La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

21/03/2016 | FRANCE | N°13/18710

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 2 - chambre 3, 21 mars 2016, 13/18710


Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 2 - Chambre 3



ARRÊT DU 21 MARS 2016



(n° 16/ , 11 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : 13/18710



Décision déférée à la Cour : Jugement du 06 Septembre 2011 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 10/10571





APPELANTS



Monsieur [G] [W]

[Adresse 1]

[Localité 3]

né le [Date naissance 1] 1

941 à [Localité 7]



Madame [K], [S], [E], [R], [F] [A] épouse [W]

[Adresse 1]

[Localité 3]

née le [Date naissance 2] 1948 à[Localité 1]



Représentés par Me Benoît HENRY de la SELARL RECAMIER AVOC...

Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 2 - Chambre 3

ARRÊT DU 21 MARS 2016

(n° 16/ , 11 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 13/18710

Décision déférée à la Cour : Jugement du 06 Septembre 2011 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 10/10571

APPELANTS

Monsieur [G] [W]

[Adresse 1]

[Localité 3]

né le [Date naissance 1] 1941 à [Localité 7]

Madame [K], [S], [E], [R], [F] [A] épouse [W]

[Adresse 1]

[Localité 3]

née le [Date naissance 2] 1948 à[Localité 1]

Représentés par Me Benoît HENRY de la SELARL RECAMIER AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : K0148

Assistés de Me Alice BARRELLIER, avocat au barreau de CAEN

INTIMÉES

SA GENERALI IARD, prise en la personne de ses représentants légaux,

[Adresse 3]

[Localité 4]

Société SDV LOGISTIQUE INTERNATIONAL (SDV LI), prise en la personne de ses représentants légaux,

[Adresse 5]

[Localité 6]

Représentées par Me Luca DE MARIA de la SELARL PELLERIN - DE MARIA - GUERRE, avocat au barreau de PARIS, toque : L0018

Assistées de Me Geoffroy LE NOBLE, avocat au barreau de PARIS, toque : B 1012

RÉGIME SOCIAL DES INDEPENDANTS DE POITOU CHARENTES (RSI), prise en la personne de ses représentants légaux,

[Adresse 2]

[Localité 2]

Représentée par Me Alain FISSELIER de la SCP AFG, avocat au barreau de PARIS, toque: L0044

Société MAAF SANTE, prise en la personne de ses représentants légaux,

[Adresse 4]

[Localité 5]

Défaillante

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 786 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 15 Février 2016, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant M. Thierry RALINCOURT, Président de chambre , entendu en son rapport et Madame Marie-Brigitte FREMONT, Conseillère.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Monsieur Thierry RALINCOURT, Président de chambre

Madame Marie-Brigitte FREMONT, Conseillère

Madame Caroline FEVRE, Conseillère

Greffier, lors des débats : Mme Nadia DAHMANI

ARRÊT : RÉPUTÉ CONTRADICTOIRE

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par M. Thierry RALINCOURT, Président de chambre et par Mme Nadia DAHMANI, greffier présent lors du prononcé.

****

Le 11/07/2007, [G] [W], né le [Date naissance 3]/1941 et alors âgé de 66 ans, effectuait pour le compte de l'entreprise "[W] MESURAGES" (dont il n'était ni l'exploitant ni le salarié), sur le port autonome [Établissement 1], dans le parc de stockage des bois tropicaux, le mesurage d'un lot d'acajou, cette prestation étant commandée par la société CABD.

Pour cette opération, l'entreprise "[W] MESURAGES" avait pris en location auprès de la société Ets DELMAS aux droits de laquelle vient la société SDV LI, un chariot élévateur d'une capacité de charge utile de 12.570 kg avec son chauffeur, [U] [C], docker mensualisé.

Après avoir effectué le mesurage d'une trentaine de pièces, [G] [W] s'apprêtait à mesurer une grume de 10,40 mètres de long et d'environ 12 tonnes et dont la forme n'était pas totalement ronde, soulevée par le chariot élévateur.

Alors qu'il avait lancé son décamètre de la main droite par-dessus la grume, celle-ci s'est décrochée des griffes du chariot et a chuté devant l'engin.

[G] [W] s'était alors jeté en avant sous la grume mais, en dépit de cette réaction, la pièce de bois, en chutant, a écrasé la partie inférieure de sa jambe droite.

[G] [W] a subi une amputation sous le genou.

Par ordonnance de référé du 28/10/2008, le Docteur [J] a été désigné en qualité d'expert médical pour examiner [G] [W] et a déposé son rapport le 7/12/2009, et M. [X] a été désigné en qualité d'expert technique pour examiner le matériel litigieux et a déposé son rapport le 30/11/2009.

Par jugement du 6/09/2011 (instance n° 10/10571), le Tribunal de grande instance de Paris a :

- dit que l'accident survenu le 11 juillet 2007 n'est pas un accident de la circulation,

- dit que la garde du chariot élévateur avait été transférée à la société [W] Mesurages,

- rejeté l'intégralité des demandes de [G] [W] et d'[K] [W],

- déclaré le jugement commun au RSI Poitou-Charentes et à la MAAF Santé,

- condamné in solidum [G] et [K] [W] aux dépens,

- condamné in solidum [G] et [K] [W] à payer à la société SDV Logistique International et à la compagnie GENERALI IARD une indemnité de 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, avec intérêts au taux légal à compter du jour du jugement.

Sur appel interjeté selon déclaration du 13/09/2011, et selon dernières conclusions notifiées le 11/05/2015, il est demandé par [G] et [K] [W] à la Cour de :

- constater que l'accident dont l'appelant a été victime est survenu sur le trajet du chariot élévateur qui transportait une bille de bois au moyen de pinces à bois,

- constater que les pinces équipant le chariot élévateur appartenant à la société SDV LI sont un accessoire nécessaire à la fonction de déplacement du chariot,

- en conséquence réformer le jugement entrepris,

- statuant a nouveau, dire et juger que le chariot élévateur appartenant à la société SDV LI est impliqué dans l'accident corporel dont a été victime l'appelant le 11 juillet 2007,

- dire et juger qu'il s'est agi d'un accident de la circulation au sens de la loi du 5 juillet 1985,

- subsidiairement, dire et juger que l'accident dont l'appelant a été victime entre dans le champ d'application de l'assurance obligatoire,

- plus subsidiairement, constater que la police responsabilité civile exploitation a pour objet d'étendre le champ d'application du régime d'indemnisation des victimes d'accidents de la circulation aux victimes d'accidents survenus alors que l'engin est utilisé dans sa fonction outil,

- constater l'absence de conditions générales de location, et en conséquence, l'absence de transfert de garde du chariot élévateur au locataire,

- en conséquence, dire et juger que l'accident est survenu alors que le chariot élévateur était utilisé dans sa fonction outil,

-dire et juger qu'en sa qualité de gardienne du chariot élévateur, la société SDV LI est entièrement responsable du dommage subi par l'appelant pendant les opérations de manutention.

- en tout état de cause, évaluer le préjudice de [G] [W] conformément au tableau ci-dessous,

- en conséquence, condamner in solidum les sociétés SDV LI et GENERALI IARD à verser :

* à [G] [W] une somme de 732.467,32 € en réparation de son préjudice, ou subsidiairement de 667.037,90 €,

* à [K] [W] une somme de 402.621,88 € en réparation de son préjudice,

-dire et juger que l'indemnité devant revenir à [G] [W] produira intérêt au double du taux légal à compter du 11 mars 2008 jusqu'au jour où la décision à intervenir aura un caractère définitif outre les intérêts de droit à compter de l'acte introductif d'instance,

- dire et juger que l'indemnité à revenir à [K] [W] produira intérêt au double du taux légal à compter du 17 septembre 2008 jusqu'au jour où la décision à intervenir aura un caractère définitif outre les intérêts de droit à compter de l'acte introductif d'instance,

-déclarer l'arrêt commun au RSI de Poitou-Charente et à la société MAAF Santé,

- condamner in solidum les sociétés SDV LI et GENERALI IARD à verser aux consorts [W], unis d'intérêts, une indemnité de 6.000 € au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile.

Selon dernières conclusions notifiées le 23/12/2015, il est demandé par la société SDV Logistique International (SDV LI) et par la société GENERALI IARD à la Cour de :

- rejeter toutes demandes des époux [W] et du RSI,

à titre principal,

- surseoir à statuer, à titre principal sur les postes de préjudice qui ont vocation à être indemnisés par la prestation de compensation, soit en l'espèce les besoins en aide humaine, les aides techniques, l'aménagement du logement et du véhicule, l'acquisition de matériels liés au handicap et les charges liées à l'amélioration du handicap,

- dire et juger en effet que la prestation de compensation du handicap (PCH) prévue par les articles L.245-1 et suivants du Code de l'Action Sociale et des Familles a un caractère indemnitaire et qu'elle doit s'imputer sur les postes de préjudice qu'elle indemnise,

- subsidiairement, faire injonction à [G] [W] de produire une attestation du Conseil Général compétent établissant qu'il n'a formulé aucune demande de prestation de compensation et qu'il n'a perçu à ce jour aucune somme à ce titre,

- en tout état de cause, dire et juger que [G] [W] devra chaque année, le 1er janvier, adresser à la compagnie GENERALI IARD une attestation établissant qu'il ne perçoit aucune prestation au titre de la prestation de compensation, et que dans l'hypothèse contraire il devra rembourser le montant desdites prestations à la Compagnie GENERALI IARD, le tout sous le contrôle du juge de l'exécution,

à titre subsidiaire,

- statuer comme requis ci-dessous concernant la liquidation des préjudices patrimoniaux et extra-patrimoniaux des époux [W],

- faire injonction aux époux [W] de communiquer l'original recto-verso du bon de commande de l'engin de chantier et du conducteur utilisés lors de l'accident du 11 juillet 2007,

- confirmer le jugement entrepris sur ce point,

- dire et juger, à titre principal, que ledit accident ne relève pas des dispositions de la Loi du 5 juillet 1985 et qu'il ne peut être pris en charge au titre de l'assurance obligatoire prévue par les articles L.211-1 et R.211-5 du Code des Assurances,

- dire et juger, subsidiairement, qu'aucune faute ou responsabilité du fait des choses ou des personnes ne saurait être mise à la charge de la Société SDV LI sur plan de la responsabilité civile de droit commun,

- dire et juger en effet qu'au moment de l'accident dont [G] [W] a été victime, le transfert de la garde du chariot élévateur loué et du personnel de conduite mis à sa disposition était intervenu au profit de l'EURL [W] MESURAGE et qu'aucune responsabilité en application de l'article 1384 du Code Civil ne peut donc être retenue à l'encontre de la Société SDV LI, son assureur n'étant pas tenu à cet égard,

- plus subsidiairement, statuer comme requis ci-dessous en ce qui concerne les différents postes de préjudices invoqués par les demandeurs,

- prendre acte de ce que, plus subsidiairement, comme elles l'avaient déjà fait dans leurs écritures signifiées en première instance pour l'audience de mise en état du 25 janvier 2011, la Société SDV LI et la Compagnie GENERALI IARD, en tant que de besoin en application de l'article L.211-9 du Code des Assurances, formulent les offres d'indemnisations énumérées ci-après,

- dire et juger que les créances des tiers payeurs s'imputeront sur les postes de préjudice qu'elles ont indemnisés,

- diire et juger n'y avoir lieu d'accorder le doublement des intérêts au taux légal sur le fondement des articles L.211-9 et L.211-13 du Code des Assurances au profit des appelants,

- dire et juger qu'en tout état de cause le cours de ces intérêts doit être arrêté à la date des conclusions signifiées par les exposantes devant le Tribunal de Grande Instance de Paris, et ce pour l'audience de mise en état du 25 janvier 2011.

- condamner in solidum [G] et [K] [W] à payer à la Société SDV LI et à la Compagnie GENERALI IARD les sommes de :

* 5.000 € pour chacune d'elles pour procédure abusive,

* 6.000 € pour chacune d'elles sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile.

[G] [W] :

DEMANDES

OFFRES

Préjudices patrimoniaux :

$gt; temporaires :

- dépenses de santé actuelles :

* exposées par les organismes sociaux :

71.971,26 €

* demeurées à la charge de la victime :

1.753 €

0 €

- frais divers à la charge de la victime :

8.096,16 €

selon justificatifs

- tierce personne :

29.931,93 €

(subs. 15.718,31 €)

taux horaire 12 ou 14 €

$gt; permanents :

- dépenses de santé futures :

* des organismes sociaux :

25.907,40 €

* à la charge de la victime :

178.901,10 €

selon justificatifs

- frais de logement adapté :

5.510,52 €

selon justificatifs

- tierce personne :

211.888,41 €

(subs. 196.251,81 €)

3.650 € / an

Préjudices extra-patrimoniaux :

$gt; temporaires :

- déficit fonctionnel temporaire :

18.807 €

3.460 € + 5.720 €

- souffrances endurées :

35.000 €

15.000 €

- préjudice esthétique temporaire :

20.000 €

4.000 €

$gt; permanents :

- déficit fonctionnel permanent :

185.579,20 €

(subs. 150.000 €)

75.000 €

- préjudice d'agrément :

15.000 €

5.000 €

- préjudice esthétique :

12.000 €

5.000 €

- préjudice sexuel :

5.000 €

0 €

[K] [W] :

DEMANDES

OFFRES

- frais divers :

3.466,88 €

selon justificatifs

- perte de gains :

364.155 €

0 €

- préjudice sexuel :

5.000 €

0 €

- préjudice d'accompagnement :

30.000 €

0 €

Selon dernières conclusions notifiées le 24/03/2014, il est demandé par le Régime Social des Indépendants de Poitou-Charentes (RSI) à la Cour de :

- condamner in solidum la Société SDV LI et la Société GENERALI IARD à payer au RSI les sommes de :

* 85.176.94 € en vertu de l'article L.376-1 du Code de la Sécurité Sociale,

* 2.000 € en application des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile,

- dire et juger que ces sommes produiront intérêts au taux légal et que ces intérêts en produiront eux-mêmes en application de l'article 1154 du Code Civil.

La société MAAF santé, assignée à personne habilitée, n'a pas constitué avocat. En première instance, elle avait fait savoir qu'elle n'avait pas de recours au contentieux.

CELA ETANT EXPOSE, LA COUR

1 - sur l'action des époux [W] fondée sur la loi n° 85-677 du 5/07/1985.

Les appelants font valoir que le fait dommageable du 11/07/2007 aurait constitué un accident de la circulation impliquant le véhicule terrestre à moteur qu'était, au sens de l'article 1er de la loi précitée, le chariot élévateur assuré par la société GENERALI, aux motifs :

- que cette loi serait inapplicable lorsqu'il existe une rupture très nette entre le déplacement du véhicule lui-même et l'intervention de l'accessoire qui a provoqué le dommage,

- qu'à l'inverse, il faudrait et suffirait qu'un lien, si ténu soit-il, subsiste avec le déplacement du véhicule pour que ladite loi soit applicable,

- qu'en d'autres termes, ladite loi serait applicable si le dommage a été provoqué par un élément d'équipement nécessaire à la fonction de déplacement du véhicule terrestre à moteur,

- que tel serait le cas en l'espèce, dès lors :

$gt; que le chariot élévateur était équipé de pinces destinées à assurer le transport des billes de bois sur la fourche jusqu'au lieu de leur stockage,

$gt; que le fonctionnement de ces pinces à bois aurait été nécessaire pour permettre le déplacement du chariot élévateur,

$gt; que l'accident serait survenu sur le trajet du chariot élévateur au moment où le conducteur l'interrompait pour permettre à [G] [W] d'effectuer sa mesure, avant de le reprendre pour aller la déposer à l'endroit qui lui était indiqué,

$gt; que l'accident a eu pour cause la chute d'une grume mal arrimée qui, sous l'effet des vibrations de son moteur, a fini par sortir des pinces qui l'enserraient

$gt; qu'il serait donc établi que, sans les pinces, le chariot-élévateur ne pourrait se déplacer avec les billes de bois qu'il transporte.

En premier lieu, les appelants soutiennent à tort que le fonctionnement des pinces à bois aurait été nécessaire pour permettre le déplacement du chariot élévateur.

D'une part, seul le fonctionnement du moteur de l'engin est nécessaire pour permettre son déplacement, étant observé que l'Expert [X] n'a aucunement indiqué que la mise en mouvement du chariot (le moteur étant utilisé comme organe de propulsion pour la fonction de déplacement, et non comme organe de manutention commandant les mouvements de la fourche et des pinces pour la fonction d'outil) serait mécaniquement subordonné à l'abaissement des pinces, ce que les appelants n'ont pas davantage allégué,

D'autre part, il ne peut davantage être soutenu que les pinces auraient été nécessaires au transport (ou au déplacement) des objets chargés sur le chariot, dès lors que :

- d'abord, seule la fourche, en position relevée au-dessus du niveau du sol, est nécessaire pour le transport des charges qu'elle soutient, les pinces (ou "griffes") n'ayant pour fonction, quant à elles, que de maintenir les charges d'un certain volume contre les montants verticaux de la fourche (cf. rapport [X] : "ces griffes ne sont qu'un accessoire supplémentaire fixé au chariot pour assurer un meilleur maintien de la charge (cylindrique) contre les mâts verticaux et cela essentiellement pour les déplacements du chariot à pleine charge" - rapport page 13 ; "les griffes installées sur le chariot permettent une meilleure tenue de la bille de bois sur les fourches mais cela essentiellement pendant le transport en mouvement du chariot élévateur. A l'arrêt ou lorsque la bille de bois est bien positionnée sur les fourches du chariot, l'enserrement de la grume par les griffes est presque inutile. La pince à bois munie de griffes n'est pas considérée comme porte-charge mais seulement comme accessoire supplémentaire du chariot. Cette pince ne porte aucune charge, tout au plus, elle la maintient sur les fourches" - rapport page 17) ;

- ensuite, à l'origine, le chariot élévateur, ayant pour fonction le déplacement / transport de charges disposées sur la fourchs, a été livré sans l'accessoire supplémentaire des griffes qui ont été ajoutées en 2003 (cf. rapport page 5).

En second lieu et essentiellement, en droit, ne relèvent pas de la qualification juridique d'accident de la circulation au sens de l'article 1er de la loi précitée les accidents dont les circonstances révèlent que l'engin (véhicule terrestre à moteur) était immobilisé et était utilisé dans sa fonction d'outil et non dans sa fonction de déplacement, c'est-à-dire les accidents survenant à l'occasion de manoeuvres de la seule partie utilitaire du véhicule-outil immobilisé.

En fait, il n'est pas contesté que, lorsque la grume s'est échappée vers l'avant du chariot parce que son centre de gravité avait dépassé l'extrémité des branches de la fourche,

- le chariot était immobilisé pour permettre à [G] [W] de procéder à l'opération mesurage de la circonférence de la grume,

- la fourche était immobilisée en position relevée d'environ 1 mètre pour permettre à [G] [W] d'entourer la grume avec son décamètre pour en mesurer la circonférence,

- les pinces (ou "griffes") n'étaient pas davantage en mouvement (cf. déclaration non contestée du conducteur [C] recueillie lors de l'enquête de police : "en ce qui me concerne, je n'ai touché à aucune manette de mon chariot pendant la mesure").

Il résulte des circonstances précitées que l'accident du 11/07/2007 est exclusivement en lien avec la fonction d'outil de soulèvement de charge, inhérente au chariot élévateur, et aucunement avec sa fonction de circulation.

Le jugement doit dès lors être confirmé en ce qu'il a retenu que le fait dommageable du 11/07/2007 ne pouvait être qualifié d'accident de la circulation au sens de la loi précitée du 5/07/1985.

L'action des époux [W] doit être rejetée sur son premier fondement.

2 - sur l'action des époux [W] fondée sur les articles L.211-1 et R.211-5 du Code des Assurances.

Les époux [W] font valoir, subsidiairement :

- que, même si le fait dommageable n'est pas qualifié d'accident de la circulation au sens de la loi du 5/07/1985, il relèverait néanmoins de l'assurance obligatoire de véhicule terrestre à moteur puisque l'article R.211-5 § 2° du Code des Assurances rend cette assurance applicable aux dommages corporels résultant de la chute d'objet que transporte le véhicule, même s'il n'est pas en circulation,

- qu'ainsi le domaine d'application de l'assurance obligatoire de véhicule terrestre à moteur serait plus large que la notion d'accident de la circulation impliquant un tel véhicule au sens de l'article 1er de la loi du 5/07/1985.

Les intimées font valoir en réplique :

- d'une part, que la garantie obligatoire de l'assureur de véhicule terrestre à moteur ne s'appliquerait pas aux accidents provoqués par la seule fonction outil dudit véhicule,

- d'autre part, que la grume ayant causé le dommage n'aurait pas été "transportée" au sens de l'article R.211-5 du Code des Assurances, mais seulement manipulée ou soulevée,

- de dernière part, qu'en toute hypothèse, l'obligation de l'assureur serait distincte du fondement juridique de la responsabilité de l'assuré à l'égard des tiers.

L'article R.211-5 du Code des Assurances, invoqué par les époux [W], dispose :

L'obligation d'assurance (des véhicules terrestres à moteur) s'applique à la réparation des dommages corporels ou matériels résultant :

1° des accidents, incendies ou explosions causés par le véhicule, les accessoires et produits servant à son utilisation, les objets et substances qu'il transporte ;

2° de la chute de ces accessoires, objets, substances ou produits.

En premier lieu, dès lors que la rédaction de ce texte issue du décret n° 86-21 du 7/01/1986 a supprimé les mots "à l'occasion de la circulation des véhicules" qui figuraient dans la rédaction antérieure, il s'en déduit que sont couverts par l'assurance obligatoire de véhicule terrestre à moteur les dommages corporels résultant de la chute d'objets transportés par un tel véhicule, même si ce dernier ne circule pas et si l'accident ne constitue pas un accident de la circulation au sens de la loi n° 85-677 du 5/07/1985.

Au regard du domaine d'application dudit article R.211-5, il est donc indifférent que la chute de l'objet transporté par le véhicule terrestre à moteur soit survenue alors que ce dernier était immobilisé et utilisé dans sa seule fonction outil, sauf à ajouter à ce texte une condition restrictive d'application qu'il ne pose pas.

En second lieu, les intimées soutiennent de manière inopérante qu'en l'occurrence, la grume, au moment de sa chute, était seulement soulevée, et non pas transportée au sens de l'article R.211-5, alors :

- qu'il n'est pas contesté qu'elle avait été chargée sur la fourche du chariot à un endroit déterminé, pour être transportée et, après un arrêt destiné à permettre le mesurage de sa circonférence, déchargée à un autre point de stockage,

- qu'il est indifférent que l'accident soit survenu au moment où le chariot était momentanément arrêté pour le mesurage, puisque l'opération de transport était toujours en cours, et que l'application de l'article R.211-5 n'impose pas que le véhicule ait circulé au moment de l'accident.

En troisième lieu, les intimées font exactement valoir que l'obligation de garantie de l'assureur est conditionnée par l'engagement de la responsabilité de l'assuré envers les tiers et qu'en l'occurrence, cette responsabilité, ne pouvant être fondée sur le régime de la loi n° 85-677 du 5/07/1985 (cf. supra), ne pourrait être fondée que sur le droit commun.

Il résulte des motifs qui précèdent que l'action engagée par les époux [W] à l'encontre de la société GENERALI ne peut être bien fondée sur l'article R.211-5 du Code des Assurances qu'à la condition que soit engagée la responsabilité conditionnant cette garantie d'assurance.

3 - sur l'action des époux [W] fondée sur la responsabilité de la société SDV LI du fait des choses, prise en qualité de gardienne du chariot élévateur avec chauffeur.

Les époux [W] font valoir :

- que la responsabilité de la société SDV LI, loueur du chariot élévateur avec chauffeur, serait engagée sur le fondement de l'article 1384 alinéa 1er du Code Civil en sa qualité de gardienne du véhicule,

- qu'à ce titre, ladite société aurait souscrit auprès de la compagnie GENERALI un contrat d'assurance de responsabilité civile d'exploitation couvrant les dommages causés par le chariot utilisateur utilisé dans sa fonction outil, lorsque l'assurance obligatoire de véhicule terrestre à moteur n'est pas applicable,

- que le Tribunal aurait retenu à tort que la garde dudit chariot élévateur aurait été transférée à l'entreprise [W] MESURAGES, locataire, alors que [G] [W], ayant seulement une activité de mesureur, n'aurait pas eu la possibilité de déplacer le chariot dont il n'aurait eu ni le contrôle ni la direction.

Les intimées soutiennent en réplique que la responsabilité de droit commun de la société SDV LI ne serait pas engagée aux motifs :

- que la garde du chariot élévateur aurait été contractuellement transférée au locataire, de sorte que la société SDV LI n'aurait eu aucun pouvoir de direction et d'autorité sur le conducteur de l'engin,

- que, même en dehors de toute clause contractuelle, le contrat de location du chariot élévateur avec conducteur impliquerait nécessairement un transfert de la garde de l'engin loué et du conducteur puisque l'utilisateur aurait eu seul le pouvoir de donner des instructions au conducteur pour procéder aux opérations de mesurage des grumes selon des modalités définies par lui-même.

- que l'article 6.2.8 du contrat d'assurance de responsabilité civile professionnelle souscrit par la société SDV LI auprès de GENERALI garantirait l'assuré si sa responsabilité civile est engagée en droit commun à l'occasion de la fonction outil du véhicule,

que, toutefois, la preuve de l'engagement de la responsabilité de la société SDV LI ne serait pas rapportée, dès lors que l'accident aurait eu pour cause exclusive les fautes d'imprudence commises par la victime [G] [W] qui :

$gt; n'aurait pas respecté les prescriptions de sécurité en s'étant placé devant la bille de bois et non sur le côté,

$gt; aurait entrepris son opération de mesurage alors qu'il avait constaté que la grume était mal positionnée sur les fourches du chariot.

3.1 -L'article L.211-1 du Code des Assurances, visé par les deux parties dans le dispositif de leurs conclusions, dispose en son alinéa 2 : Les contrats d'assurance couvrant la responsabilité mentionnée au premier alinéa du présent article doivent également couvrir la responsabilité civile de toute personne ayant la garde ou la conduite, même non autorisée, du véhicule, à l'exception des professionnels de la réparation, de la vente et du contrôle de l'automobile.

Il résulte de ce texte qu'en principe, le transfert de la garde du véhicule terrestre à moteur assuré est sans incidence sur l'obligation de garantie de l'assureur, sous réserve de situations particulières examinées infra.

En fait, les parties divergent sur la détermination du gardien du chariot élévateur au moment de l'accident.

Les intimées soutiennent vainement, et en méconnaissance de l'article 9 du Code de Procédure Civile, que le transfert de garde du loueur au locataire aurait été contractuellement stipulé, alors que [G] [W] a produit, en photocopies dans son dossier, et en originaux devant la Cour lors de l'audience du 15/02/2016, plusieurs dizaines de bordereaux de location de matériel conclue entre les parties, comportant au recto la mention "conditions de la location : voir au verso (l'attention du client est tout spécialement attirée sur les clauses de responsabilité figurant auxdites conditions)", et dont le verso est totalement vierge.

En revanche, les intimées soutiennent avec pertinence qu'en l'absence de stipulation contractuelle de transfert de garde, la nature du contrat (location d'un chariot élévateur avec chauffeur) impliquait que, pendant la durée de la location, le loueur n'exerçait pas les pouvoirs d'usage, de direction et de contrôle de l'engin, dont la garde était nécessairement transférée.

Les parties s'accordent - de manière inopérante - à soutenir que la location avait été conclue auprès de la société SDV LI par "l'entreprise" ou "l'EURL" [W] MESURAGES (conclusions des appelants page 2 in fine ; conclusions des intimées page 4), alors que l'extrait du registre du commerce et des sociétés produit par les époux [W] (pièce n° 29) fait apparaître que seule existait une entreprise personnelle d'[K] [W], ayant pour dénomination commerciale "[W] MESURAGES".

Il s'en déduit que la locataire du chariot élévateur litigieux était juridiquement [K] [W].

Toutefois, cette dernière n'était pas gardienne de l'engin pendant la location, puisqu'il n'est pas contesté qu'elle n'était pas présente sur le port [Établissement 1] lors de l'utilisation du chariot, sur lequel elle n'a donc pu exercer aucun pouvoir d'usage de direction et de contrôle.

En réalité, selon les indications factuelles concordantes des parties, il a existé un rapport de préposition entre [G] [W] et le conducteur du chariot [U] [C], le premier donnant au second les ordres nécessaires à l'accomplissement de son travail de mesurage : [G] [W] demandait à [U] [C] de charger une grume, puis de s'arrêter pour le mesurage de la circonférence, puis de repartir pour la déposer en un autre point de stockage. [U] [C] était donc soumis aux directives de [G] [W], et il existait entre eux un rapport de commettant / préposé (cf. rapport d'expertise [X] page 5 : déclaration du représentant des intimées  : "la société DELMAS (devenue SDV LI) loue (donne en location) l'engin, détache un conducteur mais ensuite l'utilisation du matériel est sous la responsabilité du locataire (Monsieur [W])" ; déclaration de [U] [C] : "le jour de l'accident il était employé au service de M. [W] pour effectuer le mesurage d'un lot de billes de bois").

En droit, les qualités de préposé et de gardien sont incompatibles.

Il s'en déduit qu'en l'occurrence au moment de l'accident, le gardien du chariot était [G] [W] qui exerçait les pouvoirs d'usage, de direction et de contrôle pour l'accomplissement de son travail de mesurage, même s'il n'était pas matériellement aux commandes de l'engin conduit par le préposé [U] [C].

En droit, le cumul, dans la même personne, des qualités de gardien de la chose cause du dommage, et de victime de ce dommage, est juridiquement exclusif de responsabilité civile.

En premier lieu, l'article 1382 du Code Civil régit le dommage causé à autrui, et l'article 1384 alinéa 1er du même code, qui constitue le prolongement de la règle posée par l'article 1382, dispose qu'on est responsable non seulement du dommage que l'on cause (à autrui, implicitement) par son propre fait, mais encore de celui qui est causé par le fait des choses qu'on a sous sa garde.

De même, l'article L.124-3 alinéa 1er du code des assurances, relatif au régime général des assurances de responsabilité, édicte la nécessaire dualité de la victime et du responsable en édictant que "le tiers lésé" dispose d'un droit d'action directe à l'encontre de l'assureur garantissant la responsabilité civile de la personne responsable.

Il résulte des motifs qui précèdent que [G] [W] n'a pu, en sa qualité de gardien du chariot élévateur cause du dommage, engager sa responsabilité civile envers lui-même.

Il s'en déduit que, faute de responsabilité civile du fait du véhicule assuré, d'une part, la société GENERALI n'est débitrice d'aucune obligation d'indemnisation au titre de l'assurance obligatoire de véhicule terrestre à moteur qui est une assurance de responsabilité en vertu de l'article L.211-1 du Code des Assurances et, d'autre part, [K] [W] n'est pas fondée à se prévaloir de la qualité de victime par ricochet.

3.2 - Les époux [W] fondent subsidiairement leur action sur l'article 6.2.8 des conditions générales du contrat d'assurance de responsabilité civile professionnelle souscrite pour le compte de la société SDV LI auprès de la société GENERALI, lequel stipule l'exclusion de la garantie pour :

"Les dommages causés par des véhicules terrestres à moteur dont l'assuré est propriétaire ou locataire, ainsi que ceux dont il aurait la garde juridique (c'est-à-dire l'usage, le contrôle et la direction), et qu'il doit assurer, conformément à la loi ou à l'usage local par une police spécifique pour les seuls risques faisant l'objet d'une obligation légale d'assurance.

"(...) Par dérogation à cette exclusion, la garantie demeure acquise pour (...) les véhicules lorsque l'assuré les utilise dans leur fonction d'outil, par opposition à leur fonction déplacement".

En vertu de la clause précitée, l'exception à l'exclusion de garantie est circonscrite à l'utilisation, par "l'assuré", d'un véhicule dans sa fonction outil.

Ainsi que le font valoir les intimées, cette clause n'est pas applicable à l'accident litigieux dans la mesure où la garde du chariot élévateur avait été transférée à son utilisateur ([G] [W]). Au moment du sinistre, l'engin n'était donc pas utilisé par la société SDV LI.

Corrélativement, la définition de "l'assuré", stipulée à l'article 1.3 des conditions générales du contrat, n'inclut pas les tiers locataires d'un véhicule appartenant à l'assuré.

La demande de garantie fondée sur le contrat d'assurance de responsabilité civile professionnelle souscrite pour le compte de la société SDV LI auprès de la société GENERALI doit être écartée.

4 - sur les autres demandes et les dépens.

Le rejet de l'action indemnitaire de [G] [W] induit le rejet du recours subrogatoire du RSI.

L'action des époux [W], bien que rejetée, n'est pas empreinte d'un abus du droit d'ester en justice. La demande des intimées en dommages et intérêts doit dès lors être rejetée.

Les époux [W], partie perdante, supporteront les dépens d'appel.

La demande indemnitaire des sociétés SDV LI et GENERALI fondée sur l'article700 du Code de Procédure Civile sera accueillie à hauteur d'une somme globale de 3.000 €.

PAR CES MOTIFS,

Confirme en toutes ses dispositions le jugement du Tribunal de Grande Instance de Paris en date du 6/09/2011, sauf en ce qu'il a dit que la garde du chariot élévateur avait été transférée à la société [W] MESURAGES,

Y ajoutant,

Rejette la demande de la société SDV LI et de la société GENERALI IARD en dommages et intérêts.

Rejette les demandes du RSI Poitou-Charentes.

Déclare le présent arrêt commun au RSI Poitou-Charentes et à la MAAF Santé.

Condamne [G] et [K] [W] in solidum aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de Procédure Civile.

Condamne [G] et [K] [W] in solidum à payer à la société SDV LI et à la société GENERALI IARD, créanciers solidaires, une indemnité de 3.000 € (trois mille euros) par application, en cause d'appel, de l'article 700 du même code.

LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 2 - chambre 3
Numéro d'arrêt : 13/18710
Date de la décision : 21/03/2016

Références :

Cour d'appel de Paris C3, arrêt n°13/18710 : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2016-03-21;13.18710 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award