La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

15/03/2016 | FRANCE | N°14/13902

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 3, 15 mars 2016, 14/13902


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 3



ARRÊT DU 15 Mars 2016



(n° , 11 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : S 14/13902 et 14/13884



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 04 Novembre 2014 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOBIGNY section RG n° 13/02159





APPELANT

Monsieur [W] [P]

[Adresse 1]

[Adresse 2]

comparant en personne,

assisté de Me Mich

el HENRY, avocat au barreau de PARIS, toque : P0099, et de Me Matthieu JANTET-HIDALGO, avocat au barreau de PARIS





INTIMEE

SARL AEROBAG

[Adresse 3]

[Adresse 3]

[Localité 1]

N°...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 3

ARRÊT DU 15 Mars 2016

(n° , 11 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S 14/13902 et 14/13884

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 04 Novembre 2014 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOBIGNY section RG n° 13/02159

APPELANT

Monsieur [W] [P]

[Adresse 1]

[Adresse 2]

comparant en personne,

assisté de Me Michel HENRY, avocat au barreau de PARIS, toque : P0099, et de Me Matthieu JANTET-HIDALGO, avocat au barreau de PARIS

INTIMEE

SARL AEROBAG

[Adresse 3]

[Adresse 3]

[Localité 1]

N° SIRET : 451 776 702

représentée par Me Pascal GEOFFRION, avocat au barreau de PARIS, toque : L0027 substitué par Me Laure ARNAIL, avocat au barreau de PARIS, toque : L0027

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 12 Janvier 2016, en audience publique, devant la Cour composée de :

Monsieur Daniel FONTANAUD, Président de chambre

Madame Roselyne NEMOZ, Conseillère

Mme Laurence SINQUIN, Conseillère

qui en ont délibéré

Greffier : Madame Claire CHESNEAU, lors des débats

ARRET :

- contradictoire

- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile.

- signé par Monsieur Daniel FONTANAUD, Président et par Madame Claire CHESNEAU, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Exposé du litige

Les salariés de la SARL AEROBAG sont affectés aux arrêts des Cars Air France qui assurent les liaisons entre les aéroports Charles de Gaulle, [Localité 2], et [Localité 3] pour procéder aux chargements et déchargements des bagages. Ils sont rattachés à l'un des trois sites : [Localité 3], [Localité 2] et [Localité 4].

En avril 2008, une nouvelle liaison baptisée 1* Etoile a été mise en place entre la place de l'Etoile et Paris-[Établissement 3], avec un arrêt supplémentaire à 'Etoile' par rapport à la ligne 1 qui desservait [Établissement 3]-Invalides. Les bus partant d'[Localité 2] ont été répartis entre la ligne 1* et la ligne 1, les uns partant pour un trajet dont le terminus était l'Etoile, les autres ayant pour terminus Montparnasse.

La direction a négocié avec les salariés des sites d'[Localité 2] et de [Localité 3] et accordé deux primes aux agents affectés sur la ligne 1*. Un document a été établi et signé par le Directeur de la société AEROBAG le 23 avril 2008 intitulé : « Récapitulatif du dispositif mis en place pour l'exploitation de la ligne 1* en date du 23 avril 2008 ».

Ce document prévoit un « renforcement du service », un « doublement du poste 7h à 20h» à [Localité 2] Sud et un « triplement du poste de 7h30 à 17h30 » à [Localité 2] Ouest et un « intéressement des salariés » constitué par deux primes versées par jour travaillé :

- La prime 'ligne 1*' liée aux conditions d'exploitation de cette ligne

- La prime 'soute Setra' liée à la taille réduite des soutes et à leurs difficultés d'accès sur certains bus de la marque Setra utilisés pour desservir [Localité 2].

Les salariés du site de [Localité 4] ne bénéficient pas de ces primes.

Par ailleurs, à partir de février 2009, la société AEROBAG a cessé de payer la pause 'repas' de 30 minutes aux salariés affectés à [Localité 4], laquelle résultait, selon eux, d'un usage. Les salariés étaient alors payés pour 8h de travail effectif pour une amplitude de 8h30, alors qu'à [Localité 2] et [Localité 3], les pauses étaient payées aux salariés. A compter du mois d'octobre 2013, la société a repris le paiement du temps de pause pour les salariés de [Localité 4].

