Grosses délivréesRÉPUBLIQUE FRANÇAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 3
ARRÊT DU 16 MARS 2016
(n° , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 14/02798
Décision déférée à la Cour : Jugement du 16 Janvier 2014 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 12/13399
APPELANTS
Madame [Z] [S]
[Adresse 9]
[Localité 7]
Monsieur [W] [S]
[Adresse 1]
[Localité 4]
Madame [I] [S]
[Adresse 6]
[Localité 3]
Monsieur [X] [S] épouse [Q]
[Adresse 8]
[Localité 5]
Monsieur [H] [S]
[Adresse 7]
[Localité 6]
Madame [C] [S] épouse [J] [N]
[Adresse 10]
[Localité 5]
Représentés par Me Philippe GALLAND de la SCP GALLAND VIGNES, avocat au barreau de PARIS, toque : L0010
INTIMÉES
SARL RASSIM prise en la personne de son liquidateur la SELAFA MJA représentée par Mâitre LELOUP THOMAS
Immatriculée au RCS de Paris sous le n°477 958 318
[Adresse 4]
[Localité 1]
SELAFA MJA agissant pas Maître [E] [V] ès qualités de liquidateur de la société RASSIM
[Adresse 2]
[Localité 2]
Représentées par Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477, avocat postulant
Assistées de Me Laura DUMONT, avocat au barreau de PARIS, toque : P 290, avocat plaidant substituant Me WERNERT
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 786 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 03 Février 2016, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposé, devant Madame Chantal BARTHOLIN, présidente de chambre, chargée d'instruire l'affaire, laquelle a été préalablement entendue en son rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Madame Chantal BARTHOLIN, présidente de chambre
Madame Anne-Marie GALLEN, présidente
Madame Brigitte CHOKRON, conseillère
Greffier : lors des débats : Madame Orokia OUEDRAOGO
ARRÊT :
- contradictoire,
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
- signé par Madame Chantal BARTHOLIN, présidente de chambre, et par Madame Orokia OUEDRAOGO, greffière.
********
Vu le jugement rendu le 16 janvier 2014 par le tribunal de grande instance de Paris qui a :
- rejeté les demandes des consorts [S],
- rejeté les autres demandes,
- condamné les consorts [S] aux dépens;
Vu l'appel relevé par [Z] [S], [W] [S], [I] [S], [X] [S] épouse [Q], [H] [S] et [C] [S] épouse [J] [N];
Vu les dernières conclusions des consorts [S] signifiées le 30 juillet 2014, par lesquelles ils demandent à la cour, au visa des articles 1134 du code civil et L 641-12 du code de commerce, d'infirmer le jugement et, statuant à nouveau, de :
- dire que la société Rassim a enfreint ses obligations locatives antérieurement à l'ouverture de sa procédure de liquidation judiciaire,
- en conséquence, constater la résiliation de plein droit du bail en date du 6 juillet 2004, à défaut, en prononcer la résiliation judiciaire,
- ordonner en conséquence :
l'expulsion de l'entreprise Rassim ainsi que celle de toutes personnes dans les lieux de son fait, notamment la société Les Saveurs du Palais, et ce avec l'assistance d'un serrurier tôlier, du commissaire de police et de la force armée s'il y a lieu, sous astreinte de 400 € par jour de retard à compter du prononcé du jugement à intervenir,
le transport et la séquestration des meubles et objets mobiliers garnissant les lieux en garantie des loyers et charges dus et des réparations qui pourraient être dues,
- condamner solidairement la société Rassim et Me [V], en sa qualité de liquidateur de cette société, à leur payer :
une indemnité d'occupation d'un montant de 7.711,01 € HT par mois jusqu'à la libération effective des lieux,
la somme de 5.000 € par application de l'article 700 du code de procédure civile,
- les condamner aux entiers dépens;
Vu les dernières conclusions signifiées le 20 juin 2014 par la société Rassim et la SELAFA MJA, pris en la personne de Me [V], en sa qualité de liquidateur de la société Rassim, qui demandent à la cour de :
- confirmer le jugement en ce qu'il a rejeté les demandes des consorts [S],
- y ajoutant, condamner les consorts [S] au paiement de la somme de 20.000 €, à titre de dommages-intérêts, et celle de 5.000 € par application de l'article 700 du code de procédure civile;
SUR CE
Considérant que le 20 juin 2004, une S.A.R.L. dénommée Rassim a été constituée entre Mme [A] [P] - à concurrence de 120 parts - et Melle [Y] [P] - à concurrence de 180 parts - avec pour objet la restauration sous toutes ses formes, la sandwicherie et tout ce qui s'y rapporte.
