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14/01/2016 | FRANCE | N°13/05622

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 7, 14 janvier 2016, 13/05622


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS







COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 7



ARRÊT DU 14 Janvier 2016

(n° , pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : S 13/05622



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 11 Mai 2009 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS section RG n° 07/11114





APPELANTE

Madame [G] [Q]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

née le [Date naissance 1] 1966 à [Localité 1] (POLOGNE)


comparante en personne, assistée de Me Diane BERWICK, avocat au barreau de PARIS, toque : C1974

(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2012/04635 du 17/10/2012 accordée par ...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 7

ARRÊT DU 14 Janvier 2016

(n° , pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S 13/05622

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 11 Mai 2009 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS section RG n° 07/11114

APPELANTE

Madame [G] [Q]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

née le [Date naissance 1] 1966 à [Localité 1] (POLOGNE)

comparante en personne, assistée de Me Diane BERWICK, avocat au barreau de PARIS, toque : C1974

(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2012/04635 du 17/10/2012 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de PARIS)

INTIMES

Monsieur [R] [J]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

comparant en personne, assisté de Me Laurent BERNET, avocat au barreau de PARIS, toque : P0490 substitué par Me Charlotte PILLIARD, avocat au barreau de PARIS,

toque : P0490

Monsieur [Z] [C]

TF1

[Adresse 3]

[Adresse 3]

représenté par Me Philippe ROZEC, avocat au barreau de PARIS, toque : R045 substitué par Me Isabelle DAUZET, avocat au barreau de PARIS, toque : R045

TF1 PRODUCTION VENANT AUX DROITS DE QUAI SUD TELEVISION

[Adresse 3]

[Adresse 3]

représentée par Me Philippe ROZEC, avocat au barreau de PARIS, toque : R045 substitué par Me Isabelle DAUZET, avocat au barreau de PARIS, toque : R045

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 05 Novembre 2015, en audience publique, devant la Cour composée de :

M. Patrice LABEY, Président de chambre

Monsieur Rémy LE DONGE L'HENORET, Conseiller

M. Philippe MICHEL, Conseiller

qui en ont délibéré

Greffier : Mme Lynda BENBELKACEM, lors des débats

ARRET :

- CONTRADICTOIRE

- mis à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Monsieur Patrice LABEY, Président, et par Madame Wafa SAHRAOUI, Greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

**************

Mme [G] [Q] a été engagée par la Société TF1 PUBLICITE PRODUCTION en qualité de technicienne vidéo à effet au 1er avril 2002 avec une reprise d'ancienneté au 25 septembre 2000.

Du 9 mai au 31 août 2005 Mme [Q] a été détachée dans le cadre d'une convention de détachement tripartite à la gestion des archives de la SA QUAI SUD TELEVISION, au sein de laquelle elle a été mutée à compter du 1er septembre 2005 avec conservation de son ancienneté Groupe, en qualité d'archiviste1 - statut maîtrise - M2. pour une rémunération moyenne de 2.567,50 € calculée sur les douze derniers mois.

Après avoir été placé en arrêt pour maladie du 4 octobre 2006 au 2 mai 2007, Mme [Q] a bénéficié d'un mi-temps thérapeutique du 1er mai au 31 juillet 2007.

Le 17 octobre 2007, Mme [Q] a saisi le Conseil de Prud'hommes de PARIS aux fins de voir prononcer la résiliation de son contrat de travail aux torts de la Société QUAI SUD TELEVISION, aux droits de laquelle vient la Société TF1 PRODUCTION.

M. [Q] a fait l'objet le 25 octobre 2007 d'une convocation à un entretien préalable à licenciement, qui s'est tenu le 7 novembre 2007 avant d'être licenciée par lettre du 13 novembre 2007 pour cause réelle et sérieuse.

Dans le dernier état de ses demandes, Mme [Q] demandait au Conseil de prud'hommes de PARIS, outre la résiliation de son contrat de travail à titre principal, de prononcer la nullité de son licenciement à titre subsidiaire et de juger à titre infiniment subsidiaire que le licenciement intervenu le 13 novembre 2007 était dénué de cause réelle et sérieuse pour faire condamner la Société TF1 PRODUCTION venant aux droits de la société QUAI SUD TELEVISION à lui payer 77.025 € à titre de dommages et intérêts ;

Mme [Q] sollicitait également la condamnation solidaire de la Société TF1, de M. [R] [J] et de M. [Z] [C] à lui verser 15.000 € à titre de dommages-intérêts pour violation des articles L. 4121-1 (ancien article L. 230-2) et L.1152-1 et suivants (ancien article L. 122-49 et suivants) du Code du travail ;

Outre l'exécution provisoire et l'octroi d'une indemnité sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, Mme [Q] demandait au Conseil de prud'hommes d'ordonner capitalisation des intérêts à compter de l'introduction de l'instance sur le fondement de l'article 1154 du Code civil.

La Cour est saisie d'un appel formé par Mme [Q] contre le jugement du Conseil de prud'hommes de PARIS en date du 11 mai 2009 qui l'a déboutée de l'ensemble de ses demandes.

Vu les écritures du 5 novembre 2015 au soutien des observations orales par lesquelles Mme [Q] demande à la cour à titre principal de prononcer la résiliation de son contrat de travail aux torts de son employeur, à titre subsidiaire de prononcer la nullité de son licenciement et à titre infiniment subsidiaire de juger que son licenciement est dénué de cause réelle et sérieuse pour faire condamner la Société TF1 PRODUCTION venant aux droits de la société QUAI SUD TELEVISION à lui payer 77.025 € à titre de dommages et intérêts ;

Mme [Q] sollicite par ailleurs la condamnation solidaire de la Société TF1, de M. [R] [J] et de M. [Z] [C] à lui verser 15.000 € à titre de dommages-intérêts pour violation des articles L. 4121-1 (ancien article L. 230-2) et L.1152-1 et suivants (ancien article L. 122-49 et suivants) du Code du travail, ainsi que la capitalisation des intérêts à compter de l'introduction de l'instance sur le fondement de l'article 1154 du Code civil.

Vu les écritures du 5 novembre 2015 au soutien de leurs observations orales au terme desquelles la société TF1 et M. [Z] [C] demandent à la cour de confirmer la décision entreprise en ce qu'elle a mis hors de cause M. [C] et a débouté Mme [Q] de l'ensemble de ses demandes et de la condamner à leur verser chacun 3.500 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Vu les écritures du 5 novembre 2015 au soutien de ses observations orales au terme desquelles M. [R] [J] demande à la cour de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté Mme [Q] des demandes dirigées à son encontre et à son infirmation en ce qu'il a rejeté sa demande de dommages et intérêts ainsi que d'article 700 du Code de procédure civile à l'encontre de Mme [Q] et sollicite sa condamnation à lui verser 7.500 € à titre de dommages et intérêts, outre 3.500 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties la cour, conformément à l'article 455 du code de procédure civile , renvoie aux conclusions déposées et soutenues l'audience ;

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la résiliation du contrat de travail

Lorsqu'un salarié demande la résiliation judiciaire de son contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur, tout en continuant à travailler à son service, et que ce dernier le licencie ultérieurement pour d'autres faits survenus au cours de la poursuite du contrat, le juge doit d'abord rechercher si la demande de résiliation du contrat était justifiée. C'est seulement dans le cas contraire qu'il doit se prononcer sur le licenciement notifié par l'employeur.

Lorsque le salarié n'est plus au service de son employeur au jour où il est statué sur la demande de résiliation judiciaire, cette dernière prend effet, si le juge la prononce, au jour du licenciement.

En application des articles L. 230-2, I et suivants du Code du travail (L 4121-1 nouveau), l'employeur doit veiller à la sécurité et à la protection de la santé de ses salariés. Il doit prendre les mesures de prévention des risques professionnels nécessaires et informer et former ses salariés sur ces risques et doit veiller à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes.

L'employeur, dans le cadre de son pouvoir de direction, peut changer les conditions de travail d'un salarié, la circonstance que la tâche donnée à un salarié soit différente de celle qu'il effectuait antérieurement, dès l'instant où elle correspond à sa qualification, ne caractérise pas une modification du contrat de travail.

Aux termes de l'article L 122-49 alinéa1du code du travail (L.1152-1 nouveau) , aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Selon l'article L 122-49 alinéa 2 du code du travail (L.1152-2 nouveau), aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral et pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés.

L'article. L. 122-52 du même code (L.1154-1 nouveau) prévoit qu'en cas de litige, le salarié concerné établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement et il incombe alors à l'employeur, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Pour infirmation, Mme [Q] fait essentiellement valoir qu'elle occupait des fonctions d'archiviste et que dès septembre 2005, son temps était partagé entre la numérisation des archives suite à l'informatisation des archives et la recherche d'images mais que cette mission et la délocalisation des archives en trois sites distincts dont un au studio 107 à [Localité 2], l'ont exposée à une surcharge de travail, l'ayant conduit à solliciter en mai et juin 2006 des demandes d'embauche pour la dispenser des aller et retour sur les sites de [Localité 3] et de [Localité 2].

Mme [Q] expose en outre que les aides ponctuelles qui lui ont été accordées, se révélant inefficaces dans un contexte de dégradation de ses conditions de travail et de pression de plus en plus forte, elle a été placée en arrêt pour maladie sur une période 7 mois et qu'à son retour, elle a constaté qu'elle avait été dépossédée de son bureau personnel et de ses tâches, confiées à M. [R] [J] qui après avoir été engagé en CDD pour surcroît d'activité, a été recruté en qualité de supérieur hiérarchique dans le cadre d'un CDI avant son retour.

Mme [Q] précise qu'elle n'a jamais pu obtenir de descriptif de son poste mais s'est trouvée confrontée à des demandes de justification et des convocations répétées devant le médecin du travail en mai et juin, qu'en rétorsion à la saisine du conseil des prud'hommes, elle a été convoquée à un entretien préalable, que sa lettre de licenciement lui a été remise lors de l'audience de conciliation, que son employeur n'a pas exécuté son contrat de bonne foi, ne mettant pas tout en oeuvre pour préserver sa santé, qu'au contraire elle a été victime de harcèlement moral de la part de M. [J] avec la caution de TF1 PRODUCTION qui a modifié ses conditions de travail et de M. [C] qui a feint de réaliser une enquête contradictoire sans consulter le CHSCT et souhaitant la rencontrer seule ou la convoquant à répétition sans justification devant le médecin du travail alors qu'elle était suivie par son propre médecin et son psychiatre.

La société TF1 PRODUCTION et M. [C] soutiennent que Mme [Q] occupait un poste d'archiviste sous la responsabilité de M. [F] directeur technique, qu'à compter de 2005 l'archivage se faisait avec l'aide du logiciel PROSCOP, en l'espèce sous-utilisé, Mme [Q] étant chargée principalement de l'inventaire des archives et subsidiairement employée à la recherche documentaire.

La société TF1 PRODUCTION et M. [C] font en outre valoir qu'à la suite de la dégradation du service rendu en 2006, deux personnes ont été engagées, qu'une autre personne est intervenue ponctuellement et que Mme [Q] qui a été affectée au studio 107 après avoir été reçue à plusieurs reprises à sa demande, a été placée en arrêt maladie ordinaire en 2007 à la suite de demande d'explication sur les difficultés et remplacée provisoirement par Mme [D], qu'un poste spécifique a été créé pour assurer la responsabilité de la documentation que ne couvraient les fonctions de Mme [Q], de sorte qu'elle ne peut soutenir avoir été remplacée par M. [J].

La société TF1 PRODUCTION et M. [C] qui demande sa mise hors de cause comme n'étant pas l'employeur de Mme [Q], réfutent par ailleurs les accusations de la salariée à l'encontre de ce dernier, arguant de ce que l'intéressée s'est soustraite à l'enquête contradictoire qu'il avait mise en oeuvre, en particulier quant aux demandes de transmission des courriels susceptibles de caractériser le harcèlement allégué et n'a pas déféré aux demandes de visites à la médecine du travail.

S'agissant du harcèlement allégué, les intimés rétorquent que la réduction des tâches de Mme [Q] en raison de la surcharge de travail invoquée par elle, est sans rapport avec une quelconque modification de ses conditions de travail, que la nomination d'un échelon intermédiaire dans la hiérarchie ne peut en soi avoir un caractère fautif.

M. [J] indique qu'aucun lien n'est établi par la salariée entre son arrêt de travail et une quelconque maladie professionnelle ou accident de travail, qu'il a été recruté à la suite de la décision de la société de créer un service de documentation et que les difficultés déjà rencontrées par Mme [Q] pour se soumettre à l'autorité d'une hiérarchie, se sont accentuées à son égard.

M. [J] ajoute que la salariée ne produit aucune pièce concernant le harcèlement allégué dont elle n'a pas parlé au médecin du travail, que de surcroît elle a refusé de rencontrer après la visite de reprise.

En l'espèce, s'agissant du manquement de l'employeur à son obligation de sécurité, dont les éventuelles conséquences ne peuvent viser ad nominem M. [C] intervenu en sa qualité de DRH, s'il apparaît établi que la conjugaison entre le passage à la numérisation des archives vidéo et l'éclatement entre le site de [Localité 3] et celui de [Localité 2] a contribué à alourdir la charge de travail de Mme [Q], il ressort des débats et en particulier des explications de l'intéressée qu'à la suite de ses demandes et des échanges avec sa hiérarchie, elle a bénéficié du renfort de plusieurs salariés, la circonstance qu'elle ait pu considérer cette aide insuffisante ou inefficace étant à cet égard indifférente.

Par ailleurs, il est également établi qu'à la suite des accusations de harcèlement dont elle avait saisi son employeur, M. [C] en sa qualité de DRH a entamé une enquête interne pour recueillir les éléments susceptibles de les corroborer et dans le même cadre, a fait convoquer Mme [Q] par le médecin de travail, et qu'il s'est heurté dans les deux cas à l'opposition de la salariée qui, faute d'avoir communiquer les éléments en sa possession et permis à la médecin du travail qui l'avait déclarée apte à l'issue de son arrêt de travail, d'apprécier la dégradation de son état de santé, n'est pas fondée à reprocher à son employeur de ne pas avoir saisi le CHSCT ou auditionné les délégués syndicaux.

En ce qui concerne le changement des conditions de travail allégué, il est constant qu'antérieurement au départ de M. [F] Directeur technique sous la responsabilité duquel était placée Mme [Q] et jusqu'à son arrêt de travail, l'intéressée disposait d'une certaine autonomie dans l'exercice de ses fonctions d'archiviste et pouvait être sollicitée pour effectuer ponctuellement des recherches documentaires non dénuées de lien avec ces fonctions mais il est également établi que la numérisation des archives et l'éclatement de l'activité sur plusieurs sites, outre l'absence de Mme [Q] pendant sept mois, ont mis en évidence la nécessité d'organiser un service de documentation intégrant les fonctions d'archivage et d'alléger les tâches confiées à Mme [Q] ayant repris son travail dans le cadre d'un mi-temps thérapeutique du 1er mai au 31 juillet 2007.

Dans ces conditions, la création d'un poste de responsable de la documentation sous la responsabilité duquel a été placée Mme [Q], qui relève du pouvoir de direction de l'employeur, ne peut lui être imputée à faute, ni plus que l'allégement des tâches qui étaient antérieurement confiées à Mme [Q].

S'agissant du harcèlement moral allégué, les faits invoqués par la salariée, compris entre le 2 mai 2007, date de la visite de reprise et le 28 août 2007 se rapportant d'une part aux instructions de son supérieur hiérarchique, aux demandes d'informations concernant ses déplacements sur le temps de travail ou à l'état d'avancement des tâches qui lui avaient été confiées, aux rappels de la nécessité d'être informé de ses absences ou aux demandes d'explications relatives à une demande de devis dont il n'était pas informé et d'autre part aux convocations à la médecine du travail à l'initiative de M. [C] ou à l'invitation de la salariée à prendre rendez-vous auprès de ce service, à l'appréciation du médecin du travail sur son aptitude ou sur l'absence de doléance de la salariée concernant le harcèlement, pris dans leur ensemble ne laissent pas présumer l'existence d'un quelconque harcèlement moral, l'interprétation par la salariée de ces faits au regard de la programmation de son éviction et l'absence d'enquête sur les faits qu'elle dénonçait, n'étant corroborée par aucun élément produit aux débats.

Il ressort de ce qui précède qu'il y a lieu de confirmer la décision entreprise en ce qu'elle a débouté Mme [Q] de sa demande de résiliation de son contrat de travail aux torts de son employeur.

Sur la nullité du licenciement

Mme [Q] fondant la demande de nullité de son licenciement sur le lien entre la dégradation de son état de santé et la dégradation de ses conditions de travail à raison en particulier des manquements de son employeur à son obligation de sécurité et du harcèlement dont elle aurait été l'objet, non retenus précédemment, il ne peut être fait droit à sa demande et ce, nonobstant l'avis conditionnel du Docteur [L] invoqué par la salariée, au terme duquel "elle présentait un tableau de dépression réactionnelle avec stress post-traumatique selon le DSM IV qui pourrait être mis en relation avec la dégradation des conditions de travail décrit par la patiente"...

Sur le licenciement

En application des dispositions de l'article art. L. 122-14-3, alinéa 1 phrase 1 et alinéa 2 du code du travail (L.1235-1 nouveau), en cas de litige relatif au licenciement, le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties, au besoin après toutes mesures d'instruction qu'il estime utiles ; si un doute subsiste, il profite au salarié.

La lettre de licenciement qui fixe les limites du litige et qui lie le juge, est ainsi motivée :

Lors de cet entretien, nous vous avons fait part des faits qui ont conduit la société à envisager une telle mesure, mais il est à noter que vous avez refusé de nous faire part de la moindre explication, au motif que vous ne souhaitiez communiquer avec la société que par l'intermédiaire de votre avocat.

Nous vous avons tout d'abord rappelé que vous avez été engagée sous contrat à durée indéterminée le 1

er avril 2002 (avec une reprise d'ancienneté au 25 septembre 2000) au sein de la société TF1 Publicité Production, en qualité de Technicienne Vidéo.

Vous avez ensuite été mutée au sein de la société Quai Sud Télévision en qualité d'archiviste, au statut maîtrise niveau 2, le 1er septembre 2005, après un détachement de quatre mois. Vos missions consistaient à réaliser un inventaire et un archivage de l'ensemble des supports vidéo de cette société, sous la responsabilité de Monsieur [D] [F], qui était en charge de la documentation, en sus de sa fonction de Responsable Technique. Monsieur [D] [F] étant lui-même placé sous la responsabilité d'abord, de Monsieur [Q] [M],

Directeur Général Adjoint, puis de Madame [J] [X] à compter de décembre 2006 en tant que Directrice de Production.

Compte tenu d'une part, du volume de supports vidéo existants (25 000) et du nombre produit chaque année (5000), et d'autre part, de l'utilisation de plus en plus fréquente d'images d'archives dans les nouvelles émissions, il a été décidé de modifier le système d'archivage de la société et de créer un poste en contrat à durée indéterminée de Responsable de la documentation et archives à part entière, rattaché à Madame [J] [X].

Ce poste a été confié à Monsieur [R] [J] en raison notamment de son expérience professionnelle importante dans ce domaine, étant précisé que cette création de poste n'emportait pas de modification de votre contrat de travail, et vous plaçait sous la subordination de Monsieur [R] [J].

Force est de constater que vous n'avez eu de cesse de remettre en cause ce lien de subordination, ne permettant pas à votre nouveau responsable hiérarchique d'exercer les missions d'encadrement qui étaient les siennes et qui consistaient, comme il en va pour tout manager, à organiser et à diriger votre travail afin d'assurer le bon fonctionnement du service.

Ceci conduit la société à vous faire part des griefs suivants :

- Insubordination répétée à l'égard de votre responsable hiérarchique :

Vous avez tenté d'entraver le bon déroulement de l'activité du service et ainsi de décrédibiliser le travail de Monsieur [R] [J]. Vous avez tout d'abord prétexté ne pas pouvoir réaliser correctement vos missions. Ainsi, vous avez invoqué le 20 septembre 2007, des problèmes de fonctionnement du logiciel Proscope pour cesser totalement l'archivage des supports vidéo. Il s'est avéré, après le passagè"du~responsable technique de la société gérant cette application, que ces prétendus dysfonctionnements invoqués sur votre

poste de travail n'étaient en aucun cas de nature à empêcher l'utilisation de cette application.

Vous auriez donc pu archiver normalement l'ensemble des supports vidéo.

Vous avez par ailleurs remis en cause le système de classification des supports vidéo mis en place par Monsieur [R] [J], qui était pourtant conforme aux décisions de la Direction en matière d'organisation des archives, et avez refusé ouvertement dej'appliquer.

Plus précisément, Monsieur [R] [J] vous a demandé d'archiver les supports vidéo selon la date de diffusion et non la date de réalisation. Vous avez alors exprimé péremptoirement votre volonté de ne pas suivre ses instructions et de travailler selon vos propres méthodes, notamment par courriel en date du 5 octobre 2007 :

« Quelques jours auparavant, dans notre conversation, tu m'as fait part de ton désaccord concernant l'appellation de certains rushs des sujets de l'année précédente.

Je t'ai expliqué que les rushs des sujets 2006/2007je les archive comme tels et non sur la saison 2007/2008. Je viens de me rendre compte que, à mon insu, l'appellation de certains rushs des sujets de la saison dernière avaient été modifiée et attribuée à la saison en cours.

Veux tu bien me donner la raison pour laquelle tu as effectué ces modifications, à mon insu, sans me le demander au préalable ».

Monsieur [R] [J] a alors été contraint de vous rappeler une fois encore qu'il était garant de la qualité du travail effectué par ses collaborateurs et qu'il se réservait le droit de procéder aux modifications nécessaires. Vous avez néanmoins cm bon d'ignorer les consignes données et de rétablir de vous-même les corrections effectuées par Monsieur [R] [I], ie 8 octobre 2007, vous avez sollicité une réunion avec Monsieur [R] [J], au cours de laquelle voïïs êtes venue accompagnée de Monsieur [K] [P] (Délégué Syndical) et de Mademoiselle [X] [N] (élue du personnel). Monsieur [R] [J] a alors sollicité la présence de Madame [J] [X], sa responsable hiérarchique.

Vous avez alors exigé un courriel détaillé de Monsieur [R] [J], précisant l'ensemble des tâchesjjîrîrsouhaitait vous confier, alors même qu'il vous avait à plusieurs reprises rappelé le périmètre de votre poste d'archiviste, notamment lors de votre retour de congés maladie en mai

Vous avez ensuite indiqué à Monsieur [R] [J], que celui-cmevait vous demander l'autorisation de procéder à des modifications sur votre travail et de surcroît qu'il devrait à l'avenir s'en expliquer.

[I], vous avez exigé que, lorsque Monsieur [R] [J] souhaitait vous confier une tâche, cela soit consigné par écrit ou par mail et ce, même si cette tâche rentrait dans vos attributions.

Les agissements énumérés ci-dessus sont caractéristiques d'une grave insubordination à l'égard de votre hiérarchie, déstabilisée par ailleurs par les incessants"griefs à son encontre.

Nous ne pouvons tolérer un tel comportement qui porte atteinte non seulement au bon fonctionnement du service et la qualité du travail attendu, mais aussi à l'autorité de votre hiérarchie.

- Soustraction à l'enquête contradictoire diligentée suite à une mise en cause grave de votre responsable hiérarchique:

Vous avez indiqué à la Direction de l'entreprise notamment, au mois de juin 2007, lors d'un entretien et également par le biais d'un courrier de votre avocat, être victime d'actes de harcèlement moral de la part de Monsieur [R] [J].

Compte tenu de la gravité d'une telle accusation, la Direction de l'entreprise a immédiatement diligenté une enquête contradictoire au cours de laquelle elle vous a notamment reçu afin de prendre connaissance des faits que vous qualifiiez de harcèlement moral et également des éléments matérialisant ces faits. En particulier, la Direction vous a demandé de lui transmettre les courriels dont aviez fait état et qui prouvaient, selon vous, le harcèlement dont vous étiez victime.

Parallèlement, la Direction de l'entreprise vous a demandé de rencontrer le médecin du travail, dans le cadre de l'article L. 230-2 du Code du travail.

Malgré nos demandes réitérées, tant par courriel que par courrier recommandé avec avis de réception, de communication des éléments matérialisant les faits de harcèlement moral dont vous faisiez état, vous ne nous avez jamais rien communiqué. En outre, vous avez formellement refusé de rencontrer le médecin du travail à ce sujet.

En l'absence de tout élément de votre part permettant d'étayer vos accusations et compte tenu des éléments portés à la connaissance de la Direction dans le cadre de l'enquête qui a été organisée, cette dernière a alors décidé de pas engager de procédure disciplinaire à l'encontre de Monsieur [R] [J].

Face à votre refus persistant de collaborer avec votre hiérarchie, de vous conformer à ses directives et à votre volonté manifeste d'imposer un mode de fonctionnement contraire à celui qui avait été arrêté, nous sommes contraints de procéder à votre licenciement.

Compte de la gravité des faits qui vous sont reprochés, la qualification de licenciement pour faute grave pourrait être retenue. Néanmoins, au regard de votre situation familiale, nous avons décidé de procéder à un licenciement pour faute réelle et sérieuse.

Votre préavis, d'une durée de deux mois, prendra effet à compter de la première présentation du présent courrier. Nous vous informons que nous vous dispensons de l'exécution de ce préavis qui vous sera rémunéré.

Pour infirmation, Mme [Q] expose essentiellement que les griefs articulés dans la lettre de licenciement sont inexistants et infondés, que la sanction prononcée à son encontre ne respecte ni le règlement intérieur ni l'échelle des sanctions, alors qu'elle n'avait jamais fait l'objet antérieurement de la moindre sanction.

Se référant à la lettre de licenciement, la société TF1 PRODUCTION et M. [C] rétorquent que la salariée n'a jamais admis être soumise à l'autorité de M. [J], que non seulement elle ne respectait pas ses instructions et méthodes mais les critiquait et demandait à son supérieur de se justifier ou lui enjoignait de lui adresser par écrit des tâches relevant pourtant de ses attributions., ajoutant qu'au surplus, après avoir gravement mis en cause son supérieur hiérarchique, la salariée s'est soustraite à l'enquête contradictoire mise en oeuvre par le DRH et n'a pas entendu donner de suite aux demandes de visites médicales qui lui étaient adressées.

En l'espèce, il est constant et revendiqué par Mme [Q] que la méthode d'archivage des rushs retenue par son supérieur hiérarchique, ne correspondait pas à la pratique antérieurement adoptée qu'elle estimait plus pertinente.

Si une telle divergence d'opinion sur les méthodes de travail n'est pas en soi critiquable, en revanche le fait de ne pas se conformer aux instructions de son supérieur, comme il est établi que ce fut le cas de la part de Mme [Q] ou même de demander à son supérieur de justifier des raisons l'ayant conduit à opérer des corrections sur les cassettes ayant fait l'objet d'un archivage non conforme, sans l'en avoir préalablement avisée, est indéniablement constitutif d'une insubordination incompatible avec la poursuite du contrat de travail, au même titre que le refus de rendre compte de son activité et de ses absences ou retards et de présenter la relation hiérarchique à son égard comme constitutive de harcèlement moral.

En conséquence de ce qui précède, il y a lieu de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a dit le licenciement de Mme [Q] fondé sur une cause réelle et sérieuse, et de débouter l'intéressée des demandes formulées à ce titre.

Sur les manquements de TF1 PRODUCTION, M. [C] et M. [J]

Force est de constater que tant les fondements juridiques invoqués que les arguments développés par Mme [Q] à l'appui des demandes formulées à ce titre, sont identiques à ceux développés dans le cadre de la demande de résiliation de son contrat de travail et que la cour a estimé non fondés, de sorte que sans qu'il y soit utile de statuer sur la demande de mise hors de cause de M. [C], il y a lieu de débouter Mme [Q] de demande formulée à ce titre.

Sur la demande reconventionnelle de M. [J] :

Pour infirmation, M. [J] soutient que les accusations portées à son encontre par Mme [Q] ont semé un doute sur sa respectabilité et bien que rapidement levé, ce doute l'a atteint dans ses valeurs au point d'affecter sa santé.

Si la dénonciation de faits de harcèlement bénéficie d'une protection particulière, tenant au fait que toute poursuite disciplinaire fondée sur une telle dénonciation est nulle, cette immunité a pour limite l'abus de l'exercice de ce droit.

En l'espèce, en portant des accusations de harcèlement moral à l'égard de son supérieur, de nature à justifier à son encontre des poursuites disciplinaires ou pénales, tout en refusant de participer à l'enquête contradictoire engagée par son employeur et de communiquer les éléments sur lesquels elle fondait ses accusations, concernant en réalité l'exercice normal à son égard, des attributions que M [J] tirait de sa position hiérarchique, l'exercice par Mme [Q] du droit précité a dégénéré en un abus à l'origine d'un préjudice moral dont M. [J] est fondé à obtenir réparation, de sorte qu'il y a lieu d'infirmer la décision entreprise de ce chef et de condamner Mme [Q] à lui verser la somme de 3 000 € à titre de dommages et intérêts.

Sur l'article 700 du Code de procédure civile

L'équité et la situation économique respective des parties justifient qu'il soit fait application de l'article 700 du code de procédure civile dans la mesure énoncée au dispositif ;

PAR CES MOTIFS,

La cour, statuant en dernier ressort et par arrêt contradictoire mis à la disposition des parties au greffe,

CONFIRME le jugement entrepris sauf en ce qu'il a débouté M. [R] [J] de sa demande de dommages et intérêts à l'encontre de Mme [G] [Q] ;

statuant à nouveau et y ajoutant,

CONDAMNE Mme [G] [Q] à payer 3.000 € à M. [R] [J] à titre de dommages et intérêts ;

CONDAMNE Mme [G] [Q] à payer en application de l'article 700 du code de procédure civile :

- 1.500 € à la société TF1 PRODUCTION venant aux droits de la société QUAI SUD TELEVISION ;

- 1.500 € à M. [Z] [C] ;

- 2.000 € à M. [R] [J] ;

DÉBOUTE Mme [G] [Q] de sa demande fondée sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

DÉBOUTE les parties de leurs autres demandes,

CONDAMNE Mme [G] [Q] aux entiers dépens de première instance et d'appel, qui seront recouvrés comme en matière d'aide juridictionnelle

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

M. LABEY


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 7
Numéro d'arrêt : 13/05622
Date de la décision : 14/01/2016

Références :

Cour d'appel de Paris K7, arrêt n°13/05622 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2016-01-14;13.05622 ?
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