RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 3
ARRÊT DU 22 Mars 2016
(n° , 04 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 15/04708
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 02 Février 2015 par le Conseil de prud'hommes - Formation de départage de BOBIGNY RG n° 12/03066
APPELANTE
Madame [K] [F] [T]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
née le [Date naissance 1] 1955 à [Localité 1] (PORTUGAL)
représentée par Me Olivier BONGRAND, avocat au barreau de PARIS, toque : K0136
INTIMÉE
Me [O] [Z] en qualité de commissaire à l'exécution du plan de la SA LA ROMAINVILLE
[Adresse 2]
[Adresse 2]
représenté par Me Eric MANCA, avocat au barreau de PARIS, toque : P0438 substitué par Me Christel PHILIPPART, avocat au barreau de PARIS, toque : P0438
SA LA ROMAINVILLE
[Adresse 3]
[Adresse 3]
N° SIRET : 622 049 815 00054
représentée par Me Eric MANCA, avocat au barreau de PARIS, toque : P0438 substitué par Me Christel PHILIPPART, avocat au barreau de PARIS, toque : P0438
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 25 Janvier 2016, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Roselyne NEMOZ, Conseillère, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Monsieur Daniel FONTANAUD, Président
Madame Roselyne NEMOZ, Conseillère
Madame Laurence SINQUIN, Conseillère
qui en ont délibéré
Greffier : Mademoiselle Marjolaine MAUBERT, lors des débats
ARRÊT :
- contradictoire.
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile.
- signé par Monsieur Daniel FONTANAUD, Président et par Madame Marjolaine MAUBERT, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE
Madame [T] a été embauchée par la société LA ROMAINVILLE le 24 mars 1975 en qualité de pâtissière.
La convention collective applicable à la relation de travail est celle de la boulangerie pâtisserie industrielle. La société emploie plus de 10 salariés. Le salaire brut moyen de madame [T] est de 2.254 Euros.
Le 26 juillet 2006, le tribunal de commerce de Bobigny a ouvert une procédure de règlement judiciaire de la société LA ROMAINVILLE et, par jugement du 5 janvier 2007, a arrêté un plan de continuation d'une durée de 10 ans, Me [O] étant désigné en qualité de commissaire à l'exécution du plan.
Le 7 septembre 2012, madame [T] a saisi le Conseil de Prud'hommes de Bobigny d'une demande de rappel de primes de production.
Par jugement du 2 février 2015, notifié le 12 mars, le Conseil de Prud'hommes, en formation de départage, a :
- dit les demandes de madame [T] antérieures au 8 février 2011 irrecevables en application du principe d'unicité de l'instance ;
- condamné la société LA ROMAINVILLE à payer à madame [T] la somme de 1.098 Euros à titre de rappel de primes pour la période du 9 février au 3 juin 2011 et les congés payés afférents, avec intérêts au taux légal à compter de la convocation devant le bureau de conciliation ;
- débouté madame [T] de sa demande de dommages et intérêts ;
- Mis hors de cause l'Unedic Délégation CGEA Ile de France Est ;
- Condamné la société LA ROMAINVILLE à payer à madame [T] la somme de 200 Euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure civile ;
- débouté les parties du surplus de leurs demandes.
Le 13 avril 2015, madame [T] a interjeté appel de cette décision.
Par conclusions visées par le greffe le 25 janvier 2016 au soutien de ses observations orales, et auxquelles il est expressément fait référence en ce qui concerne ses moyens, madame [T] demande à la Cour d'infirmer partiellement le jugement, de prononcer la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de la société LA ROMAINVILLE et de la condamner à lui verser les sommes suivantes :
- 10.915 Euros à titre de rappel de primes de production et les congés payés afférents pour la période du 8 février 2011 au 15 mars 2015 ;
- 4.508 Euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis et les congés payés afférents ;
- 26.860 Euros à titre d'indemnité de licenciement ;
- 90.000 Euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
- 3.500 Euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure civile ;
Par conclusions visées par le greffe le 25 janvier 2016 au soutien de ses observations orales, et auxquelles il est expressément fait référence en ce qui concerne ses moyens, la société LA ROMAINVILLE demande à la cour de :
- confirmer le jugement en ce qu'il a jugé la demande de madame [T] partiellement prescrite par effet de l'unicité de l'instance ;
- à titre principal de dire et juger régulière la dénonciation de la prime de production intervenue le 8 décembre 1999 et d'infirmer le jugement de ce chef ;
- à titre subsidiaire de dire et juger régulière la dénonciation de la prime de production intervenue le 2 mars 2011, par conséquent d'infirmer également le jugement de ce chef et de dire madame [T] remplie de ses droits ;
- de constater l'absence de tout manquement de sa part, en conséquence de débouter madame [T] de sa demande de résiliation judiciaire.