Considérant que suivant acte notarié du 6 juillet 2004, les consorts [S], propriétaires d'un ensemble immobilier sis [Adresse 5], ont donné à bail à la société Rassim en cours d'immatriculation des locaux commerciaux dépendant de cet immeuble pour une durée de dix huit années consécutives à compter du 1er juillet 2004, moyennant le paiement d'un loyer mensuel de 3.810 € et d'une indemnité de 381.000 € correspondant à un droit d'entrée; qu'il y était stipulé que le locataire ne pourrait utiliser les lieux loués que pour exercer l'activité de restaurant, traiteur et vente de repas à emporter;
Que la société Rassim a ainsi créé dans les locaux loués un restaurant de restauration traditionnelle, sous l'enseigne 'La Savoyarde', proposant fondues et raclettes; que le 13 avril 2012, la société Rassim, par lettre de son conseil, a demandé aux bailleurs l'autorisation de mettre son fonds de commerce en location-gérance au profit de l'EURL Kamala Notre Dame, ce que les bailleurs ont refusé;
Que la liquidation judiciaire de la société Rassim a été prononcée le 19 juillet 2012, la selafa MJA étant désignée en qualité de liquidateur;
Que par lettre du 30 août 2012, les bailleurs ont informé la selafa MJA, es qualités, que le fonds de commerce sous l'enseigne 'La Savoyarde' n'était plus exploité dans les locaux et qu'il fallait en avertir les éventuels acquéreurs, en ajoutant que le bail était résilié pour non respect de ses clauses, qu'un nouveau fonds dénommé 'Crazy Bollywood' s'était créé sans leur autorisation et qu'ils s'opposeraient à toute vente du fonds 'La Savoyarde'avec cession du droit au bail;
Que par ordonnance du 16 septembre 2012, le juge commissaire à la liquidation judiciaire de la société Rassim a autorisé la vente de gré à gré du fonds de commerce de cette société à M. [T], agissant en son nom ou pour le compte d'une société à constituer, pour le prix de 501.400 € ; que l'acte de cession a été signé devant notaire le 22 février 2013 au profit de la société en formation ' Les Saveurs du Palais'; qu'il y est mentionné que l'acquéreur est parfaitement informé de la procédure diligentée par les consorts [S] à l'encontre de la société Rassim et de son liquidateur et qu'il reconnaît 'avoir reçu tout conseil utile pour comprendre et agir en toute connaissance de cause, voulant assumer la poursuite de la procédure en résiliation du bail aux fins d'expulsion et en assumer seul les conséquences juridiques, financières et autres pour le cas où il serait contraint de quitter les lieux dont le bail commercial ci-dessus exposé est compris dans la présente cession du fonds de commerce';
Qu'entre temps, le 19 septembre 2012, les consorts [S] avaient fait assigner la société Rassim et son liquidateur devant le tribunal de grande instance de Paris aux fins de voir prononcer la résiliation du bail; qu'ils ont été déboutés de leur demande par le jugement déféré;
Considérant que pour s'opposer aux prétentions des consorts [S], la société Rassim et son liquidateur exposent :
- que la clientèle du restaurant était constituée de touristes du quartier latin,
- qu'au fil du temps, Mme [A] [P], gérante de la société Rassim, a constaté une désaffection des touristes pour la cuisine de type savoyard,
- que compte tenu de la dégradation de l'état de santé de son conjoint, elle a sollicité l'autorisation de confier son fonds de commerce en location-gérance, mais que les bailleurs ont refusé,
- qu'elle a alors décidé d'adopter un type de cuisine indienne, plus propre à attirer la clientèle touristique de passage et a procédé à la modification de son enseigne en 'Crazy Bollywood';
Que les intimés allèguent que la procédure engagée par les bailleurs n'a pour but que de renouveler une opération financière particulièrement favorable en percevant d'un nouveau locataire une indemnité de droit d'entrée non négligeable;
Qu'ils font valoir qu'aucun contrat de sous-location n'a été régularisé et contestent la valeur et la portée des documents versés aux débats par les consorts [S] en soulignant :
