La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

23/03/2016 | FRANCE | N°13/07276

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 10, 23 mars 2016, 13/07276


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS







COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 10



ARRÊT DU 23 Mars 2016



(n° , 09 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : S 13/07276



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 16 Mai 2013 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOBIGNY RG n° 12/00355





APPELANT

Monsieur [Z] [Y]

né le [Date naissance 1] 1962 à [Localité 1]

[Adresse 1]

[Localité 2]

c

omparant en personne,

assisté de Me Lucile AUBERTY JACOLIN, avocat au barreau de PARIS, toque : J114





INTIMEE

Société ODENWALD FASERPLATTENWERK GMBH VENANT AUX DROITS DE SAS OWA FRANCE

[Adress...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 10

ARRÊT DU 23 Mars 2016

(n° , 09 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S 13/07276

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 16 Mai 2013 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOBIGNY RG n° 12/00355

APPELANT

Monsieur [Z] [Y]

né le [Date naissance 1] 1962 à [Localité 1]

[Adresse 1]

[Localité 2]

comparant en personne,

assisté de Me Lucile AUBERTY JACOLIN, avocat au barreau de PARIS, toque : J114

INTIMEE

Société ODENWALD FASERPLATTENWERK GMBH VENANT AUX DROITS DE SAS OWA FRANCE

[Adresse 2]

[Localité 3] ALLEMAGNE

représentée par Me Mathilde HOUET WEIL, avocat au barreau de PARIS, toque : R002

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 02 Février 2016, en audience publique, devant la Cour composée de :

Madame Marie-Antoinette COLAS, président de chambre

Madame Françoise AYMES-BELLADINA, conseiller

Madame Stéphanie ARNAUD, vice président placé faisant fonction de conseiller par ordonnance du Premier Président en date du 26 novembre 2015

qui en ont délibéré

Greffier : Mme Emmanuelle MAMPOUYA, lors des débats

ARRET :

- contradictoire

- prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Marie-Antoinette COLAS, président de chambre et par Madame Caroline CHAKELIAN, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Vu les conclusions de Monsieur [Z] [Y] et celles de la société ODENWALD Faserplattenwerk Gmbh venant aux droits de la société OWA France, dite OWA, visées et développées à l'audience du 2 février 2016.

EXPOSE DU LITIGE

Monsieur [Y] a été engagé par contrat en date du 6 novembre 2000 à compter du 4 décembre 2000, en qualité de directeur général par la société OWA France, filiale française de la société OWA GMBH de droit allemand. Un avenant a été signé en 2006 concernant la rémunération fixe et la partie variable. La convention collective applicable est celle des entreprises de négoce des matériaux de construction.

Par lettre du 19 décembre 2011, le salarié a été convoqué à un entretien préalable fixé au 6 janvier 2012 avec mise à pied à titre conservatoire, puis licencié pour faute lourde par lettre du 31 janvier 2012.

Dès le 26 janvier 2012, Monsieur [Y] avait saisi le conseil de prud'hommes de Bobigny en résiliation judiciaire de son contrat de travail, considérant que les faits entourant son licenciement constituaient un manquement grave de l'employeur.

Par jugement rendu le 16 mai 2013, le conseil de prud'hommes a débouté Monsieur [Y] de ses demandes, l'a condamné à rembourser à la société OWA France la somme de 15.983 € (somme obtenue par compensation sur les primes) ainsi que celle de 1.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

Monsieur [Y] a régulièrement interjeté appel le 23 juillet 2013 et demande à la cour :

L'infirmation du jugement, sauf en ce qu'il a condamné la société OWA France au paiement de la somme de 4.806 € au titre du solde du bonus 2011 et de condamner la société ODENWALD Faserplattenwerk Gmbh qui vient aux droits de la société OWA France au paiement de cette somme,

Statuant à nouveau,

A titre principal :

Juger que l'employeur a commis des manquements graves dans l'exécution du contrat de travail rendant impossible sa poursuite,

Prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail,

Condamner la société ODENWALD Faserplattenwerk Gmbh qui vient aux droits de la société OWA France au paiement des sommes suivantes :

- 158.475,71 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (12 mois dont 4 mois au titre du préjudice moral),

- 79.000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif et vexatoire,

- 36.618,90 € brut à titre d'indemnité de préavis,

- 3.661,89 € à titre de congés payés afférents,

- 50.183,94 € à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement,

- 13.206,30 € à titre de rappel de salaire sur la mise à pied à titre conservatoire,

- 1.320 € à titre de congés payés afférents,

- 15.500 € brut à titre de rappel de prime sur les charges,

- 4.150 € brut à titre de congés payés sur le rappel de primes,

- 15.000 € à titre de dommages et intérêts pour non respect des dispositions sur le DIF et sur la portabilité des droits à la mutuelle,

avec intérêts au taux légal à compter de la saisine, et la remise d'un certificat de travail d'une attestation d'assurance chômage et de bulletins de paye conformes sous astreinte de 100 € par jour de retard.

A titre subsidiaire, sur le licenciement,

Juger que les faits reprochés à Monsieur [Y] sont prescrits,

Juger qu'il n'a commis aucune faute lourde ou même grave, ni même une faute dans l'exécution de son contrat de travail et que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse et qu'il subi un préjudice financier, un préjudice moral et un préjudice de carrière,

Juger qu'en outre la procédure de licenciement a été menée de façon abusive et vexatoire,

Condamner la société ODENWALD Faserplattenwerk Gmbh qui vient aux droits de la société OWA France au paiement des sommes déjà énoncées ci-dessus, ainsi qu'à la délivrance des documents sociaux sous astreinte de 100 € par jour de retard.

En tout état de cause,

Condamner la société ODENWALD Faserplattenwerk Gmbh qui vient aux droits de la société OWA France au paiement de la somme de 4.800 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La société OWA FRANCE aux droits de laquelle vient la société OWA Gmbh par fusion absorption de la société mère en août 2013 demande :

La confirmation du jugement,

De débouter Monsieur [Y] de ses demandes,

De condamner Monsieur [Y] à lui rembourser la somme de 15.983 €.

A titre subsidiaire sur la faute grave,

De dire et juger que la mise à pied à titre conservatoire de Monsieur [Y] était justifiée,

De débouter Monsieur [Y] de sa demande de rappel de salaire pendant la période de mise à pied à titre conservatoire,

De juger que les avances auto consenties par Monsieur [Y] couvrent le montant lui étant dû au titre de sa prime 2011,

De débouter Monsieur [Y] de sa demande de rappel de prime et de congés payés afférents,

De juger que les agissements de Monsieur [Y] sont à tout le moins constitutifs d'une faute grave,

De débouter Monsieur [Y] de ses demandes relatives au licenciement.

En tout état de cause,

De minorer substantiellement le montant de l'indemnité sollicitée au titre du non respect des dispositions sur le droit individuel à la formation pour la porter à un montant ne pouvant excéder 1.500 €,

D'assortir la condamnation de Monsieur [Y] de la somme de 15.983 € des intérêts au taux légal à compter de la demande reconventionnelle, soit le 7 février 2013 jusqu'au jour du paiement et ordonner la capitalisation des intérêts,

De condamner Monsieur [Y] à lui payer la somme de 5.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

SUR CE,

Sur la résiliation judiciaire

Monsieur [Y] a engagé une procédure en résiliation judiciaire de son contrat de travail le 26 janvier 2012, après l'entretien préalable, mais avant que le licenciement pour faute lourde soit prononcé.

Un salarié peut demander la résiliation judiciaire de son contrat de travail en cas de manquements graves de l'employeur.

Lorsqu'un salarié a demandé la résiliation judiciaire de son contrat de travail et que son employeur le licencie ultérieurement, et ce même si la demande de résiliation judiciaire est postérieure à la date d'engagement de la procédure de licenciement mais antérieure à la notification du licenciement, le juge doit d'abord rechercher si la demande de résiliation était justifiée, la rupture produisant alors les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse et la date de la rupture étant fixée à la date d'envoi de la lettre de licenciement ; c'est seulement s'il ne l'estime pas fondée qu'il doit statuer sur le licenciement. 

Monsieur [Y] sollicite que sa demande soit jugée recevable ce qui n'est pas contesté par l'employeur, et soutient qu'elle est fondée sur les motifs suivants : l'employeur l'a empêché d'exécuter normalement son contrat de travail, il n'a pas fixé les objectifs en début d'exercice, et l'a privé sans motif légitime de sa rémunération durant 53 jours, tous motifs contestés par la société OWA.

