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01/03/2016 | FRANCE | N°15/06438

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 3, 01 mars 2016, 15/06438


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 3



ARRÊT DU 01 Mars 2016



(n° , 08 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : S 15/06438



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 22 Mai 2015 par le Conseil de prud'hommes - Formation de départage de PARIS RG n° F13/01165





APPELANT

Monsieur [N] [T]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

né le [Date naissance 1] 1987 à [Localité 1]

comparant en pers

onne,

assisté de Me Mathieu FATREZ, avocat au barreau de PARIS, toque : P0572





INTIMÉE

SARL BOUCHERIE TAINE

[Adresse 2]

[Adresse 2]

N° SIRET : 803 463 033 00016

représentée par...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 3

ARRÊT DU 01 Mars 2016

(n° , 08 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S 15/06438

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 22 Mai 2015 par le Conseil de prud'hommes - Formation de départage de PARIS RG n° F13/01165

APPELANT

Monsieur [N] [T]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

né le [Date naissance 1] 1987 à [Localité 1]

comparant en personne,

assisté de Me Mathieu FATREZ, avocat au barreau de PARIS, toque : P0572

INTIMÉE

SARL BOUCHERIE TAINE

[Adresse 2]

[Adresse 2]

N° SIRET : 803 463 033 00016

représentée par Me Anne ROMERO, avocat au barreau de PARIS, toque : D0704

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 18 Janvier 2016, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Monsieur Daniel FONTANAUD, Président de chambre, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Monsieur Daniel FONTANAUD, Président

Madame Isabelle VENDRYES, Conseillère

Madame Laurence SINQUIN, Conseillère

qui en ont délibéré

Greffier : Mademoiselle Marjolaine MAUBERT, lors des débats

ARRÊT :

- contradictoire.

- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile.

- signé par Monsieur Daniel FONTANAUD, Président et par Madame Marjolaine MAUBERT, Greffière en stage de pré-affectation à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE

Monsieur [N] [T], engagé par la société BOUCHERIE TAINE en qualité de boucher préparateur à temps plein à compter du 2 octobre 2010, puis à temps partiel à compter du 1er juin 2011, a pris acte de la rupture de son contrat de travail par lettre du 10 décembre 2012 énonçant le motif suivant :

'Je reviens sur les incidents qui ce sont produit le 5 décembre 2012, qui revêtent un caractère inacceptable

Je vous rappelle les faits :

Ayant subi une agression physique et verbale dans votre entreprise le mercredi 5 décembre 2012, après de multiples moqueries et abus de votre part, je me suis rendu au poste de police le plus proche pour déposer une plainte suivie d'un rendez-vous chez le médecin de l'unité médico judiciaire qui a conclu à une ITT de deux jours.

Aussi, je vous rappelle que votre employé Monsieur [C] [K] fait aussi partie du dépôt de plainte pour pression verbale avec menace.

Je vous informe en conséquence prendre acte de la rupture du contrat de travail à vos torts exclusifs à compter de ce jour.'

Par jugement du 22 mai 2015, le Conseil de prud'hommes de PARIS, statuant en formation de départage, a condamné la société BOUCHERIE TAINE à payer à Monsieur [T] la somme de 1 000 euros au titre du non-respect de l'article R 4624-10 du code du travail et débouté Monsieur [T] de ses autres demandes liées à la rupture de son contrat de travail et à titre d'heures supplémentaires et de travail dissimulé.

Monsieur [T] en a relevé appel.

Par conclusions visées au greffe le 18 janvier 2016 au soutien de ses observations orales auxquelles il est expressément fait référence en ce qui concerne ses moyens, Monsieur [T] demande à la cour d'infirmer le jugement, sauf en ce qu'il a condamné la SARL BOUCHERIE TAINE à lui verser la somme de 1 000 euros au titre de l'article R4624-10 du code du travail.

Il demande de fixer le salaire mensuel à 2 734,08 euros et de condamner la société BOUCHERIE TAINE à lui verser les sommes suivantes :

- Dommages et intérêts pour licenciement abusif : 24 606,72 euros ;

- Dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat : 5 000 euros ;

- Dommages et intérêts pour harcèlement et violence physique : 5 000 euros ;

- Indemnité légale de licenciement : 1 199,75 euros ;

- Indemnité compensatrice de préavis : 5 468,16 euros ;

- Indemnité compensatrice de congés payés sur préavis : 546,81 euros ;

- Rappel de salaires sur la période de juin 2011 à décembre 2012 : 24 225,26 euros ;

- Congés payés afférents : 2 422,52 euros ;

- Heures supplémentaires effectuées et non rémunérées : 84 373,44 euros ;

- Congés payés afférents : 8 437,34 euros ;

- Indemnité de travail dissimulé : 16 404,48 euros ;

- Dommages et intérêts en raison de la violation des durées maximales de travail et des temps de pause : 1 000 euros ;

- Dommages et intérêts pour violation de l'obligation d'organiser la visite médicale d'embauche : 1 000 euros ;

- Dommages et intérêts pour violation des dispositions relatives au droit individuel à la formation : 800 euros.

Il sollicite en outre que les intérêts au taux légal à compter de la date de saisine du Conseil de prud'hommes, la remise des documents sociaux rectifiés sous astreinte de 50 euros par jour et par document à compter de la décision à intervenir, et la condamnation de la société à lui verser 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par conclusions visées au greffe le 18 janvier 2016 au soutien de ses observations orales auxquelles il est expressément fait référence en ce qui concerne ses moyens, la société BOUCHERIE TAINE demande que la moyenne des trois derniers mois de salaire soit fixée à 1414,72 euros. Elle sollicite la confirmation du jugement à l'exception des dommages-intérêts alloués au titre de la visite médicale d'embauche et, y ajoutant, la condamnation de Monsieur [T] à lui régler 2829,44 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis non exécuté (2 mois). Elle demande que Monsieur [T] soit débouté de toutes ses demandes.

Elle demande enfin la condamnation de Monsieur [N] [T] à lui régler 3000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Pour plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs conclusions visées par le greffier et développées lors de l'audience des débats.

MOTIFS

Sur la modification unilatérale du contrat de travail

Principe de droit applicable

L'employeur, dans l'exercice de son pouvoir de direction, peut procéder à un changement des conditions de travail du salarié sans être tenu de recueillir son consentement ; en revanche, le contrat de travail ne peut faire l'objet d'une modification unilatérale par l'une des parties, laquelle doit intervenir d'un commun accord ; il en est ainsi dès lors que la modification affecte l'un des éléments essentiels du contrat que sont le lien de subordination juridique, les fonctions et la rémunération.

Application du droit à l'espèce

Le contrat de travail de Monsieur [T], daté du 2 octobre 2010, indique que la durée de travail prévue était de 169 heures par mois pour une rémunération brut de 2734,08 euros. Les bulletins de paie versés au dossier établissent que le salarié a travaillé dans ces conditions jusqu'à la fin du mois de mai 2011. Il font apparaître qu'à compter du mois de juin 2011, Monsieur [T] a perçu une rémunération de 1 414,25 euros correspondant à une durée de travail de 73,84 heures par mois.

Le salarié produit un décompte d'heures rendant vraisemblables ses allégations selon lesquelles il aurait continué à travailler à temps plein. Par ailleurs, une cliente Madame [S], atteste que le salarié la livrait régulièrement à la fermeture de la boutique soit après 20h30. Bien que peu circonstanciée, cette attestation permet d'étayer la demande de Monsieur [T].

L'employeur un avenant non signé par le salarié aux termes duquel les parties auraient 'd'un commun accord' convenu que le salarié travaillerait à temps partiel à compter du 1er juin 2011. Il produit des attestations de ses beaux-fils aux termes desquelles le salarié souhaitait travailler à temps partiel afin de pouvoir prendre un deuxième emploi plus rémunérateur.

Cependant, l'employeur ne produit aucun élément objectif permettant d'établir une volonté claire et non équivoque du salarié de travailler à temps partiel : pas de demande écrite du salarié, aucune attestation de clients indiquant qu'il ne travaillait que le matin, pas de feuille de temps.

Ainsi l'acceptation claire et non équivoque du salarié de voir modifier un élément substantiel de son contrat de travail n'est pas établie et aucun élément ne permet de considérer que le salarié n'aurait travaillé qu'à temps partiel.

Le jugement sera donc infirmé sur ce point et il y a lieu de fixer le salaire mensuel à 2 734,08 euros et non à la somme de 1414,25 euros qui correspondait au dernier salaire mensuel brut perçu par l'intéressé.

Il sera fait droit à la demande de rappel de salaires de Monsieur [T] pour la période du 1er juin 2011 au 4 décembre 2012. Il ne sera pas tenu compte de la période d'arrêt maladie fixée selon les pièces du 5 au 12 décembre 2012.

La société BOUCHERIE TAINE sera donc condamnée à verser à Monsieur [T] la somme de 23 928,52 euros (soit 2 734,08-1 414,25) sur 18 mois et 4 jours) à titre de rappel de salaires, ainsi qu'à 2 392,85 euros au titre des congés payés afférents.

Sur la violation de la législation en matière de temps de travail

Il ressort de l'ensemble des éléments produits tant par le salarié que par l'employeur que la boucherie est ouverte du lundi au samedi de 8h30 à 13h et de 15h30 à 20 heures, et le dimanche de 8h30 à 13h. Le salarié produit des tickets de caisse sans lien avec la période pendant laquelle il a travaillé au sein de la BOUCHERIE TAINE, de sorte qu'ils sont inopérants à établir qu'il aurait travaillé entre 13h et 15h30, heures de fermeture. Les attestations communiquées par l'intéressé, toutes datées du 11 mars 2013, ne sont pas suffisamment circonstanciées pour établir que Monsieur [N] [T] n'aurait bénéficié d'aucune pause les samedis et dimanches, ce pendant toute la durée de son contrat de travail.

Par ailleurs, les écritures du salarié, l'attestation de Monsieur [H] [C] et l'avenant produit par l'employeur rendent vraisemblables le fait que la journée de travail débute à 7 heures du matin, non à 6h. Monsieur [D], travaillant au sein de l'entreprise atteste que Monsieur [A] surveille que les salariés ne dépassent pas leurs horaires de travail.

Aucun élément versé au débat ne permet d'affirmer que le salarié aurait travaillé plus de 10 heures par jour sans pause. C'est donc à juste titre que le conseil des prud'hommes a débouté le salarié de sa demande. En conséquence, le jugement sera confirmé sur ce point.

Sur le non paiement des heures supplémentaires

Selon l'article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures effectuées, le salarié doit fournir des éléments de nature à étayer sa demande ; l'employeur doit produire des éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié et le juge forme sa conviction en examinant les éléments fournis par l'employeur et par le salarié en ordonnant au besoin toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. En produisant un décompte suffisamment précis des heures qu'il prétendait avoir réalisées, un salarié étaye suffisamment sa demande.

Le salarié produit un décompte de ses heures supplémentaires détaillé suffisant pour étayer sa demande. Cependant, les pièces produites ne suffisent pas à prouver le quantum de 3 639 heures sur 2 ans et 2 mois d'activité. En effet, il ressort des éléments versés au débat que les journées du salarié commençaient au plus tôt à 7h. Il n'est pas établi que le salarié aurait travaillé pendant les heures de fermeture ou pendant ses jours de repos, les attestations produites en ce sens n'étant pas suffisamment crédibles et circonstanciées.

De plus, le décompte produit par le salarié ne tient pas compte d'une semaine de congés payés pourtant non contestée (du 22 au 26 juillet 2011). Il ne prend pas non plus en compte les jours fériés sans pour autant produire d'éléments qui viendraient confirmer que l'entreprise était ouverte. Le décompte du salarié n'apparaît donc pas crédible.

L'analyse des éléments versés au débat permet cependant de retenir que le salarié a effectué un temps de travail qui peut être fixée à 46,5 heures par semaine sur la période concernée.

En conséquence, y a lieu de fixer le quantum d'heures supplémentaires majorées à 25% à 785 heures pour l'ensemble de la période d'exécution du contrat de travail, ce qui conduit à prononcer la condamnation de la société BOUCHERIE TAINE à verser au salarié la somme de 15'474,31 euros brut au titre d'heures supplémentaires ainsi que 1 547,43 euros au titre des congés payés afférents.

Sur la demande d'indemnité au titre du travail dissimulé

S'agissant d'une petite structure, et compte tenu du fait qu'il a été relevé que monsieur [T] effectuait un temps complet ainsi que des heures supplémentaires, alors qu'il était rémunéré officiellement sur un 'temps partiel', les circonstances de l'espèce établissent que l'employeur avait nécessairement connaissance du nombre d'heures qu'il faisait effectuer par le salarié, que la société n'a pas mentionné sur les bulletins de salaire, ni sur les déclarations relatives aux salaires et aux cotisations sociales lui incombant. Il s'en déduit que l'employeur s'est rendu coupable de travail dissimulé au sens des dispositions du code du travail. En conséquence, la société BOUCHERIE TAINE sera condamnée à payer au salarié une indemnité forfaitaire égale à six mois de son salaire de référence en application de l'article L.8223-1 du code du travail, soit la somme de 16 404,48 euros sollicitée par le salarié.

Sur le harcèlement moral

Il appartient au salarié qui se prétend victime de harcèlement moral d'établir la matérialité de faits précis et concordants faisant présumer l'existence de ce harcèlement ; celui-ci se définit, selon l'article L 1152-1 du code du travail, par des actes répétés qui ont pour objet ou pour effet, indépendamment de l'intention de leur auteur, une dégradation des conditions de travail du salarié, susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Lorsque les faits sont établis, l'employeur doit démontrer qu'ils s'expliquent par des éléments objectifs, étrangers à tout harcèlement.

En l'espèce, dans sa prise d'acte du 5 décembre 2012 , le salarié fait état d'injures à caractère discriminatoire, pour la première fois en ces termes : 'après de multiples moqueries et abus de votre part'. Le même jour dans la plainte, Monsieur [T] expose ' depuis mon embauche je subi des agressions verbales du beau-fils de mon patron'. Le salarié précise, 'aujourd'hui à 9h [C] insultait ma copine (...) Et m'insulté de 'fils de pute ferme ta gueule, grosse merde (...)'.

Néanmoins, les éléments versés au débat ne permettent pas de caractériser un harcèlement moral, les faits invoqués dans les attestations et le procès-verbal n'étant ni datés ni précis. Leur exposé est confus, l'intéressé désignant tantôt Monsieur [A], tantôt son beau-fils comme auteur de ces injures. Par ailleurs, le salarié ne présente pas d'élément caractérisant la répétition des injures, et pas d'avantage la dégradation de ses conditions de travail. Il ressort au contraire, des attestations de clients communiquées par l'employeur que l'ambiance était familiale et détendue. L'employeur communique à ce titre une photo de nature à établir que le salarié n'était ni isolé ni en état dépressif.

En outre, l'ordonnance et les arrêts maladie produits font suite à l'événement du 5 décembre 2012, qui ne constitue pas à lui seul des faits de harcèlement moral.

Le conseil a donc justement relevé que le salarié ne rapporte pas la preuve de faits répétés permettant de présumer l'existence d'un harcèlement. Le jugement sera confirmé sur ce point.

Sur la rupture du contrat de travail

Principe de droit applicable

La prise d'acte permet au salarié de rompre le contrat de travail en cas de manquements suffisamment graves de l'employeur, empêchant la poursuite du contrat de travail ; si les manquements sont établis, elle produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, d'une démission dans le cas contraire.

Application du droit à l'espèce

En l'espèce, le salarié reproche à son employeur plusieurs manquements : la modification unilatérale de son contrat de travail, le non paiement de ses salaires et ses heures supplémentaires, une agression physique et verbale, un harcèlement moral, le non respect de la législation relative aux temps de repos.

Monsieur [T] indique dans son courrier de prise d'acte avoir était victime, le 5 décembre 2012, d'une agression physique dont son employeur serait l'auteur. Il verse au débat une plainte déposée le même jour à 10h17, pendant son temps de travail, dans laquelle il expose 'mon patron m'a donné une gifle sur la joue gauche (...) M'a plaqué contre le mur a mis sa main autour de mon cou'. Le procès verbal mentionne 'vu exact trace rouge sur la jour gauche'. Le certificat médical rédigé par l'unité médico-judiciaire le jour de l'agression confirme la présence d'une marque rouge sur la joue gauche et l'existence d'un traumatisme psychologique lié à l'agression. Le médecin a d'ailleurs conclu à une interruption temporaire de travail de deux jours. Il n'a pas constaté de lésions qui auraient été causées par la tentative d'étranglement. Le salarié a vu par la suite le Docteur [X] qui l'a arrêté du 5 au 8 décembre 2012 puis du 10 au 12 décembre 2012. Ce dernier a également rédigé un courrier à l'attention d'un confrère afin qu'il prenne en charge Monsieur [T] pour des problèmes veineux au côté droit du visage et non du gauche comme le soutient l'employeur.

L'employeur confirme avoir été entendu dans le cadre de cette plainte et indique qu'aucune suite n'y a été donnée. Dans une main courante déposée le 12 décembre 2012, Madame [A], a indiqué qu'une 'dispute' a éclaté le 5 décembre 2012 entre son beau-fils, Monsieur [C] [C], et le salarié 'sans violence physique'. Au soutien de cette main courante, l'employeur produit de nombreuses attestations de clients qui témoignent n'avoir jamais assisté à quelque acte agressif que ce soit, et d'une ambiance détendue.

Suite à cette altercation, les deux salariés ont été sanctionnés par un avertissement.

L'avertissement adressé à Monsieur [C] le 5 décembre 2012 indique 'vous avez envenimé ma situation en vous emportant à votre tour et ce (...) devant la clientèle'. Monsieur [H] [C] atteste que 'Monsieur [T] avait une attitude agressive en permanence'.

Il résulte de l'ensemble des éléments versés au débat qu'il s'est effectivement déroulée le 5 décembre 2012 une scène conflictuelle. Cependant, aucune pièce ne permet d'établir avec certitude des manquements imputables à l'employeur.

Cependant, les développements qui précèdent établissent plusieurs manquements de l'employeur : d'une part, une modification unilatérale d'un élément substantiel du contrat de travail (paiement du salarié sur un temps partiel alors qu'il avait été embauché à temps complet) et, d'autre part, non paiement de salaires et d'heures supplémentaires. Ces manquements apparaissent suffisamment graves pour justifier la prise d'acte de la rupture de son contrat de travail par le salarié et produit en l'espèce les effets d'une licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Au vu de l'ensemble des éléments versés au débat, compte tenu du fait que la société BOUCHERIE TAINE occupait habituellement moins de onze salariés au moment de la rupture, que Monsieur [N] [T] ne produit aucun élément pour caractériser son préjudice, qu'il est âgé de 28 ans, justifie de deux ans et deux mois d'ancienneté, et de son retour à l'emploi le 5 avril 2013, la Cour dispose des éléments nécessaires et suffisants pour fixer à 1300 euros le montant de la réparation du préjudice subi en application de l'article L.1235-5 du code du travail.

En outre, la société BOUCHERIE TAINE sera condamnée à verser au salarié les sommes de 5 468,81 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis (2 mois), 546,81euros à titre d'indemnité compensatrice de congés payés afférents et 1 199,75 euros à titre d'indemnité légale de licenciement.

En conséquence, le jugement du Conseil de prud'hommes sera infirmé sur ces points.

Sur la visite médicale d'embauche

En contravention de l'article R 4624-10 du code du travail, il n'est pas justifié en l'espèce que le salarié a bénéficié, au moment de son embauche et au plus tard à l'issue de sa période d'essai, d'une visite médicale. Ce manquement de l'employeur cause nécessairement un préjudice au salarié qui conduira à lui allouer une somme de 100 euros à titre de dommages-intérêts.

Le jugement sera infirmé sur le montant de la somme initialement allouée.

Sur le droit individuel à la formation

En application de l'article L 6323-17 du code du travail dans sa version applicable au jour du licenciement, en cas de licenciement non consécutif à une faute lourde, et si le salarié en fait la demande avant la fin du préavis, la somme correspondant au solde du nombre d'heures acquises au titre du droit individuel à la formation, permet de financer tout ou partie d'une action de bilan de compétences, de validation des acquis de l'expérience ou de formation. A défaut d'une telle demande, la somme n'est pas due par l'employeur.

Le salarié, dont la prise d'acte de la rupture du contrat de travail est justifiée, et qui n'est pas tenu d'exécuter un préavis, a le droit d'être indemnisé de la perte de chance d'utiliser les droits qu'il a acquis au titre du droit individuel à la formation.

En l'espèce, la prise d'acte du salarié se trouve justifiée par les manquements graves de l'employeur à ses obligations contractuelles. L'intéressé peut prétendre à des dommages et intérêts pour perte de droit au droit individuel à la formation. La perte de ce droit lui cause en l'espèce nécessairement un préjudice qui conduit à lui allouer une somme de 300 euros à titre de dommages-intérêts.

Sur l'exécution déloyale et de mauvaise foi du contrat

Le salarié n'apporte aucun élément au débat sur la demande spécifique qu'il formule à ce titre. En particulier, il ne justifie pas d'un préjudice qui ne serait pas réparé au titre des autres chefs de demande ayant conduit à des condamnations de l'employeur.

Sur la demande de remise de documents

Compte tenu des développements qui précèdent, la demande tendant à la remise de documents sociaux conformes est fondée. La société BOUCHERIE TAINE sera condamnée à remettre les documents suivants modifiés: bulletins de paie du 1er juin 2011 au 12 décembre 2012, le certificat de travail, l'attestation Assédic et le solde de tout compte. Le prononcé d'une astreinte ne s'avère pas en l'état nécessaire, à défaut de la justification d'une résistance abusive de l'employeur.

PAR CES MOTIFS

INFIRME le jugement sauf en ce qu'il a débouté Monsieur [T] de ses demandes de dommages et intérêts pour violation des durées maximales de travail et des temps de pause, pour exécution déloyale du contrat et pour harcèlement et violence physique,

Et statuant à nouveau :

CONDAMNE la société BOUCHERIE TAINE à verser à Monsieur [N] [T] les sommes suivantes :

- 23928,52 euros à titre de rappel de salaire pour la période du 1er juin 2011 au 4 décembre 2012 ;

- 2392,40 euros à titre de congés payés afférents ;

- 15474,31 euros au titre des heures supplémentaires ;

- 1547,43 euros à titre de congés payés afférents ;

- 16404,48 euros à titre d'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé ;

- 100 euros à titre de dommages-intérêts pour absence de visite médicale d'embauche ;

- 1300 euros à titre de dommages et intérêts pour la rupture du contrat de travail ;

- 5468,81 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis ;

- 546,81 euros à titre de congés payés afférents ;

- 1199,75 euros à titre d'indemnité légale de licenciement ;

- 300 euros au titre de la perte de chance du droit au DIF ;

DIT que les condamnations au paiement de créances de nature salariale porteront intérêts au taux légal à compter de la réception par la société de la convocation devant le bureau de conciliation du conseil de prud'hommes et que les condamnations au paiement de créances indemnitaires porteront intérêts au taux légal à compter de la mise à disposition du présent arrêt ;

ORDONNE la remise par la société BOUCHERIE TAINE à Monsieur [T] de bulletins de paye, d'une attestation Pôle Emploi et d'un certificat de travail rectifiés conformes au présent arrêt ;

DIT n'y avoir lieu à prononcer une astreinte ;

CONFIRME le jugement en ses autres dispositions ;

Et y ajoutant,

Vu l'article 700 du code de procédure civile,

Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile ;

DÉBOUTE les parties du surplus des demandes ;

LAISSE les dépens à la charge de la société BOUCHERIE TAINE.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 3
Numéro d'arrêt : 15/06438
Date de la décision : 01/03/2016

Références :

Cour d'appel de Paris K3, arrêt n°15/06438 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2016-03-01;15.06438 ?
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