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08/01/2016 | FRANCE | N°13/05550

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 11, 08 janvier 2016, 13/05550


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS







COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 11



ARRÊT DU 08 janvier 2016 après prorogation

(n° , 10 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : S 13/05550

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 11 Mars 2013 par le Conseil de Prud'hommes de PARIS - RG n° 09/16257





APPELANTE

SA AGEAS FRANCE (anciennement dénommée FORTIS ASSURANCES)

[Adresse 2]

[Adresse 2]

représentée par Me Alain

CONFINO, avocat au barreau de PARIS, toque : K0182 substitué par Me Stéphane INGOLD, avocat au barreau de PARIS, toque : K0182







INTIME

Monsieur [B] [S] né le [Date naissance 1...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 11

ARRÊT DU 08 janvier 2016 après prorogation

(n° , 10 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S 13/05550

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 11 Mars 2013 par le Conseil de Prud'hommes de PARIS - RG n° 09/16257

APPELANTE

SA AGEAS FRANCE (anciennement dénommée FORTIS ASSURANCES)

[Adresse 2]

[Adresse 2]

représentée par Me Alain CONFINO, avocat au barreau de PARIS, toque : K0182 substitué par Me Stéphane INGOLD, avocat au barreau de PARIS, toque : K0182

INTIME

Monsieur [B] [S] né le [Date naissance 1] 1970 à [Localité 2]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

comparant en personne, assisté de Me Thierry YGOUF, avocat au barreau de CAEN, toque : 16

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 15 Octobre 2015, en audience publique, devant la Cour composée de :

Madame Marie-Luce CAVROIS, Présidente de chambre

Madame Valérie AMAND, Conseillère

M. Christophe BACONNIER, Conseiller

Qui en ont délibéré

Greffier : Melle Flora CAIA, lors des débats

ARRET :

- Contradictoire

- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Marie-Luce CAVROIS, Présidente et par Mademoiselle Flora CAIA, Greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

RAPPEL DES FAITS, PROCEDURE ET MOYENS DES PARTIES

La société AGEAS FRANCE a employé Monsieur [S] par contrat de travail à durée indéterminée à compter du 1er octobre 1994 en qualité de conseiller en prévoyance senior, puis d'attaché d'inspection, puis d'inspecteur départemental cadre et enfin, de responsable départemental cadre à compter du 1er février 2004.

Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective nationale de l'inspection d'assurances.

Monsieur [S] a fait l'objet d'un avertissement le 29 septembre 2008.

Par lettre notifiée le 26 octobre 2009, Monsieur [S] a été convoqué à un entretien préalable fixé au 3 novembre 2009 et un conseil paritaire s'est tenu le 10 novembre 2009 conformément à la procédure conventionnelle.

Monsieur [S] a ensuite été licencié pour cause réelle et sérieuse par lettre notifiée le 24 novembre 2009 ; la lettre de licenciement indique':

«'Monsieur,

Au terme de la réflexion que nous avons menée après l'entretien préalable qui s'est tenu le 3 novembre dernier et après avoir pris connaissance des avis exprimés au Conseil paritaire réuni le 10 novembre 2009, nous avons le regret de vous faire savoir que nous avons décidé de procéder à votre licenciement

pour les motifs suivants :

- Incurie dans le management de vos collaborateurs

- Violation des règles de prudence.

- Méconnaissance des procédures internes et de vos obligations envers votre hiérarchie.

Ces motifs sont explicités et détaillés ci-après.

1. En janvier 2008, à l'occasion du rachat par notre cliente Madame [P] de son contrat CORBEILLE, votre collaboratrice Mademoiselle [D] [H] a commis une erreur qui s'est révélée lourde de conséquences tant pour la cliente que pour notre société, en cochant la case «' IRPP » au lieu de «'prélèvement libératoire» sur le document de demande de rachat de la cliente.

Cette erreur a entraîné pour Madame [P] un surcoût d'imposition d'un montant de 22.462 € dont la cliente nous a évidemment demandé le remboursement.

