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20/01/2016 | FRANCE | N°13/10521

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 10, 20 janvier 2016, 13/10521


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 10



ARRÊT DU 20 Janvier 2016



(n° , 09 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : S 13/10521



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 14 Décembre 2009 par le Conseil de prud'hommes - Formation de départage de PARIS RG n° 08/03549, infirmé partiellement par le pôle 6 - chambre 8 de la cour d'appel de Paris par arrêt du 16 Février 2012, dont la décision a été cassée partielleme

nt par arrêt de la Cour de Cassation en date du 25 Septembre 2013 qui a ordonné le renvoi devant la Cour d'Appel de Paris autrement composée.





APPE...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 10

ARRÊT DU 20 Janvier 2016

(n° , 09 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S 13/10521

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 14 Décembre 2009 par le Conseil de prud'hommes - Formation de départage de PARIS RG n° 08/03549, infirmé partiellement par le pôle 6 - chambre 8 de la cour d'appel de Paris par arrêt du 16 Février 2012, dont la décision a été cassée partiellement par arrêt de la Cour de Cassation en date du 25 Septembre 2013 qui a ordonné le renvoi devant la Cour d'Appel de Paris autrement composée.

APPELANTE

SA ALLIANZ IARD anciennement AGF IART

N° SIRET : 542 110 291

[Adresse 1]

[Adresse 1]

représentée par Me Olivier MEYER, avocat au barreau de PARIS, toque : P0052

INTIME

Monsieur [B] [Q]

né le [Date naissance 1] 1951 à [Localité 1]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

assisté de Me Philippe RAVISY, avocat au barreau de PARIS, toque : B0318

substitué par Me Susana LOPES DOS SANTOS, avocat au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 24 Novembre 2015, en audience publique, devant la Cour composée de :

Mme Françoise AYMES-BELLADINA, conseiller faisant fonction de président de chambre

Madame Chantal GUICHARD, conseiller

Madame Stéphanie ARNAUD, vice président placé faisant fonction de conseiller par ordonnance du Premier Président en date du 30 juillet 2015

qui en ont délibéré

Greffier : Mme Caroline CHAKELIAN, lors des débats

ARRET :

- contradictoire

- prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Françoise AYMES-BELLADINA, conseiller faisant fonction de président de chambre et par Madame Caroline CHAKELIAN, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Vu les conclusions de Monsieur [B] [Q] et celles de la société ALLIANZ IARD anciennement AGF IARD visées et développées à l'audience du 24 novembre 2015.

SUR LE LITIGE

Monsieur [Q] a été engagé le 1er juin 1998 par la société AGF IARD aux droits de laquelle se trouve la société ALLIANZ IARD, en qualité de responsable des achats informatiques et télécoms par contrat à durée indéterminée. Le contrat de travail était soumis à la convention collective du personnel des sociétés d'assurance.

Monsieur [Q] a été reçu le 12 mars 2008 par son supérieur hiérarchique Monsieur [O].

Le 15 mars 1008 Monsieur [Q] a écrit au directeur des ressources humaines, Monsieur [Q] [J], au sujet de propos critiques et discriminatoires qu'il aurait reçus de la part de Monsieur [O] sur son activité, son âge de 57 ans et sa rémunération importante.

Le 20 mars 2008 une enquête a été demandée par Monsieur [Q] [J] et réalisée entre le 7 et le 18 avril 2008 à ce sujet et sur les plaintes de trois collaborateurs de Monsieur [Q] concernant les méthodes de travail et de management de ce dernier.

Par lettre du 30 avril 2008, Monsieur [Q] a été convoqué à un entretien préalable fixé au 14 mai 2008 et par courrier daté du 13 juin 2008 le licenciement a été notifié avec un préavis de trois mois qu'il a été dispensé d'effectuer.

Monsieur [Q] avait engagé une procédure devant le conseil de prud'hommes de Paris dès le 28 mars 2008. Par jugement rendu en audience de départage le 14 décembre 2009, le conseil de prud'hommes à :

condamné la société AGF à payer à Monsieur [Q] les sommes suivantes :

100 000 € de dommages et intérêts au titre de l'article L 1235'3 du code du travail,

5 000 € de dommages intérêts pour préjudice moral,

2 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

l'exécution provisoire sur le fondement de l'article 515 du code de procédure civile étant ordonnée,

rejeté toute autre demande,

ordonné le remboursement par la société AGF aux organismes concernés des indemnités de chômage versées au salarié, dans la limite de six mois,

condamné la société AGF aux dépens.

La société ALLIANZ IARD a interjeté appel de cette décision.

Selon arrêt rendu le 16 février 2012 par la cour d'appel de Paris, le jugement a été confirmé en ce qu'il a dit sans cause réelle ni sérieuse le licenciement et ordonné le remboursement aux organismes sociaux,

et infirmé pour le surplus,

y ajoutant,

débouté Monsieur [Q] de sa demande de nullité du licenciement,

condamné la société ALLIANZ IARD à payer à Monsieur [Q] la somme de 400 000 € à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et celle de 10 000 € à titre de dommages-intérêts pour préjudice moral,

condamné la société ALLIANZ IARD à payer à Monsieur [Q] la somme de 2.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

condamné la société ALLIANZ IARD aux entiers dépens.

Monsieur [Q] a formé un pourvoi en cassation et par arrêt du 25 septembre 2013, la Cour de cassation a :

cassé et annulé, mais seulement en ce qu'il a rejeté les demandes de Monsieur [Q] au titre de la nullité de son licenciement pour discrimination, et renvoyé la cause devant la cour d'appel de Paris, autrement composée,

condamné la société ALLIANZ IARD aux dépens,

rejeté la demande de la société ALLIANZ IARD au titre de l'article 700 du code de procédure civile et l'a condamnée à payer à Monsieur [Q] la somme de 3 000 €.

Devant la Cour d'appel de renvoi, la discussion est limitée à un moyen, l'employeur devant démontrer que la procédure de licenciement est justifiée par des éléments objectifs à toute discrimination.

Monsieur [Q] demande de :

infirmer le jugement du conseil de prud'hommes du 14 décembre 2009 en ce qui n'a pas prononcé la nullité du licenciement et n'a pas fait droit à ses demandes subséquentes,

statuant à nouveau,

constater que la société ALLIANZ IARD a mené une politique discriminatoire d'exclusion de ses cadres seniors,

constater qu'alors qu'il a présenté des éléments de faits laissant présumer l'existence d'une discrimination en raison de son âge, il est définitivement jugé que le licenciement prononcé par la société ALLIANZ IARD ne reposait pas sur des éléments objectifs exclusifs de toute discrimination,

constater qu'il a subi un licenciement « représailles » après avoir agi en justice,

dire et juger le licenciement nul, en conséquence,

ordonner sa réintégration avec toutes les conséquences de droit,

prendre acte de ce que le montant exact des dommages-intérêts compensant les rémunérations et avantages dont il a été privé depuis son licenciement jusqu'à sa réintégration effective ne pourra être définitivement précisé qu'au moment où la réintégration demandée interviendra effectivement,

condamner la société ALLIANZ IARD à lui verser une provision de 640 200 € correspondant au préjudice de rémunérations subie entre son éviction le 17 juin 2008, date de la notification de son licenciement, et le 31 décembre 2015,

fixer à partir du 1er janvier 2016, son salaire mensuel brut à la somme de 9 500,77 €,

dire et juger que la réintégration effective interviendra le premier jour du mois après que l'employeur lui aura :

donné toutes les informations relatives au poste qui lui sera attribué (titre, classification, rémunération fixe et variable),

organisé une visite médicale auprès du centre de médecine du travail,

payé la provision de 640 200 € chiffrée ci-dessus,

dire et juger qu'à défaut d'exécution d'une seule de ces obligations et de réintégration un mois après la notification de l'arrêt, l'exécution devra intervenir sous astreinte de 1.000 € par jour de retard que la Cour se réservera expressément la faculté de liquider,

condamner en outre la société ALLIANZ IARD à réparer les préjudices particuliers causés par le licenciement nul dont il a été victime, distincts des préjudices de rémunération,

en conséquence, condamner la société ALLIANZ IARD à lui verser :

à titre principal,

des dommages et intérêts d'un montant de 176.945,04 € au titre de son préjudice de carrière liée au non passage à un statut de cadre dirigeant,

des dommages-intérêts d'un montant global de 247.661 € au titre des préjudices de retraite, de prévoyance et du préjudice pécuniaire sur l'indemnité de départ en retraite afférents au non passage à un statut de cadre dirigeant,

subsidiairement,

de condamner la société ALLIANZ IARD à lui payer :

des dommages-intérêts d'un montant global de 173.424 € réparant les préjudices de retraite spécifiques qu'il subira du fait de la baisse, voire de la suppression de cotisations pendant la période du 17 juin 2008 jusqu'au 1er avril 2016, ainsi que le préjudice subi en terme de prévoyance complémentaire obligatoire et de mutuelle et le préjudice subi en terme d'indemnités de départ à la retraite,

en tout état de cause,

d'assortir les condamnations prononcées de l'intérêt au taux légal à compter du prononcé du jugement sur le fondement de l'article 1153-1 du code civil,

d'ordonner la capitalisation des intérêts dans les conditions de l'article 1154 du code civil,

de rejeter toutes les demandes que formuleraient la société ALLIANZ IARD,

de condamner la société ALLIANZ IARD à lui payer une somme de 3 500 € au titre des frais irrépétibles exposés pour la présente instance,

de condamner la société ALLIANZ IARD aux dépens.

La Société ALLIANZ IARD sollicite :

A titre principal,

de dire que le licenciement sans cause réelle et sérieuse ne présente pas de caractère discriminatoire,

de débouter Monsieur [Q] de l'intégralité de ses demandes,

subsidiairement,

de débouter Monsieur [Q] de ses demandes de réintégration sous conditions et de provision,

en toute hypothèse,

de condamner Monsieur [Q] à lui verser une somme de 2 500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens éventuels.

SUR CE,

Sur la nullité du licenciement

Monsieur [Q] soutient qu'il n'a fait l'objet d'aucun reproche durant dix ans, ni sur ses performances professionnelles ni sur ses qualités managériales et, aucun de ses subordonnés (trois acheteurs) ne s'est plaint de ses conditions de travail ;

Il expose qu'entre 2006 et 2007, le groupe ALLIANZ a fusionné et acquis la totalité du capital des AGF dans laquelle il avait été embauché ; que le groupe ALLIANZ a décidé de centraliser les achats informatiques pour l'Europe au siège à Munich, ce qui entrainaît la disparition ou à tout le moins le remaniement de son poste ; qu'à compter du 1er janvier 2008 la direction des achats nommée direction des supports transverses a été confiée à Monsieur [O] qui est donc devenu son supérieur hiérarchique direct et qui dès le début a fait preuve d'animosité à son égard ; qu'en février 2008 un plan de restructuration et de fermeture de sites et de licenciements a eu lieu ; que le 12 mars 2008, lors de l'entretien annuel d'évaluation, Monsieur [O] a indiqué au salarié qu'il était "trop âgé" et "coûtait trop cher" à la société et a insinué qu'il entretenait de mauvaises relations avec un client et son équipe ; qu'à l'issue de l'entretien, il a rédigé une note à son supérieur hiérarchique pour défendre son bilan puis conscient de la "machination" et "afin de se prémunir", il a adressé une lettre le 15 mars 2008 une lettre au directeur des ressources humaines, Monsieur [J] afin de l'avertir des propos discriminatoires tenus à son encontre et solliciter son intervention ; que le 20 mars 2008, Monsieur [O] a formalisé ses griefs dans une note évoquant tout à la fois sa méconnaissance des dossiers, son manque de valeur ajoutée, son incapacité à prendre en compte les contraintes de l'environnement et a constitué un dossier contre lui en incitant les collaborateurs à se plaindre de la qualité de son management, notamment un, Monsieur [R], qui visait son poste ; qu'il a été insidieusement évincé et mis au placard en même temps que Monsieur [R] "montait en puissance" ; que confronté à l'inertie de la direction des ressources humaines, il a saisi le conseil de prud'hommes, et la société a immédiatement diligenté une enquête non pour faire la lumière sur la discrimination mais pour précipiter son licenciement, ce qui a été fait en avril 2008 ;

La société ALLIANZ IARD soutient que le licenciement de Monsieur [Q] est lié aux plaintes émanant de ses collaborateurs, soit trois qui font état d'agissements dont ils étaient victimes et portées à la connaissance de l'employeur en mars 2008 ; qu'il était du devoir de l'employeur de tirer les conséquences de l'état de santé des salariés et de l'absence de remise en cause de Monsieur [Q] ; que ce sont des éléments objectifs qui ont été à l'origine de la procédure de licenciement et non des considérations liées à l'âge de Monsieur [Q] ;

Elle expose que l'allégation de discrimination par Monsieur [Q] est une manipulation de sa part ; que deux collaborateurs ont rapporté qu'il avait une personnalité connue pour sa capacité à manipuler ; qu'aucune mention de discrimination n'existe dans la lettre adressée à Monsieur [O] par Monsieur [Q] le 12 mars 2015 alors que Monsieur [Q] admet que les plaintes des collaborateurs ont été évoquées dès le 12 mars 2015, soit avant que lui même n'évoque une quelconque discrimination ; que la référence à une discrimination n'est apparue que dans un courrier postérieur daté du 15 mars 2015 et adressé à un tiers, le directeur des ressources humaines, Monsieur [J] et non à celui qui aurait tenu les propos discriminatoires ; que l'avis du conseil (article 90 de la convention collective) est un élément supplémentaire pour écarter l'existence d'une discrimination en raison de l'âge car il s'agit d'un organe paritaire avec 3 représentants de salariés et qu'il a approuvé à l'unanimité le licenciement de Monsieur [Q] et que ce dernier n'a pas informé le conseil de l'existence d'une discrimination ; que c'est vainement qu'il prétend que le conseil n'aurait été consulté que sur les fautes qui lui étaient reprochées et qu'on ne l'aurait pas entendu sur les faits de discrimination alors qu'il a lui même choisi les représentants des salariés et été entendu ; que la saisine du conseil de prud'hommes le 28 mars 2008 n'était destinée qu' à entraver l'enquête diligentée par Monsieur [J] dès le 20 mars 2008 ; que l'attitude de victime adoptée par Monsieur [Q] lui a permis d'obtenir des sommes très importante soit plus de 4 ans de salaire en sus de l'indemnité de licenciement équivalente à 7 mois de salaire ; que même si le licenciement est apparu inadéquat, cela ne conduit pas obligatoirement à retenir qu'il a été prononcé en considération de l'âge du salarié ; que les plaintes des collaborateurs n'ont pas été jugées suffisamment sérieuses pour justifier le licenciement mais le caractère réel de ces plaintes n'a pas été remis en cause et elles n'ont pas été jugées mensongères ; qu'enfin la réintégration "sous conditions" n'est pas possible et il n'a jamais été envisagé que Monsieur [Q] puisse être cadre dirigeant ;

Selon l'article L1132-1 du code du travail, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en raison de son âge ; l'article 1132-4 du même code sanctionne par la nullité toute disposition ou acte discriminatoire pris à l'égard d'un salarié ;

Il convient de relever que les motifs du licenciement pour cause réelle et sérieuse fondé sur les méthodes managériales dévalorisantes de son équipe, l'absence de participation personnelle aux réunions importantes avec les clients de son secteur, l'absence d'implication et de soutien dans le suivi des activités des collaborateurs ont été jugés non fondés, ce qui a conduit à un licenciement sans cause réelle et sérieuse ; qu'effectivement, si le licenciement a été jugé abusif au regard des griefs allégués par l'employeur, cela ne peut conduire obligatoirement à retenir qu'il est fondé sur une discrimination ;

Toutefois, au regard des éléments laissant présumer une discrimination fondée sur l'âge dans cette espèce, il appartient à l'employeur de démontrer que la procédure de licenciement est justifiée par des éléments objectifs à toute discrimination ;

Il résulte du rapport de synthèse de l'enquête en date du 23 avril 2008 et diligentée par l'employeur que deux éléments ont été évoqués : les méthodes de management de Monsieur [Q] et la discrimination mais que cette dernière a été jugée non confirmée ; toutefois, cette enquête n'a entendu que le supérieur hiérarchique de Monsieur [Q], Monsieur [O], Monsieur [Q] et les trois collaborateurs qui l'ont mis en cause ainsi que Madame [K] [S], médecin du travail auprès de laquelle Monsieur [R] est venu se plaindre de Monsieur [Q] et lui a indiqué être en grande souffrance ;

L'employeur produit des comptes rendu d'entretien des trois collaborateurs de Monsieur [Q], comptes rendu, qui auraient été réalisés les 7 et 8 avril 2008, rédigés par Madame [Y] [N], chargée par la société de réaliser l'enquête, dans lesquels il apparaît que les mêmes termes sont utilisés au sujet de Monsieur [Q], notamment son absence de "réelle plus value" ou de "réelle valeur ajoutée", mots qu'on retrouve dans le mail de Monsieur [O] à Monsieur [Q] du 20 mars 2008 qui lui demande de justifier quelle est sa valeur ajoutée dans l'organisation qu'il manage ; les collaborateurs décrivent Monsieur [Q] comme lisant son journal le matin, et ayant les yeux rivés sur son écran l'après midi mais ne traitant aucun dossier et profitant du travail de ses collaborateurs ;

Néanmoins, il y a lieu de relever que Messieurs [Z] et [T] travaillent depuis 10 ans avec Monsieur [Q] et ne se sont jamais plaints auparavant de leur supérieur ;

Par ailleurs, les comptes rendus ne sont pas signés, aucune attestation de ces collaborateurs n'est produite et la relation des faits démontre que les propos sont quasiment identiques et ont, à tout le moins, été suscités ; ainsi Monsieur [Z] recruté par Monsieur [Q] en 1999 conclut ainsi un mail adressé à la direction le 25 mars 2008 " j'espère que ces éléments aideront à construire un dossier constructif pour l'évolution de la DA AGF et ses collaborateurs" et s'il évoque des accès de colère de Monsieur [Q], il ajoute que ceux-ci ont cessé en 2001 ; les propos de Monsieur [T] recruté par Monsieur [Q] en 1998 vont dans le même sens avec souvent les mêmes mots utilisés ; Monsieur [Z] confirme que Monsieur [R] connaît très bien Monsieur [O] et que très rapidement il a été décidé par Monsieur [O] et Monsieur [R] que Monsieur [Q] ne pouvait plus « fonctionner comme avant » ;

Il ressort du compte rendu de Monsieur [R] recruté en 2006, que celui-ci a voulu évoluer et grimper dans la hiérarchie dès 2007 et que Monsieur [Q] ne l'aurait pas aidé ; il indique que dès son arrivée en janvier 2008, le nouveau directeur des achats, [F] [O] qui connaît Monsieur [R] lui a demandé de ne pas partir car il avait besoin de lui et lui a indiqué que les choses allaient s'arranger ; il est rapporté que peu à peu il va travailler seul sur les dossiers ;

Il résulte de la teneur du compte rendu que Monsieur [Q] a, dès le début de l'année 2008, été mis à l'écart et que Monsieur [R] a pris sa place avec le soutien de Monsieur [O], place qu'il a occupé réellement après le licenciement de Monsieur [Q] ;

De plus, alors que les salariés sont en contact avec le directeur des achats, Monsieur [F] en fonction de 1998 à 2007, ce dernier témoigne que les équipes de Monsieur [Q] étaient stables et qu'aucun des collaborateurs n'a jamais fait part de difficultés et n'est parti alors que les collaborateurs étaient incités à la mobilité ; enfin alors que Monsieur [R] soutient que les fournisseurs et les clients ne veulent plus voir Monsieur [Q], aucune pièce n'est produite en ce sens ;

Le procès verbal du conseil de discipline du 9 juin 2008, soit plus d'un mois après l'enquête qui a écarté la discrimination, indique que le conseil est saisi des faits qui sont ceux repris comme griefs dans la lettre de licenciement soit : des méthodes managériales déstabilisantes et brutales visant à dévaloriser son équipe, la négligence des réunions importantes avec les clients de son secteur, une absence d'implication et de soutien dans le suivi des activités des collaborateurs ; le document est peu explicatif sur les auditions de Monsieur [Q] et de Monsieur [O] ; il est indiqué que Monsieur [Q] remet des documents en séance qui sont annexés au procès verbal mais ceux-ci ne sont pas produits par l'employeur ; en revanche, Monsieur [Q] produit les documents qu'il aurait remis qui évoquent aussi sa discrimination mais ces éléments n'ont manifestement pas été repris par le conseil de discipline dont la mission était fixée par l'employeur sur le comportement managérial de Monsieur [Q] ; qu'aucune attestation de ces personnes du conseil de discipline n'est produite pour conforter la position de l'employeur ; de plus il convient de relever que le procès verbal du conseil de discipline date du 9 juin 2008 alors que la convocation à entretien préalable est bien antérieure comme datant du 30 avril 2008 pour un entretien fixé au 14 mai 2008 et que la société a licencié Monsieur [Q] le 13 juin 2008, soit quatre jours après l'avis du conseil de discipline ;

Il ressort donc de la coïncidence entre la mise en ouvre de la procédure de licenciement d'un salarié dont l'ancienneté est de plus de 10 ans et qui n'a fait l'objet que d'éloges jusqu'à ces faits, de l'envoi par Monsieur [Q] d'une lettre à sa direction le 15 mars 2008 se plaignant de la discrimination à raison de son âge, contenu qui n'a pas été contesté par l'employeur et des éléments ci-dessus que l'employeur a entendu « se débarrasser » d'un salarié dont il été jugé que l'âge était un frein aux mesures de réorganisation envisagées par le nouveau directeur ; les premiers juges ont justement conclu que l'âge a été une opportunité pour l'entreprise qui incitait ses salariés au départ par voie de pré-retraire et que ceci a joué très fortement en défaveur de Monsieur [Q] et qu'en outre son départ s'est accompagné d'humiliations telle que l'éviction publique le 17 juin 2008 d'un comité de direction par Monsieur [O], non démentie ; toutefois, les premiers juges n'en ont pas tiré toutes les conséquences ; le licenciement est donc fondée sur une discrimination tenant à l'âge et est nul ;

La nullité du licenciement sera accueillie ainsi que la demande de réintégration qui devra se faire dans l'entreprise et dans l'emploi occupé ou un emploi équivalent comportant le même niveau de rémunération, la même qualification et les mêmes perspectives d'évolution de carrière et dans le même secteur géographique que l'emploi initial ;

Le salarié peut prétendre au paiement d'une somme correspondant à la réparation de la totalité du préjudice subi au cours de la période qui s'est écoulée entre le licenciement et la date de réintégration effective, dans la limite du montant des salaires dont il a été privé ;

L'article 6, paragraphe 1, de la Directive n° 2000/ 78/ CE du Conseil du 27 novembre 2000, portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail indique que « les États membres peuvent prévoir que des différences de traitement fondées sur l'âge ne constituent pas une discrimination lorsqu'elles sont objectivement et raisonnablement justifiées, dans le cadre du droit national, par un objectif légitime, notamment par des objectifs légitimes de politique de l'emploi, du marché du travail et de la formation professionnelle, et que les moyens de réaliser cet objectif sont appropriés et nécessaires » ; la discrimination tenant à l'âge est donc possible mais à des conditions très strictes et qui n'empêche pas l'examen du caractère discriminatoire lorsqu'il est soulevé ; la discrimination tenant à l'âge permet la déductibilité des revenus de remplacement ;

Il convient donc de condamner la société ALLIANZ IARD à payer à Monsieur [Q] la totalité des salaires dont il a été privé entre la date du licenciement et la réintégration, déduction faite des revenus tirés d'une autre activité professionnelle ou des ressources perçues d'un organisme social, ainsi que les indemnités de rupture perçues par Monsieur [Q] ; au regard des pièces produites, le salaire mensuel est de 8.542,86 euros calculé sur les trois derniers mois de l'attestation Pôle Emploi, les avantages réclamés par le salarié étant liés non au salaire mais à l'appartenance à l'entreprise qui seront compensés par la réintégration à la date du licenciement ; par ailleurs les indemnités reçues par Pôle Emploi sont de 359.469 euros et les sommes reçues au titre de la rupture de 446.281,73 euros ; enfin il n'y a pas lieu d'ordonner une astreinte à la charge de l'employeur, aucune circonstance ne justifiant une telle demande alors que la société ALLIANZ IARD n'a jamais refusé d'exécuter une décision de justice ;  

Monsieur [Q] sera débouté de sa demande en réévaluation de son salaire mensuel à 9.500,77 euros à compter du 1er janvier 2016 qui est fondé sur une revalorisation de 3% par an alors qu'il n'est pas démontré qu'une revalorisation aurait été appliquée et de ce montant et que ceci ne pourrait s'analyser qu'en perte de chance ;

Monsieur [Q] sera débouté de ses demandes liées à l'acquisition du statut de cadre dirigeant, cette éventualité n'ayant pas été envisagée et aucune pièce ne justifie qu'il aurait pu être nommé directeur des achats, alors même que l'employeur le conteste et que le mail annoncé par Monsieur [Q] n'étant qu'une prise de contact de la responsable ressources humaines des cadres supérieurs qui n'a débouché sur aucune proposition en 2007 et que si l'ascension de son collaborateur, Monsieur [R] a été fulgurante, force est de constater que durant 10 ans, Monsieur [Q] a occupé le même poste ; les demandes fondées sur le préjudice de carrière tenant tant à la rémunération qu'aux avantages liés à ce titre seront donc rejetées ;

Monsieur [Q] souligne ensuite qu'il subit un préjudice dans le cadre de sa réintégration lié à l'absence de cotisations durant sa période d'éviction, préjudice sur la retraite, sur l'indemnité de départ en retraite, sur la prévoyance et la mutuelle d'entreprise car la somme qui lui sera versée présente un caractère indemnitaire et ne supporte pas les cotisations salariales et patronales ; mais, si le salarié sollicite sa réintégration, il perçoit "une somme correspondant à la réparation de la totalité du préjudice subi entre la date du licenciement et la date de la réintégration dans la limite des salaires dont il a été privé" ; il s'agit ainsi de salaires et l'employeur est tenu de cotiser aux différents organismes ; la demande est donc sans objet ; Monsieur [Q] sera débouté de cette demande au titre d'un préjudice de rémunérations à titre de dommages et intérêts;

La somme due à Monsieur [Q] par l'employeur sera assortie des intérêts au taux légal à compter de date de la demande et il y a lieu d'ordonner la capitalisation des intérêts sur le fondement des dispositions de l'article 1154 du code civil ;

Succombant, la société ALLIANZ IARD sera condamnée aux dépens et l'équité commande qu'elle soit condamnée à payer à Monsieur [Q] une somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et la société ALLIANZ IARD sera déboutée de la demande formée à ce titre.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

Statuant publiquement et contradictoirement,

Vu l'arrêt de la Cour de cassation du 25 septembre 2013,

Infirme le jugement du conseil de prud'hommes de Paris du 14 décembre 2009, en ce qu'il n'a pas prononcé la nullité du licenciement notifié par la société ALLIANZ alors qu'il était fondé sur une discrimination tenant à l'âge,

Statuant à nouveau,

Dit que le licenciement prononcé par la société ALLIANZ IARD à l'encontre de Monsieur [Q] est nul,

En conséquence,

Ordonne sa réintégration dans l'entreprise et dans l'emploi occupé ou un emploi équivalent comportant le même niveau de rémunération, la même qualification et les mêmes perspectives d'évolution de carrière et dans le même secteur géographique que l'emploi initial,

condamne la société ALLIANZ IARD à payer à Monsieur [Q] la totalité des salaires ou des sommes perdues entre la date du licenciement et la réintégration, déduction faite des revenus tirés d'une autre activité professionnelle ou des ressources perçues d'un organisme social (359.469 euros), ainsi que les indemnités de rupture perçues par Monsieur [Q] (446.281,73 euros),

Dit que la société ALLIANZ IARD devra payer à Monsieur [Q] un salaire mensuel de 8.542,86 euros jusqu'à sa réintégration effective,

Dit qu'il n'y a pas lieu d'ordonner une astreinte à la charge de l'employeur,

Rejette les demandes de Monsieur [Q] tenant à la fixation d'un salaire mensuel brut à compter du 1er janvier 2016, les conditions cumulatives fixées pour la réintégration effective, la mise en place d'une astreinte, la condamnation de la société ALLIANZ IARD à lui payer des dommages et intérêts pour préjudice de carrière liée au statut de cadre dirigeant, la condamnation de la société ALLIANZ IARD à lui payer des dommages et intérêts pour le préjudice subi du fait de l'absence de cotisation et perte d'avantages,

Dit que les intérêts au taux légal sur cette somme courront à compter de la date de la demande,

Ordonne la capitalisation des intérêts sur le fondement des dispositions de l'article 1154 du code civil,

Condamne la société ALLIANZ IARD à payer à Monsieur [Q] une somme de 3.000 € au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile,

Condamne la société ALLIANZ IARD aux dépens.

LE GREFFIER LE CONSEILLER FAISANT

FONCTION DE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 10
Numéro d'arrêt : 13/10521
Date de la décision : 20/01/2016

Références :

Cour d'appel de Paris L1, arrêt n°13/10521 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2016-01-20;13.10521 ?
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