La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

10/03/2016 | FRANCE | N°14/11144

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 9, 10 mars 2016, 14/11144


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 9



ARRÊT DU 10 MARS 2016



(n° , 14 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : S 14/11144



Décision déférée à la cour : jugement rendu le 9 septembre 2014 par le conseil de prud'hommes de MEAUX -section commerce- RG n° 12/00936





APPELANT



Monsieur [C] [P]

[Adresse 1]

[Localité 1]

né le [Date naissance 1] 1960 à [Localité 2]

comparant

en personne, assisté de Me Malik NEKAA, avocat au barreau de LYON, substitué par Me Mathieu ALLARD, avocat au barreau de LYON





INTIMÉE



SAS GEODIS BM PRESSE

[Adresse 2]

[Localité 3]

r...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 9

ARRÊT DU 10 MARS 2016

(n° , 14 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S 14/11144

Décision déférée à la cour : jugement rendu le 9 septembre 2014 par le conseil de prud'hommes de MEAUX -section commerce- RG n° 12/00936

APPELANT

Monsieur [C] [P]

[Adresse 1]

[Localité 1]

né le [Date naissance 1] 1960 à [Localité 2]

comparant en personne, assisté de Me Malik NEKAA, avocat au barreau de LYON, substitué par Me Mathieu ALLARD, avocat au barreau de LYON

INTIMÉE

SAS GEODIS BM PRESSE

[Adresse 2]

[Localité 3]

représentée par Me Marylène ROUX, avocat au barreau de LYON

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 26 novembre 2015, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Catherine SOMMÉ, président de chambre, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Catherine SOMMÉ, président

Monsieur Benoît HOLLEAUX, conseiller

Madame Christine LETHIEC, conseiller

Greffier : Madame Marine POLLET, greffier en stage de préaffectation, lors des débats

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Catherine SOMMÉ, président et par Madame Marine POLLET, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS PROCÉDURE PRÉTENTIONS DES PARTIES

M. [C] [P] a été engagé par la SAS GEODIS BOUGEY MONTREUIL PRESSE (ci-après la SAS GEODIS BM PRESSE) suivant contrat à durée indéterminée du 23 juin 2008, en qualité de conducteur poids lourds, relevant de la classification ouvrier, groupe G 6 coefficient 138 de la convention collective nationale des transports routiers et des activités auxiliaires du transport, moyennant une rémunération brute annuelle de 20 126,76 €. Par avenant du 1er juillet 2008, la rémunération brute mensuelle du salarié a été fixée à 1 964,82 € correspondant à une classification au groupe 7 coefficient 150. Le lieu de prise de service du salarié était situé à [Localité 4] dans la région parisienne (77). En mars 2009, M. [P] a déménagé à [Localité 5]. Le salarié a exercé un mandat de membre titulaire de la délégation unique qui a expiré le 7 juillet 2014.

L'entreprise employait plus de dix salariés à la date de la rupture des relations contractuelles.

Invoquant l'existence d'un harcèlement moral et d'une discrimination salariale et syndicale, M. [P] a saisi le conseil de prud'hommes de Meaux le 6 septembre 2012 de demandes tendant à la résiliation judiciaire de son contrat de travail et au paiement de diverses sommes à titre salarial et indemnitaire.

Le 10 mars 2014 M. [P] s'est vu notifier une mise à pied disciplinaire de 4 jours. Une nouvelle mise à pied disciplinaire de 5 jours lui a été notifiée le 28 mai 2014.

Par jugement rendu le 9 septembre 2014, le conseil de prud'hommes a :

- rejeté la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail à durée indéterminée de M. [P] aux torts de la SAS GEODIS BM PRESSE,

- débouté M. [P] de l'intégralité de ses demandes,

- débouté la SAS GEODIS BM PRESSE DE sa demande reconventionnelle au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- "laissé les entiers dépens à la charge de chacune des parties".

Le 30 septembre 2014 M. [P] a été convoqué à un entretien préalable au licenciement fixé le 6 octobre suivant et reporté, à la demande du salarié, au 21 octobre.

La demande d'autorisation du licenciement de M. [P] a été rejetée par décision du 21 janvier 2015 au motif de l'incompétence matérielle de l'inspection du travail, M. [P] ne bénéficiant plus du statut de salarié protégé depuis le 7 janvier 2015.

M. [C] [P] a régulièrement interjeté appel du jugement du conseil de prud'hommes par déclaration du 10 octobre 2014.

Par lettre du 6 février 2015, M. [P] a été licencié pour faute grave.

Aux termes de ses écritures visées par le greffier et soutenues oralement le 26 novembre 2015, M. [P] demande à la cour d'infirmer le jugement dans toutes ses dispositions et statuant à nouveau de :

- fixer son salaire brut moyen à la somme de 2 184,04 €,

- constater l'existence d'un harcèlement, d'une discrimination et le manquement de l'employeur à son obligation de sécurité,

subsidiairement,

- constater l'exécution déloyale du contrat de travail par l'employeur,

- annuler les mises à pied prononcées à son encontre le 10 mars 2014 et le 28 mai 2014,

- prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail,

à titre subsidiaire,

- dire et juger le licenciement survenu postérieurement sans cause réelle et sérieuse,

en conséquence,

- condamner la SAS GEODIS BM PRESSE à lui verser les sommes suivantes :

. 17 207,85 € à titre de rappels de primes de déplacement,

. 6 552,12 € à titre de rappels de primes de 13ème mois, outre 655,21 € au titre des congés payés afférents, et subsidiairement, 5 365,50 € outre 536,55 € au titre des congés payés afférents,

. 8 171,09 € à titre de rappels de salaire, maintien de salaire,

. 14 193,09 € à titre de rappels de salaire du 15/07/2014 au 04/02/2015,

. 5 000 € à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive au paiement du salaire,

. 158 € au titre du remboursement de frais de déplacement au comité d'entreprise,

. 39 312,72 € à titre de dommages et intérêts pour harcèlement (18 mois),

. 13 104,24 € à titre de dommages et intérêts pour discrimination (6 mois),

. 2 984,86 € à titre d'indemnité de licenciement,

. 4 368,08 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis (2 mois),

. 436,80 € au titre des congés payés sur préavis,

. 52 416,96 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement irrégulier et sans cause réelle et sérieuse (24 mois),

- ordonner la remise des documents de fin de contrat et de fiches de paie rectifiées,

- "ordonner l'exécution provisoire du jugement à venir nonobstant appel",

- dire et juger que les sommes porteront intérêt au taux légal à compter de la saisine du conseil,

- condamner la SAS GEODIS BM PRESSE à lui verser la somme de 3 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

La SAS GEODIS BM PRESSE, reprenant oralement à l'audience ses conclusions visées par le greffier, demande à la cour de :

- confirmer, en toutes ses dispositions, le jugement du conseil de prud'hommes de Meaux en date du 9 septembre 2014,

- dire et juger que M. [P] n'a pas été victime ni de harcèlement moral, ni de discrimination salarial, ni de discrimination syndicale,

- constater que le contrat de travail de M. [P] a été exécuté avec la plus parfaite loyauté,

- dire et juger qu'il n'y a pas lieu de prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail de M. [P],

- dire et juger que le licenciement de M. [P] repose sur une faute grave,

- débouter M. [P] de l'ensemble de ses demandes,

- condamner M. [P] au paiement d'une indemnité de 3 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.

En application de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties pour un plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur les conditions de travail du salarié

Les parties s'opposent sur les conditions d'exercice par M. [P] de ses fonctions, le salarié soutenant qu'il a été engagé en qualité de conducteur zone longue, affecté initialement au trafic de la région Rhône-Alpes, dans laquelle il a déménagé par commodité, que cependant depuis 2011 il n'effectuait quasiment plus de déplacements dans cette zone mais en région parisienne, ce qui le contraignait à y rester toute la semaine, sa prise de service s'effectuant à [Localité 4] (77), alors que l'employeur affirme que le contrat de travail de M. [P] ne fait pas mention d'un emploi de conducteur PL zone longue, que ne possédant aucun établissement en région Rhône-Alpes, la société intimée ne peut nullement garantir à ses collaborateurs une prise de service dans cette région, que les parties avaient expressément convenu que le lieu de prise de service de M. [P] était fixé à [Localité 4], qu'il a toujours pris son service prioritairement en région parisienne, qu'il a fait le choix de déménager en région Rhône-Alpes pour des raisons personnelles.

*

Selon les mentions figurant sur son contrat de travail, M. [P] a été engagé en qualité de «conducteur PL», sans mention de la zone sur laquelle il était amené à exercer ses fonctions, et selon l'article 5 de son contrat, il était rattaché à l'établissement de [Localité 4] (77), son lieu de prise de service étant fixé à [Localité 4] avec la précision que la fixation de ce lieu n'était ni définitive ni exclusive. Suivant avenant à son contrat de travail du 1er juillet 2008, le salarié a été classé dans le groupe 7 au coefficient 150 de la convention collective applicable. Contrairement à ce qu'il prétend ce coefficient ne correspond pas aux seuls conducteurs longue distance puisqu'il résulte de l'extrait de la classification conventionnelle qu'il verse aux débats que d'autres conducteurs que ceux évoluant sur une longue distance sont également susceptibles d'être classés au coefficient 150.

S'il ressort des plannings pour l'année 2009 et des états de frais de déplacement pour les années 2008 à 2012, produits par M. [P], faisant apparaître des indemnités de grand déplacement, ainsi que des relevés d'activité de septembre 2010, février et mars 2012 versés aux débats par la SAS GEODIS BM PRESSE, que le salarié exerçait régulièrement ses fonctions de conducteur en zone longue, comme l'a reconnu l'employeur lui-même, notamment dans l'une de ses lettres adressées au conseil de M. [P] le 5 juin 2012 répondant aux doléances de ce dernier (« ... C'est dans ces conditions que l'ensemble des conducteurs longue distance, y compris Monsieur [P], ...»), pour autant, considérant les stipulations portées sur le contrat de travail de M. [P], qui a été engagé comme chauffeur poids lourds sans précision de sa zone d'intervention et avec un lieu de prise de service expressément fixé à [Localité 4] dans la région parisienne, celui-ci ne pouvait prétendre à exercer exclusivement ses fonctions en zone longue et par préférence dans la région Rhône-Alpes où il a choisi de résider à compter de 2009, étant relevé au demeurant que la SAS GEODIS BM PRESSE n'a pas d'établissement dans cette région.

Sur la demande de rappel d'indemnités de grand déplacement

M. [P] soutient que jusqu'en 2013 l'employeur appliquait aux conducteurs zone longue vivant en province un régime plus favorable que les dispositions de la convention collective en leur faisant bénéficier chaque jour d'une indemnité de « découcher », qu'or ce régime ne lui a jamais été appliqué puisque la société GÉODIS BM PRESSE lui refusait systématiquement cette prime de 52,22 € par jour pour ses déplacements en région parisienne au motif que sa prise de service se situait à [Localité 4] et qu'il ne s'agissait donc pas d'un grand déplacement. Se fondant sur cet usage, dénoncé par l'employeur le 7 mai 2013, consistant à accorder au conducteur zone longue la prime de grand déplacement, M. [P] réclame un rappel d'indemnités de 17 207,85 € sur la période concernée.

La SAS GEODIS BM PRESSE fait valoir que conformément aux dispositions conventionnelles du protocole du 30 avril 1974, fixant les conditions de remboursement des frais de déplacement des ouvriers des entreprises de transport routier, dont elle fait application, seuls les frais de déplacement impliqués par le service doivent être pris en charge par l'employeur, qu'ainsi, dès lors que le lieu de prise de service de M. [P] était fixé à [Localité 4], soit le camion pris à [Localité 4] en début de service est ramené à [Localité 4] en fin de service et aucune indemnité de « découcher » n'est due, soit le camion pris à [Localité 4] en début de service ne peut, en raison du parcours de la tournée, être ramené à [Localité 4] en fin de service et le salarié est alors considéré en « découcher », que M. [P] n'établit pas l'existence de l'usage qu'il invoque consistant à verser des indemnités de grands déplacements aux conducteurs résidant en province lorsqu'ils évoluent dans la zone de camionnage autour de [Localité 6], que l'usage des « frais bloqués » auquel il se réfère, dénoncé en mai 2013, a été institué au seul profit des conducteurs qui, du fait de leur affectation à des trafics particulièrement exigeants, bénéficiaient historiquement de « frais complets » (ou « forfait bloqué »), ce quelle que soit leur activité réelle (et non leur lieu de résidence), qu'or le salarié n'a jamais figuré au rang des collaborateurs concernés par cet usage ayant toujours été indemnisé de ses seuls frais conventionnels.

*

Le protocole du 30 avril 1974, conclu en application de l'article 10 de la convention collective nationale des transports routiers et activités auxiliaires du transport, fixe les conditions de remboursement des frais de déplacement des ouvriers.

L'article 3, relatif aux « Transports routiers de marchandises et activités auxiliaires du transport. Cas général des déplacements comportant un ou plusieurs repas hors du lieu de travail » prévoit :

« Le personnel ouvrier qui se trouve, en raison d'un déplacement impliqué par le service, obligé de prendre un ou plusieurs repas hors de son lieu de travail, perçoit pour chacun des repas une indemnité de repas dont le taux est fixé par le tableau joint au présent protocole.

Est réputé obligé de prendre son repas hors du lieu de travail le personnel qui effectue un service dont l'amplitude couvre entièrement les périodes comprises soit entre 11 h 45 et 14 h 15, soit entre 18 h 45 et 21 h 15 ».

L'article 4, relatif aux « Transports routiers de marchandises et activités auxiliaires du transport. Cas particulier des déplacements dans la zone de camionnage autour de [Localité 6] » dispose :

« Sous réserve des avantages acquis, le personnel ouvrier appelé à faire des déplacements, au sens de l'article 3 ci-dessus, dans la zone de camionnage autour de [Localité 6], perçoit une indemnité de repas unique dont le taux est fixé par le tableau joint au présent protocole ».

L'article 5, relatif aux « Transports routiers de marchandises et activités auxiliaires du transport. Prise de service matinal » précise :

« Le personnel ouvrier qui se trouve, en raison d'un déplacement impliqué par le service, obligé de prendre ce service avant 5 heures, perçoit une indemnité de casse-croûte dont le taux est fixé par le tableau joint au présent protocole. Cette indemnité ne peut se cumuler ni avec l'indemnité de repos journalier (art 6) ni avec l'indemnité prévue pour service de nuit (art 12) ».

Enfin l'article 6, relatif aux « Transports routiers de marchandises et activités auxiliaires du transport. Grands déplacements », dispose :

« Le personnel qui se trouve, en raison d'un déplacement impliqué par le service, dans l'impossibilité de regagner son domicile pour y prendre son repos journalier, perçoit une indemnité de grand déplacement.

Cette indemnité de grand déplacement (taux fixé par le tableau joint au présent protocole) est allouée au personnel concerné à l'occasion de chaque déplacement effectué dans les conditions visées ci-dessus, conformément aux principes suivants :

- une indemnité de repas et une indemnité de découcher en cas de grand déplacement comportant un repas (pris conformément aux dispositions de l'article 3 du présent protocole) et un repos journalier hors du domicile ;

- une indemnité égale à 2 fois le montant de l'indemnité de repas et une indemnité de découcher en cas de grand déplacement comportant deux repas (pris conformément aux dispositions de l'article 3 du présent protocole) et un repos journalier hors du domicile ».

Le salarié, qui a régulièrement exercé ses fonctions en zone longue comme il a été relevé supra, se prévaut d'un usage en vigueur dans l'entreprise, dénoncé en mai 2013, plus favorable que les dispositions de la convention collective, en application duquel tous les conducteurs vivant en province percevaient des indemnités de grands déplacements, qu'ils effectuent ou non des trajets hors de la région parisienne.

L'usage doit répondre aux conditions cumulatives de généralité, de fixité et de constance. Il appartient au salarié qui se prévaut de l'existence d'un usage au sein de l'entreprise d'en rapporter la preuve. M. [P] verse aux débats le témoignage de M. [S] [A], ancien salarié de l'entreprise à la retraite, attestant : « avoir connu M. [P] [C] comme collègue en zone longue. Nous bénéficions du forfait bloqué », ainsi qu'une lettre émanant de la direction générale de la société GÉODIS BM PRESSE, du 7 mai 2013, informant les salariés de la « dénonciation, à compter du 1er août 2013, de l'usage ayant consisté à accorder aux conducteurs le versement de frais de déplacements hors conditions horaires prévues par la convention collective ».

L'existence d'un usage relatif au versement de frais de déplacement, dérogatoire aux dispositions conventionnelles, résulte donc de la dénonciation même de cet usage par l'employeur. La société GEODIS BM PRESSE affirme que l'usage dénoncé « a été institué au seul profit des conducteurs qui, du fait de leur affectation à des trafics particulièrement exigeants, bénéficiaient historiquement de « frais complets » (ou « forfait bloqué »), ce quelle que soit leur activité réelle (et non leur lieu de résidence) », ajoutant que « M. [P] n'a jamais figuré au rang des collaborateurs concernés par cet usage », lequel n'a « strictement rien à voir avec ses réclamations ».

Toutefois la société GEODIS BM PRESSE ne verse aux débats aucune pièce justifiant de ce que l'usage dénoncé ne concernait qu'une catégorie de conducteurs, bénéficiant d'un « forfait bloqué » quelque soit leur activité réelle, alors même que dans la lettre de dénonciation de cet usage du 7 mai 2013, l'employeur ne précise nullement le caractère restrictif de l'usage, puisqu'il est fait seulement référence au « versement » au profit des « conducteurs », « de frais de déplacements hors conditions horaires prévues par la convention collective », étant observé que lesdits horaires conditionnent, aux termes des dispositions du protocole du 30 avril 1974 rappelé ci-dessus, le déclenchement des indemnités, et qu'il ressort du témoignage de M. [A] que M. [P] a été également bénéficiaire du « forfait bloqué ».

Il en ressort que M. [P] est bien fondé à prétendre à un rappel d'indemnités de grand déplacement pour les périodes pour laquelle il a effectué des déplacements en zone longue.

M. [P] produit un décompte précisant sur la période d'avril 2009 à juin 2012 inclus, pour chaque mois, la somme dûe au titre des indemnités de grand déplacement - dont le montant journalier était fixé, en janvier 2008 à 50,10 €, en février 2010 à 52,22 €, en janvier 2011 à 53,75 € et en janvier 2012 à 53,75 € -, la somme qu'il a effectivement perçue et le reliquat qu'il réclame, dont le total s'élève à 17 207,85 €.

A titre subsidiaire la SAS GEODIS BM PRESSE conteste ce décompte en faisant valoir que M. [P] ne peut sérieusement soutenir avoir été contraint de « découcher » :

' à 24 reprises en septembre 2010, alors qu'il a, ce mois-là, effectué au moins 10 prises de service depuis la région lyonnaise où il était domicilié,

' à 21 reprises en mars 2012, alors qu'il a, ce mois-là, effectué l'ensemble de ses prises de service depuis la région lyonnaise.

Toutefois dès lors qu'en vertu de l'usage ayant cours dans l'entreprise jusqu'en juillet 2013 inclus, les indemnités de grand déplacement étaient versées sans tenir compte des horaires auxquels étaient astreints les conducteurs, il importe peu que M. [P] ait été ou non dans l'obligation de « découcher » pour prétendre au bénéfice de ces indemnités.

Dès lors , par infirmation du jugement déféré, il convient de faire droit à sa demande en paiement de la somme de 17 207,85 €.

Sur la demande de rappel de prime de 13ème mois

M. [P] a affirmé en premier lieu devant le conseil de prud'hommes, moyen qu'il reprend dans ses conclusions devant la cour, qu'une prime de 13ème mois était bien en vigueur au sein de la société, qu'elle était normalement versée tous les mois à raison de 150 €, qu'il en a bénéficié mais de façon aléatoire, tant s'agissant du montant que de la périodicité, ou encore de sa dénomination (« prime respect réglementation », « prime 1 », « prime 2 »), que le total de ces primes cumulé à l'année aboutit à un montant avoisinant le salaire de base jusqu'en 2011, ce dont il résulte qu'il s'agissait bien d'une prime de 13ème mois, que compte tenu de sa constance depuis l'embauche de M. [P], cette prime constitue un usage en vigueur dans la société GÉODIS BM PRESSE.

M. [P] soutient désormais et par ailleurs que les primes instaurées postérieurement à la prime de 13ème mois, dénoncée par l'employeur, qui sont soumises à variabilité en fonction de la présence du salarié dans l'entreprise, ne peuvent être regardées comme équivalente à un 13ème mois de sorte qu'en application du principe d'égalité de traitement il est bien fondé à solliciter l'intégralité des primes de 13ème mois sur les 3 années précédant son licenciement, de 2011 à 2014, soit 6552,12 € (2 184,04 × 3), outre 655,21 € au titre des congés payés afférents et subsidiairement, après déduction des différentes primes qu'il a perçues (104,52 € en 2012, 495,45 € en 2013 et 286,65 € en 2014), la somme de 5 365,50 € outre 536,55 € pour les congés payés afférents.

La SAS GEODIS BM PRESSE fait valoir que l'accord instituant une prime de 13ème mois a été dénoncé en septembre 2007, que la prime demeurait acquise aux salariés en ayant déjà perçu le règlement et pouvant à ce titre prétendre au maintien d'un avantage acquis, que M. [P] ayant été embauché après la dénonciation de cet accord, est mal fondé à prétendre au paiement de la prime en cause, et ce d'autant que l'employeur a instauré un dispositif destiné à compenser la disparité de traitement salarial subi par les salariés recrutés après la dénonciation du 13ème mois, en instituant par voie d'usage des primes « respect de réglementation,1 2», que M. [P], embauché le 23 juin 2008, a bénéficié de ces primes, que l'allocation de la prime « respect de la réglementation » est incompatible avec le 13ème mois perçu par les collaborateurs les plus anciens, que les primes « respect de la réglementation, P1 et P2 » ont toujours été « impactées » par les absences du salarié, qu'il n'y a pas d'atteinte au principe de l'égalité de traitement, les primes susceptibles d'être versées à M. [P] (à hauteur de 150 € par mois) étant équivalentes au quantum d'un 13ème mois, « impacté » par les périodes d'absence non assimilées à du temps de travail effectif.

*

Il ressort des pièces produites par la SAS GEODIS BM PRESSE que l'accord d'entreprise instituant une prime de 13ème mois a été dénoncé le 21 septembre 2007 avec effet au 21 décembre suivant, soit antérieurement à l'embauche de M. [P], qui ne peut donc se fonder sur cet accord pour solliciter paiement d'un rappel de prime de 13ème mois.

M. [P] invoque en second lieu le principe d'égalité de traitement ou "à travail égal, salaire égal".

La SAS GEODIS BM PRESSE soutient que les primes « respect de la réglementation, P1 et P2 » ont été instituées après la dénonciation de l'accord d'entreprise sur la prime de 13ème mois pour compenser la disparité de traitement subie par les salariés engagés postérieurement à la dénonciation de cet accord, cette prime de 13ème mois restant en effet acquise aux salariés présents dans l'entreprise à la date de la dénonciation au titre d'un avantage acquis.

Toutefois il résulte des écritures des parties que les nouvelles primes « respect de la réglementation, P1 et P2 », certes d'un montant équivalent à la prime de 13ème mois, sont à la différence de celle-ci soumises à des variations en fonction de la présence du salarié dans l'entreprise, le montant de ces primes étant en effet réduit à concurrence des périodes d'absence qui ne sont pas assimilées à du temps de travail effectif. Il en résulte une différence de rémunération entre des salariés placés dans une situation identique et effectuant un même travail ou un travail de valeur égale. Or l'employeur n'appporte aucun élément objectif, pertinent et matériellement vérifiable justifiant cette différence.

Dès lors M. [P] est bien fondé à demander paiement d'un rappel de salaire représentant la différence entre les sommes qu'il a perçues en 2012, 2013 et 2014 au titre des « primes respect de la réglementation, primes P1 et P2 » et celles correspondant à une prime de 13ème mois pour ces mêmes années, non affectée par les absences, soit la somme tolale, non contestée en son quantum, de 5 365,50 € et de 536,55 € pour les congés payés afférents, au paiement desquelles la SAS GEODIS BM PRESSE sera condamnée par infirmation du jugement déféré.

Sur la demande d'annulation des mises à pied disciplinaires

1. Sur la mise à pied du 10 mars 2014

M. [P] a été sanctionné d'une mise à pied de 4 jours après s'être vu reprocher :

- le 22 janvier 2014, de ne pas avoir rempli correctement une lettre de voiture (CMR) contrairement aux instructions consistant à remplir systématiquement ce document pour faire apparaître les mentions obligatoires que sont le nom du conducteur, l'immatriculation du véhicule, le nombre de marchandises, leur nature, leur poids, le type de palette, la date et heure du chargement et du déchargement, le nom et l'adresse de livraison ;

- le 31 janvier 2014, d'avoir emprunté un itinéraire inapproprié ayant généré un temps de conduite et une consommation de carburant injustifiés et des frais de péage supplémentaires ;

- le 6 février 2014, de s'être présenté au chargement avec un retard de 3h30 pour effectuer des achats personnels ;

- le 10 février 2014, de s'être présenté 3h30 plus tôt sur les lieux d'une livraison, générant ainsi des frais indus (heures de travail, prime de dimanche et frais de déplacement).

S'agissant des faits des 22 et 31 janvier, M. [P] soutient que cette sanction démontre que l'employeur traquait ses moindres faits et gestes et s'inscrit dans une stratégie d'éviction. Il conteste les faits des 6 et 10 février sans toutefois produire aucune pièce à l'appui de cette contestation.

La cour constate que les faits reprochés à M. [P] sont établis par les pièces produites par la SAS GEODIS BM PRESSE et ainsi la lettre de voiture litigieuse non renseignée, le détail de l'itinéraire suivi par le salarié le 31 janvier mettant en évidence l'allongement du parcours, les justificatifs du non-respect des horaires prévus s'agissant des faits des 6 et 10 février 2014.

La mise à pied est donc justifiée.

2. Sur la mise à pied du 28 mai 2014

M. [P] a été à nouveau sanctionné pour les faits suivants :

- s'être présenté le 10 mars 2014 chez le client avec 2h16 de retard,

- le même jour s'être présenté chez un client pour une livraison avec un retard de 5h22 après avoir emprunté un itinéraire inadapté (détour de 60 km générant des temps de conduite, une consommation de gasoil et des frais de péage injustifiés),

- le même jour avoir effectué une mauvaise manipulation du chronotachygraphe ("vous vous êtes placé en postition "travail" alors que vous auriez du vous mettre en position "coupure" ce qui a généré indûment un total de 2h37 de temps de service injustifié").

M. [P] soutient que l'employeur ne pouvait prononcer une sanction pour des faits le 10 mars 2014 alors qu'il avait déjà prononcé une première sanction à cette même date, qu'il a ainsi épuisé son pouvoir discplinaire. Sur le fond il conteste les faits et soutient qu'il ne sont pas de nature à justifier des mises à pied compte tenu du contexte, l'employeur étant responsable de la situation.

En premier lieu il résulte de la chronologie des deux sanctions que l'employeur n'avait pas connaissance des faits du 10 mars 2014 lorsqu'il a prononcé la première sanction faisant suite à un entretien préalable du 14 février précédent. Il n'avait donc pas épuisé son pouvoir disciplinaire.

En second lieu les faits reprochés au salarié, commis le 14 mars 2014, sont établis par les pièces versées aux débats et ainsi, le détail de l'itinéraire suivi par M. [P] et la copie du disque de conduite.

M. [P] sera en conséquence débouté de sa demande nouvelle d'annulation des mises à pied disciplinaires des 10 mars et 28 mai 2014.

Sur le harcèlement moral

En application de l'article L. 4121-1 du code du travail, l'employeur tenu d'une obligation de sécurité de résultat en matière de protection de la santé et de sécurité des travailleurs dans l'entreprise, doit en assurer l'effectivité.

En application de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

En vertu de l'article L. 1154-1 du même code, lorsque survient un litige relatif au harcèlement moral le salarié établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement et au vu de ces éléments il appartient à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

M. [P] soutient qu'à compter de janvier 2009, à l'arrivée de M. [D], directeur général, il a été victime des pressions et agissements de ce dernier se manifestant par un éloignement systématique de ses courses par rapport à son domicile, un traitement différent s'agissant des primes de déplacement, une tentative de licenciement pour faute grave non fondée, des mises en congé forcé, un comportement agressif, des reproches et tentatives de déstabilisation, le retrait de son camion ainsi que des sanctions à répétition ayant abouti à un licenciement pour faute grave, l'ensemble de ces agissements ayant conduit à une dégradation de son état de santé.

Comme il a été relevé supra M. [P] ne pouvait prétendre exercer ses fonctions exclusivement en zone longue et/ou avec des prises de service à proximité de son domicile. Le fait qu'il ait été affecté durant certaines périodes en région parisienne ne peut donc caractériser un élément laissant présumer l'existence d'un harcèlement moral.

Il a été retenu que M. [P] n'a pas bénéficié des indemnités de déplacement auxquelles il pouvait prétendre. La matérialité de cet élément est donc établi.

Le 29 novembre 2011, la SAS GEODIS BM PRESSE, reprochant à M. [P] d'avoir refusé d'effectuer sa mission le 25 novembre 2011 et d'avoir tenu des propos déplacés envers sa direction et ses collègues, a convoqué M. [P] à un entretien préalable à un licenciement pour faute grave. Par décision du 27 février 2012, l'autorité administrative a refusé d'autoriser le licenciement du salarié aux motifs suivants :

« ... Considérant que M. [P] reconnaît ne pas avoir fait la livraison prévue à 16h45 à [Localité 7] et être en lieu et place rentré au dépôt Geodis à [Localité 4],

Considérant que le salarié affirme que ce vendredi-là, apprenant dans l'après-midi qu'il ne rentrerait pas sur [Localité 5], son domicile, comme initialement prévu, il s'est senti perturbé et ne se sentant pas en capacité de conduire son véhicule en toute sérénité et donc sans risque pour les autres véhicules, a choisi de ramener son poids-lourd au dépôt,

Considérant que nonobstant les raisons invoquées par le salarié, il résulte de ce retour la non-exécution partielle de son travail ...,

Considérant le caractère tout à fait inhabituel de ce geste et l'absence d'antécédent disciplinaire, le fait reconnu et donc avéré de n'avoir pas exécuté une livraison, bien que fautif, ne revêt pas une gravité suffisante pour justifier une mesure de licenciement ...,

Considérant que s'agissant des propos déplacés ... la demande ne précise pas les propos incriminés ... que l'enquête n'a pas permis de connaître ... la teneur exacte des propos ... tenus ... que ce grief ne peut être retenu, ...

Considérant que la demande de licenciement n'est pas liée aux mandats de représentant du personnel détenus par l'intéressé ».

Il est donc établi que l'employeur a tenté de licencier le salarié pour une faute dont la gravité n'a pas été retenue par l'autorité administrative.

M. [P] soutient que l'employeur lui a imposé des congés, modifiait ses congés à la dernière minute ou encore refusait systématiquement les congés qu'il demandait. Les formulaires de demandes de congés produites aux débats, revêtus de la signature du salarié, ne permettent nullement d'établir que l'employeur a imposé des congés à M. [P] ou a fractionné les congés sans son accord. La modification alléguée de "dernière minute" n'est pas davantage établie. De même il ressort des pièces produites que l'employeur a refusé à une seule reprise les congés anticipés demandés par M. [P] pour la période du 23 au 29 mai 2012. Le caractère systématique allégué du refus n'est donc pas établi.

Le comportement agressif prêté à M. [D], directeur général de la SAS GEODIS BM PRESSE, ne peut être démontré par les seuls courriers de M. [P] en l'absence de toute autre pièce.

Il résulte des échanges de lettres versées aux débats que l'employeur a reproché au salarié de travailler pour une entreprise concurrente pendant ses congés payés alors qu'il était lié par une clause d'exclusivité, que les effets personnels de M. [P], laissés par lui dans le camion qu'il conduisait ont été retirés sans qu'il ne soit prévenu, que l'employeur a fait diligenter une contre-visite médicale en juillet 2012 alors que le salarié était en arrêt de travail pour maladie.

Ces derniers éléments, ainsi que l'absence de versement des indemnités de déplacement, la tentative de licencier M. [P] pour faute grave en 2011, les mises à pied disciplinaires dont il a fait l'objet en 2014 puis la procédure de licenciement initiée la même année et la dégradation de son état de santé, attestée par les certificats médicaux versés aux débats mettant en évidence un syndrome dépressif, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral.

L'employeur justifie qu'au moins l'un des faits reprochés au salarié lors de la première procédure de licenciement, a été reconnu comme établi par l'autorité administrative, qu'il était fondé à rappeler au salarié ses obligations contractuelles relatives à la clause d'exclusivité, que le camion dans lequel M. [P] avait laissé ses effets personnels ne lui était pas exclusivement attribué, et que le fait d'avoir à une seule reprise fait diligenter une contre visite médicale, ne caractérise pas un abus de son pouvoir de direction.

Par ailleurs dès lors que M. [P] ne pouvait revendiquer l'exercice exclusif de ses fonctions en zone longue avec des prises de service à proximité de son domicile, l'employeur justifie les affectations qu'il a données au salarié en juillet 2014 en région parisienne, puis que la procédure de licenciement qu'il a initiée suite au refus du salarié de se présenter à son poste de travail, étaient étrangères à tout harcèlement moral, comme le sont les mises à pied disciplinaires dont la demande d'annulation a été rejetée. Enfin le fait pour l'employeur de n'avoir pas appliqué, même à tort, un usage dans l'entreprise, en ne versant pas régulièrement les indemnités de déplacement dues au salarié, n'est pas constitutif d'un acte de harcèlement qui suppose des agissements répétés. L'employeur justifie donc par des éléments objectifs que les agissements qui lui sont reprochés sont étrangers à tout harcèlement moral qui n'est donc pas établi.

Enfin il résulte de ce qui précède qu'il ne peut être reproché à l'employeur de ne pas avoir fait diligenter d'enquête sur le prétendu harcèlement moral. La violation par l'employeur de son obligation de sécurité de résultat n'est donc pas établie.

Il convient dès lors de confirmer le jugement qui a rejeté la demande indemnitaire fondée à ce titre.

Sur la discrimination syndicale

En application de l'article L. 1132-1 du code du travail, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie par l'article 1er de la loi n°'2008-496 du 27 mai 2008, notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L. 3221-3, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison notamment de ses activités syndicales.

En vertu de l'article L. 1134-1, lorsque survient un litige en raison d'une méconnaissance des dispositions qui précèdent, le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte au vu desquels il incombe à l'employeur de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination et le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

M. [P] soutient qu'alors qu'il était délégué syndical, membre de la délégation unique du personnel et du CHSCT, son coefficient conventionnel, qui était passé à 150 en juillet 2008, n'a plus évolué par la suite durant les 4 années qui ont suivi, qu'il a subi un traitement différent concernant le versement des primes de déplacement et les primes de 13ème mois, que l'employeur a organisé une réunion du comité d'entreprise (CE) le 27 septembre 2012 alors qu'il était en arrêt de travail pour maladie et ne lui a pas remboursé ses frais de déplacement, qu'il a multiplié les mises à pied disciplinaires, qu'à l'expiration de son mandat de représentant du personnel en juillet 2014, il a mis en oeuvre une procédure de licenciement.

Il est constant que le coefficient de M. [P] n'a pas varié postérieurement à 2008. Il a été retenu par ailleurs que le salarié était bien fondé à prétendre au paiement d'un rappel d'indemnités de déplacement et de primes de 13ème mois. Il n'est pas contesté que l'employeur a organisé une réunion de CE pendant un arrêt de travail du salarié qui indique qu'il n'a pas été remboursé de ses frais de déplacement. Enfin l'employeur a initié une procédure de licenciement après expiration du mandat de représentant du personnel du salarié. Ces seuls éléments de fait laissent supposer l'existence d'une discrimination syndicale.

L'employeur justifie que la grille de classification conventionnelle ne prévoit pas de coefficient supérieur au coefficient 150 pour les "ouvriers roulants", soit les chauffeurs poids-lourds. Il ne peut être reproché à l'employeur d'avoir organisé une réunion de CE pendant un arrêt de travail du salarié dès lors que celui-ci ne conteste pas avoir bien été convoqué à cette réunion, la suspension du contrat de travail n'ayant pas pour effet de suspendre le mandat, ni de ne pas avoir remboursé les frais du salarié pour se rendre à cette réunion, qui a eu lieu en effet à [Localité 4], lieu auquel était rattaché M. [P]. Par ailleurs la procédure de licenciement a été engagée en septembre 2014 à la suite des refus de M. [P], depuis l'été 2014, de se présenter à ses prises de service.

Cependant l'employeur, qui ne produit aucune pièce pertinente à cet égard, ne présente pas d'éléments objectifs justifiant que sa décision de ne pas payer à M. [P] les indemnités de grand déplacement et les primes de 13ème mois est étrangère à toute discrimination syndicale.

La discrimination alléguée est donc établie.

M. [P] réclame à ce titre une indemnisation de 13 104,24 €, représentant six mois de salaire, en faisant valoir qu'il a ressenti une grande injustice lorsqu'il a appris qu'il était le seul à ne pas bénéficier de la prime de grand déplacement dans les mêmes conditions que ses collègues habitant en province, qu'il n'a cessé de dénoncer cette injustice et que ses difficultés psychologiques ont eu pour effet de le réduire au silence dans l'exercice de ses mandats.

Considérant les nombreuses réclamations du salarié portées à la connaissance de l'employeur particulièrement sur la question du règlement des indemnités de déplacement, il est justifié d'allouer à M. [P] la somme de 5 000 € à titre de dommages-intérêts pour discrimination syndicale.

Sur la demande de rappel de salaire au titre du maintien du salaire

Dans le dispositif de ses conclusions M. [P] réitère sa demande de rappel de salaire au titre du maintien du salaire à hauteur de 8 171,09 € sans toutefois exposer aucun moyen devant la cour au soutien de ce chef de demande.

La cour estime que les premiers juges, par des motifs pertinents qu'elle adopte, ont fait une exacte appréciation des faits de la cause et des droits des parties en déboutant le salarié de cette demande après avoir retenu, au vu des dispositions de la convention collective applicable relatives au maintien de la rémunération du salarié absent pour maladie, que M. [P] avait été rempli de ses droits qui venait à expiration le 14 septembre 2012 inclus.

Sur les demandes nouvelles de rappel de salaire sur la période du 15 juillet 2014 au 4 février 2015 et de dommages-intérêts pour résistance abusive au paiement

M. [P] demande paiement de la somme de 14 193,09 € à titre de rappel de salaires sur la période du 15 juillet 2014 au 4 février 2015 en soutenant que l'employeur a procédé à des retenues sur son salaire en dehors de toute mise à pied régulièrement notifiée.

La SAS GEODIS BM PRESSE répond que M. [P], qui s'est placé en absence injustifiée à compter du 15 juillet 2014, ne peut solliciter paiement d'un rappel de salaire sur la période en cause. Elle ajoute qu'elle a tenté de dénouer le conflit en proposant de nombreuses affectations au salarié que celui-ci a refusées.

*

M. [P] admet implicitement avoir refusé les affectations qui lui ont été proposées à compter du 15 juillet 2014, puisqu'il explique qu'à compter de cette date l'employeur l'a affecté systématiquement sur un trajet zone courte de navettes entre [Localité 8] sur Marne et Limeil Brevanne en région parisienne, que le 16 juillet 2014 l'employeur l'a mis en demeure de reprendre son emploi sur des zones courtes tandis qu'il contestait ce qu'il considérait être une modification de ses conditions de travail étant un chauffeur de zone longue.

Il a été retenu supra que M. [P] ne pouvait prétendre exercer ses fonctions exclusivement en zone longue et avec une prise de service à proximité de son domicile à [Localité 5]. Il ne pouvait donc légitimement refuser les affectations qui lui étaient données au départ ou à priximité de [Localité 4], lieu de sa prise de service, et il est en conséquence mal fondé à solliciter le paiement d'un salaire pour la période du 15 juillet 2014 au 4 février 2015, alors même que durant cette période il ne s'est pas tenu à la disposition de son employeur puisqu'au contraire il a refusé d'exécuter toute prestation de travail. Il sera par voie de conséquence débouté de sa demande de dommages et intérêts pour résistance abusive au paiement du rappel de salaire sollicité.

Sur la demande de remboursement de frais de déplacement au CE

Il a été relevé supra que le salarié ne pouvait exiger le remboursement de ses frais de déplacement pour se rendre à une réunion du comité d'entreprise organisée le 27 septembre 2012 à [Localité 4], lieu de sa prise de service. Il sera en conséquence débouté de sa demande en paiement de la somme de 158 €.

Sur la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail

Lorsqu'un salarié demande la résiliation de son contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur, tout en continuant à travailler à son service, et que ce dernier le licencie ultérieurement pour d'autres faits survenus au cours de la poursuite du contrat, le juge doit d'abord rechercher si la demande de résiliation du contrat de travail était justifiée ; c'est seulement dans le cas contraire qu'il doit se prononcer sur le licenciement notifié par l'employeur ; la date de la rupture est fixée à la date d'envoi de la lettre de licenciement.

Seuls peuvent être de nature à justifier la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l'employeur des faits, manquements, ou agissements de ce dernier d'une gravité suffisante de nature à empêcher la poursuite du travail.

M. [P] invoque au soutien de sa demande de résiliation judiciaire du contrat de travail la discrimination tant "salariale" que syndicale dont il a été victime.

La discrimination syndicale et l'atteinte au principe d'égalité de traitement ont été jugées établies. Considérant le préjudice en étant résulté pour le salarié, privé des indemnités de déplacement et de la prime de 13ème mois, ou du moins de son équivalent, à laquelle il pouvait prétendre, la cour estime que les manquements de l'employeur étaient suffisamment graves pour empêcher la poursuite du contrat de travail. La rupture doit dès lors, conformément à la demande du salarié, produire les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, avec effet au 6 février 2015, date du licenciement.

Sur les conséquence indemnitaires de la rupture

La résiliation judiciaire du contrat de travail produisant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, le salarié peut prétendre au paiement des indemnités de rupture et à des dommages et intérêts.

Conformément aux dispositions des article 5 et 5 bis de l'annexe 1 ouvriers de la convention collective applicable, M. [P], dont la rémunération mensuelle brute moyenne s'élevait à 2 184,04 € au dernier état de la relation contractuelle, se verra allouer la somme de 4 368,08 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis outre 436,80 € pour les congés payés afférents, et celle de 2 984,86 € à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement, sommes non contestées en leur montant.

Considérant l'âge de M. [P], son ancienneté, sa capacité à retrouver un emploi eu égard à sa formation et à son expérience, les conséquences de la rupture à son égard, étant relevé qu'il était au chômage à la date des débats ainsi qu'il en justifie, il est justifié de lui allouer la somme de 20 000 € à titre de dommages et intérêts en application de l'article L. 1235-3 du code du travail.

Il sera ordonné à la société GEODIS BM PRESSE de délivrer à M. [P] un certificat de travail, des bulletins de paie et une attestation Pôle emploi conformes au présent arrêt.

Sur les frais irrépétibles et les dépens

La société GEODIS BM PRESSE supportera les dépens de première instance et d'appel et versera en équité à M. [P] la somme de 3 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

CONFIRME partiellement le jugement déféré en ce qu'il a rejeté les demande en paiement de M. [C] [P] à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral, pour violation par l'employeur de l'obligation de sécurité de résultat et à titre de maintien de salaire ;

INFIRME le jugement déféré pour le surplus et statuant à nouveau,

PRONONCE la résiliation judiciaire du contrat de travail de M. [C] [P] avec effet au 6 février 2015 ;

CONDAMNE la SAS GEODIS BM PRESSE à payer à M. [C] [P] les sommes de :

- 17 207,85 € à titre de rappel d'indemnités de déplacement,

- 5 365,50 € à titre de rappel de prime de 13ème mois outre 536,55 € pour les congés payés afférents,

- 4 368,08 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis outre 436,80 € pour les congés payés afférents,

- 2 984,86 € à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement,

ces sommes avec intérêts au taux légal à compter de la notification à la SAS GEODIS BM PRESSE de la convocation devant le bureau de conciliation,

- 20 000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 5 000 € à titre de dommages et intérêts pour discrimination syndicale,

ces sommes avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt ;

ORDONNE à la SAS GEODIS BM PRESSE de remettre à M. [C] [P] des bulletins de salaire, un certificat de travail et une attestation Pôle emploi conformes au présent arrêt ;

CONDAMNE la SAS GEODIS BM PRESSE à payer à M. [C] [P] la somme de 3 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

DÉBOUTE le salarié du surplus de ses demandes ;

CONDAMNE la SAS GEODIS BM PRESSE aux dépens.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 9
Numéro d'arrêt : 14/11144
Date de la décision : 10/03/2016

Références :

Cour d'appel de Paris K9, arrêt n°14/11144 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2016-03-10;14.11144 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award