Cette erreur ne vous est certes pas imputable. Mais lorsque Mademoiselle [H] vous a informé de son intention de se rendre personnellement avec cette cliente et son collègue Monsieur [N] à la trésorerie du [Localité 1], pour «' négocier » un sursis de paiement, non seulement vous ne lui avez pas interdit cette démarche, mais encore vous vous êtes entièrement abstenu d'en aviser votre hiérarchie qui vous aurait bien sûr immédiatement dissuadé de laisser une de vos collaboratrices l'effectuer. Il est vrai que vous avez même essayé de justifier a posteriori votre insuffisance de management en affirmant : «' De toute façon, même si je l'avais fait, [D] [H] l'aurait quand même fait en raison de sa proximité personnelle avec cette cliente ». Pour nous, il s'agit là d'une circonstance aggravante.Vous ne pouviez ignorer qu'une telle intervention est non seulement interdite, mais de surcroît de nature à engager la responsabilité de la compagnie. Vous ne pouviez ignorer davantage que l'assistance en matière fiscale n'entre en rien dans les compétences et les missions d'un conseiller.Comme l'ensemble des membres du réseau salarié, votre attention avait même été spécialement attirée, par la note de service de notre Directeur Général publiée le 27 mai 2009 sur l'intranet de la société, sur la nécessité d'un strict respect des règles légales et des procédures internes et sur le fait que vos fonctions commerciales ne sont assorties d'aucune délégation de pouvoir ou de signature pour le compte de la compagnie. Par conséquent, force nous est de constater que vous n'avez ni exercé votre contrôle et votre pouvoir hiérarchique à l'égard de vos collaborateurs pour leur interdire de telles initiatives, ni même informé votre hiérarchie de cet incident grave.

Un tel relâchement de la part d'un responsable d'agence clans la gestion de ses collaborateurs expose la compagnie à de sérieux risques juridiques et financiers (qui en l'occurrence se sont réalisés) et nuisent en outre gravement de son image, tant à l'extérieur qu'à l'intérieur.

2. Ces faits sont d'autant moins admissibles que ce n'est pas la première fois que nous avons ainsi à déplorer une négligence grave de votre part dans le management de vos collaborateurs. Un rappel vous avait été fait a cet égard au cours de l'entretien que vous aviez eu le 25 mars 2008. Le 29 septembre 2008, nous avons été contraints de vous notifier un avertissement en raison notamment du manque de régularité et de fiabilité des informations transmises par vos collaborateurs et/ou par vous-même, d'un compte-rendu et d'un suivi de l'activité de votre agence très insuffisants, ajoutés à vos retards ou absences non justifies.

Malgré cet avertissement très ferme, vous n'avez pas cru devoir modifier votre mode de management, ce que nous regrettons.

3. Nous sommes donc aujourd'hui dans l'obligation de procéder à votre licenciement pour faute pour les motifs exposés au paragraphe I ci-dessus.

4. La période de mise à pied conservatoire qui vous a été notifiée le 26 octobre dernier vous sera rémunérée et prendra fin à réception de la présente lettre. Votre préavis d'une durée de 3 mots commence à courir à compter de la première présentation de la présente lettre. Au terme de cette durée, votre contrat de travail cessera définitivement. Nous vous dispensons d'effectuer ce préavis, de sorte que vous n'aurez plus désormais a vous présenter à votre travail ; vous percevrez néanmoins votre rémunération jusqu'au terme de votre contrat suivant les modalités habituelles. Votre compte de fin de contrat, votre certificat de travail ainsi que l'attestation destinée au Pôle Emploi vous seront adressés par voie postale à l'issue de cette période de préavis.

5. Nous vous informons que vous aurez acquis 60 heures au titre du droit individuel à la formation à la fin du préavis. Vous pouvez, pendant votre préavis, utiliser ces heures pour bénéficier notamment d'une action de formation, de bilan de compétence ou de validation des acquis de l'expérience, à condition de nous en avoir fait la demande avant l'expiration du délai de préavis. L'allocation de formation sera dans ce cas, versée à l'organisme que vous aurez éventuellement choisi.

6. Nous vous précisons que l'accord de branche du 14 octobre 2004 prévoit, sous certaines conditions, la possibilité de transférer la moitié de vos droits acquis non consommés en cas d'embauche dans l'année qui suit dans une autre société d'assurances.

7. Les nouvelles dispositions légales en vigueur depuis le 1'juillet 2009 prévoient la possibilité d'un maintien des garanties complémentaires Sante et Prévoyance. Nous vous remercions de bien vouloir nous indiquer au plus tard dans les quinze jours de la réception du présent courrier, si vous souhaitez renoncer au bénéfice de ce dispositif

Sauf refus explicite et écrit de votre part, nous considérerons que vous avez donné votre acceptation à ce maintien et la part salariale des cotisations correspondantes sera retenue sur votre solde de tout compte.

8. Nous vous invitons à nous remettre, à réception de la présente, tous matériels et documents appartenant à la société, en particulier votre téléphone mobile, l'ordinateur portable et les fichiers clients.

Vous voudrez bien en outre prendre toutes dispositions pour la restitution de votre véhicule de fonction.

9. Enfin, nous vous rappelons que vous ne devez en aucune façon porter atteinte au portefeuille de contrats de Fortis Assurances par démarchage direct ou indirect de ses clients, tenter de pratiquer le débauchage de ses agents ou collaborateurs, utiliser ses fichiers commerciaux ou engager une démarche ou action à caractère déloyal à l'égard de la compagnie.

Avec nos regrets, nous vous, prions d'agréer, Monsieur, l'expression de notre considération distinguée. »

A la date de présentation de la lettre recommandée notifiant le licenciement, Monsieur [S] avait une ancienneté de plus de 15 ans.

La société AGEAS FRANCE occupait à titre habituel au moins onze salariés lors de la rupture des relations contractuelles.

Contestant la légitimité de son licenciement et réclamant diverses indemnités consécutivement à la rupture de son contrat de travail, Monsieur [S] a saisi le conseil de prud'hommes de Paris qui, par jugement du 11 mars 2013 auquel la cour se réfère pour l'exposé de la procédure antérieure et des prétentions initiales des parties, a rendu la décision suivante :

«'- Annule l'avertissement du 29 septembre 2008

- Dit le licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- Condamne la société AGEAS FRANCE à payer à Monsieur [B] [S] les sommes suivantes :

- 63 000,00 € a titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

- 7 000,00 € au titre du préjudice moral

Avec intérêts de droit a compter du jour du prononcé du jugement et jusqu'au jour du paiement

- 500,00 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile

- Ordonne le remboursement à Pôle Emploi des indemnités de chômage perçues par Monsieur [S] à hauteur de 150 €

- Déboute Monsieur [B] [S] du surplus de ses demandes.

- Déboute la société AGEAS FRANCE de sa demande reconventionnelle et la condamne aux dépens.'»

La société AGEAS FRANCE a relevé appel de ce jugement par déclaration parvenue au greffe de la cour le 6 juin 2013.

L'affaire a été appelée à l'audience du 15 octobre 2015.

Lors de l'audience et par conclusions régulièrement déposées, la société AGEAS FRANCE demande à la cour de :

«'- DECLARER la société AGEAS France recevable et bien fondée en son appel

- INFIRMER le jugement prononce le 11 mars 2013 par le conseil de prud'hommes de Paris, en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a débouté M. [S] de ses demandes relatives a l'exécution de son contrat de travail.

- Et, statuant à nouveau :

- DIRE ET JUGER que l'avertissement est valable

- DIRE ET JUGER que le licenciement est fondé sur une cause réelle et sérieuse

- CONDAMNER M. [S] à payer à la société AGEAS France une indemnité de 3.500€ au titre des frais de procédure exposes dans la procédure de première instance, et encore une indemnité de 3.500 € au titre de ceux exposés devant la Cour, sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile.

- LE CONDAMNER en tous les dépens

- DEBOUTER M. [S] de toutes ses demandes contraires.'»

A l'appui de ces moyens, la société AGEAS FRANCE fait valoir en substance que':

- l'avertissement du 29 septembre 2008 est motivé par la négligence dans la gestion du point conseil dont Monsieur [S] était responsable et par les dysfonctionnements liés à un mauvais management

- dans le dossier [P], Monsieur [S] a manqué à ses obligations de manager les membres de son équipe, ce manquement étant caractérisé par un défaut de contrôle et d'autorité'; en fait il est reproché à Monsieur [S] de ne pas avoir interdit à Madame [H] de se présenter à l'administration fiscale, le conseil fiscal échappant à ses attributions

- il a aussi manqué à ses obligations en n'informant pas sa hiérarchie à temps ; en fait il est reproché à Monsieur [S] de ne pas avoir informé sa direction des démarches programmées par Madame [H] auprès de l'administration fiscale

- la négligence dans l'organisation et le management, stigmatisée dans l'avertissement du 29 septembre 2008 a persisté jusqu'en septembre 2009

- ces 3 derniers faits caractérisent la cause réelle et sérieuse du licenciement de Monsieur [S]

- les moyens de défense de Monsieur [S] sont mal fondés': sa prétendue réussite ne peut masquer ses manquements'; la stratégie d'éviction qu'il invoque est imaginaire'; son licenciement n'a pas été «'monté de toutes pièces'»': il était normal que les fautes qu'il a commises fin septembre 2009 amènent sa hiérarchie à se poser des questions'; M. [W] n'a remplacé Monsieur [S] que parce que ce dernier a été licencié et non l'inverse'; les attestations produites par Monsieur [S] émanent de personnes qui ne travaillaient plus avec Monsieur [S] en 2008 et 2009

- Monsieur [S] n'a pas droit à la monétisation à hauteur de 1000 € du lot qu'il revendique au titre du palmarès 2009 au motif que son contrat de travail a été rompu le 24 novembre 2009

- Monsieur [S] n'a pas droit aux dommages et intérêts de 1500 € qu'il réclame en indemnisation du fait qu'il ne figure pas dans le palmarès 2009 au motif que son contrat de travail a été rompu le 24 novembre 2009.

Lors de l'audience et par conclusions régulièrement déposées, Monsieur [S] s'oppose à toutes les demandes de la société AGEAS FRANCE et demande à la cour de':

«'Vu ensemble les articles L 1232-I, L 1235-3 et L 1235-4 du Code du Travail

Vu l'article J 382 du Code Civil

Vu la jurisprudence de la Cour de cassation

- Condamner la société AGEAS France au paiement d'une somme de 1.000,00 € au titre du lot non perçu pour les résultats 2009 ;

- Condamner la société AGEAS France au paiement d'une somme de 1500,00 € à titre de dommages et intérêts en raison du préjudice lié à l'éviction du palmarès 2009 ;

- Dire et juger le licenciement de Monsieur [S] dépourvu de cause réelle et sérieuse ;

- Condamner la société AGEAS France au paiement d'une somme de 180.000,00€ nets de CSG et CRDS à titre de dommages et intérêts au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- Condamner la société AGEAS France au paiement d'une somme de 30.000,00 € à titre de dommages et intérêts au titre du préjudice distinct du licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- Condamner la société AGEAS France au remboursement des allocations versées a Monsieur [S] par le POLE EMPLOI dans la limite de 6 mois ;

- Condamner la société AGEAS France au paiement d'une somme de 5.000,00 € sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;

- Condamner le défendeur aux dépens.'»

A l'appui de ces moyens, Monsieur [S] fait valoir en substance que':

- il a droit à la monétisation à hauteur de 1000 € du lot dû au titre du palmarès 2009 au motif qu'au vu des résultats de son agence, il était en tête en 2009 et devait bénéficier du premier prix, savoir «'un relais château lys d'or'»

- le fait de l'exclure du classement pour le palmarès 2009 est vexatoire et déloyal et justifie l'octroi de 1500 € de dommages et intérêts

- les griefs allégués à son encontre sont artificiels, le licenciement est «'monté de toutes pièces'» et ses motifs sont inavouables

- il ne pouvait aucunement interdire à Madame [H] de se rendre au Trésor le 11 septembre dès lors qu'il n'a été informé de cette initiative que le 14 septembre': il a été placé devant le fait accompli

- il a informé sa hiérarchie en temps réel dés qu'il a eu connaissance de faits justifiant une remontée d'information, notamment le 4 septembre quand il a été lui-même informé d'une problème dans le dossier [P] et le 14 septembre quand il a été lui-même informé du déplacement de Madame [H] au Trésor (pièces 16 et 17)

- le véritable motif de son licenciement est que son employeur voulait se débarrasser de lui depuis 2008, notamment pour reclasser M. [W]

- les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse doivent être fixés à 180.000 €

- les conditions vexatoires et brutales de son licenciement lui ont occasionné un préjudice moral justifiant l'octroi de 30.000 € de dommages et intérêts pour abus de droit.

Lors de l'audience présidée selon la méthode dite de la présidence interactive, la parole a été donnée au conseiller rapporteur qui a fait un rapport et les conseils des parties ont ensuite plaidé par observations et s'en sont rapportés pour le surplus à leurs écritures.

MOTIFS

Vu le jugement du conseil de prud'hommes, les pièces régulièrement communiquées et les conclusions des parties, soutenues oralement à l'audience, auxquels il convient de se référer pour plus ample information sur les faits, les positions et prétentions des parties.

Sur le licenciement

Il ressort de l'article L. 1235-1 du Code du travail qu'en cas de litige, le juge à qui il appartient d'apprécier le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties'; si un doute subsiste il profite au salarié.

Il ressort de la lettre de licenciement qui fixe les limites du litige que Monsieur [S] a été licencié pour les faits suivants :

- dans le dossier [P], Monsieur [S] a manqué à ses obligations de manager les membres de son équipe, ce manquement étant caractérisé par un défaut de contrôle et d'autorité'; en fait il est reproché à Monsieur [S] de ne pas avoir interdit à Madame [H] de se présenter à l'administration fiscale, le conseil fiscal échappant à ses attributions

- il a aussi manqué à ses obligations en n'informant pas sa hiérarchie à temps ; en fait il est reproché à Monsieur [S] de ne pas avoir informé sa direction des démarches programmées par Madame [H] auprès de l'administration fiscale

- la négligence dans l'organisation et le management, stigmatisée dans l'avertissement du 29 septembre 2008 a persisté jusqu'en septembre 2009

Il résulte de l'examen des pièces versées aux débats et des moyens débattus que la société AGEAS FRANCE n'apporte pas suffisamment d'éléments de preuve pour établir que la négligence dans l'organisation et le management, stigmatisée dans l'avertissement du 29 septembre 2008 a persisté jusqu'en septembre 2009. En effet, les conclusions de la société AGEAS FRANCE ne contiennent aucune articulation de faits précis permettant de caractériser en fait et d'établir en preuve cette négligence.

Il résulte encore de l'examen des pièces versées aux débats et des moyens débattus que la société AGEAS FRANCE n'apporte pas suffisamment d'éléments de preuve pour établir le défaut de contrôle et d'autorité reproché à Monsieur [S]'; en effet c'est en vain que la société AGEAS FRANCE reproche en fait à Monsieur [S] de ne pas avoir interdit à Madame [H] de se présenter à l'administration fiscale au motif que ses attributions étaient exclusivement commerciales, dès lors qu'il n'est pas suffisamment établi d'une part que Madame [H] et M. [N] allaient exposer à l'administration fiscale le litige [P] et y négocier une solution dans des conditions telles qu'ils outrepassaient leurs attributions, et d'autre part que Monsieur [S] en était informé'; la cour retient en effet à l'examen des pièces du dossier, notamment les pièces 16 à 22 de l'employeur, que l'initiative prise par Madame [H] et M. [N] ne s'inscrivait aucunement dans une démarche de conseil fiscal mais consistait simplement à accompagner Madame [P] à la trésorerie du 16e arrondissement pour essayer d'obtenir un échéancier, ce qui s'inscrit plutôt dans une démarche «'commerciale'» d'accompagnement du client.

Il résulte de l'examen des pièces versées aux débats et des moyens débattus que la société AGEAS FRANCE n'apporte pas non plus suffisamment d'éléments de preuve pour établir que Monsieur [S] a aussi manqué à ses obligations en n'informant pas sa hiérarchie à temps ; en effet c'est en vain que la société AGEAS FRANCE reproche en fait à Monsieur [S] de ne pas avoir informé sa direction des démarches programmées par Madame [H] auprès de l'administration fiscale dès lors que lui-même prouve qu'il a informé sa hiérarchie en temps réel dés qu'il a eu connaissance de faits justifiant une remontée d'information, notamment le 4 septembre quand il a été lui-même informé d'une problème dans le dossier [P] et le 14 septembre quand il a été saisi par Madame [H] d'une suggestion de procédure rectificative, à la suite de sa visite à la trésorerie du 16e arrondissement (pièces 16 et 17)

Fut-elle en toute ou partie inopportune au regard de la société AGEAS FRANCE, la manière dont Monsieur [S] a géré les informations qui lui ont été communiquées dans le dossier [P], ne suffit donc pas à caractériser les manquements allégués à son encontre.

Il ressort de ce qui précède que l'employeur n'a pas établi, à l'occasion de la présente instance, la cause réelle et sérieuse justifiant, au sens de l'article L. 1235-1 du Code du travail, le licenciement de Monsieur [S]'; en conséquence, le licenciement de Monsieur [S] est dépourvu de sans cause réelle et sérieuse.

Le jugement déféré est donc confirmé en ce qu'il a jugé que le licenciement de Monsieur [S] est dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Sur les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

Monsieur [S] demande la somme de 180.000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ; la société AGEAS FRANCE s'y oppose.

Il est constant qu'à la date de présentation de la lettre recommandée notifiant le licenciement, Monsieur [S] avait au moins deux ans d'ancienneté dans une entreprise de 11 salariés et plus ; il y a donc lieu à l'application de l'article L. 1235-3 du Code du travail dont il ressort que le juge octroie une indemnité au salarié qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.

Il résulte de l'examen des pièces versées aux débats, compte tenu de l'âge de Monsieur [S], de son ancienneté, de la durée de son chômage, de la perte des avantages en nature, des difficultés financières générées par son licenciement abusif, du dommage moral qui a été nécessairement subi par Monsieur [S] à la suite de la perte de son emploi dans des conditions injustes, que l'indemnité à même de réparer intégralement son préjudice doit être évaluée à la somme de 140.000 €.

Le jugement déféré est donc infirmé en ce qu'il a octroyé des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à hauteur de 63.000 €, et statuant à nouveau de ce chef, la cour condamne la société AGEAS FRANCE à payer à Monsieur [S] la somme de 140.000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Sur l'application de l'article L.1235-4 du code du travail

L'article L.1235-4 du code du travail dispose «'Dans les cas prévus aux articles L. 1235-3 et L. 1235-11, le juge ordonne le remboursement par l'employeur fautif aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d'indemnités de chômage par salarié intéressé.

Ce remboursement est ordonné d'office lorsque les organismes intéressés ne sont pas intervenus à l'instance ou n'ont pas fait connaître le montant des indemnités versées.'».

Le licenciement de Monsieur [S] ayant été jugé sans cause réelle et sérieuse, il y a lieu à l'application de l'article L.1235-4 du Code du travail ; en conséquence la cour ordonne le remboursement par la société AGEAS FRANCE aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées à Monsieur [S], du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de 150 € comme l'a jugé le conseil de prud'hommes.

Le jugement déféré est donc confirmé sur ce point.

Sur les dommages et intérêts pour abus de droit

Monsieur [S] demande la somme de 30.000 € à titre de dommages et intérêts pour abus de droit, en raison des conditions vexatoires et brutales de son licenciement.

En application des dispositions de l'article 9 du code de procédure civile, il incombe à chaque partie de prouver les faits nécessaires au succès de sa prétention.

Il résulte de l'examen des pièces versées aux débats et des moyens débattus que Monsieur [S] n'apporte pas suffisamment d'éléments de preuve pour établir l'abus de droit et les conditions vexatoires et brutales de son licenciement, qu'il allègue à l'encontre de la société AGEAS FRANCE.

Le jugement déféré est donc infirmé en ce qu'il a octroyé à Monsieur [S] des dommages et intérêts pour préjudice moral de 7.000 € et statuant à nouveau de ce chef, la cour déboute Monsieur [S] de sa demande de dommages et intérêts pour préjudice moral.

Sur la demande en paiement d'une somme de 1.000,00 € au titre du lot non perçu pour les résultats 2009

Monsieur [S] demande la somme de 1000 € à titre de dommages et intérêts au motif qu'il a droit à la monétisation du premier lot dû au titre du palmarès 2009 dés lors qu'au vu des résultats de son agence, il était en tête en 2009 et devait bénéficier du premier prix, savoir «'un relais château lys d'or'».

La société AGEAS FRANCE s'oppose à cette demande au motif que Monsieur [S] n'a pas droit à la monétisation du lot qu'il revendique au titre du palmarès 2009 dés lors que son contrat de travail a été rompu le 24 novembre 2009.

Il résulte de l'examen des pièces versées aux débats et des moyens débattus que Monsieur [S] apporte suffisamment d'éléments de preuve pour établir qu'il a été privé de son droit au premier lot au titre du palmarès 2009 ; en effet il est prouvé par Monsieur [S] qu'au vu des résultats de son agence, il était en tête en 2009 et devait bénéficier du premier prix'; en outre, le licenciement de Monsieur [S] ayant été jugé sans cause réelle et sérieuse, le moyen de défense est mal fondé en application de l'adage «'nemo auditur'» selon lequel nul ne peut invoquer sa propre faute.

Il résulte de l'examen des pièces versées aux débats et des moyens débattus que l'indemnité à même de réparer intégralement le préjudice subi par Monsieur [S] du chef de la privation de son droit au premier lot au titre du palmarès 2009 doit être évaluée à la somme de 500 €.

Le jugement déféré est donc infirmé en ce qu'il a débouté Monsieur [S] de sa demande de dommages et intérêts pour la privation de son droit au premier lot au titre du palmarès 2009 et statuant à nouveau de ce chef, la cour condamne la société AGEAS FRANCE à payer à Monsieur [S] la somme de 500 € à titre de dommages et intérêts pour la privation de son droit au premier lot au titre du palmarès 2009.

Sur la demande en paiement d'une somme de 1500 € à titre de dommages et intérêts en raison du préjudice lié à l'éviction du palmarès 2009

Monsieur [S] demande la somme de 1500 € à titre de dommages et intérêts pour son éviction du palmarès 2009 et fait valoir que le fait de l'exclure du classement pour le palmarès 2009 est vexatoire et déloyal et justifie l'octroi de 1500 € de dommages et intérêts ; la société AGEAS FRANCE s'y oppose et fait valoir que Monsieur [S] n'a pas droit à l'indemnisation du fait qu'il ne figure pas dans le palmarès 2009 au motif que son contrat de travail a été rompu le 24 novembre 2009.

Il résulte de l'examen des pièces versées aux débats et des moyens débattus que Monsieur [S] apporte suffisamment d'éléments de preuve pour établir que le fait de l'exclure du classement pour le palmarès 2009 est déloyal ; en effet il est prouvé par Monsieur [S] qu'au vu des résultats de son agence, il était en tête en 2009 et devait donc figurer dans le palmarès 2009'; en outre, le licenciement de Monsieur [S] ayant été jugé sans cause réelle et sérieuse, le moyen de défense est mal fondé en application de l'adage «'nemo auditur'» selon lequel nul ne peut invoquer sa propre faute.

Il résulte de l'examen des pièces versées aux débats et des moyens débattus que l'indemnité à même de réparer intégralement le préjudice subi par Monsieur [S] pour son éviction du palmarès 2009 doit être évaluée à la somme de 500 €.

Le jugement déféré est donc infirmé en ce qu'il a débouté Monsieur [S] de sa demande de dommages et intérêts pour son éviction du palmarès 2009 et statuant à nouveau de ce chef, la cour condamne la société AGEAS FRANCE à payer à Monsieur [S] la somme de 500 € à titre de dommages et intérêts pour son éviction du palmarès 2009.

Sur la demande relative à l'avertissement

La société AGEAS FRANCE soutient que les motifs de l'annulation de l'avertissement du 29 septembre 2008 ne sont pas pertinents et demande que cet avertissement soit jugé valable ; Monsieur [S] n'oppose aucun moyen de défense sur ce point.

La cour constate que les motifs de l'annulation de l'avertissement du 29 septembre 2008 ne sont pas pertinents comme le soutient à juste titre la société AGEAS FRANCE'; dans ces conditions, la cour infirme le jugement déféré en ce qu'il a annulé l'avertissement du 29 septembre 2008 et statuant à nouveau de ce chef, la cour dit que l'avertissement du 29 septembre 2008 est valable.

Sur les demandes accessoires

La cour condamne la société AGEAS FRANCE aux dépens en application de l'article 696 du Code de procédure civile.

Le jugement déféré est confirmé en ce qui concerne l'application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Il apparaît équitable, compte tenu des éléments soumis aux débats, de condamner la société AGEAS FRANCE à payer à Monsieur [S] la somme de 3.000 € en application de l'article 700 du Code de procédure civile pour la procédure d'appel.

L'ensemble des autres demandes plus amples ou contraires formées en demande ou en défense est rejeté, leur rejet découlant nécessairement des motifs amplement développés dans tout l'arrêt.

PAR CES MOTIFS

LA COUR

Infirme le jugement'mais seulement en ce qu'il a :

- condamné la société AGEAS FRANCE à payer à Monsieur [S] la somme de 63.000€ à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

- condamné la société AGEAS FRANCE à payer à Monsieur [S] la somme de 7.000€ à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral

- débouté Monsieur [S] de sa demande de dommages et intérêts pour la privation de son droit au premier lot au titre du palmarès 2009

- débouté Monsieur [S] de sa demande de dommages et intérêts pour son éviction du palmarès 2009

- annulé l'avertissement du 29 septembre 2008

Et statuant à nouveau sur les chefs infirmés :

Condamne la société AGEAS FRANCE à payer à Monsieur [B] [S] la somme de 140.000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

Déboute Monsieur [B] [S] de sa demande de dommages et intérêts pour préjudice moral,

Condamne la société AGEAS FRANCE à payer à Monsieur [B] [S] la somme de 500 € à titre de dommages et intérêts pour la privation de son droit au premier lot au titre du palmarès 2009,

Condamne la société AGEAS FRANCE à payer à Monsieur [B] [S] la somme de 500 € à titre de dommages et intérêts pour son éviction du palmarès 2009

dit que l'avertissement du 29 septembre 2008 est valable,

Confirme le jugement déféré pour le surplus';

Y ajoutant,

Déboute les parties de leurs demandes plus amples et contraires,

Condamne la société AGEAS FRANCE aux dépens de la procédure d'appel,

Condamne la société AGEAS FRANCE à verser à Monsieur [B] [S] une somme de 3000 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Le Greffier,La Présidente,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 11
Numéro d'arrêt : 13/05550
Date de la décision : 08/01/2016

Références :

Cour d'appel de Paris L2, arrêt n°13/05550 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2016-01-08;13.05550 ?
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