d'extension réalisés « en 1994 » et non 1995.

Au surplus, la multitude de factures produites aux débats par Mme [J] sont également non cotées (documents liassés dont la première feuille un cachet « SCP [S]-[J] avocats Nice case 118 » et au centre « pièce communiquée N° » sans aucune numérotation, ces pièces n'apparaissant d'ailleurs pas sur le bordereau de communication.

Elles ne démontrent pas davantage que M.[E] ait été l'auteur des travaux d'extension litigieux :

- certaines ont pour adresse de facturation « Ent LEVALLOIS [Adresse 6] à [Localité 7] (compte chez Lapeyre n° 24153) ». Un document semblant un récapitulatif porte de manière manuscrite la rature de l'adresse de l'Entreprise LEVALLOIS avec l'indication manuscrite « payé par [J] direct » et une référence manuscrite de chèque non authentifiée,

- certaines autres de ces pièces portent comme adresse de facturation « Sté STG » [Adresse 4] à [Localité 8],

- d'autres encore, sont des factures de location de matériel chez Kiloutou au nom de [J] [Adresse 3] à [Localité 6] (marteau piqueur, chariot /chalumeaux, bétonnière')

- ou des factures sous en-tête sanitaire chauffage non identifiables portant indication de facturation « comptants professionnels P.C.S.B. » ne concernant pas, en toute hypothèse les travaux d'extension litigieux.

La cour retiendra en conséquence que Mme [J] ne rapporte pas la preuve qui lui incombe de la réalité des commandes de travaux d'extension à l'entreprise [E], ni d'avoir réglé à cette entreprise le coût des travaux litigieux.

Cette maison n'était pas le domicile de Mme [J] et il n'est pas établi qu'elle aurait été habitée avant sa mise en vente par cette dernière. Il n'est donc pas établi qu'il y ait eu de prise de possession aux fins d'habiter personnellement le bien.

En conséquence il convient non seulement, par infirmation du jugement entrepris, de débouter M.[W] de ses demandes à l'encontre de cette entreprise et de son assureur, mais a fortiori de constater l'absence de réception des travaux d'extension et par conséquent d'écarter le moyen tiré de l'existence de la prescription décennale.

Sur les demandes formées contre Mme [J]

Les motifs qui précèdent ont écarté la fin de non-recevoir tirée de l'acquisition de la prescription.

L'article 1792-1 du code civil prévoit qu' « Est réputé constructeur de l'ouvrage (')2° toute personne qui vend, après achèvement, un ouvrage qu'elle a construit ou fait construire ».

Cette qualité de constructeur reçoit application lorsque le vendeur d'un immeuble a procédé à des travaux de rénovation et d'extension relevant de la qualification d'ouvrage, sans qu'il ne soit nécessaire de justifier d'un contrat de louage d'ouvrage ou de maîtrise d''uvre.

Mme [J] qui est défaillante à la justification d'une réception des travaux se prévaut elle-même de l'achèvement des travaux, dont les factures citées montrent qu'ils ont d'ailleurs porté sur d'autres postes que ceux de toiture et de structure, et elle a déclaré devant le notaire lors de la signature de l'acte authentique (page 11) ne pas avoir souscrit d'assurance dommage ouvrage, que la construction nouvelle a moins de 10 ans et qu'elle « ne pouvait justifier d'une assurance décennale des entreprises ayant réalisé les travaux ».

Il s'évince de ce qui précède que Mme [J] sera tenue envers M.[W] de garantir les conséquences des désordres à caractère décennal constatés.

A cet égard ni le caractère décennal des désordres ni le montant des travaux réparatoires ne sont discutés.

Sur la qualification des désordres, l'expertise judiciaire réalisée par M.[F], et l'étude de son sapiteur la société ERIBOIS démontrent en effet l'atteinte à la solidité de l'ouvrage. Il y est rappelé que :

- le pavillon d'origine avant extension est un pavillon de type Phénix dont la structure est constituée de portiques métalliques espacés de 1,2 à 2 ,1 m dont la stabilité longitudinale est assurée par des plaques en béton fixées sur les poteaux des portiques,

- l'extension se traduit par la suppression des portiques et de panneaux de stabilité, les charges étant reportées sur deux poteaux en bois supportant des poutres en bois et en acier,

- le poteau d'angle du portique d'origine a été remplacé par un poteau bois supportant à lui seul une charge de 3 tonnes sur la fondation d'origine,

- si le sondage a montré une assise correcte des fondations de l'extension, il n'en est pas de même pour la fondation du poteau bois central reprenant 3 tonnes de charges qui s'appuie sur la fondation de façade d'origine soit une simple longrine. Elle est sous dimensionnée et la fondation doit être reprise en sous-'uvre au droit de la longrine

- outre des fissures constatées (page 13 du rapport), dont certaines avaient été dissimulées par le maître d'ouvrage sous des calicots et un passage de peinture, il a été constaté un affaissement du carrelage de l'extension au droit du pignon voisin, l'extension ayant été réalisée sans vide sanitaire ni tassement suffisant du substrat. L'expert a également relevé flèche de la poutre maîtresse dans le séjour (« plafond ventru »).

Ces constatations établissent que les travaux d'extension réalisés sans la moindre étude de calcul ni de sols, avec atteinte à la structure initiale du pavillon et à sa charpente mettent en cause la solidité de l'ouvrage.

S'agissant des travaux réparatoires, consistant à reconstituer une fondation en sous-'uvre sous la longrine d'origine et en reprise de la charpente, leur coût a été fixé en cours d'expertise et retenu par le jugement qui sera en conséquence confirmé sur le quantum de l'indemnisation allouée en réparation des désordres soit 63 948,55€ TTC, 15.995 € HT, 1496,20€ TTC.

Sur les demandes complémentaires de M. [W]

Le jugement a alloué à M.[W], outre les sommes ci-dessus celles de 1000€ au titre des frais de déménagement et de stockage des meubles et matériels électro-ménager pendant la durée des travaux, 2000€ au titre du préjudice de jouissance et 8000 € pour frais irrépétibles.

M.[W] forme appel incident. Il demande d'une part :

- de porter à 5310,96€ TTC l'indemnisation de ses frais de déménagement et de stockage avec intérêts au taux légal à compter de l'arrêt,

- à 3000€ les frais d'hébergement à l'hôtel pendant un mois avec mêmes intérêts,

- et à 3200€ l'indemnisation de son préjudice de jouissance.

Il sollicite d'autre part une somme de 15000€ à titre de dommages intérêts pour le préjudice moral subi et 10 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.

Frais de déménagement et de stockage

M.[W] invoque sa santé précaire et la nécessité de recourir à un professionnel pour procéder au déménagement pendant les travaux. Il produit des devis pour le montant sollicité, qui porte sur le déménagement de 32 mètres cubes de meubles et objets meublants.

L'expert ne s'est pas prononcé sur la durée des travaux.

La durée approximative des travaux estimée à deux mois par M.[W] est excessive et non justifiée. Elle sera évaluée à un mois au maximum.

Dans la mesure où les travaux portent à la fois sur la structure et la couverture de l'immeuble sans cependant qu'il ne soit justifié de déménager l'intégralité des meubles et objets meublants se trouvant dans les lieux, la cour fixera à 2000€ ce poste d'indemnisation par infirmation sur le quantum,

Frais d'hébergement pendant les travaux et préjudice de jouissance

M. [W] ne peut recevoir à la fois l'indemnisation du relogement par nécessité de travaux réparatoires et l'indemnisation pour l'indisponibilité de son pavillon pendant ces travaux. Il s'agit dans les deux cas de l'impossibilité de jouir de son bien, prise en compte par le relogement extérieur.

Le surplus de sa demande sera rejeté.

La somme réclamée pour ces deux postes de préjudice (3000 +3200€) est excessive tant au regard de ladite durée comme il a été dit, que du quantum, et sera admise à hauteur de 1200€.

Préjudice moral

Si M. [W] a subi les inconvénients d'une longue procédure judiciaire par suite des conditions désastreuses dans lesquelles avait été réalisée l'extension du pavillon acquis de Mme [J], force est cependant de constater que la première cause de ses préjudices a été la prise de risque d'acquérir un bien dont il avait été clairement informé lors de l'acquisition, qu'il ne bénéficiait pas pour la partie la plus récente, de la garantie légale d'une assurance dommages ouvrage que Mme [J] aurait dû souscrire et transmettre avec ce bien. L'acte d'acquisition n'avait pas davantage informé sur la ou les entreprises en cause et leurs assureurs.

La cour confirmera le rejet de la demande d'indemnisation du préjudice moral allégué.

4 - Sur les autres demandes

Il sera statué sur les dépens et frais irrépétibles dans les termes du dispositif

PAR CES MOTIFS

La cour,

INFIRME le jugement entrepris :

- en ce qu'il retenu la responsabilité de M.[Q] [E] et l'a condamné avec la garantie de son assureur la SMABTP à payer diverses sommes à M. [N] [W],

-en ce qu'il a fixé à 1000 € l'indemnisation du déménagement et à 2000€ celle du relogement temporaire,

Statuant à nouveau,

DEBOUTE M. [N] [W] de ses demandes contre M.[Q] [E] et son assureur la SMABTP,

CONDAMNE Mme [V] [J] à payer à M. [N] [W] la somme de 2000€ au titre de l'indemnisation du déménagement et du stockage mobilier et une somme de 1200€ au titre de celle du relogement temporaire et du préjudice de jouissance,

CONFIRME le jugement entrepris pour le surplus, s'agissant de la condamnation de Mme [V] [J] aux travaux réparatoires, intérêts frais et accessoires,

Y ajoutant,

DEBOUTE M. [N] [W] du surplus de ses demandes,

DIT n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel,

CONDAMNE Mme [V] [J] aux dépens d'appel et admet les parties en ayant formé la demande et en réunissant les conditions au bénéfice des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

LE GREFFIER LE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 4 - chambre 5
Numéro d'arrêt : 14/09855
Date de la décision : 23/03/2016

Références :

Cour d'appel de Paris G5, arrêt n°14/09855 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2016-03-23;14.09855 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award