- que si la famille [L] a envisagé d'acquérir le fonds de commerce, les pourparlers qui n'ont pas abouti n'avaient pas à être portés à la connaissance des bailleurs,
- que le document relatif à la cession par Mme [A] [P] de 10 parts sociales de la société Rassim à M. [O] [L] est resté à l'état de projet : l'intervention du mari n'y figurant pas alors que les parts appartiennent à la communauté [P], la procédure d'agrément prévue à l'article 13 des statuts en cas de cession à un tiers étranger à la société n'ayant pas été respectée et l'acte n'ayant pas été enregistré auprès de la Recette des impôts, ni déposé au greffe du tribunal de commerce de Paris, ni signifié à la société Rassim,
- que de surcroît, l'accord du bailleur n'est pas prévu lors d'une cession de parts sociales,
- que le document intitulé convention de prestation de services entre la société Rassim et Mme [A] [P] n'a aucune valeur juridique, la société Rassim y étant représentée par Mme [M] [L] en qualité de gérante, ce qu'elle n'a jamais été,
- que la reconnaissance de dette entre Mme [A] [P] et une SCI Dattotel walk in est sans incidence sur le bail litigieux,
- que les actes rédigés par un conseil en date des 14 et 24 mai 2012 facturés à M. [O] [L] ne démontrent pas une violation des clauses du bail, s'agissant soit de projets, soit d'actes sans lien avec la société Rassim et le bail,
- que les consorts [S] ne démontrent pas que la société Rassim a consenti une location-gérance ou procédé à des manoeuvres ayant permis d'obtenir le même résultat;
Qu'ils ajoutent :
- que les modifications apportées à la cuisine, à l'enseigne, à la décoration de l'établissement et à son personnel ne constituent pas des infractions au bail qui autorisait l'activité de restaurant,
- que les bailleurs n'ont pas fait appel de l'ordonnance autorisant la cession du fonds de commerce et n'ont jamais offert, en contrepartie de la résiliation du bail, une indemnité qui aurait permis de désintéresser les créanciers,
- que Mme [L] n'a jamais revendiqué la propriété du fonds de commerce, que la société Rassim en est restée propriétaire et qu'elle l'exploitait au moment du prononcé de la liquidation judiciaire;
Mais considérant qu''il s'agit d'apprécier si la bail peut être résilié pour infractions reprochées à la société Rassim, locataire des lieux; que le bail stipule notamment que le preneur doit maintenir les lieux constamment utilisés, sous réserve d'une fermeture pour congés payés annuels ou travaux et qu'il ne pourra pas sous-louer en tout ou partie les lieux loués;
Considérant que par attestation régulière en la forme datée du 31 janvier 2013, Mme [M] [L] a déclaré :
'J'ai souhaité avec mon fils obtenir une location des locaux sis [Adresse 3] afin de créer un nouveau restaurant de cuisine indienne voulant par la suite acheter définitivement ledit bail.
La sarl Rassim et sa gérante ont présenté l'opération au bailleur sous forme de gérance libre .
Face à son refus, il nous a été proposé la mise en place de divers actes, de nature aux dires de l'avocat de Mme [P], de nous apporter le même résultat : savoir cession d'une part à mon fils en attendant la vente de la totalité des parts, démission de Mme [P] de la gérance de la sarl Rassim, signature d'une convention de prestation de service égal au loyer du bénéfice de la sous-location, reconnaissance de dette. Je vous remets les copies .
Une fois les actes signés chez l'avocat, Mme [P] nous a remis les clés et la S.A.R.L. Rassim a fermé son restaurant ' La Savoyarde' pour nous laisser créer un nouveau fonds Crazy Bollywood . Nous avons fait d'importants travaux, acheté du nouveau mobilier, changé les menus et la façade, embauché du nouveau personnel compatible avec le nouveau restaurant cherchant à toucher une autre clientèle.
Malgré nos demandes répétées, l'avocat de Mme [P] nous a indiqué qu'elle se refusait à ce que les actes soient enregistrés et publiés au greffe du commerce.
Nous avons appris par la suite l'existence d'une dette très importante envers le Trésor Public et enfin la faillite de la SARL Rassim.';
Que les déclarations faites dans cette attestation, qui n'est pas arguée de faux, sont confortées par les documents suivants :
- un acte de cession de parts sociales daté du 10 mai 2012 aux termes duquel Mme [A] [P] céde 10 parts sociales de la société Rassim à M. [O] [L] pour le prix de 1.000 € payé par chèque le jour de la signature de l'acte,
- une convention de prestation de services, datée du 24 mai 2012, par laquelle Mme [A] [P] s'engage envers la société Rassim ,'représentée par sa gérante Mme [M] [L]' à lui fournir son assistance en matière commerciale et à y consacrer son activité le temps nécessaire à sa mission au moins 108 jours par an, cette assistance étant fournie au siège de la société Rassim ou à tout autre endroit désigné par celle-ci, en contrepartie de quoi elle percevra une rémunération de 5.000 € HT par mois,
- une reconnaissance de dette d'un montant de 50.000 € signée le 14 mai 2012 par Mme [A] [P] qui reconnaît avoir reçu cette somme de la SCI Dattotel walk in et s'engage à lui rembourser avant le 24 décembre 2014,
- deux notes d'honoraires d'avocat, l'une du 17 avril 2012 adressée à 'Kamala Notre Dame eurl en cours d'immatriculation représentée par son gérant Monsieur [O] [L]', l'autre du 14 mai 2012 adressée à '[L] [O] - [Adresse 11];
Qu'il ressort de l'ensemble de ces éléments, indépendamment de la régularité juridique de la cession de parts et de la convention dite de prestation de service, qu'à compter du mois de mai 2012, Mme [M] [L] et son fils [O] [L], suite aux accords financiers passés avec Mme [A] [P] ont exploité un restaurant indien sous l'enseigne 'Crazy Bollywood' dans les locaux loués par les consorts [S] à la SARL Rassim;
Que les faits imputables à la société Rassim, qui sans prétendre avoir cédé ses parts sociales et moins encore son fonds, a laissé s'installer des tiers dans les locaux loués constituent une infraction au bail ;
Qu'elle ne revêt un caractère de gravité qu'en ce qu'elle constitue une tentative de la SARL Rassim de contourner l'opposition du bailleur de mettre le fonds en location gérance et l'interdiction de sous louer prévue au bail, justifiant sa résiliation judiciaire; qu'en conséquence, il convient de faire droit aux demandes des consorts [S] dans les termes du dispositif de l'arrêt :
- l'indemnité d'occupation étant fixée, conformément à l'article XVI du contrat de bail sur la base du loyer global de la dernière année de location, majorée de 50 %, soit la somme mensuelle de 7.711,01 € jusqu'à libération des lieux,
- la séquestration des meubles et objets mobiliers garnissant les lieux n'étant pas ordonnée, aucune créance au titre des loyers, charges ou réparations n'étant alléguée;
Considérant que la société Rassim et son liquidateur, qui succombent en leurs prétentions, sont mal fondés en leur demande de dommages-intérêts pour procédure abusive;
Considérant, vu les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, qu'il y a lieu d'allouer la somme de 4.000 € aux consorts [S] et de rejeter la demande formée de ce chef par la société Rassim et son liquidateur;
PAR CES MOTIFS
Infirme le jugement et, statuant à nouveau :
Prononce la résiliation du bail conclu le 6 juillet 2004,
Ordonne à la société Rassim ainsi qu'à tous occupants de son chef, notamment la société Les Saveurs du Palais, de quitter les lieux, sous astreinte de 400 € par jour de retard à l'expiration du délai de deux mois à compter de la signification du présent arrêt, sous peine d'en être expulsée avec l'assistance d'un serrurier et, au besoin, le concours de la force publique,
Condamne la société Rassim et la SELAFA MJA, en sa qualité de liquidateur de cette société, à payer aux consorts [S] :
- une indemnité d'occupation d'un montant de 7.711,01 € HT par mois jusqu'à la libération effective des lieux,
- la somme de 4.000 € par application de l'article 700 du code de procédure civile,
Déboute les parties de toutes leurs autres demandes,
Condamne la société Rassim et la SELAFA MJA aux dépens de première instance et d'appel .
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE