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04/02/2016 | FRANCE | N°12/09396

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6- chambre 12, 04 février 2016, 12/09396


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6- Chambre 12

ARRÊT DU 04 Février 2016

(no, pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S 12/ 09396

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 28 Août 2012 par le tribunal des affaires de sécurité sociale de AUXERRE-RG no 11/ 00251

APPELANTE
Madame Julia X... divorcée Y...
...
75018 PARIS
représentée par Me Bernard REVEST, avocat au barreau d'AUXERRE substitué par Me Karen DEVIN, avocat au barreau D'AUXERRE

IN

TIMES
Monsieur Guy Z...
...
75018 PARIS
comparant en personne, assisté de Me Jonathan CADOT, avocat au barreau de PARIS, toque...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6- Chambre 12

ARRÊT DU 04 Février 2016

(no, pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S 12/ 09396

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 28 Août 2012 par le tribunal des affaires de sécurité sociale de AUXERRE-RG no 11/ 00251

APPELANTE
Madame Julia X... divorcée Y...
...
75018 PARIS
représentée par Me Bernard REVEST, avocat au barreau d'AUXERRE substitué par Me Karen DEVIN, avocat au barreau D'AUXERRE

INTIMES
Monsieur Guy Z...
...
75018 PARIS
comparant en personne, assisté de Me Jonathan CADOT, avocat au barreau de PARIS, toque : R222

CPAM 89- YONNE
1-3 rue du Moulin
89024 AUXERRE CEDEX
représenté par Me Amy TABOURE, avocat au barreau de VAL-DE-MARNE, toque : 409

Monsieur le Ministre chargé de la sécurité sociale
14, avenue Duquesne
75350 PARIS CEDEX 07
avisé-non comparant

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 05 Novembre 2015, en audience publique, devant la Cour composée de :
Mme Bernadette VAN RUYMBEKE, Présidente de chambre
Madame Marie-Ange SENTUCQ, Conseillère
Mme Marie-Odile FABRE DEVILLERS, Conseillère
qui en ont délibéré

Greffier : Madame Céline BRUN, lors des débats

ARRÊT :
- contradictoire
-prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile.
- signé par Madame Bernadette VAN RUYMBEKE, Président et par Madame Céline BRUN, Greffier, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Monsieur Thierry Y... a été embauché par Monsieur Guy Z... en tant qu'artiste lapidaire à compter du 1er octobre 1986.

Le 11 décembre 2007, Monsieur Thierry Y... a établi une déclaration de maladie professionnelle, suite au diagnostic d'une silicose aigue ou chronique décelée le 24 juillet précédent (correspondant au tableau no25).

Le 10 mars 2008, le caractère professionnel de la maladie a été reconnu et un taux d'incapacité permanente de 60 % a été fixé.

Le 24 mars 2010, Monsieur Thierry Y... a été licencié pour inaptitude.

Le 26 août 2011, Monsieur Thierry Y... a saisi le tribunal des affaires de la sécurité sociale de l'Yonne d'une action en vue de faire reconnaître la faute inexcusable de Monsieur Guy Z... dans la survenance de sa maladie professionnelle.

Par un jugement du 28 août 2012 le tribunal des affaires de la sécurité sociale de l'Yonne a :
- Déclaré recevable l'action de Monsieur Thierry Y... en reconnaissance de la faute inexcusable de Monsieur Guy Z... ;
- Débouté Monsieur Thierry Y... de sa demande de reconnaissance de la faute inexcusable de Monsieur Guy Z... ;
- Ordonné la disjonction de l'instance en ce qui concerne la demande en inopposabilité de la décision de reconnaissance de la maladie professionnelle de Monsieur Thierry Y... en date du 10 mars 2008 et dit que cette demande sera inscrite au rôle des affaires sous un nouveau numéro ;
- Débouté Monsieur Thierry Y... de sa demande au titre des frais au titre des frais irrépétibles ;
- Dit n'y avoir lieu à exécution provisoire.

Monsieur Thierry Y... est décédé le 25 juillet 2012.

Madame Julia X..., divorcée Y..., es qualité d'administratrice légale des biens de Romain Y..., fils de Thierry Y..., fait plaider par son conseil des conclusions demandant à la Cour de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a déclaré recevable l'action de Monsieur Thierry Y... en reconnaissance de la faute inexcusable, de l'infirmer en revanche pour le surplus, juger que la maladie professionnelle dont était atteint Monsieur Thierry Y... et son décès qui en a résulté sont dus à une faute inexcusable de Monsieur Guy Z... et :
- Au principal, à voir ordonner une expertise sur pièces aux fins d'évaluer les préjudices médico légaux subis par Monsieur Thierry Y... dans le cadre de la mission Dinthilac ; donner acte à Madame Julia X... de ce qu'elle procèdera à la consignation d'usage à valoir sur les frais et honoraires de l'expert ; réserver les droits de Monsieur Romain Y... de solliciter une indemnisation au titre des préjudices patrimoniaux et extrapatrimoniaux de son père, Monsieur Thierry Y... ;
- A titre infiniment subsidiaire, condamner Monsieur Guy Z... à verser à Madame Julia X..., es qualité d'administratrice légale des biens de son fils mineur Romain Y..., les sommes de 30 000 euros au titre des souffrances physiques endurées par Thierry Y..., 50 000 euros au titre de son préjudice d'agrément ainsi que de son préjudice sexuel, 55 140 euros au titre de son déficit fonctionnel temporaire total ;
- En tout état de cause, ordonner la majoration rétroactive de la rente d'invalidité, condamner Monsieur Guy Z... à verser une somme de 30 000 euros en réparation du préjudice moral de Monsieur Thierry Y..., débouter Monsieur Guy Z... de l'intégralité de ses demandes, fins, moyens et conclusions, dire et juger l'arrêt à intervenir opposable à la CPAM de l'Yonne, laquelle sera tenue d'avancer les sommes allouées avant de se retourner contre l'employeur ; condamner Monsieur Guy Z... à verser la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 et aux entiers dépens.

Au soutien de son appel, Madame Julia X... fait valoir que la faute inexcusable ne peut qu'être retenue à l'encontre de Monsieur Guy Z... lequel avait conscience du danger auquel il exposait son salarié à la silice sans avoir pris de mesures suffisantes de nature à préserver Monsieur Y... de ce danger.

Monsieur Guy Z... fait plaider par son conseil des conclusions demandant à la cour de confirmer le jugement en ce qu'il a considéré que la faute inexcusable n'était pas constituée ;
Il retire à l'audience sa demande au titre de la prescription de l'action de Monsieur Thierry Y... et demande :
Au principal, dire et juger que la faute inexcusable n'est pas constituée, qu'en conséquence Monsieur Thierry Y... est mal fondé en son action et devra être débouté de l'ensemble de ses demandes
Subsidiairement, limiter le champ de l'expertise.
A titre infiniment subsidiaire, limiter le quantum des dommages et intérêts sollicités.

Monsieur Guy Z... fait valoir que Monsieur Thierry Y... ne rapporte pas la preuve de ce que l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger, ajoutant qu'il a toujours pris soin des conditions de travail de son salarié et que les mesures nécessaires avaient été prises afin d'éviter tout risque.

Pour plus ample exposé de la procédure et des prétentions des parties, la Cour se réfère à leurs conclusions visées par le greffier, reprises et complétées à l'audience.

SUR QUOI LA COUR :

I ¿ sur la recevabilité de l'action :

Monsieur Guy Z... fait valoir oralement qu'il retire sa demande au titre de la prescription ;

II ¿ sur la faute inexcusable

Considérant les dispositions de l'article L 452-1 du code de la sécurité sociale dont il résulte qu'en matière d'accident du travail ou de maladie professionnelle, l'employeur est tenu d'une obligation de sécurité de résultat et que le manquement à cette obligation a le caractère d'une faute inexcusable lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir connaissance du danger auquel était exposé le salarié et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver ;

Considérant que Madame Julia X... divorcée Y..., fait valoir que les dangers de l'inhalation de la poussière de silice étaient connus depuis 1934, qu'un décret paru en 1950 puis remplacé par un décret paru en 1997, avait pour objet de protéger les travailleurs exposés à l'inhalation de silice sur leur lieu de travail ; qu'à partir de 2001, Monsieur Guy Z... avait fait l'acquisition de masques de protection ainsi que d'autres matériels destinés à lutter contre la poussière ; enfin que sa renommée et sa connaissance du métier incluant la taille de pierre ne lui permettaient pas d'ignorer les dangers auxquels il exposait Monsieur Thierry Y... ;

Considérant que Monsieur Guy Z... réplique principalement que travaillant dans les mêmes conditions que son salarié, il ne pouvait avoir conscience du danger ; que les textes réglementant les conditions de travail des salariés au contact de la poussière de silice ne s'appliquaient qu'aux activités industrielles, ce qui n'était pas le cas de son atelier ;

Mais considérant que la conscience du danger imposée par l'article L 452-1 du code de la sécurité sociale doit s'apprécier in abstracto ; que cette exigence ne vise pas une connaissance effective de la situation créée, mais la conscience que l'employeur devait ou aurait normalement dû avoir de ce danger en raison de son expérience et de ses connaissances techniques ;

Considérant qu'en l'espèce, la taille et le façonnage de pierres provoquant des poussières de silice faisait partie du métier exercé par Monsieur Guy Z... et son salarié ; que le lien entre la maladie de Monsieur Thierry Y... et ses conditions de travail a d'ailleurs été reconnu et n'est pas contesté ;

Que la pratique de son métier depuis les années 70 et la notoriété de Monsieur Guy Z..., orfèvre sculpteur renommé, établissent que ce dernier avait une parfaite connaissance des enjeux et conditions de travail qui étaient les siennes ainsi que celles de Monsieur Thierry Y... ;

Considérant par ailleurs que le décret no97-331 du 10 avril 1997 « relatif à la protection de certains travailleurs exposés à l'inhalation de poussières de silice sur leurs lieux de travail », modifiant un décret paru en 1950, s'appliquait aux établissements visés par l'ancien article L. 231-1 du code du travail, dont les établissements industriels mais également tout établissement commercial ;

Que la conscience du danger dépend aussi des circonstances de l'exposition personnelle du salarié ; qu'il résulte des pièces versées aux débats que Monsieur Thierry Y... travaillait huit heures par jour dans un atelier de taille réduite et relativement confiné ; qu'il n'est pas contesté que la taille de pierre dégageait une importante quantité de poussière ;

Qu'au regard de ces éléments, Monsieur Guy Z... avait nécessairement conscience du danger auquel il exposait Monsieur Thierry Y... ;

Et considérant que lorsque l'employeur a ou aurait dû avoir conscience du danger auquel il expose son salarié, il lui appartient de prendre les mesures nécessaires de protection contre ce risque ; qu'il incombe au salarié de rapporter la preuve que l'employeur n'a pas pris les mesures nécessaires pour le préserver du danger auquel il était exposé ;

Considérant que Madame Julia X... fait valoir que Monsieur Thierry Y... travaillait dans un environnement poussiéreux sans que Monsieur Guy Z... lui ait fourni de protection avant 2001, que le matériel acheté était destiné au second atelier de son l'employeur, que Monsieur Guy Z... n'avait fourni de protection à son salarié qu'à compter des premiers symptômes de la maladie et n'avait pas organisé en faveur de ce dernier de visites médicales ;

Mais considérant qu'il est établi que si Monsieur Z... équipait son second atelier de matériel de protection, il en faisait de même pour la rue Lepic, siège du lieu de travail de monsieur Y... et ce, depuis son installation ;

Que les diverses attestations versées indiquaient que si la taille des pierres dégageait de la poussière, l'employeur avait mis à dispositions du salarié des meures individuelles et collectives de protection et ce depuis 1993 comme le démontrent les factures d'achats et les documents produits : ventilateur, pare visage, masque de protection toxique, soufflettes, masques anti poussières régulièrement renouvelés, aspirateur avec filtre de poussières fines ; qu'à cet égard le fournisseur de l'atelier attestait que monsieur Z..., son client depuis 25 ans, s'approvisionnait règulièrement en matériel de protection ;

Considérant au regard de l'ensemble de ces éléments, que Madame Julia X... ne rapporte pas la preuve de ce que Monsieur Guy Z... n'aurait pas fourni les éléments de protection nécessaires et suffisantes à Monsieur Thierry Y... et ne prouve pas davantage que ce matériel n'était pas en état de fonctionnement ;

Considérant enfin, que Madame Julia X... rappelle qu'il ne suffit pas pour l'employeur de fournir à ses salariés des dispositifs de protection mais qu'il lui incombe également de s'assurer que ces derniers les utilisent effectivement ;

Mais considérant que monsieur Guy Z... partageait des conditions de travail communes avec Monsieur Thierry Y... et qu'il a mis en ¿ uvre les moyens pour assurer des conditions de travail protectrice de la santé de chacun ; qu'il n'est pas contesté que la nature de leurs relations était amicale et de confiance ; que si des témoins affirmaient que monsieur Thierry Y..., portait souvent " le masque sur sa poitrine " pour " fumer sans retenue à toute heure du jour durant son travail ", il ne saurait être reproché à monsieur Z... de ne pas s'être assuré, lors de ces déplacements et alors que monsieur Y... travaillait seul, que celui ci utilise effectivement le matériel mis à sa disposition pour sa protection ;

Considérant en conséquence que de tous ces éléments, il ressort que Madame Julia X... ne rapporte pas la preuve que Monsieur Guy Z... n'aurait pas tout mis en ¿ uvre toute les mesures nécessaires pour préserver assurer la sécurité de son salarié du danger auxquels celui ci était exposé ;

Que le jugement, pris pour de justes motifs adoptés, doit être confirmé

PAR CES MOTIFS :

LA COUR,

Déclare Madame X..., veuve Y..., recevable en son appel, es qualité d'administratrice des biens de son fils mineur Monsieur Romain Y... ;

Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions

Deboute Mme Y... de toutes ses demandes,

La dispense du paiement du droit d'appel.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6- chambre 12
Numéro d'arrêt : 12/09396
Date de la décision : 04/02/2016
Sens de l'arrêt : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours

Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.paris;arret;2016-02-04;12.09396 ?
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