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02/03/2016 | FRANCE | N°13/06537

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 6, 02 mars 2016, 13/06537


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 6



ARRÊT DU 02 Mars 2016

(n° , pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : S 13/06537 EMJ



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 18 Juin 2013 par le Conseil de prud'hommes - Formation de départage d'AUXERRE RG n° 12/00030





APPELANT

Monsieur [N] [V]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

représenté par M. Daniel BECHARD (Délégué synd

ical ouvrier)







INTIMEE

SAS GT CENTRE OUEST

[Adresse 2]

[Adresse 2]

représentée par Me Laurence MUNIER, avocat au barreau de BORDEAUX substituée par Me Agathe DEGROMARD, avocat au ...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 6

ARRÊT DU 02 Mars 2016

(n° , pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S 13/06537 EMJ

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 18 Juin 2013 par le Conseil de prud'hommes - Formation de départage d'AUXERRE RG n° 12/00030

APPELANT

Monsieur [N] [V]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

représenté par M. Daniel BECHARD (Délégué syndical ouvrier)

INTIMEE

SAS GT CENTRE OUEST

[Adresse 2]

[Adresse 2]

représentée par Me Laurence MUNIER, avocat au barreau de BORDEAUX substituée par Me Agathe DEGROMARD, avocat au barreau de BORDEAUX

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 20 Janvier 2016, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Elisabeth MEHL-JUNGBLUTH, Conseillère, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Monsieur Benoît DE CHARRY, Président

Madame Catherine BRUNET, Conseillère

Madame Elisabeth MEHL-JUNGBLUTH, Conseillère

Greffier : Mme Eva TACNET, greffière stagiaire en pré-affectation, lors des débats

ARRET :

- contradictoire

- mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.

- signé par Monsieur Benoît DE CHARRY, président et par Madame Eva TACNET, greffière stagiaire en pré-affectation à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

RAPPEL DES FAITS, PROCEDURE ET MOYENS DES PARTIES

Monsieur [N] [V] a été engagé par la SAS GT CENTRE EST par contrat à durée déterminée du 30 mai 2005, qui s'est continué en contrat à durée indéterminée à compter du 1er octobre 2005, en qualité de conducteur produits spécialisés, groupe six ' coefficient 138 M de la classification de la convention collective.

Son contrat a été transféré à la société GT CENTRE OUEST en application des dispositions de l'article L 1224 ' 1 du code du travail.

Monsieur [N] [V] a été en arrêt de travail du 27 septembre 2010 au 22 octobre 2011.

À l'issue des deux visites médicales du 24 octobre 2011 et 17 novembre 2011, son aptitude au poste de chauffeur poids-lourds sans manutention, ni bâchage, ni utilisation d'échelle, a été constatée par la médecine du travail.

Le 12 décembre 2011 le médecin du travail écrivait un courrier à l'employeur par lequel il déclarait Monsieur [N] [V] inapte au poste de chauffeur super poids-lourds.

Le 18 janvier 2012 Monsieur [N] [V] a été licencié pour inaptitude au poste de chauffeur super lourd.

Contestant notamment le bien-fondé de son licenciement sur le fondement d'une inaptitude qui n'a pas été constatée dans le cadre réglementaire des deux visites médicales et reprochant à l'employeur une violation de son obligation de reclassement, Monsieur [N] [V] a saisi le conseil de prud'hommes d'Auxerre qui, par jugement rendu en départage en date du 18 juin 2013 auquel la Cour se réfère pour l'exposé de la procédure antérieure et des prétentions initiales des parties, l'a débouté de l'ensemble de ses demandes.

Monsieur [N] [V] a régulièrement relevé appel de ce jugement.

.

L'affaire a été plaidée à l'audience du 20 janvier 2015. Les parties ont soutenu oralement leurs conclusions visées ce jour par le greffier.

Monsieur [N] [V] demande à la cour de condamner la SAS GT CENTRE OUEST à lui payer les sommes suivantes :

* 43 000 euros à titre de dommages intérêts pour rupture abusive du contrat de travail

* 3 620 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis

* 362 euros à titre de congés payés sur préavis

* 10  000 euros à titre de dommages intérêts résultant du préjudice constitué par le non-respect par l'employeur de l'obligation d'assurer son adaptation à son poste de travail

* 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

En réponse, la SAS GT CENTRE OUEST demande à la cour de dire que le licenciement de Monsieur [N] [V] est fondé et en conséquence de le débouter de toutes ses demandes et de le condamner à lui verser la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Monsieur [N] [V] percevait en dernier lieu une rémunération mensuelle de 1810 euros.

La SAS GT CENTRE OUEST occupait à titre habituel au moins onze salariés lors de la rupture des relations contractuelles.

Il est référé pour de plus amples exposés des prétentions et demandes des parties aux conclusions des parties déposées et visées ce jour.

MOTIFS

Vu le jugement du conseil de prud'hommes, les pièces régulièrement communiquées et les conclusions des parties, soutenues oralement à l'audience.

Sur l'inaptitude du salarié

Le médecin du travail en la personne du docteur [W] a rédigé 2 avis d'aptitude concernant Monsieur [N] [V] soit :

- le 24 octobre 2011 « apte à poste de chauffeur poids-lourds sans manutention, ni bâchage, ni utilisation d'échelle. À revoir dans 15 jours ».

- le 7 novembre 2011, « deuxième visite : apte à un poste de chauffeur poids-lourds sans manutention bâchage ni utilisation d'échelle ».

Après une étude de poste réalisée le 24 novembre 2011, ce médecin du travail a par courrier du 12 décembre 2011, déclaré Monsieur [N] [V] « inapte au poste de chauffeur super lourd, transport d'aliments bétail. État de santé contradictoire à la manutention de charges supérieures à 10 kg, les activités de bâchage et débâchage, la marche en terrain accidenté et l'utilisation d'échelle ».

Sur le fondement de cet avis d'inaptitude, la société considérant que ses recherches de reclassement avaient été infructueuses , a licencié Monsieur [N] [V] le 18 janvier 2012.

Monsieur [N] [V] estime que seuls valent les deux avis d'aptitude des 24 octobre et 7 novembre 2011 et que l'employeur ne pouvait se prévaloir d'un simple courrier du 12 décembre 2011, contraire aux avis d'aptitude émis dans le cadre d'une procédure réglementée pour le licencier, courrier qui ne lui a pas même été notifié, le privant ainsi de surcroît de toute possibilité de recours.

Il soutient par ailleurs que la société n'a pas rempli son obligation de reclassement notamment en l'étendant à l'intégralité des sociétés du groupe ou en s'interrogeant sur un possible aménagement de poste.

La SAS GT CENTRE OUEST répond que la constatation de l'inaptitude physique peut se faire après tout examen médical que le médecin pratique, dès lors que comme en l'espèce, le principe de deux examens espacés d'au moins 14 jours posés par les dispositions de l'article R4624 ' 31 du code du travail, ont été respectées.

Elle rajoute qu'à l'issue de ces deux examens, le médecin du travail a effectué une étude de poste au sein de l'entreprise et que la vision globale du poste occupé par le salarié qu'il a ainsi eue l'a, au regard des capacités physiques relevées au cours des deux visites médicales, amené à constater que les réserves qu'il avait émises, vidaient de sa substance le poste de chauffeur poids lourd occupé par le salarié qui ne pouvait se faire qu'avec des travaux de manutention de manière très importante et régulière et avec l'utilisation d'une échelle pour seulement monter dans son camion.

La SAS GT CENTRE OUEST observe enfin que contrairement aux allégations adverses, le principe du contradictoire n'a pas été bafoué puisque le salarié a été informé par courrier du 15 novembre 2011, soit 15 jours avant, qu'une étude de poste aurait lieu le 24 novembre 2011 et que l'avis d'inaptitude lui a été transmis le 12 décembre 2011; que le 22 décembre 2011 elle a demandé une nouvelle visite pour constater l'inaptitude du salarié mais que le médecin du travail lui a répondu que celle-ci n'était pas nécessaire dans la mesure où le salarié avait été déjà vu dans le cadre des deux visites réglementaires.

Sur le fondement de l'article R4624 ' 31 du code du travail, le médecin du travail ne peut constater l'inaptitude médicale du salarié à son poste de travail que s'il a réalisé :

' une étude de ce poste

' une étude des conditions de travail dans l'entreprise

' deux examens médicaux de l'intéressé espacés de deux semaines, accompagnés, le cas échéant, des examens complémentaires.

En application des articles R 4624 ' 34 et R4624 ' 47 du code du travail, à l'issue de chacun des examens médicaux le médecin du travail établit une fiche médicale d'aptitude en double exemplaire qui mentionne les délais et voies de recours et en remet un au salarié et l'autre à l'employeur par tout moyen leur conférant une date certaine, qui ouvre le délai de deux mois prévus par l'article R46 24 '5 du code du travail dans le cadre duquel s'inscrit la contestation offerte à l'une des parties devant l'inspecteur du travail dont relève l'établissement qui emploie le salarié.

Le formalisme ainsi prévu constitue une garantie de fond des droits du salarié de sorte qu'un avis rendu selon une procédure non conforme à celui-ci ne peut servir de cause un licenciement.

Si donc un médecin a conclu à l'aptitude d'un salarié après deux examens médicaux, il ne peut par simple courrier du 12 décembre 2011 envoyé au seul employeur, et sous prétexte que depuis une visite sur les lieux il est en possession de plus d'éléments sur la nature exacte du poste occupé par celui-ci, décidé que finalement ce salarié est inapte.

D'ailleurs la procédure de reprise a été vidée par les deux avis médicaux d'aptitude et il appartenait à l'employeur de faire valoir ses observations avant le deuxième avis d'aptitude ou le cas échéant de contester celui-ci devant l'inspecteur du travail.

Dans le cas contraire, l'avis d'inaptitude du médecin s'inscrit dans le cadre du suivi médical des salariés en cours d'exécution du contrat.

Mais quel que soit le cadre dans lequel le médecin du travail est amené à constater l'incapacité physique dans laquelle se trouve un salarié d'exécuter tout ou partie de son travail , la procédure reste la même si ce n'est la faculté pour le médecin de se limiter à un seul examen si le maintien au poste entraîne un danger immédiat pour la santé et la sécurité du salarié ou si celui-ci a bénéficié d'une visite dans les 30 jours précédents.

En conséquence l'employeur ne peut se prévaloir pour justifier du licenciement de Monsieur [N] [V] d'un courrier que lui a envoyé le 12 décembre 2011 le médecin du travail, sans copie au salarié et en contradiction avec les deux avis d'aptitude du salarié au poste.

Celui-ci est dès lors sans cause réelle et sérieuse.

Monsieur [N] [V] réclame réparation de son préjudice à hauteur de 43 000 euros et la société lui objecte qu'au-delà de six mois de salaire, il appartient au salarié de rapporter la preuve de son préjudice, point sur lequel le demandeur est totalement défaillant.

Selon l'article L.1226-15 alinéas 1 et 3 du code du travail, lorsqu'un licenciement est prononcé en méconnaissance des dispositions relatives à la réintégration du salarié déclaré apte prévues par l'article L.1226-8 du même code, le tribunal saisi peut proposer la réintégration du salarié dans l'entreprise, avec maintien de ses avantages acquis. En cas de refus de la réintégration par l'une ou l'autre des parties, le tribunal octroie au salarié une indemnité qui ne peut être inférieure à douze mois de salaire et qui se cumule avec l'indemnité compensatrice et, le cas échéant, l'indemnité spéciale de licenciement prévues à l'article L.1226-14 du même code.

Considérant que la réintégration n'a pas été acceptée par les parties et que le salarié ne développe pas le préjudice subi, considérant enfin son salaire moyen au cours des 12 derniers mois travaillés, la cour trouve les éléments pour condamner la SAS GT CENTRE OUEST à lui payer la somme de 21 500 euros.

L'article L.1226-14 du code du travail prévoit une indemnité compensatrice d'un montant égal à l'indemnité compensatrice de préavis prévue à l'article L.1234-5 du même code.

Considérant le salaire brut de 1 810 euros retenu, le licenciement de Monsieur [N] [V] justifie la condamnation de la société à lui verser l'indemnité compensatrice de préavis de 3 620 euros qu'il réclame augmentée des congés payés afférents de 362 euros.

Sur le manquement à l'obligation d'adaptation

Monsieur [N] [V] estime qu'il a passé plus de six ans au sein de la société sans jamais bénéficier de formation professionnelle et qu'il sera donc défavorisé par rapport aux autres salariés à la recherche d'un emploi.

Il réclame à ce titre la condamnation de la société à lui verser une somme de 10 000 euros.

La SAS GT CENTRE OUEST évoque une formation en juin 2006 « conduite duo », une formation en mars 2007 « éco conduite »et en mai 2009 une formation 'FCO' sans pour autant produire dans les pièces les justificatifs de celles-ci.

Néanmoins elle n'est débitrice que d'une obligation de s'assurer de l'adaptation de son salarié à l'évolution de son emploi et Monsieur [N] [V] ne démontre, ni même n'allègue qu'il manquait de formation pour être adapté à l'emploi qu'il occupait au sein de la société ou de l'absence de respect par l'employeur de dispositions d'un accord collectif ou d'un plan de formation particulier.

Aussi la cour ne relève aucun manquement particulier de l'employeur à son obligation justifiant sa condamnation à verser au salarié des dommages intérêts en réparation d'un préjudice hypothétique au regard de formations suivies par d'autres demandeurs d'emploi.

En conséquence Monsieur [N] [V] est débouté de ses prétentions à ce titre.

Sur les frais irrépétibles et les dépens

La SAS GT CENTRE OUEST sera condamnée en outre à lui payer la somme de 800 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et déboutée de ses prétentions à ce titre.
Succombant, SOCIETE sera condamnée au paiement des dépens.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Confirme le jugement du conseil de prud'hommes en ce qu'il déboute Monsieur [N] [V] de ses prétentions à réparation du préjudice résultant du manquement l'obligation d'adaptation,

Infirme le jugement pour le surplus,

Statuant à nouveau et ajoutant,

Dit que le licenciement de Monsieur [N] [V] est sans cause,

Condamne la SAS GT CENTRE OUEST à payer à Monsieur [N] [V] la somme de 21 500 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause augmentée des intérêts au taux légal à compter de la décision,

Condamne la SAS GT CENTRE OUEST à payer à Monsieur [N] [V] la somme de 800 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

Déboute les parties de leurs demandes plus amples et contraires,

Condamne la SAS GT CENTRE OUEST aux dépens de première instance et d'appel.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 6
Numéro d'arrêt : 13/06537
Date de la décision : 02/03/2016

Références :

Cour d'appel de Paris K6, arrêt n°13/06537 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2016-03-02;13.06537 ?
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