MOTIFS
Madame [T] fait valoir que jusqu'en 1992, les salariés bénéficiaient d'une prime d'ancienneté et d'une prime annuelle ; que le 12 février 1992, la société a proposé l'instauration d'une nouvelle prime, dite de production, destinée à les remplacer ; qu'en dépit des tentatives ultérieures de la société LA ROMAINVILLE pour la dénoncer et des décisions judiciaires qui ont considéré que cette prime était un engagement unilatéral, la cour de cassation a tranché la question en décidant que l'avantage que constituait cette prime avait été incorporé au contrat de travail et ne pouvait donc être unilatéralement supprimé ;
Nonobstant le caractère contractuel de la prime ainsi consacré, la situation n'était toujours pas régularisée par la société LA ROMAINVILLE, la contraignant à saisir le Conseil de Prud'hommes ; Madame [T] ajoute que postérieurement au jugement la société, par courrier du 30 mars 2015, a de nouveau dénoncé la prime en admettant que, pour la période antérieure, elle aurait dû être réglée; elle considère que cette violation répétée par la société ROMAIN VILLE de ses obligations contractuelles rend impossible le maintien du contrat de travail ;
La société LA ROMAINVILLE réplique que le paiement de la prime constituait bien un usage, conformément à ce qui été jugé par la cour de céans statuant sur un appel de madame [T], et également par le juge départiteur ; que l'arrêt de la cour de cassation du 1er février 2012, invoqué par l'intéressée et celui de la cour d'appel de céans du 6 mai 2015 concernent des tiers et sont d'ailleurs contraires à leur propre jurisprudence ; que le courrier de 1992, non signé par la direction et ne mentionnant aucun destinataire, n'était qu'une lettre d'information générale et non un avenant contractuel ; que l'arrêt de la cour de cassation ne peut être créateur de droit qu'au regard du salarié concerné ;
Elle fait valoir que cet usage a été régulièrement dénoncé en 1999, avec un délai suffisant de 3 semaines et qui n'a d'ailleurs fait l'objet d'aucune objection de quiconque pendant 7 ans ; quant à la dénonciation du 2 mars 2011, assortie d'un délai de prévenance de 3 mois, elle prétend que, contrairement là encore à ce qu'a jugé le premier juge, tant le CE que le CHSCT ont été parfaitement informés de la dénonciation ;
Enfin, sur la demande de résiliation judiciaire, elle fait valoir que la Cour d'appel dans son arrêt du 8 février 2011, comme le juge départiteur, dont elle a au demeurant exécuté la décision, ont confirmé l'usage concernant la prime de production ;qu'en toute hypothèse le manquement allégué, fût-il établi, n'a pas empêché la poursuite du contrat de travail ;
Sur le rappel de primes ;
Il ressort des pièces produites que par courrier du 12 février 1992, les salariés de la société LA ROMAINVILLE ont été informés d'une nouvelle méthode de calcul des salaires avec l'introduction d'une prime de production d'une part, de gratification annuelle d'autre part, remplaçant l'ancien système basé sur la prime d'ancienneté et la prime annuelle, avec cette précision que ce nouveau système entrait en application le 1er janvier 1992 ; que les salariés avaient jusqu'au mois de février pour accepter cette modification, délai après lequel celle-ci était considérée comme tacitement approuvée ; que même si cette lettre n'était pas nominativement adressée à madame [T], celle-ci en était nécessairement destinataire, dès lors que la prime de production lui a bien été payée à compter de cette date et ce nécessairement sur ordre de la direction, dont il importe peu dans ces conditions qu'elle n'ait pas signé ladite lettre ; en conséquence, la décision de la direction, acceptée par la salariée, d'instaurer cette prime constituait non pas un usage, pouvant être dénoncé, mais un avantage incorporé au contrat de travail que l'employeur ne pouvait unilatéralement supprimer ;
Il convient, en conséquence, de confirmer le jugement sur le rappel de primes du 8 février au 3 juin 2011 et de faire droit à la demande de madame [T] sur le rappel de primes pour la période du 3 juin 2011 au 15 mars 2015, soit 9.097 Euros et les congés payés afférents ;
Sur la résiliation judiciaire du contrat ;
Les manquements de l'employeur susceptibles de justifier la résiliation judiciaire à ses torts doivent être d'une gravité telle qu'ils rendent impossible la poursuite du contrat de travail ;
En l'espèce, la société LA ROMAINVILLE souligne à juste titre que le contrat de travail s'est poursuivi pendant 7 ans après la première dénonciation ;
Si le caractère contractuel de la prime est désormais acquis, il n'en demeure pas moins que toutes les juridictions auxquelles la salariée a soumis le litige se sont prononcées sur l'existence d'un usage ; la salariée ne fait valoir aucun autre manquement de la société LA ROMAINVILLE à son encontre, ni ne soutient que le non paiement de la prime est une mesure discriminatoire ou destinée à la déstabiliser ;
La poursuite du contrat de travail - laquelle implique le règlement de la prime pour le passé et l'avenir compte tenu du présent arrêt - n'apparaissant pas impossible, il n'y a pas lieu, dans ces conditions de faire droit à la demande de résiliation judiciaire ;
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Statuant publiquement et contradictoirement,
Confirme le jugement ;
Y ajoutant ;
Condamne la société LA ROMAINVILLE à payer à madame [T] la somme de 9.097 Euros à titre de rappel de prime de production pour la période du 3 juin 2011 au 15 mars 2015 et 909,70 Euros pour les congés payés afférents ;
Déboute madame [T] de sa demande de résiliation judiciaire ;
Condamne la société LA ROMAINVILLE à payer à madame [T] 1.500 Euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure civile ;
Met les dépens à la charge de la société LA ROMAINVILLE ;
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT