Grosses délivréesRÉPUBLIQUE FRANÇAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 3
ARRÊT DU 24 FÉVRIER 2016
(n° , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 14/14201
Décision déférée à la Cour : Jugement du 28 novembre 2013 -Tribunal de Commerce de PARIS - RG n° 2011046830
APPELANTE
SARL BALIMA, prise en la personne de ses représentants légaux,
[Adresse 1]
[Localité 1]
Représentée par Me Philippe GALLAND de la SCP GALLAND VIGNES, avocat au barreau de PARIS, toque : L0010
INTIMÉE
SARL MENIL 44, prise en la personne de ses représentants légaux,
Immatriculée au RCS de Paris sous le n° B 502 372 436
[Adresse 1]
[Localité 1]
Représentée par Me Denis TALON, avocat au barreau de PARIS, toque : A0428, avocat postulant
Assistée de Me Laurent MEILLET de l'AARPI TALON MEILLET ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : A0428, avocat plaidant
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 786 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 14 Décembre 2015, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposé, devant Madame Brigitte CHOKRON, conseillère, chargée d'instruire l'affaire, laquelle a été préalablement entendue en son rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Madame Chantal BARTHOLIN, présidente
Madame Brigitte CHOKRON, conseillère
Madame Caroline PARANT, conseillère
Greffier : lors des débats : Madame Orokia OUEDRAOGO
ARRÊT :
- contradictoire,
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
- signé par Madame Chantal BARTHOLIN, Présidente, et par Madame Alexia LUBRANO, Greffière à laquelle la minute du présent arrêt a été remise par le magistrat signataire.
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Aux termes d'un acte sous seing privé du 12 mai 2010, la société Menil 44 désignée 'le bailleur' a consenti à la société Balima désignée 'le locataire-gérant', un contrat de location-gérance sur un fonds de commerce de restaurant, café, bar, traiteur, vente à emporter situé au [Adresse 1].
La location-gérance a été concédée pour une durée d'un an à compter du 12 mai 2010, renouvelable par tacite reconduction ; la redevance comprenant le loyer a été fixée à la somme mensuelle de 4.000 euros payable d'avance par le locataire-gérant et celui-ci a versé comptant entre les mains du bailleur, à la signature du contrat, un dépôt de garantie de 25.000 euros.
Le 28 mai 2010, la société Balima faisait constater par procès-verbal d'huissier de justice l'état défectueux des équipements et matériels garnissant le fonds.
Par lettre recommandée du 31 mai 2010, la société Menil 44 s'étonnait de voir le fonds inexploité et mettait en demeure la société Balima de le tenir ouvert à la clientèle, tandis que par lettre recommandée du 3 juin 2010, la société Balima répliquait qu'elle ne pouvait ouvrir l'établissement à défaut de fonctionnement des équipements de cuisine, de la chaudière, du tableau électrique, de la machine à glaçon, du rideau métallique et rappelait qu'elle avait signé le contrat de location gérance avec la promesse de la société Menil 44 de remettre en état les installations.
Par courrier de son avocat du 16 juin 2010, la société Balima indiquait à nouveau qu'elle ne pouvait, en raison des nombreux et graves désordres affectant le fonds, en assurer une exploitation normale du fonds et qu'elle se réservait, si la société Menil 44 n'apportait pas remède à cette situation, de demander la résiliation judiciaire du contrat de location- gérance.
La société Menil 44 faisait délivrer le 6 juillet 2010 un commandement, visant la clause résolutoire, d'avoir à payer la somme de 6.580,64 euros au titre des redevances de location-gérance.
Par une ordonnance du 24 août 2010, réputée contradictoire, le juge des référés du tribunal de grande instance de Paris a ordonné l'expulsion de la société Balima et l'a condamnée à payer à titre provisionnel la somme de 10.580,64 euros au titre des loyers arrêtés au 14 juillet 2010 ainsi qu'une indemnité d'occupation de 4.400 euros par mois à compter du 14 juillet 2010.
C'est dans ces circonstances que la société Balima a assigné la société Menil 44, suivant acte d'huissier de justice du 17 juin 2011, devant le tribunal de commerce de Paris aux fins de voir commettre un expert avec mission d'examiner les désordres allégués, dire si ces désordres sont compatibles avec une exploitation normale du fonds, fournir tous éléments de nature à établir les responsabilités encourues, et condamner la société Menil 44 à lui verser, en réparation de son préjudice, la somme de 30.000 euros à titre de dommages-intérêts, à parfaire au vu des conclusions de l'expert ; la société Menil 44 a demandé reconventionnellement, en réparation de son préjudice, la somme de 60.000 euros à titre de dommages-intérêts.
Par jugement contradictoire du 28 novembre 2013, le tribunal de commerce de Paris a :
- débouté la société Balima de toutes ses demandes,
- condamné la société Balima à payer à la société Menil 44 la somme de 25.000 euros à titre de dommages-intérêts et autorisé au titre de cette condamnation la société Menil 44 à conserver par devers elle la somme de 25.000 euros encaissée à titre de dépôt de garantie,
- condamné la société Balima à payer à la société Menil 44 la somme de 1.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- ordonné l'exécution provisoire,
- condamné la société Balima aux entiers dépens.
La société Balima (SARL), a relevé appel de ce jugement le 4 juillet 2014 ; par dernières conclusions signifiées le 2 février 2015, l'appelante demande à la cour, au visa des articles L. 144-3 du code de commerce, 1184 du code civil, d'infirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions,
statuant à nouveau, de :
- constater que la société Menil 44 ne justifie pas avoir exploité le fonds, directement ou par l'intermédiaire d'un locataire-gérant, pendant la durée minimum requise de deux années,
-prononcer en conséquence la nullité du contrat de location-gérance,
subsidiairement,
- constater que la société Menil 44 a manqué à son obligation de délivrer un fonds de commerce répondant aux normes légales de sécurité et permettant une exploitation régulière,
- prononcer la résolution du contrat de location-gérance,
- condamner la société Menil 44 au paiement de la somme de 30.641,15 euros en remboursement des frais de caution, frais de dossier, assurance des locaux, frais de constitution du capital société et du stock de marchandises,
- condamner la société Menil 44 à 20.000 euros de dommages-intérêts en réparation du préjudice de perte d'exploitation,
- débouter la société Menil 44 de toutes ses demandes,
- condamner la société Menil 44 au paiement de la somme de 5.000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens de première instance et d'appel dont distraction.
La société Menil 44 (SARL), intimée, par dernières conclusions signifiées le 26 octobre 2015, demande à la cour, au visa des articles 559 et 564 du code de procédure civile, de :
- déclarer la société Balima irrecevable en ses demandes,
- déclarer l'appel mal fondé,
- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
- condamner, y ajoutant, la société Balima au paiement de la somme de 3.000 euros pour procédure abusive, de la somme de 4.000 euros au titre des frais irrépétibles et aux entiers dépens dont distraction.
SUR CE,
Sur la fin de non-recevoir,
La société Menil 44 oppose une fin de non-recevoir aux demandes de la société Balima, qu'elle considère comme nouvelles en cause d'appel, en nullité du contrat de location-gérance sur le fondement de l'article L. 144-3 du code de commerce, subsidiairement, en résolution du contrat de location-gérance sur le fondement de l'article 1184 du code civil pour défaut de délivrance ;
Or, si ces demandes n'ont pas été soumises aux premiers juges, elles ne sont pas pour autant irrecevables au sens des dispositions de l'article 564 du code de procédure civile car elles constituent, pour la société Balima, des moyens de défense destinés à faire écarter les prétentions adverses ;
La société Menil 44 maintient en effet sa demande de dommages-intérêts pour inexécution du contrat de location-gérance dès lors qu'elle poursuit la confirmation du jugement déféré en ce qu'il a condamné de ce chef la société Balima à lui verser la somme de 25.000 euros à titre de dommages-intérêts ;
Les demandes de la société Balima en nullité du contrat de location- gérance et, subsidiairement, en résolution du contrat de location- gérance, tendent à combattre la demande en dommages-intérêts formée par la société Menil 44 au fondement de l'inexécution de ce contrat ; elles s'analysent en conséquence en des défenses au fond visant à combattre les prétentions adverses et ne sauraient être regardées comme des prétentions nouvelles passibles de la fin de non-recevoir de l'article 564 du code de procédure civile ;
Sur la demande en nullité du contrat de location-gérance,
La société Balima invoque la nullité du contrat de location-gérance signé entre les parties le 12 mai 2010 au regard de l'article L. 144-3 du code de commerce aux termes duquel, 'les personnes physiques ou morales qui concèdent une location-gérance doivent avoir exploité pendant deux années au moins le fonds ou l'établissement artisanal mis en gérance' ;
La condition d'exploitation personnelle du fonds, exigée du loueur à l'article précité, constitue une mesure d'ordre public économique visant à prévenir les cas où, dans une intention purement spéculative, des personnes se porteraient acquéreurs de fonds de commerce sans les exploiter et à seule fin de les donner en location ;
Elle est sanctionnée par la nullité qui frappe, selon les dispositions de l'article L. 144-10 du code de commerce, tout contrat de location-gérance qui serait consenti par un propriétaire ou exploitant d'un fonds de commerce en violation de la dite condition ;
La nullité ainsi encourue est une nullité absolue, qui n'est pas susceptible de confirmation dès lors qu'elle n'a pas pour finalité la protection de l'intérêt particulier des parties au contrat ;
En l'espèce, la société Menil 44, à laquelle il incombe, en sa qualité de loueur, de justifier qu'elle satisfaisait, à la date de la conclusion du contrat de location-gérance, aux dispositions de l'article L. 144-3, s'est bornée à opposer l'irrecevabilité de la société Balima à se prévaloir de la violation de ces dispositions sans s'expliquer sur le fond ;
Or, il est exposé en préambule du contrat de location-gérance signé entre les parties le 12 mai 2010, que le fonds de commerce, objet du contrat, était antérieurement exploité par une société SAM, placée en redressement judiciaire par un jugement du tribunal de commerce de Paris du 17 mars 2008 désignant la SCP B.T.S.G. prise en la personne de Me [J], ès-qualités de mandataire judiciaire, puis, en liquidation judiciaire par un jugement du 31 mars 2009 désignant la SCP B.T.S.G. prise en la personne de Me [J], ès-qualités de liquidateur ; que le fonds de commerce de la société Sam a été cédé à la société Menil 44, aux termes d'une ordonnance du juge-commissaire du 26 mai 2009 devenue définitive à défaut d'opposition ;
Il est produit par ailleurs par la société Menil 44 un acte sous seing privé du 12 mai 2010 par lequel celle-ci convient avec la société SMB, désignée 'le locataire-gérant', d'une résiliation amiable du contrat de location-gérance du fonds de commerce de café-bar-restaurant exploité au [Adresse 1], signé entre les parties le 21 décembre 2009 ;
En l'état de ces pièces de la procédure, il apparaît que la société Menil 44 ayant acquis le fonds de commerce le 26 mai 2009, l'a donné en location-gérance à la société SMB le 21 décembre 2009, avant de le louer à nouveau, à compter du 12 mai 2010, à la société Balima, ce dont il s'infère qu'elle ne remplissait pas, au moment de la conclusion du contrat litigieux, la condition d'exploitation personnelle du fonds de commerce pendant au moins deux années exigée du loueur à l'article L. 144-3 du code de commerce ;
La demande de la société Balima en nullité du contrat de location-gérance conclu avec la société Menil 44 suivant acte du 12 mai 2010 est en conséquence fondée, de sorte que les parties se trouvent remises en l'état antérieur à la conclusion du contrat ;
La demande de la société Menil 44 en dommages-intérêts pour inexécution du contrat ne saurait en conséquence prospérer ni davantage celle formée au fondement de procédure abusive, le sens de l'arrêt montrant que loin d'être abusif, l'appel de la société Balima est justifié ;
La société Balima est fondée à se voir restituer, par l'effet de l'anéantissement du contrat, les sommes versées à la société Menil 44 au titre du contrat à savoir, 25.000 euros représentant le dépôt de garantie, 500 euros pour le stock de marchandises, 941,15 euros pour l'assurance des locaux, 2.600 euros pour les frais de dossier, soit au total : 29.041,15 euros ;
Elle n'est pas fondée en revanche à se voir rembourser la dépense de 1.600 euros exposée pour la constitution de la société, sur laquelle le sort du contrat de location-gérance est sans effet ;
La société Balima, invoquant à la charge de la société Menil 44, sans autre précision, des 'procédés dénués de toute bonne foi', demande en outre la somme de 20.000 euros de dommages-intérêts en réparation de son préjudice d'exploitation ;
Il suffit de constater que la nullité du contrat de location-gérance est imputable à la société Menil 44 qui n'a pas respecté les exigences de l'article L. 144-3 du code de commerce ; il en résulte pour la société Balima, qui est privée de la possibilité d'exploiter le fonds, un préjudice qui doit être estimé, en l'état des circonstances de la cause et des éléments d'appréciation versés à la procédure, à la somme de 6.000 euros ;
La société Menil 44 succombant à la procédure en supportera les entiers dépens et sera condamnée en équité à payer à la société Balima une indemnité de 5.000 euros au titre des frais irrépétibles.
PAR CES MOTIFS
Infirme le jugement déféré, en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau,
Déboute la société Menil 44 de sa fin de non-recevoir,
Constate la nullité du contrat de location-gérance conclu entre les parties suivant acte sous seing privé du 12 mai 2010,
Condamne la société Menil 44 à payer à la société Balima la somme de 29.041,15 euros en remboursement des dépenses exposées au titre du contrat,
Condamne la société Menil 44 à payer à la société Balima la somme de 6.000 euros de dommages-intérêts en réparation de son préjudice,
Déboute la société Menil 44 de toutes ses demandes,
Condamne la société Menil 44 à verser à la société Balima la somme de 5.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens de première instance et d'appel qui pourront être recouvrés, s'agissant des dépens d'appel, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE