RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 7
ARRÊT DU 17 Décembre 2015
(n° , pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 12/09478
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 06 Juillet 2012 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS RG n° 10/08099
APPELANT
Monsieur [L] [I]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
né le [Date naissance 1] 1942
représenté par Me Michel QUIMBERT, avocat au barreau de NANTES
INTIMEE
SAS AXA FRANCE ASSURANCE
[Adresse 2]
[Adresse 2]
représentée par Me Antoine SAPPIN, avocat au barreau de PARIS, toque : K0020
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 15 Octobre 2015, en audience publique, devant la Cour composée de :
Monsieur Rémy LE DONGE L'HENORET, Conseiller
M. Bruno BLANC, Conseiller
M. Philippe MICHEL, Conseiller
qui en ont délibéré
Greffier : Madame Wafa SAHRAOUI, lors des débats
ARRET :
- CONTRADICTOIRE
- mis à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Monsieur Bruno BLANC, Conseiller faisant fonction de Président, et par Madame Wafa SAHRAOUI, Greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
M. [L] [I] , ancien salarié de la société UAP, a quitté l'entreprise dans le cadre d'un plan de préretraite auquel il a demandé à adhérer le 21 octobre 1998. Son départ en préretraite est devenu effectif le 1er février 1999.
La convention de préretraite prévoyait notamment que le salarié adhérent continuerait d'acquérir des droits au titre du régime de retraite supplémentaire instauré par l'UAP et mis en oeuvre le 1er janvier 1971 au profit des personnels administratifs, puis étendu en 1975 au profit des inspecteurs et en 1986 au profit des producteurs salariés, et dont la gestion était confiée à la Caisse de Retraite de l'UAP (CRUAP).
Le 1er avril 1998, la société UAP a fusionné avec la société AXA France.
Le 10 mai 1999, compte tenu de la décision de fermeture du régime UAP, les organisations syndicales, à l'exception de la CGT concluaient un accord collectif avec la société AXA, établissant un nouveau régime de retraite.
En 2000 et 2001, M. [I], ainsi que 39 autres anciens salariés de la société UAP, ont saisi le Tribunal de Grande Instance de Paris afin que l'accord du 10 mai 1999 leur soit jugé inopposable et que leurs droits soient liquidés conformément au régime UAP.
Par un jugement en date du 16 mars 2004, le Tribunal de Grande Instance de Paris a fait droit à cette demande.
Statuant sur l'appel interjeté par la société AXA, la Cour d'appel de Paris a, par un arrêt en date du 23 mars 2006, infirmé partiellement le jugement entrepris, dit que l'accord du 10 mai 1999 n'était pas opposable à MM. [E], [P] et [U], que leurs droits devaient être liquidés selon les dispositions prévues par le régime de retraite UAP et jugé que ledit accord était opposable aux autres intimés, avant de débouter ces derniers de l'intégralité de leurs demandes.
Le pourvoi formé à l'encontre de cette décision par les anciens salariés déboutés a été rejeté par la Chambre sociale de la Cour de cassation le 14 mai 2008.
C'est dans ce contexte que le 17 juin 2010, M. [I] saisissait le Conseil de prud'hommes de Paris aux fins de faire condamner la société AXA France à lui verser, en conséquence de sa déloyauté, une indemnité au titre du préjudice subi jusqu'à la retraite ainsi qu'au titre du préjudice correspondant à la perte sur les pensions de retraites futures.
Outre l'exécution provisoire, M. [I] demandait au Conseil de prud'hommes de lui allouer une indemnité de 500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
La société AXA France sollicitait à titre reconventionnel la condamnation de M. [I] à lui verser une somme de 3.000 € à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive, sur le fondement de l'article 32-1 du code de procédure civile.
La Cour est saisie d'un appel formé par M. [I] contre le jugement du Conseil de prud'hommes de Paris en date du 6 juillet 2012 qui a déclaré régulière la fin de non-recevoir opposée par la société AXA France, jugé irrecevable la demande de M. [I] et débouté la société AXA de sa demande reconventionnelle.
Vu les écritures du 15 octobre 2015 au soutien des observations orales par lesquelles M. [I] conclut à l'infirmation du jugement entrepris en toutes ses dispositions et demande à la Cour de condamner la société AXA France à lui verser avec intérêts au taux légal'et capitalisation des intérêts :
- 436.995 € au titre du préjudice subi jusqu'à la retraite';
- 279.219 € au titre du préjudice correspondant à la perte sur les pensions de retraites futures';
outre la somme de 500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Vu les écritures du 15 octobre 2015 au soutien des observations orales par lesquelles la société AXA France 'demande, à titre principal, la confirmation du jugement entrepris en toutes ses dispositions et la condamnation de M. [I] à lui verser une indemnité de 3.000 € pour procédure abusive sur le fondement de l'article 32-1 du code de procédure civile ainsi qu'une indemnité de 500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et, à titre subsidiaire, le rejet des demandes de l'appelant et la condamnation de M. [I] à lui verser une indemnité de 500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions de parties la Cour, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, renvoie aux conclusions déposées et soutenues à l'audience.
MOTIFS DE LA DECISION
SUR LA RECEVABILITE DE L'ACTION
Sur la fin de non-recevoir tirée de l'autorité de la chose jugée attachée à l'arrêt rendu par la Cour de cassation le 14 mai 2008
Pour confirmation de la décision, la société AXA fait valoir que la demande de dommages et intérêts formulée par M. [I] est irrecevable dès lors qu'elle se heurte à l'autorité de la chose jugée attachée à l'arrêt rendu par la Cour de cassation le 14 mai 2008. Elle soutient que le litige concerne les mêmes parties, que les demandes ont le même objet et la même cause, dès lors qu'elles sont toutes fondées sur un prétendu manquement de l'employeur à son obligation de loyauté.
Pour infirmation de la décision, M. [I] fait valoir sa demande de dommages et intérêts est recevable dès lors qu'elle n'a pas le même objet que la demande qui avait été formulée dans le cadre de l'instance civile, laquelle tendait à ce que l'accord du 10 mai 1999 lui soit déclaré inopposable.
Il résulte de l'article 480 du code de procédure civile que le jugement qui tranche dans son dispositif tout ou partie du principal, ou celui qui statue sur une exception de procédure, une fin de non-recevoir ou tout autre incident a, dès son prononcé, l'autorité de la chose jugée relativement à la contestation qu'il tranche.
L'article 1351 du code civil précise quant à lui que l'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet du jugement. Il faut que la chose demandée soit la même'; que la demande soit fondée sur la même cause'; que la demande soit faite entre les mêmes parties, et formée par elles et contre elles en la même qualité.
L'autorité de la chose jugée est donc subordonnée à l'existence d'une triple identité de parties, d'objet et de cause.
S'il ne suffit pas de modifier le fondement juridique d'une demande pour considérer qu'elle a une cause différente, en revanche il reste notamment loisible aux parties de saisir le juge d'une demande ayant un objet différent de celle sur laquelle il s'est déjà prononcé, quand bien même cette demande serait fondée sur les mêmes faits.
En l'espèce, M. [I] était au nombre des anciens salariés qui ont, dans un premier temps, porté une action devant le Tribunal de Grande Instance de Paris, tendant à ce que le nouvel accord du 10 mai 1999 leur soit déclaré inopposable, arguant du manquement de l'employeur à son obligation de loyauté.
Le jugement ayant fait droit à cette demande, rendu le 16 mars 2004, a été infirmé par un arrêt de la Cour d'appel de Paris en date du 23 mars 2006 qui après avoir rappelé que la demande des intimés tendait, d'une part, à ce que l'accord du 10 mai 1999 leur soit déclaré inopposable et, d'autre part, à ce que leurs droits soient liquidés conformément aux dispositions prévues par le régime de retraite UAP, a'dit que l'accord du 10 mai 1999 était opposable aux intimés et les a déboutés de l'intégralité de leurs demandes.
Le pourvoi formé à l'encontre de cet arrêt a été rejeté par la Cour de cassation le 14 mai 2008 aux motifs, d'une part, que le manquement de l'employeur à son obligation de loyauté n'avait pas pour effet de rendre inopposables aux salariés les règles de calcul issues du nouvel accord conclu le 10 mai 1999 et, d'autre part, que la validité de la dénonciation de l'accord collectif antérieur n'était pas subordonnée à la communication, par l'employeur, d'une information des salariés sur les conséquences de la dénonciation.
C'est dans ces conditions que la présente procédure a été engagée devant le Conseil de Prud'hommes de Paris, aux fins de voir la société AXA condamnée au versement de dommages et intérêts au titre de son manquement à son obligation de loyauté.
S'il résulte de ce qui précède, que cette nouvelle demande a la même cause que celle qui avait été formulée au cours de l'instance civile puisque fondée sur un prétendu manquement de l'employeur à son obligation de loyauté caractérisé par la signature d'un accord collectif le 10 mai 1999 modifiant le régime de retraite supplémentaire, en revanche il ne peut être soutenu ainsi que le fait l'employeur, que la demande de dommages et intérêts formulée par les anciens salariés a le même objet que la demande tendant à ce que l'accord du 10 mai 1999 soit déclarée inopposable aux salariés.
Il y a lieu dans ces conditions de rejeter la fin de non-recevoir tirée de l'autorité de la chose jugée attachée à l'arrêt rendu par la Cour de cassation le 14 mai 2008.
Sur la fin de non-recevoir tirée de l'existence d'une transaction
L'article 2048 du code civil dispose que "'les transactions se renferment dans leur objet': la renonciation qui y est faite à tous droits actions et prétentions, ne s'entend que de ce qui est relatif au différend qui y a donné lieu'".
L'article 2049 du code civil précise que "'les transactions ne règlent que les différends qui s'y trouvent compris, soit que les parties aient manifesté leur intention par des expressions spéciales ou générales, soit que l'on reconnaisse cette intention par une suite nécessaire de ce qui est exprimé".
Si l'article 2052 du code civil ajoute que "les transactions ont, entre les parties, l'autorité de la chose jugée en dernier ressort'", la transaction ne peut emporter renonciation à une action dont la cause n'était pas révélée lors de la signature du contrat.
La société AXA rappelle que M. [I] a contesté le montant de sa rémunération au cours des trois dernières années ayant précédé son départ en préretraite et que la transaction intervenue dans ce cadre, indiquait expressément que la contestation était survenue dans le cadre de l'adhésion au dispositif de préretraite, pour soutenir que les conditions de son départ dans un contexte de fermeture du régime CRUAP lui étaient parfaitement connues à la date de la signature de la transaction et que par conséquent la demande formulée à ce titre est irrecevable.
M. [I] fait valoir que, si la transaction vise expressément le dispositif de préretraite mis en place par l'accord collectif du 4 février 1997, elle ne fait pas référence à l'accord collectif du 10 mai 1999, de sorte que sa portée doit être limitée à son objet. Il ajoute que l'employeur a appliqué la transaction de manière déloyale.
En l'espèce, il est indifférent que la transaction conclue avec M [I] soit intervenue postérieurement à la date de l'annonce en janvier 1997 de la fermeture du régime CRUAP, dès lors qu'en elle-même, cette annonce diffusée à l'ensemble du personnel n'emportait pas ipso-facto suppression des dispositions favorables du régime de préretraite afférent, qu'au contraire, la lettre d'information du 12 décembre 1997 annonçant la fermeture du CRUAP au 15 décembre 1999, suivie d'une bible à destination des directeurs régionaux indiquait expressément que les droits potentiels et les droits acquis seraient préservés en dépit de cette mesure.
En outre, si l'objet de la transaction conclue avec M. [I] au visa des articles 2044 et suivants du code civil, en dans des termes très généraux, doit être interprété de manière extensive, encore aurait il fallu pour qu'elle puisse lui être opposée, qu'elle ait été conclue après la signature de l'accord collectif du 10 mai 1999, ce qui n'est pas soutenu par la société AXA, dès lors que cet accord constituant selon le salarié la cause de son action, il ne pouvait, par hypothèse, renoncer à intenter une action dont la cause n'était pas encore révélée.
Il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu de rejeter la fin de non recevoir tirée de la transaction conclue entre la société AXA et M. [I].
SUR LE FOND
L'article 1134 du Code civil dispose notamment que les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites et doivent être exécutées de bonne foi, en outre l'article L. 1222-1 du Code du travail institue une présomption d'exécution du contrat de travail de bonne foi, de sorte que la charge de la preuve de l'exécution déloyale alléguée incombe à la partie qui l'invoque.
A l'appui de ses prétentions, M. [I] fait essentiellement valoir que la Cour de cassation a considéré que le manquement de l'employeur à son obligation de loyauté ouvrait droit à une action en indemnisation des dommages subis et qu'en l'espèce, une première note interne du 20 janvier 1997 diffusée au personnel administratif et commercial, faisant état de la décision de fermer la CRUAP et de provisionner la totalité des droits acquis par le personnel, précisait que les droits des personnels acceptant de conclure une convention de préretraite seraient calculés en appliquant le prorata de 2 % de la rémunération calculée sur les 36 derniers mois de service effectif par année de service, en application des termes de l'article 2 de l'ancien régime CRUAP, que l'adhésion à la convention de préretraite totale entraînait la démission de l'entreprise, la perte de la qualité de salariés de l'entreprise, ainsi que tout droit au titre de la participation et de l'intéressement mais leur permettait en contrepartie de bénéficier d'un très avantageux régime de retraite chapeau, sous forme d'une rente viagère.
M. [I] ajoute qu'à nouveau le 12 décembre 1997, AXA venant aux droits de l'UAP a adressé à ses salariés une lettre circulaire les informant de sa décision de 'fermer le régime CRUAP' avec effet au 15 décembre 1999, par laquelle elle s'engageait à respecter les avantages acquis et garantir la pérennité du régime, en précisant que : " cette fermeture se réalisera de façon à préserver les droits potentiels des salariés et les droits réels déjà acquis par les retraités" mais que soucieuse de réduire la masse salariale, AXA a encouragé les départs de l'entreprise, en apportant aux salariés qui accepteraient de partir en préretraite la garantie du maintien du bénéfice du régime de retraite "surcomplémentaire" CRUAP, en dérogation de l'article 1 de ce régime.
M. [I] soutient que lors de la signature de la convention de préretraite, il ignorait que l'employeur envisageait déjà de fermer l'ancien régime CRUAP et de leur opposer, rétroactivement d'une manière parfaitement déloyale et illégale, un nouveau régime de retraite supplémentaire très défavorable en violation de ses engagements contractuels, qu'en effet les nouvelles stipulations de l'accord collectif du 10 mai 1999 résultant des négociations engagées à compter de février 1999, aggravé par l'avenant d'interprétation du 7 juillet 1999, ont pour conséquence une perte importante des droits acquis, en particulier en modifiant l'assiette de calcul de la retraite ainsi que son plafond et en supprimant la bonification.
M. [I] estime que ce procédé de son employeur caractérise une exécution de mauvaise foi de son contrat de travail, sans laquelle il se serait maintenu en activité, aurait conservé l'intégralité de son salaire et sa prise en compte lors du départ à la retraite et n'aurait pas perdu les avantages liés à l'exercice de ses fonctions.
La société AXA rétorque que le régime CRUAP est un régime de retraite supplémentaire « chapeau '' et aléatoire, instauré en 1970 par décision unilatérale de l'UAP, à l'origine pour ses seuls personnels administratifs dont l'entrée en vigueur a été approuvée par référendum par la majorité des salariés, ouvert par la suite aux "Inspecteurs'' puis aux "producteurs salariés ", qu'afin d'assurer sa gestion administrative une caisse de retraite appelée la CRUAP, ayant une personnalité juridique propre, a été constituée en 1970 conformément au 2 de l'article R.731-2 du code de la sécurité sociale concernant les " institutions dont les avantages peuvent être révisés, lorsque les ressources de l'institution ne permettent pas d'en assurer le maintien".
La société AXA fait en outre valoir que seuls étaient éligibles aux prestations, les salariés présents aux effectifs de l'entreprise au moment de leur mise à la retraite et réunissant les trois conditions posées par les statuts du régime, sans lesquels les intéressés n'avaient aucun droit acquis à ce titre, de sorte que seuls les salariés mis à la retraite avant la dénonciation de l'accord collectif ayant instauré un régime de retraite à prestations définies, avaient droit au
maintien du niveau de pension atteint au jour de la dénonciation.
A cet égard, la société AXA précise que la nécessité de fermer le régime "CRUAP" indépendante de la fusion des sociétés UAP et AXA intervenue au mois d'avril 1998, résultait directement des profondes modifications dans les conditions de gestion des institutions de retraite supplémentaire imposées par la loi du 8 août 1994, prohibant notamment les dispositifs de répartition pour ce type de régime et imposant la constitution de provisions, qui obéraient à terme sa viabilité, que la décision de "fermeture" du régime notifiée aux salariés et anciens salariés le 12 décembre 1997, ne remettait en cause ni le service des prestations au profit des retraités, dont les droits "acquis", étaient bien préservés, ni les "droits potentiels "constitués, au 15 décembre 1999, pour les actifs, sachant que pour les carrières se poursuivant au-delà du 15 décembre 1999, il serait mis en place un nouveau régime pour lequel des prestations de retraite seraient garanties.
La société AXA indique par ailleurs que l'accord du 10 mai 1999 parfaitement opposable aux intéressés, a établi un nouveau plan de retraite composé indissociablement d'un régime à cotisations définies, du régime CRUAP fermé et d'un régime de garantie minimale et que le jugement du 13 avril 1999 du Tribunal de Grande Instance de PARIS, confirmé par un arrêt du 25 octobre 2000 de la Cour d'appel de PARIS et un arrêt du 26 septembre 2002, la Chambre sociale de la Cour de Cassation a reconnu que la "dénonciation unilatérale de l'engagement pris par l'UAP concernant le régime de retraite supplémentaire dont bénéficiait ses salariés a été fait dans des conditions absentes de toute faute ".
La société AXA entend également rappeler que conformément à différents accords collectifs sur la fin de carrière conclus en 1997, un dispositif pour le moins favorable a été mis en place permettant aux salariés de cesser leur activité professionnelle à partir de 55 ans, en bénéficiant du maintien de 75 % de leur salaire jusqu'à la liquidation de la retraite, l'entreprise continuant à cotiser pour les régimes de retraite de base et complémentaires sur la base de 100% de la rémunération, que les intéressés ont choisi, en toute connaissance de cause, d'anticiper leur cessation d'activité en bénéficiant de ce régime, dont le maintien de la possibilité de bénéficier, le cas échéant, du régime CRUAP n'était qu'un élément parmi l'ensemble des nombreux avantages proposés et ce, indépendamment de toute pression.
La société AXA soutient ainsi que faute d'apporter le moindre élément de preuve pouvant accréditer la thèse d'une violation de l'obligation de loyauté d'AXA France, ces salariés, dont aucune pension de retraite n'avait été liquidée avant le 31 décembre 1999, ne peuvent invoquer la modification de leur situation dès lors qu'ils ne bénéficiaient pas de quelques prestations que ce soient au titre du régime de retraite CRUAP.
En l'espèce, il est constant que l'UAP a mis en oeuvre le 1er janvier 1971 au profit des personnels administratifs, un régime de retraite supplémentaire "chapeau", qu'elle a étendu en 1975 aux inspecteurs puis en 1986 aux producteurs salariés, dont la gestion administrative était confiée à la Caisse de Retraite de l'UAP (CRUAP)constituée à cette fin en 1970 et disposant de la personnalité juridique.
Il est également établi que seuls étaient éligibles aux prestations, les salariés présents aux effectifs de l'entreprise au moment de leur mise à la retraite et réunissant les trois conditions posées par les statuts du régime :
"a) avoir accompli au moins 15 années d'activité validées en conformité avec l'article 2 ;
b) être employé par un ou plusieurs des sociétés ou organismes visés aux articles 4 et 5 des
statuts soit lors de sa cessation de fonctions avec droit à une retraite immédiate ou différée
à d'une caisse des sociétés de l'UAP ou de FUCREPPSA. La condition n'est réputée remplie, si cette retraite est différée, que si le départ a lieu au plus tôt 5 ans avant l'âge prévu au
paragraphe c) ci-après, soit lors de sa cessation de fonctions, sans droit à retraite, pour cause d'invalidité.... ;
c) Avoir atteint l'âge de 65 ans, ou de 60 ans s'il est reconnu inapte..."
de sorte qu'en principe, les salariés quittant l'entreprise dans le cadre d'un régime de pré-retraite ne pouvaient prétendre au bénéfice de ce régime.
L'article L.941-2 du Code de la sécurité sociale résultant de la loi n° 94-678 du 8 août 1994 relative à la protection sociale complémentaire des salariés et portant transposition des directives n° 92-49 et n° 92-96 des 18 juin et 10 novembre 1992 du Conseil des communautés européennes publiée au journal officiel du 10 août 1994, a imposé à compter de la promulgation de la loi, aux organismes autorisés visés à l'article L.941-1 du même code, tels que la CRUAP, la constitution de provisions capitalisées, pouvant être limitées aux engagements nés postérieurement au 10 août 1994.
Consulté le 6 décembre 1996, le Conseil d'Administration de la CRUAP a accepté que le salarié, ayant adhéré à la préretraite, continue d'acquérir des droits jusqu'à la date de son départ à la retraite, précisant que ces droits seraient calculés sur la base des salaires des 36 derniers mois d'activité actualisés en appliquant l'indice de revalorisation de la CRUAP, la durée d'activité étant appréciée à la date de départ à la retraite avec validation de la durée de la préretraite, et la garantie appliquée selon les modalités en vigueur au moment de la liquidation.
Le 20 janvier 1997, une note interne diffusée au personnel administratif et commercial faisait état de la décision de fermer la CRUAP et de provisionner la totalité des droits acquis par le personnel.
La même note interne précisait d'une part que les droits des personnels acceptant de conclure une convention de préretraite seraient calculés en appliquant le prorata de 2% de la rémunération calculée sur les 36 derniers mois de service effectif par année de service, en application des termes de l'article 2 de l'ancien régime CRUAP et d'autre part que l'adhésion à la convention de préretraite totale entraînait la démission de l'entreprise et la perception par le salarié d 'une rente viagère.
La convention de préretraite prévoyait également que le salarié adhérent continuerait d'acquérir des droits au titre du régime de retraite supplémentaire instauré par l'UAP.
Les pages 18 et 19, d'une brochure diffusée au personnel en mars 1997 intitulée "Evolution" présentant le tableau récapitulant les droits offerts aux salariés, précisait que les droits CRUAP étaient calculés sur la base des 36 derniers mois d 'activité.
Au terme d'une lettre circulaire adressée le 12 décembre 1997 à l'ensemble de ses salariés, n'emportant pas dénonciation pure et simple du régime CRUAP , l'UAP les a informés de sa décision de le fermer avec effet au 15 décembre 1999, en indiquant que "cette fermeture se réalisera de façon à préserver les droits potentiels des salariés et les droits réels déjà acquis par les retraités", précisant que serait mis en place un nouveau régime pour lequel des prestations de retraite seraient garanties, pour les carrières se poursuivant au-delà du 15 décembre 1999.
Le même jour, l'employeur a remis aux directeurs commerciaux régionaux un document portant "questions-réponses" destiné à leur permettre d'expliquer aux autres salariés les conséquences de la fermeture du régime CRUAP précisant notamment que l'entreprise provisionnerait dans ses propres comptes, à titre volontaire, les sommes nécessaires pour pallier l 'insuffisance éventuelle des ressources de la caisse et auquel était annexé un schéma indiquant que :
- les droits seront garantis jusqu'au 15 décembre 1999 et calculés au prorata de 2 %de la rémunération de base par année validée par la caisse (calculée selon la rémunération des 36 demiers mois de service effectif), soit à nouveau une application des termes de l'ancien régime CRUAP.
- pour appliquer les abattements, les 35 années d'activité seront appréciées à la date de départ et non à la date de fermeture de la caisse.
M. [I] a quitté la société UAP dans le cadre de ce plan de préretraite auquel il a demandé à adhérer le 21 octobre 1998. Son départ en préretraite est devenu effectif le 1er février 1999.
Le 1er avril 1998, la société UAP a fusionné avec la société AXA France.
Le 24 juillet 1998, un autre accord relatif à la préretraite totale du réseau S, a été signé dans les mêmes termes.
Le 10 mai 1999, au terme d'une année de négociations ayant conduit en février 1999 à la présentation de plusieurs projets de régime de retraite, un accord collectif a été conclu entre la société AXA France et plusieurs organisations syndicales constatant la fermeture du régime UAP et établissant un nouveau régime de retraite.
L'avenant d'interprétation du 7 juillet 1999 à l'accord du 10 mai 1999 sur le plan de retraite supplémentaire du Groupe AXA, prévoit notamment que le salaire de référence est calculé sur 15 ans, que son plafond est fixé à 17,5% et supprime la possibilité de liquider ses droits avant 65 ans y compris en ayant 35 ans d'ancienneté ainsi que la majoration de 10% pour les salariés ayant élevé trois enfants.
Il est constant que l'accord du 10 mai 1999 et son avenant d'interprétation du 7 juillet 1999 sont opposables aux salariés, avec pour conséquence, nonobstant l'engagement de l'UAP puis de la société AXA de réaliser la fermeture du régime CRUAP de façon à préserver les droits potentiels des salariés, que les droits de ces derniers ne pouvaient être liquidés que selon les modalités en vigueur au moment de leur liquidation.
Dans ces conditions, l'employeur qui ne pouvait ignorer dès sa publication, la portée de la loi n° 94-678 du 8 août 1994 qu'il invoque, au regard de la remise en cause de la pérennité du régime CRUAP, en particulier par rapport à l'obligation de provisionner pour couvrir les engagements qu'il prenait à l'égard de ses membres participants et des bénéficiaires, même limitée à la couverture des engagements nés après la date de publication de la loi a, lors de la diffusion de la note du 20 janvier 1997 annonçant la fermeture du CRUAP, en présentant de manière avantageuse les droits des personnels acceptant de conclure une convention de préretraite et en persistant tant par la lettre d'information du 12 décembre 1997 et que par la diffusion à destination des directeurs régionaux d'un opuscule "questions-réponse" comportant une présentation rassurante des conséquences de la fermeture du régime, ainsi qu'en souscrivant un nouvel accord de préretraite dans des conditions similaires le 24 juillet 1998, alors que des négociations étaient déjà en cours en vue de l'élaboration des projets de nouveau régime, présentés en février 1999, manifestement encouragé les salariés à adhérer à ces accords.
La méprise par M. [I] de la portée réelle de ses droits et des modalités de leur liquidation n'est pas de nature à exonérer l'employeur de son obligation de présenter de manière loyale les conséquences de l'adhésion de l'intéressé au régime de préretraite litigieux.
En suscitant son adhésion dans les conditions précédemment décrites sans lesquelles le salarié n'aurait pas interrompu son activité professionnelle, la société AXA a exécuté de manière déloyale à l'égard de M. [I] les obligations résultant du contrat de travail.
Ce faisant, le préjudice résultant pour M. [I] de l'exécution déloyale de son contrat de travail, s'analyse en une perte de chance de percevoir l'intégralité de sa rémunération jusqu'à la retraite, dès lors que même si M. [I] n'avait pas opté pour le régime de pré-retraite litigieux, sa retraite aurait été liquidée selon les modalités critiquées justifiant la condamnation de la société AXA à lui verser la somme de 145.665 € à titre de dommages et intérêts.
Sur la demande reconventionnelle au titre de la procédure abusive :
Il n'est pas démontré par la société AXA que la procédure engagée par M. [I], qui au demeurant prospère en partie, ait dégénéré en abus, de sorte qu'il y a lieu de la débouter de la demande formulée à ce titre.
Sur l'article 700 du Code de procédure civile
L'équité et la situation économique respective des parties justifient qu'il soit fait application de l'article 700 du code de procédure civile dans la mesure énoncée au dispositif ;
PAR CES MOTIFS,
La cour, statuant en dernier ressort et par arrêt contradictoire mis à la disposition des parties au greffe,
INFIRME le jugement entrepris
et statuant à nouveau
DECLARE M. [L] [I] recevable dans sa demande ;
CONDAMNE la société AXA FRANCE à payer à M. [L] [I] 145.665 € à titre de dommages et intérêts avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt ;
CONDAMNE la société AXA FRANCE à payer à M. [L] [I] 500 € en application de l'article 700 du code de procédure civile,
DÉBOUTE la société AXA FRANCE de sa demande fondée sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
DÉBOUTE les parties de leurs autres demandes,
CONDAMNE la société AXA FRANCE aux entiers dépens de première instance et d'appel,
LE GREFFIER LE CONSEILLER
BRUNO BLANC