Monsieur [Y] soutient que les décisions de la société mère dans la gestion de l'entreprise ont entraîné une modification de son contrat de travail mais reconnaît qu'il a conduit en 2001, 2002 et 2003 une réorganisation de l'entreprise, et il ne peut reprocher à l'employeur une diminution de son niveau de responsabilité alors qu'il a toujours conservé les mêmes attributions et tout pouvoir pour diriger et engager la société OWA France, la réduction des effectifs ou une baisse d'activité de la société ne constituant pas une modification du contrat de travail du salarié ; aucune modification du contrat de travail ne peut être retenue, peu important que Monsieur [Y] n'ait pas été remplacé par l'embauche d'un salarié.

Par ailleurs, alors que le contrat de travail prévoit que les objectifs devaient être fixés par la société, le salarié indique lui-même qu'il proposait les objectifs à réaliser en début d'année et que ceux-ci étaient systématiquement validés en cours d'exercice par la direction du groupe et qu'il prenait des avances durant l'année sur la base des objectifs proposés et soldait le montant de son bonus annuel au début de l'exercice suivant ; dans ces conditions, le salarié, qui n'a subi aucun préjudice, ne peut sérieusement reprocher à l'employeur un quelconque manquement, peu important que la fixation d'objectifs de l'année 2011 n'ait été validée qu'en décembre puisque cette situation n'empêchait pas le salarié de bénéficier de la plus grande partie du bonus dans l'année et qu'en tout état de cause, le versement complet de la prime ne pouvait intervenir qu'une fois les résultats connus, soit en fin d'exercice, au début de l'année suivante conformément à l'attestation de Madame [K], expert comptable, produite par Monsieur [Y].

Enfin concernant la privation de la rémunération, contrairement à ce qu'indique Monsieur [Y], il y avait un motif légitime à celle-ci puisque l'employeur avait prononcé une mise à pied à titre conservatoire et engagé une procédure de licenciement pour des faits graves ; Monsieur [Y] a reçu, fin décembre 2011, son salaire de décembre, arrêté au 19 décembre 2011 en raison de la mise à pied à titre conservatoire, augmenté de l'avance sur prime qu'il a prise et a été licencié le 31 janvier 2011.

Sur l'ensemble des motifs retenus par le salarié, aucun manquement grave ne peut être reproché à l'employeur, Monsieur [Y] sera donc débouté de sa demande en résiliation judiciaire de son contrat de travail.

Sur le licenciement

Monsieur [Y] a été licencié pour faute lourde par lettre du 31 janvier 2012 pour les faits suivants : mauvais résultats ayant provoqué la baisse du chiffre d'affaires et des pertes au cours des trois derniers exercices, attitude dénigrante envers l'employeur en reportant sur la maison mère les mauvais résultats de la filiale, abus de confiance et détournements de fonds répétés découverts entre le 19 décembre 2011 et le 6 janvier 2012 par l'octroi d'avances sur primes sans autorisation en 2010 et 2011.

Monsieur [Y] soutient que les faits fautifs sont prescrits et que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse, ce que conteste l'employeur qui fonde son licenciement pour faute lourde sur des avances de salaire sans autorisation, tout en rappelant les graves négligences de gestion et qui sollicite, à titre subsidiaire, la reconnaissance d'une faute grave.

L'employeur dispose de deux mois à partir de la découverte des faits pour sanctionner. Le délai de deux mois ne commence à courir qu'à partir du moment où l'employeur a une connaissance des faits.

L'employeur indique que les investigations menées à compter de la mise à pied ont révélé des fautes lourdes concernant les avances sur prime.

Mais les faits concernant le prêt remboursable de décembre 2010 à décembre 2011 (6.500 €) et les avances évoquées par l'employeur sur les objectifs 2010 (10.000 € en février) pour un montant total de 16.500 € puis sur 2011 (5.983,71 € brut en mai et10.000 € en décembre) pour un montant total de 15.984 € sont prescrits, exceptée l'avance sur la prime du 19 décembre 2011, la société OWA ne pouvant sérieusement soutenir qu'au 19 décembre 2011, elle ignorait ces prêts et avances et la pratique installée depuis des années, alors qu'ils étaient inscrits sur les fiches de paye, au moins pour l'année 2011, et dans les écritures comptables de la société, que la maison mère vérifiait nécessairement étant au surplus relevé qu'elle recevait des informations régulières par l'expert comptable et le commissaire aux comptes.

Madame [I] [C] confirme dans son courriel du 6 janvier 2012 que l'avance sur salaire prise en décembre 2010 de 6.500 € apparaît à l'actif du bilan de décembre 2010 intitulé « personnel acomptes » et que l'avance sur prime 2011 prise en mai 2011 a été portée sur le bulletin de paye du mois de mai 2011 ; la pièce produite par la société OWA concernant l'édition du 5 janvier 2012 des comptes généraux 2011 fait effectivement apparaître les avances de Monsieur [Y] de décembre 2010 et décembre 2011et ses remboursements mensuels du prêt.

De plus, le rapport d'audit PWC missionné par la société OWA le 18 janvier 2012 confirme tout à la fois cette pratique depuis plusieurs années et la transparence des avances sur prime figurant sur les bulletins de salaire et déduites de la prime annuelle, même si Monsieur [Y] ne sollicitait pas un accord préalable de l'employeur ce qui n'est pas contesté.

En outre, Monsieur [Y] produit une attestation de l'expert comptable confirmant ses dires sur les avances sur primes depuis au moins 2003 tant pour les commerciaux que lui-même et l'information assurée chaque mois auprès de la société mère par l'envoi des tableaux de reporting mensuel.

Enfin, l'employeur n'a jamais protesté ou rappelé à l'ordre Monsieur [Y], ce qui démontre qu'il a, au moins, acquiescé à cette pratique .

Outre que les avances de l'année 2010 et de mai 2011 sont prescrites, la cour relève qu'elles ne caractérisent pas un comportement fautif de la part de Monsieur [Y].

L'employeur reproche à Monsieur [Y] un détournement de fonds au préjudice de l'entreprise en raison d'un trop prélevé sur la prime de 2010 et le prélèvement de la somme de 10.000 € à l'issue de la remise de la convocation à l'entretien préalable avec mise à pied à titre conservatoire.

Mais cette prime 2010 qui apparaissait sur les comptes de l'année 2010 en janvier 2011, n' a jamais été remise en cause par l'employeur qui en avait eu connaissance, jusqu'au licenciement, de sorte qu'il ne peut désormais sérieusement prétendre qu'elle devait être de 11.000 € et non pas de 30.500 euros par l'adoption d'un mode de calcul différent. L'avenant au contrat de travail de 2003 définit le mode de calcul de la rémunération variable que l'expert comptable confirme en précisant qu'elle était fixée sur la base des reporting mensuels relatifs à l'activité de la filiale OWA France et non sur la liasse fiscale adressée au tribunal de commerce et qui représentait le bilan définitif établi après consolidation des comptes du groupe. L'employeur sera en conséquence débouté de sa demande ainsi que Monsieur [Y] qui sollicite un rappel de 15.500 € sur le bonus de 2010, somme sur laquelle il ne donne pas d'explication tout en reconnaissant que le bonus reçu de 2010 s'élevait bien à la somme de 30.500 €.

Concernant la prime 2011, les objectifs de la prime variable ont été signés par l'employeur le 19 décembre 2011 ; la seconde avance sur prime 2011 de 10.000 € prise par Monsieur [Y] le 19 décembre 2011 résulte de la notification des objectifs signés par l'employeur que Monsieur [Y] savait avoir atteint et a fait l'objet d'une information à l'expert comptable. La cour relève qu'en réalité, les parties sont d'accord pour admettre qu'elle devait s'élever à 20.000 € . Le salarié a prélevé deux avances pour un total de 15.983,71 €, soit un montant inférieur à ce qu'il pouvait prétendre ; le solde est donc de 4.016,29 €, montant duquel il faut déduire la somme de 500 € restante (conformément au rapport d'audit PWC déposé le 14 mai 2012) au titre du prêt de 6.500 € prélevé par le salarié en décembre 2010 et qu'il devait rembourser à raison de 500 € par mois à compter de janvier 2011 durant treize mois mais dont le remboursement s'est arrêté en décembre 2011, date de la rupture du contrat de travail, soit une somme de 3.516,29 €.

Sur le prélèvement de 10.000 € du 19 décembre 2011, même si le comportement du salarié peut apparaître de prime abord répréhensible, il convient de constater que les parties avaient évoqué une séparation amiable et qu'il n'est pas établi que Monsieur [Y] ait effectué cette opération après la remise de la lettre de mise à pied ; en tout état de cause, les deux avances pour l'année 2011 comprenant celle du 19 décembre 2011 étaient inférieures à la prime due au salarié, de sorte que l'employeur ne peut évoquer des avantages importants que se serait octroyé le salarié, un détournement de fonds, un abus de confiance, tous éléments qui nécessitent une absence de justification et des comportements occultes, ce qui n'est pas le cas en l'espèce.

En conséquence, si le grief relatif à l'avance sur prime du 19 décembre 2011 n'est pas prescrit, il ne peut constituer une faute du salarié et encore moins un abus de confiance et des détournements de fonds répétés tels qu'invoqués par l'employeur dans la lettre de licenciement.

L'employeur fait aussi grief à Monsieur [Y] d'avoir eu de mauvais résultats au titre de sa gestion ayant accumulé les pertes au cours des trois derniers exercices et de n'avoir pas régulé les départs de l'entreprise, mais aussi de son attitude dénigrante à l'égard du groupe OWA en reportant systématiquement sur la maison mère en Allemagne la responsabilité des mauvais résultats de la filiale conduisant les collaborateurs à la démission, et enfin de son immobilisme, son manque d'engagement et d'initiative qui serait la cause principale de la situation difficile de la société.

Mais Monsieur [Y] rappelle justement qu'il était dans son rôle de directeur général d'attirer l'attention de la maison mère allemande sur les produits peu adaptés au marché français et le besoin de faire évoluer la gamme, ce qu'il a fait dès le comité de direction du 18 juin 2010 et par courriels des 12 mai, 11 juillet et 26 juillet 2011 ; il justifie avoir exprimé sa réserve sur les choix retenus par la société mère, qui souhaitait une équipe plus petite et expérimentée par courriel du 10 octobre 2011 et lors du comité de direction du 3 novembre 2011 et avoir exprimé ses inquiétudes par courriels des 10 octobre, 18 novembre 2011 face au nombre de départs de commerciaux et à l'avenir de la société en attente de la direction fixée par la société mère ; les remarques et réserves de Monsieur [Y] ne sauraient constituer une attitude de dénigrement, laquelle au demeurant n'est justifiée par aucun élément probant alors que le salarié a écrit un courriel le 10 octobre 2011 « merci de me dire vers quelle direction nous allons l'année prochaine et nous travaillerons dans ce sens » ; quant aux départs de salariés, on ne peut en imputer la responsabilité à Monsieur [Y] alors qu'il s'agit de la conséquence des choix retenus par la maison mère pour sa filiale et à une incertitude sur l'avenir, ainsi que ceci résulte des lettres de Messieurs [K] [R], [G] [V], et de Madame [A] [S], et de la lettre de la société OWA du 25 octobre 2011.

Par ailleurs, force est de constater que le grief concernant la gestion ne peut constituer qu'une insuffisance professionnelle et non une faute grave et encore moins une faute lourde ;

A cet égard, non seulement le salarié n'a fait l'objet d'aucune lettre de reproche ou de mise en garde durant les onze ans passés au service de la société OWA France, mais il a alerté la maison mère et sa hiérarchie sur les besoins du marché français différents de ceux de l'Allemagne et la situation défavorable de la filiale ; ces besoins spécifiques du marché français sont aussi visés dans le rapport d'audit du 15 septembre 2011 produit par l'employeur ; de surcroît l'employeur ne justifie pas que les mauvais résultats ayant provoqué la baisse du chiffre d'affaires et les pertes au cours des trois derniers exercices soient imputables à Monsieur [Y] y compris à la lecture du rapport d'audit précité ; enfin, le rapport du Président sur les comptes 2008 produit par l'employeur indique « dans un contexte attendu difficile pour les 2 années à venir » démontrant ainsi que les mauvais résultats prévus n'étaient pas imputables à Monsieur [Y].

Enfin en ayant fait le choix de se placer sur le terrain disciplinaire, et qui plus est en retenant une faute lourde, et en ayant décidé, dès la convocation à l'entretien préalable, du licenciement du salarié au moins sur une faute grave tel que ceci résulte de la lettre de Monsieur [Y] adressée à l'employeur le 19 décembre 2011, et en missionnant un audit PWC le 18 janvier 2012, soit postérieurement à l'entretien du 6 janvier 2012 afin de rechercher les faits constitutifs d'une faute, soit les avances sur prime, mais en licenciant le salarié avant même le dépôt du rapport intervenu le 14 mai 2012 qui concluait plutôt dans un sens favorable au salarié et en tout cas à l'absence de prélèvements cachés, le licenciement est de plus fort sans cause réelle et sérieuse.

Sur les conséquences

Le licenciement étant jugé sans cause réelle et sérieuse, il convient de faire droit à la demande du salarié concernant le paiement de la mise à pied à titre conservatoire soit 13.206,30 € et les congés payés afférents soit 1.320,60 €, ainsi que le préavis et de congés payés afférents soit 36.618,90 et 3.661,89 € ;

Monsieur [Y] sera accueilli en sa demande d'indemnité conventionnelle de licenciement soit une somme de 50.183,94 €, dont le calcul n'est pas contesté par l'employeur.

Concernant les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, Monsieur [Y] sollicite une somme de 158.475,71 € soit 12 mois de salaire dont 4 mois au titre du préjudice moral ; si le licenciement de Monsieur [Y] a pu être vexatoire et s'il a pu se retrouver durant quelques mois dans une situation financière difficile dont il justifie, il a néanmoins retrouvé très vite du travail ; son préjudice sera indemnisé à hauteur de la somme de 100.000 €.

Monsieur [Y] sera débouté de sa demande au titre des dommages et intérêts pour licenciement abusif et vexatoire, qui a déjà été indemnisé et pour lequel il n'est pas justifié d'un préjudice distinct.

Monsieur [Y] sollicite une somme de 15.500 € à titre de rappel de prime dont le montant n'est pas établi, alors que le calcul opéré justifie que cette demande soit accueillie à hauteur de la somme de 3.516,29 € outre les congés payés afférents soit 401,62, compte tenu de la déduction faite de la somme de 500 euros restant due au titre d'un prêt.

L'employeur sera également condamné à des dommages et intérêts pour non respect des dispositions sur le DIF et sur la portabilité des droits à la mutuelle, soit une somme de 1.500 €.

La société OWA devra délivrer à Monsieur [Y] des documents de fin de contrat (certificat de travail et attestation Pôle Emploi) conformes à la décision sans qu'il soit nécessaire d'assortir cette demande d'une astreinte.

Succombant, la société ODENWALD Faserplattenwerk Gmbh venant aux droits de la société OWA FRANCE supportera la charge des dépens.

Il serait inéquitable de laisser à la charge de Monsieur [Y] la totalité des frais irrépétibles qu'il a dû supporter pour faire valoir ses droits. La société OWA sera condamnée à lui verser une somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et sera déboutée de la demande formée à ce titre.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

Statuant publiquement et contradictoirement,

Infirmant le jugement déféré,

Et statuant à nouveau,

Déboute Monsieur [Y] de sa demande en résiliation judiciaire du contrat de travail,

Dit que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse,

Condamne la société de droit allemand ODENWALD Faserplattenwerk Gmbh venant aux droits de la société OWA FRANCE à payer à Monsieur [Z] [Y] les sommes de :

- 13.206,30 € à titre de rappel de salaire sur la mise à pied à titre conservatoire,

- 1.320,60 € au titre des congés payés afférents,

- 36.618,90 € bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

- 3.661,89 € bruts à titre de congés payés sur préavis,

- 50.183,94 € à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement,

- 100.000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 3.516,29 € à titre de rappel de prime, déduction faite de la somme restant dûe par le salarié au titre d'un prêt,

- 401,62 € au titre des congés payés afférents,

- 1.500 € à titre de dommages et intérêts pour non respect des dispositions sur le DIF et sur la portabilité des droits à la mutuelle,

Dit que les sommes de nature salariale porteront intérêts au taux légal à compter de la réception par l'employeur de la convocation devant le bureau de conciliation et que les sommes de nature indemnitaire porteront intérêts au taux légal à compter de la décision,

Ordonne la remise d'un certificat de travail, et d'une attestation Pôle emploi conformes à la décision à intervenir,

Condamne la société ODENWALD Faserplattenwerk Gmbh venant aux droits de la société OWA FRANCE à payer à Monsieur [Y] la somme de 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Rejette toute autre demande,

Condamne la société ODENWALD Faserplattenwerk Gmbh venant aux droits de la société OWA FRANCE aux dépens,

Ordonne le remboursement par l'employeur aux organismes concernés des indemnités de chômage payées au salarié du jour de son licenciement au jour de l'arrêt dans la limite de six mois.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 10
Numéro d'arrêt : 13/07276
Date de la décision : 23/03/2016

Références :

Cour d'appel de Paris L1, arrêt n°13/07276 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2016-03-23;13.07276 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award