Des salariés exerçant les fonctions de bagagistes ont alors saisi la juridiction prud'homale afin d'obtenir des rappels de primes ligne *, de primes SETRA et de temps de pause.

Par une série de jugement du 4 novembre 2014, le Conseil de Prud'hommes de BOBIGNY a débouté les salariés de leurs demandes en retenant que :

- Sur la prime « ligne 1* », les salariés ne démontraient pas « une stricte égalité de situation » avec les salariés bénéficiant de la prime et la différence de traitement était justifiée par des éléments objectifs, à savoir 'un environnement de travail et des tâches spécifiques et différentes' pour les salariés affectés sur la ligne 1* ;

- Sur la prime « SETRA », les demandeurs ne démontraient pas subir les même contraintes physiques que les salariés affectés à [Localité 2] et n'intervenaient pas sur des véhicules disposant de soutes réduites ;

- Sur le paiement des temps de pause, les demandeurs ne démontraient pas la régularité du versement d'une rémunération au titre des « heures de repas » ce qui excluait l'existence d'un usage.

Les salariés ont interjeté appel.

Depuis, en cause d'appel, les salariés concernés ont introduit des demandes nouvelles :

- d'une part une demande de rappel de salaire suite à un arrêt invalidant l'organisation du travail en cycle de 4 semaines :

Un arrêt de la Cour d'Appel de Paris du 13 novembre 2014 a condamné l'organisation du travail en cycle de 4 semaines mis en place à compter du 1er février 2011 en l'absence d'un accord d'entreprise. Les salariés sollicitent des rappels de salaire sur la base d'un décompte sur la semaine de leur temps de travail.

- d'autre part, certains salariés formulent une demande d'annulation d'une mise à pied disciplinaire et un rappel de salaire sur ce fondement.

En effet, suite à une grève du personnel à compter du 13 mai 2015, plusieurs salariés ont été convoqués par lettres du 10 juillet 2015 à des entretiens en vue de sanctions disciplinaires et se sont vus notifier une mise à pied de 5 jours pour avoir été identifiés par un huissier comme ayant empêché des salariés de la société « AIRNETT » de procéder au chargement des soutes. Il s'agit notamment de Messieurs :

- [O] [N]

- [X] [M]

- [J] [L]

- [W] [P]

- [S] [Z]

- [Y] [R]

- [B] [H]

- [U] [A]

Par conclusions visées au greffe le 12 janvier 2016 au soutien des observations orales auxquelles il est expressément fait référence en ce qui concerne ses moyens, il est demandé à la Cour d'infirmer le jugement et de condamner la société AEROBAG à payer des sommes précisées dans les écritures pour chaque salarié à titre de prime 1 *, de prime Soute Setra et de temps de pause, ainsi que la somme de 1500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

S'agissant des salariés frappés d'une sanction disciplinaire, il est aussi demandé d'annuler la mise à pied disciplinaire de cinq jours qui leur a été infligée et de condamner la société à leur verser un rappel de salaire correspondant.

Il est aussi demandé d'ordonner à la SARL AEROBAG de régulariser pour la période comprise entre le mois de février 2011 et le mois de mai 2015, le paiement du salaire sur la base d'un décompte sur la semaine civile du temps de travail et de dire qu'à défaut de régularisation par l'employeur sous 30 jours à compter de la notification de l'arrêt, mission sera donnée à un expert-comptable aux frais de la société afin de procéder au calcul.

Par conclusions visées au greffe le 12 janvier 2016 au soutien de ses observations orales auxquelles il est expressément fait référence en ce qui concerne ses moyens, la société AEROBAG sollicite la confirmation du jugement et, sur les nouvelles demandes formées en cause d'appel, demande de débouter les appelants de leurs demandes, et de condamner chacun d'entre eux à verser à la société AEROBAG, 100 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par une note transmise en délibéré le 13 janvier 2016, l'avocat des salariés précise le montant des demandes faites au titre des primes au regard de la date de départ de l'entreprise de trois des salariés

Mr [K], M [F] et M [G].

Par une note en réponse, la société conteste les modalités de calcul opérées par les appelants.

Pour plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs conclusions visées par le greffier et développées lors de l'audience des débats.

****

MOTIFS

Sur la jonction des instances

En application de l'article 367 du code de procédure civile, il convient, dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, d'ordonner la jonction des instances inscrites au répertoire général du greffe sous les numéros 14/13884 et 14/13902, compte tenu du lien existant entre elles et de dresser du tout un seul et même arrêt.

Sur l'attribution des primes :

En application du principe 'à travail égal, salaire égal', énoncé par les articles L.2261-22-II-4, L. 2771-1-8 et L. 3221-2 du code du travail, l'employeur est tenu d'assurer l'égalité de rémunération entre tous les salariés pour autant que ceux-ci sont placés dans une situation identique; il appartient au salarié qui invoque une atteinte à ce principe de soumettre au juge les éléments de fait susceptibles de caractériser une inégalité de rémunération, et il incombe à l'employeur de démontrer que la différence de traitement entre des salariés placés dans la même situation au regard de l'avantage litigieux, repose sur des raisons objectives dont le juge doit contrôler la réalité et la pertinence.

Le caractère discrétionnaire d'une rémunération n'autorise pas l'employeur à traiter différemment des salariés placés dans une situation comparable au regard de l'avantage considéré; il est tenu d'assurer l'égalité de rémunération entre salariés pour un même travail ou un travail de valeur égale.

En l'espèce, les salariés du site de [Établissement 4] revendiquent une égalité de traitement avec ceux des sites de [Établissement 3] en ce qui concerne l'attribution de la prime ligne 1* Etoile et la prime de soute SETRA.

Ils soutiennent que ces primes correspondent à un intéressement du personnel, qu'il n'existe pas de différence de situation dans les conditions de travail, et qu'en conséquence, elles doivent profiter à l'ensemble des salariés. Ils font valoir que, ni l'accord collectif de 2008, ni la note du 23 avril 2008, ne précisent les règles d'attribution de ces primes.

S'agissant de la prime ligne 1*Etoile, ils exposent qu'initialement, elle était destinée à compenser un sous-effectif et non une disparité des conditions de travail - la différence du nombre de passagers ou de rotation sur les lignes n'ayant été invoquée qu'en première instance - et que suite à des embauches, si la prime est maintenue, elle doit être attribuée à l'ensemble des salariés.

S'agissant de la prime de soute SETRA, ils estiment que les salariés du site de [Établissement 4] souffrent des mêmes conditions de pénibilité dans la réalisation de leur travail, interviennent sur des arrêts communs aux lignes et sur des bus aux caractéristiques identiques.

La société Aérobag considère au contraire que la différence de traitement liée à l'attribution de ces deux primes est licite et justifiée par des critères objectifs et pertinents. Elle souligne, en ce qui concerne la prime ligne1* Etoile, que ses critères d'attribution sont clairement définis dans la note du 23 avril 2008, et que les conditions d'exploitation de cette ligne, notamment en termes d'affluence et de rythme de rotations, justifient la différence de traitement des salariés. Pour la prime de soute SETRA, elle souligne que les conditions de pénibilité liées à la configuration particulière des véhicules 416 GT, exclusivement affectés sur les lignes PARIS-[Établissement 3], justifie l'octroi de cet avantage.

****

Il n'est pas contesté que dans le cadre de l'exploitation des quatre lignes de cars entre PARIS, [Établissement 3] et [Établissement 4] concédées à la société Aérobag, alors que les salariés occupent tous les même fonctions d'agent d'exploitation bagagiste et bénéficient du même coefficient indiciaire, il existe une différence de rémunération entre ceux du site de [Établissement 4] et ceux des sites de PARIS et [Établissement 3], tirée de l'attribution de la prime ligne 1* Etoile et SETRA. Dès lors, c'est à l'employeur de déterminer les raisons objectives et pertinentes qui justifient cette différence de traitement.

Sur la prime ligne 1* Etoile :

Dans le cadre de la mise en exploitation de la ligne1*Etoile, une négociation syndicale est intervenue et une note conjointe en date du 23 avril 2008 fixe le « récapitulatif du dispositif mis en place pour l'exploitation de la ligne un Étoile sur le site d'[Établissement 3] ».

Il ressort de ce document que, contrairement aux prétentions des salariés, les conditions d'attribution de cette prime sont clairement définies : sur les neuf services que compte le site d'[Établissement 3], quatre d'entre eux (RM, RS, RO et SOD) font l'objet à compter du 1er avril 2008 d'un renforcement effectif de service. Pour les services « sur lesquels le dispositif de couverture de la ligne n'est pas totalement déployé », ou qui voient leur amplitude horaire augmenter, une prime forfaitaire est octroyée au salarié (services MOD,MOE,SOD,SOE, MS, SS et RO). Une condition d'ancienneté est également requise.

Même si la notion d'intéressement des salariés figure en tête de chapitre dans cette note, il ressort clairement des termes de ce document que la prime à vocation à compenser un surcroît d'activité lié à la montée à plein régime de cette nouvelle ligne et que son octroi n'a aucun lien avec les bénéfices issus de cette exploitation.

Or ce surcroît d'activité reste toujours d'actualité, aucun élément ne permettant d'établir que de nouvelles embauches ont permis de parvenir à la combler. Au contraire, le compte rendu de la session ordinaire du comité d'entreprise du mois d'août 2015, dressé le 9 septembre 2015, à [Établissement 3], relève, en point 14, une revendication d'un élu sollicitant des renforts en personnel sur [Établissement 3]-Ouest, en constatant qu'une baisse de trafic n'est pas constatée sur le terrain.

Par ailleurs, si la situation de sous effectif demeure, c'est également en raison de l'importance et du succès de la ligne. Au vu des documents produits par l'ensemble des parties, et notamment de la plaquette d'information des usagers de mars 2013, la comparaison entre les lignes démontre que les salariés bénéficiaires de la prime doivent faire face à un nombre de rotations accrues (toutes les 20 minutes pour la ligne 1* Étoile au lieu de 30 minutes pour les trois autres lignes), et à des conditions d'amplitude horaire plus contraignantes (5h00 au lieu de 5h45 et 23h40 au lieu de 23 heures).

Il convient donc de constater que l'employeur établit par des éléments objectifs et vérifiables que l'allocation de la prime ligne 1* Étoile aux salariés d'[Établissement 3] et PARIS n'a pas de caractère discriminatoire et qu'elle répond bien à la nécessité de répondre à une différence dans les conditions de travail.

Sur la prime de soute SETRA

La note du 23 avril 2008 détermine également avec précision les conditions d'attribution de la prime de soute SETRA, soit :

« Il est décidé compte-tenu :

- des difficultés et de la pénibilité générées par la taille réduite des soutes,

- de la nécessité en cas d'affluence d'effectuer le chargement et/ou le déchargement des bagages du côté gauche du véhicule,

d'accorder pour l'ensemble des neuf services d'[Établissement 3], une prime spécifique une valeur forfaitaire d'une heure.

Cette prime est due à tout agent effectuant l'un des services concernés sous réserve d'une ancienneté minimale de trois mois. »

La différence de traitement est, d'abord, fondée sur la pénibilité générée par la configuration des véhicules utilisés par le personnel du site d'[Établissement 3], et notamment les cars SETRA 416 GT, dont les soutes apparaissent à la fois plus réduites et rendent les opérations de chargement et de déchargement moins faciles pour le manutentionnaire.

En produisant un certain nombre de clichés pris à l'aéroport de [Établissement 4], les salariés soutiennent que les même véhicules sont en usage sur les autres lignes. Toutefois, ni la présence d'un seul essieu à l'arrière du car (caractéristique existant dans les deux modèles), ni les détails repérables sur les photos ne permettent avec certitude d'affirmer que le véhicule stationné à l'aéroport de [Établissement 4] est un modèle 416 GT. A l'inverse, la carte grise du car dont l'immatriculation est visible, démontre que, contrairement aux prétentions des salariés, il s'agit d'un modèle 416 GT HD.

L'attestation de Monsieur [V] [I] du 25 août 2014 qui précise que « Les véhicules de type SETRA 416 GT circulent uniquement sur la ligne 1, soit sur les points d'arrêt de Etoile, Invalides, Gare [Établissement 2] et [Établissement 3]. Ces véhicules ne desservent donc pas les arrêts de [Établissement 4] et de Gare de [Établissement 1] » confirme l'usage exclusif de ces cars de plus petite contenance à destination de l'aéroport d'[Établissement 3].

La configuration du véhicule 416 GT, et notamment les hauteur et largeur des 4 soutes par comparaison aux deux larges soutes du modèle 416 GT HD, ne permet pas sérieusement de contredire les arguments de l'employeur selon lequel la pénibilité au chargement et au déchargement est largement supérieure sur les plus petits véhicules. Ce constat est confirmé par l'inspection du travail, le 17 septembre 2010 sur les sites d'[Établissement 3]-Sud et [Établissement 3]-Ouest, qui indique dans son contrôle transmis à la société: «' En outre, la configuration du poste de travail liée à la profondeur des soutes à bagages, l'étroitesse de ces soutes, l'espace restreint entre le sol et le plafond des soutes obligeait les salariés à se plier en deux, à s'étirer, voire à s'allonger pour manutentionner les bagages restés tout au fond ... »

Même si, à l'inverse, il n'est pas démontré que le déchargement en cas d'affluence, sur le côté gauche ou sur la chaussée soit exclusivement réservé au travail de manutention des salariés exerçant à [Établissement 3] plutôt qu'à [Établissement 4], il y a lieu de retenir que l'employeur établit que la spécificité liée à la typologie des véhicules constitue un élément suffisant pour justifier une différence de rémunération.

Il convient, par voie de conséquence, de rejeter la demande des salariés concernant l'attribution de la prime de soute SETRA.

Sur le temps de pause :

L'usage correspond à une pratique habituellement suivie dans l'entreprise et prend la forme d'un avantage supplémentaire, accordé aux salariés ou une partie d'entre eux, par rapport à la loi, la convention collective ou le contrat de travail. Cet avantage doit être instauré de manière générale, constante et fixe. Il appartient au salarié qui revendique le bénéfice de cet usage d'en faire la preuve.

Les salariés du site de [Établissement 4] revendiquent un rappel de salaire consécutif à la suppression du règlement de leurs pauses, entre le mois de février 2009 et le mois d'octobre 2013, estimant que cette rémunération répondait à un usage, dont la suppression aurait du être régulièrement dénoncée par l'employeur. Ils font valoir, en outre, que la disparition de cet avantage salarial crée une inégalité de traitement avec les salariés des sites d'[Établissement 3] qui en bénéficient.

La société indique que les modalités fixées pour le temps de pause répondent aux dispositions de l'article 31 de la convention collective de la manutention aéroportuaire, et que la présence d'agents de pause permettait aux salariés de vaquer librement à leurs occupations personnelles pendant ce temps. Elle conteste l'inégalité de traitement avec les salariés d'[Établissement 3], aucun agent de pause n'intervenant sur ce site. Elle précise, en outre, que la suppression de la présence de ces agents de pause en octobre 2013 sur le site de [Établissement 4], l'a conduite à rétablir la rémunération comme temps de travail effectif.

****

En l'espèce, il n'est pas contesté qu'à partir de février 2009 jusqu'à octobre 2013, le temps de pause des salariés du site de [Établissement 4] n'a plus été décompté comme temps de travail effectif et n'a donc plus été rémunéré.

L'employeur justifie que, pendant cette période, des agents étaient affectés en renfort sur les temps de « coupures de repas » sur le site de [Établissement 4] et les salariés bénéficiaient de la liberté de vaquer à leurs occupations pendant la demi-heure litigieuse.

Les salariés ne peuvent valablement soutenir qu'il existait un usage tiré de la rémunération de cette pause. En effet, les modalités appliquées par l'employeur en ce qui concerne les pauses et leur rémunération ne constituent pas un avantage supplémentaire, accordé aux salariés ou une partie d'entre eux, par rapport à la loi, la convention collective ou le contrat de travail. Cette rémunération et sa suppression ne constituent que l'exécution des dispositions légales (article L 3121-2 du code du travail) et conventionnelles (l'article 31 de la convention collective régionale concernant le personnel de l'industrie de la manutention du nettoyage sur les aéroports ouverts à la circulation publique du 1er octobre 1986 et l'article 8.2 du règlement intérieur).

La notion d'usage ne peut s'entendre que de situations identiques. S'il y a eu rémunération, puis suppression de cette rémunération, ce n'est qu'en raison de l'absence ou de la présence des agents de pause modifiant le temps de travail du salarié pendant son temps de pause, et non en vertu d'un avantage ou d'un usage.

Enfin, les salariés de [Établissement 4] ne sont pas fondés à soutenir qu'il existe une atteinte à l'égalité de traitement avec les salariés d'[Établissement 3], sans justifier des dispositions mises en application sur les autres sites dans le cadre de la gestion du temps de pause (notamment de la présence des agents de pause). Avec deux bulletins de paie de deux salariés d'[Établissement 3], la Cour ne dispose pas des éléments permettant de vérifier que les situations des salariés soient comparables et rejette le moyen.

Ainsi, au regard de ces motifs, il y a lieu de débouter les salariés de leur demande de rappel de salaire relative au temps de pause.

Sur les heures supplémentaires

Aux termes de l'article L 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail effectuées, l'employeur doit fournir au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié.

Le juge forme sa conviction au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

Ainsi, si la preuve des horaires de travail effectués n'incombe ainsi spécialement à aucune des parties et si l'employeur doit être en mesure de fournir des éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié, il appartient cependant à ce dernier de fournir préalablement au juge des éléments de nature à étayer sa demande.

Il y a lieu de rappeler, au préalable, la motivation adoptée par la Cour, dans son arrêt du 13 novembre 2014, aux termes de laquelle la société a été condamnée, sous astreinte, ' à organiser le temps de travail de ses salariés sur la semaine civile tant qu'elle n'aura pas obtenu l'accord individuel des salariés ou signé un accord collectif sur ce point'.

Ces motifs énoncent : « Les premiers juges ont exactement relevé que:

- la société AEROBAG, au sein de laquelle le travail est organisé en continu, les salariés travaillant du lundi au dimanche, a mis en place par décision unilatérale, sans qu'aucun accord collectif n'ait été conclu en ce sens, une organisation de la durée du travail sous forme de périodes de travail d'une durée de quatre semaines, dans les termes des articles L3122-3 et D3122-7-1 du code du travail,

- cette organisation pluri-hebdomadaire conduit, ainsi qu'il résulte des articles D3122-7-2 et D3122-7-3, à un décompte des heures supplémentaires moins favorable au salarié, dont les conséquences concrètes pour les intéressés, au sein de la société AEROBAG, ne sont l'objet d'aucune contestation,

- à défaut d'accord collectif, et ainsi qu'il résulte de l'article L3122-6 du code du travail, la mise en place d'une répartition des horaires sur une période supérieure à la semaine constitue une modification du contrat de travail qui requiert l'accord exprès du salarié,

- les contrats de travail des salariés ne comportent aucune clause acceptant expressément une répartition des horaires sur une période de quatre semaines.

C'est donc à bon droit et par des motifs pertinents, qui ne sont pas utilement critiqués par la société AEROBAG au soutien de son appel et que la cour adopte, que les premiers juges en ont déduit que l'organisation du temps de travail sous forme de périodes de travail d'une durée de quatre semaines n'a pas été valablement décidée ni mise en place par l'employeur, et ont ordonné à la société d'organiser le temps de travail de ses salariés conformément aux dispositions de l'article L3121-10 du code du travail, sur la base de la semaine civile, sous astreinte ».

Il ressort des termes de cette décision que l'organisation pluri-hebdomadaire avait vocation à réduire la rémunération en heures supplémentaires, par l'aménagement du temps de travail. Ce point n'est pas contesté.

Toutefois, il n'en demeure pas moins que, si un programme de modulation du temps de travail irrégulier n'est pas opposable aux salariés, il n'établit pas à lui seul l'accomplissement d'heures supplémentaires, et il appartient à chacun des salariés de chiffrer et d'étayer sa demande, conformément aux règles de preuve résultant de l'article L 3171-4 du code du travail.

Ni le régime de preuve instauré par l'article précité, ni l'arrêt du 13 novembre 2014 n'impose à l'employeur de procéder, pour chacun des salariés, à un décompte rétroactif d'heures supplémentaires.

L'analyse concomitante des bulletins de salaire et des décomptes de paie pour chacun des salariés suffisant à vérifier les heures de travail et à établir l'éventuelle demande de rappel d'heures supplémentaires, il n'appartient pas à la Cour de pallier la carence du salarié demandeur, en ordonnant une expertise comptable.

En l'espèce, il convient de constater, qu'à l'exception de deux salariés M. [W] [T] et M. [W] [P], aucun autre salarié ne transmet d'éléments permettant d'étayer sa demande d'heures supplémentaires qui, en conséquence, sera rejetée.

Sur les demandes d'heures supplémentaires de M. [W] [P]:

M. [P] produit sur les années 2011 à 2014 un relevé par jour travaillé des heures supplémentaires, déterminées au regard du temps de travail hebdomadaire et établies en fonction des pourcentages conventionnels. Ce document permet de considérer que la demande du salarié est suffisamment étayée pour permettre à l'employeur d'y répondre.

L'employeur justifie que le décompte produit par le salarié présente un certain nombre d'erreurs et notamment :

- le calcul du temps de travail journalier intègre le temps de pause comme temps de travail effectif, alors même que la Cour, statuant ci-dessus, a rejeté la demande sur ce point.

- les heures supplémentaires déjà rémunérées ne sont pas décomptées.

En outre, l'employeur justifie qu'à compter d'octobre 2013, à la suite du protocole relatif à la gestion des jours fériés, M. [P] a opté pour une compensation en repos et non pas en rémunération. En ne produisant pas son planning de temps de repos, le salarié ne permet pas de contester les décomptes de temps de repos inscrits aux bulletins de paie.

En tenant compte des erreurs relevées et après avoir pris en considération les éléments fournis par le salarié et ceux transmis par l'employeur, sur la période de février 2011 à mai 2015, il y a lieu de retenir les heures supplémentaires suivantes:

2011: 24

2012: 39,25

2013 :74

2014: 35,25 soit un total de 172,25 heures supplémentaires.

Compte tenu du taux horaire brut annuel retenu par le salarié et non contesté, il convient d'allouer à M [P] la somme de 1804,62 euros .

Sur le rappel de salaire et la nullité de la mise à pied disciplinaire:

En application de l'article L 1333-1 du code du travail, en cas de litige sur la sanction disciplinaire, il appartient à la Cour d'apprécier la régularité de la procédure suivie, si les faits reprochées sont de nature à justifier une sanction et d'annuler la sanction, si elle est irrégulière, injustifiée ou disproportionnée à la faute commise.

À la suite d'un mouvement de grève, intervenu le 13 mai 2015, 8 salariés, dont M [P], ont fait l'objet d'une mise à pied disciplinaire de 5 jours qui leur a été notifié en septembre 2015. Ils considèrent que cette sanction est nulle en invoquant deux motifs :

- l'atteinte au droit de grève organisée par la société Aérobag, dans le cadre de la convention de sous-traitance avec son délégataire, la société Aérolis,

- l'inopposabilité du règlement intérieur en l'absence d'avis du CHSCT ou des délégués du personnel.

La société soutient que la mise à pied des salariés résulte d'une entrave à la liberté du travail et que la sanction est justifiée. Elle conteste les prétentions adverses en faisant valoir que son délégataire pouvait assurer la continuité du service durant la grève et que le règlement intérieur est opposable.

****

Si en application des articles L 1242-6 et L1251-10 du code du travail, il est interdit de conclure un contrat de travail à durée déterminée ou de recourir au travail temporaire pour remplacer un salarié dont le contrat de travail est suspendu à la suite d'un conflit collectif du travail, il n'est pas interdit à l'employeur d'organiser l'entreprise pour assurer la continuité de son activité en cas de grève.

En l'espèce, la clause contractuelle de la convention de sous-traitance pour la manutention des bagages aux arrêts de l'ensemble des lignes de car Air France, intervenue entre le prestataire Aérobag et son délégataire Aérolis qui prévoit, en cas de grève, que «' Le délégataire peut se substituer au prestataire pour mettre en place tous les moyens de remplacement permettant de minimiser la gêne pour la clientèle, le prestataire supporte alors les éventuels surcoûts en résultant pour le délégataire, au prorata des kilomètres concernés» ne peut être considérée comme irrégulière et entravant le droit de grève, dès lors que les dispositions des articles précités ont été respectées par l'employeur.

Il n'est, en effet, pas établi que les personnels, intervenant lors du mouvement de grève avec les brassards ABD Consultant et Airnett, aient été embauchés en CDD ou en qualité d'intérimaires et encore moins qu'ils l'aient été par la société Aérobag.

Enfin, le salarié ne saurait sérieusement soutenir que, dans le cadre de l'application de la convention, la société Aérolis avait une obligation de reprise des salariés, les contraintes imposées par les dispositions de l'article L 1224-1 du code du travail n'étant pas applicables en l'espèce.

Il convient, en conséquence, de rejeter le premier moyen tiré de l'atteinte au droit de grève.

****

En application des articles L3121-1 et suivants du code du travail, le règlement intérieur, qui fixe notamment l'échelle des sanctions, est un acte réglementaire de droit privé, rédigé par l'employeur seul, qui ne prend effet qu'après avoir été soumis à l'avis du comité d'entreprise ou à défaut des délégués du personnel et du CHSCT.

En l'espèce, l'employeur justifie avoir soumis le règlement intérieur aux délégués du personnel, lors de la session ordinaire du comité d'entreprise du mois d'août 2013, et établit, au travers des différents procès-verbaux de cession du comité d'entreprise entre le 22 février 2013 et septembre 2014, que l'absence d'un CHSCT résulte du refus du collège désignatif de procéder aux élections et non d'une responsabilité de l'employeur.

Dès lors, le règlement intérieur qui prévoit dans son article 15, les modalités de la mise à pied disciplinaire doit être considéré comme régulier.

Au vu de l'ensemble des éléments transmis par le salarié, comme ceux de la société, et notamment du procès-verbal de constat d'huissier des 19 et 20 mai 2015, il y a lieu de retenir que les salariés sanctionnés ont bien été identifiés comme étant ceux qui ont délibérément empêché l'entreposage des bagages dans les soutes, par des salariés d'autres sociétés mandatées, et usé de menaces physiques ou verbales pour faire reculer et s'éloigner deux bagagistes ' intimidés'. Ce comportement à l'égard de salariés intervenant dans un cadre régulier et en présence de la clientèle est constitutive d'une faute susceptible d'être sanctionné par l'employeur. Dans ces circonstances, la sanction disciplinaire de mise à pied pendant une durée de cinq jours prononcée par l'employeur apparaît justifiée et proportionnée et la demande de nullité sera rejetée.

PAR CES MOTIFS

Ordonne la jonction des dossiers référencés 14/13884 et 14/13902.

Infirme le jugement,

Condamne la société Aérobag à payer à M [W] [P] la somme de 1804,62 euros au titre des heures supplémentaires sur la période de février 2011 à mai 2015,

Rejette la demande d'expertise comptable et la demande de nullité de la sanction disciplinaire.

Dit n'y avoir lieu à ordonner la régularisation et le paiement du salaire sur la base d'un décompte sur la semaine civile du temps de travail,

Déboute le salarié du surplus de ses demandes,

Vu l'article 700 du code de procédure civile,

Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile.

Laisse les dépens à la charge de l'appelant.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 3
Numéro d'arrêt : 14/13902
Date de la décision : 15/03/2016

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2016-03-15;14.13902 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award