RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 7
ARRÊT DU 17 Décembre 2015
(n° , pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 12/09479
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 06 Juillet 2012 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS RG n° 10/08101
APPELANT
Monsieur [L] [P]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
né le [Date naissance 1] 1942
comparant en personne, assisté de Me Michel QUIMBERT, avocat au barreau de NANTES
INTIMEE
SAS AXA FRANCE ASSURANCE
[Adresse 2]
[Adresse 2]
représentée par Me Antoine SAPPIN, avocat au barreau de PARIS, toque : K0020
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 15 Octobre 2015, en audience publique, devant la Cour composée de :
Monsieur Rémy LE DONGE L'HENORET, Conseiller
M. Bruno BLANC, Conseiller
M. Philippe MICHEL, Conseiller
qui en ont délibéré
Greffier : Madame Wafa SAHRAOUI, lors des débats
ARRET :
- CONTRADICTOIRE
- mis à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Monsieur Bruno BLANC, Conseiller faisant fonction de Président, et par Madame Wafa SAHRAOUI, Greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
M. [P] , ancien salarié de la société UAP, a quitté l'entreprise dans le cadre d'un plan de préretraite auquel il a demandé à adhérer le 9 octobre 1997. Son départ en préretraite est devenu effectif le 1er janvier 1998.
La convention de préretraite prévoyait notamment que le salarié adhérent continuerait d'acquérir des droits au titre du régime de retraite supplémentaire instauré par l'UAP et mis en oeuvre le 1er janvier 1971 au profit des personnels administratifs, puis étendu en 1975 au profit des inspecteurs et en 1986 au profit des producteurs salariés, et dont la gestion était confiée à la Caisse de Retraite de l'UAP (CRUAP).
Le 1er avril 1998, la société UAP a fusionné avec la société AXA France.
Le 10 mai 1999, compte tenu de la décision de fermeture du régime UAP, les organisations syndicales, à l'exception de la CGT concluaient un accord collectif avec la société AXA, établissant un nouveau régime de retraite.
En 2000 et 2001, M. [P], ainsi que 39 autres anciens salariés de la société UAP, ont saisi le Tribunal de Grande Instance de Paris afin que l'accord du 10 mai 1999 leur soit jugé inopposable et que leurs droits soient liquidés conformément au régime UAP.
Par un jugement en date du 16 mars 2004, le Tribunal de Grande Instance de Paris a fait droit à cette demande.
Statuant sur l'appel interjeté par la société AXA, la Cour d'appel de Paris a, par un arrêt en date du 23 mars 2006, infirmé partiellement le jugement entrepris, dit que l'accord du 10 mai 1999 n'était pas opposable à MM. [I], [V] et [E], que leurs droits devaient être liquidés selon les dispositions prévues par le régime de retraite UAP et jugé que ledit accord était opposable aux autres intimés, avant de débouter ces derniers de l'intégralité de leurs demandes.
Le pourvoi formé à l'encontre de cette décision par les anciens salariés déboutés a été rejeté par la Chambre sociale de la Cour de cassation le 14 mai 2008.
Parallèlement à l'action intentée devant les juridictions civiles, M. [P] a, le 16 août 2001, saisi le Conseil de prud'hommes de Paris.
Par un jugement en date du 20 mai 2003, le Conseil de prud'hommes de Paris, statuant en départage, a rejeté toutes les demandes de M. [P].
Cette décision a été confirmée dans toutes ses dispositions par la Cour d'appel de Paris le 3 février 2005.
C'est dans ce contexte que le 17 juin 2010, M. [P] saisissait le Conseil de prud'hommes de Paris aux fins de faire condamner la société AXA France à lui verser, en conséquence de sa déloyauté, une indemnité au titre du préjudice subi jusqu'à la retraite ainsi qu'au titre du préjudice correspondant à la perte sur les pensions de retraites futures.
Outre l'exécution provisoire, M. [P] demandait au Conseil de prud'hommes de lui allouer une indemnité de 500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
La société AXA France sollicitait à titre reconventionnel la condamnation de M. [P] à lui verser une somme de 3.000 € à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive, sur le fondement de l'article 32-1 du code de procédure civile.
La Cour est saisie d'un appel formé par M. [P] contre le jugement du Conseil de prud'hommes de Paris en date du 6 juillet 2012 qui a déclaré régulière la fin de non-recevoir opposée par la société AXA France, jugé irrecevable la demande de M. [P] et débouté la société AXA de sa demande reconventionnelle.
Vu les écritures du 15 octobre 2015 au soutien des observations orales par lesquelles M. [P] conclut à l'infirmation du jugement entrepris en toutes ses dispositions et demande à la Cour de condamner la société AXA France à lui verser avec intérêts au taux légal'et capitalisation des intérêts :
- 275.142 € au titre du préjudice subi jusqu'à la retraite';
- 205.887 € au titre du préjudice correspondant à la perte sur les pensions de retraites futures';
outre la somme de 500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Vu les écritures du 15 octobre 2015 au soutien des observations orales par lesquelles la société AXA France 'demande, à titre principal, la confirmation du jugement entrepris en toutes ses dispositions et la condamnation de M. [P] à lui verser une indemnité de 3.000 € pour procédure abusive sur le fondement de l'article 32-1 du code de procédure civile ainsi qu'une indemnité de 500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et, à titre subsidiaire, le rejet des demandes de l'appelant et la condamnation de M. [P] à lui verser une indemnité de 500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions de parties la Cour, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, renvoie aux conclusions déposées et soutenues à l'audience.
MOTIFS DE LA DECISION
SUR LA RECEVABILITE DE L'ACTION
Sur la fin de non-recevoir tirée de l'autorité de la chose jugée attachée à l'arrêt rendu par la Cour de cassation le 14 mai 2008
Pour confirmation de la décision, la société AXA fait valoir que la demande de dommages et intérêts formulée par M. [P] est irrecevable dès lors qu'elle se heurte à l'autorité de la chose jugée attachée à l'arrêt rendu par la Cour de cassation le 14 mai 2008. Elle soutient que le litige concerne les mêmes parties, que les demandes ont le même objet et la même cause, dès lors qu'elles sont toutes fondées sur un prétendu manquement de l'employeur à son obligation de loyauté.
Pour infirmation de la décision, M. [P] fait valoir sa demande de dommages et intérêts est recevable dès lors qu'elle n'a pas le même objet que la demande qui avait été formulée dans le cadre de l'instance civile, laquelle tendait à ce que l'accord du 10 mai 1999 lui soit déclaré inopposable.
Il résulte de l'article 480 du code de procédure civile que le jugement qui tranche dans son dispositif tout ou partie du principal, ou celui qui statue sur une exception de procédure, une fin de non-recevoir ou tout autre incident a, dès son prononcé, l'autorité de la chose jugée relativement à la contestation qu'il tranche.
L'article 1351 du code civil précise quant à lui que l'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet du jugement. Il faut que la chose demandée soit la même'; que la demande soit fondée sur la même cause'; que la demande soit faite entre les mêmes parties, et formée par elles et contre elles en la même qualité.
L'autorité de la chose jugée est donc subordonnée à l'existence d'une triple identité de parties, d'objet et de cause.
S'il ne suffit pas de modifier le fondement juridique d'une demande pour considérer qu'elle a une cause différente, en revanche il reste notamment loisible aux parties de saisir le juge d'une demande ayant un objet différent de celle sur laquelle il s'est déjà prononcé, quand bien même cette demande serait fondée sur les mêmes faits.
En l'espèce, M. [P] était au nombre des anciens salariés qui ont, dans un premier temps, porté une action devant le Tribunal de Grande Instance de Paris, tendant à ce que le nouvel accord du 10 mai 1999 leur soit déclaré inopposable, arguant du manquement de l'employeur à son obligation de loyauté.
Le jugement ayant fait droit à cette demande, rendu le 16 mars 2004, a été infirmé par un arrêt de la Cour d'appel de Paris en date du 23 mars 2006 qui après avoir rappelé que la demande des intimés tendait, d'une part, à ce que l'accord du 10 mai 1999 leur soit déclaré inopposable et, d'autre part, à ce que leurs droits soient liquidés conformément aux dispositions prévues par le régime de retraite UAP, a'dit que l'accord du 10 mai 1999 était opposable aux intimés et les a déboutés de l'intégralité de leurs demandes.
Le pourvoi formé à l'encontre de cet arrêt a été rejeté par la Cour de cassation le 14 mai 2008 aux motifs, d'une part, que le manquement de l'employeur à son obligation de loyauté n'avait pas pour effet de rendre inopposables aux salariés les règles de calcul issues du nouvel accord conclu le 10 mai 1999 et, d'autre part, que la validité de la dénonciation de l'accord collectif antérieur n'était pas subordonnée à la communication, par l'employeur, d'une information des salariés sur les conséquences de la dénonciation.
C'est dans ces conditions que la présente procédure a été engagée devant le Conseil de Prud'hommes de Paris, aux fins de voir la société AXA condamnée au versement de dommages et intérêts au titre de son manquement à son obligation de loyauté.
S'il résulte de ce qui précède, que cette nouvelle demande a la même cause que celle qui avait été formulée au cours de l'instance civile puisque fondée sur un prétendu manquement de l'employeur à son obligation de loyauté caractérisé par la signature d'un accord collectif le 10 mai 1999 modifiant le régime de retraite supplémentaire, en revanche il ne peut être soutenu ainsi que le fait l'employeur, que la demande de dommages et intérêts formulée par les anciens salariés a le même objet que la demande tendant à ce que l'accord du 10 mai 1999 soit déclarée inopposable aux salariés.
Il y a lieu dans ces conditions de rejeter la fin de non-recevoir tirée de l'autorité de la chose jugée attachée à l'arrêt rendu par la Cour de cassation le 14 mai 2008.
Sur la fin de non-recevoir tirée de l'unicité de l'instance
Il résulte de l'article R. 1452-6 du code du travail que toutes les demandes liées au contrat de travail entre les mêmes parties font, qu'elles émanent du demandeur ou du défendeur, l'objet d'une seule instance. Cette règle n'est pas applicable lorsque le fondement des prétentions est né ou révélé postérieurement à la saisine du conseil de prud'hommes.
La société AXA rappelle que M. [P] avait déjà saisi le conseil de prud'hommes de Paris, que ce dernier a rejeté ses demandes par un jugement en date du 20 mai 2003, confirmé en appel le 3 février 2005, les débats devant la Cour d'appel s'étant déroulés le 3 décembre 2004.
La société AXA souligne dans ces conditions que le prétendu manquement de l'employeur à son obligation de loyauté invoqué à l'appui de la demande de M. [P], préexistait à la clôture des débats devant la Cour d'appel en 2004, pour estimer que sa demande qui se heurte au principe de l'unicité de l'instance, est irrecevable.
M. [P] indique que c'est seulement après l'arrêt rendu par la Cour de cassation le 14 mai 2008 que la compétence du conseil de prud'hommes s'est imposée sur la question des conséquences de la dénonciation du plan de retraite supplémentaire UAP et de l'application d'un nouveau plan, pour en déduire que les causes du second litige n'étaient pas connues avant la clôture des débats devant la cour d'appel, le 3 décembre 2004 et que par conséquent sa demande est recevable.
En l'espèce, contrairement à ce qu'affirme M. [P], la cause du litige, au sens de l'article 1351 du code civil, réside non pas dans l'arrêt rendu par la Cour de cassation le 14 mai 2008 mais dans le manquement, à supposer qu'il existe, de l'employeur à son obligation de loyauté, constitué par la signature d'un nouvel accord collectif le 10 mai 1999, constatant la fermeture du régime UAP et mettant en place un nouveau régime de retraite, alors que l'employeur avait informé que " cette fermeture se réalisera de façon à préserver les droits potentiels des salariés et les droits réels déjà acquis par les retraités".
Dans la mesure où le fondement du litige était né dès le 10 mai 1999, et par conséquent connu de l'intéressé avant la clôture des débats devant la Cour d'appel le 3 décembre 2004, la société AXA est fondée à lui opposer la fin de non-recevoir tirée de la règle de l'unicité de l'instance, de sorte qu'il y a lieu de déclarer irrecevable l'action engagée par à M. [P].
Sur la demande reconventionnelle au titre de la procédure abusive :
Il n'est pas démontré par la société AXA que la procédure engagée par M. [P] ait dégénéré en abus, et ce nonobstant la fin de non-recevoir accueillie à son encontre, de sorte qu'il y a lieu de débouter la société AXA de la demande formulée à ce titre.
Sur l'article 700 du Code de procédure civile
L'équité et la situation économique respective des parties justifient qu'il soit fait application de l'article 700 du code de procédure civile dans la mesure énoncée au dispositif ;
PAR CES MOTIFS,
La cour, statuant en dernier ressort et par arrêt contradictoire mis à la disposition des parties au greffe,
CONFIRME le jugement entrepris
et statuant à nouveau,
CONDAMNE M. [P] à payer à la société AXA 500 € en application de l'article 700 du code de procédure civile,
DÉBOUTE les parties de leurs autres demandes,
CONDAMNE M. [P] aux entiers dépens de première instance et d'appel,
LE GREFFIER LE CONSEILLER
BRUNO BLANC