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15/12/2015 | FRANCE | N°14/08370

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 1 - chambre 3, 15 décembre 2015, 14/08370


Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 1 - Chambre 3



ARRET DU 15 DECEMBRE 2015



(n° 776 , 7 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : 14/08370



Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 08 Avril 2014 -Président du TGI de Paris - RG n° 14/52442





APPELANTES



Madame [P] [A] épouse [B]

[Adresse 1]

[Localité 2]

née le [Date naissance 1]

1945 à [Localité 3]



Madame [J] [A] épouse [G]

[Adresse 1]

[Localité 2]

née le [Date naissance 2] 1943 à [Localité 3]





Représentées par Me Edmond FROMANTIN, avocat au barreau de PARIS, toque : ...

Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 1 - Chambre 3

ARRET DU 15 DECEMBRE 2015

(n° 776 , 7 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 14/08370

Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 08 Avril 2014 -Président du TGI de Paris - RG n° 14/52442

APPELANTES

Madame [P] [A] épouse [B]

[Adresse 1]

[Localité 2]

née le [Date naissance 1] 1945 à [Localité 3]

Madame [J] [A] épouse [G]

[Adresse 1]

[Localité 2]

née le [Date naissance 2] 1943 à [Localité 3]

Représentées par Me Edmond FROMANTIN, avocat au barreau de PARIS, toque : J151

assistées de Me Armelle DE COULHAC MAZERIEUX, avocat au barreau de PARIS, toque : E0788

INTIME

Etablissement LE NATIONAL MUSEUM Agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux

[Adresse 2]

[Localité 1]

Représenté par Me François TEYTAUD, avocat au barreau de PARIS, toque : J125

assisté de Me Marine LE BIHAN substituant Me Jean-Dominique TOURAILLE de la SCP BAKER & MC KENZIE, avocat au barreau de PARIS, toque : P0445

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 09 Novembre 2015, en audience publique, devant la Cour composée de :

Madame Martine ROY-ZENATI, Présidente de chambre

Madame Agnès BODARD-HERMANT, Conseillère

Mme Mireille QUENTIN DE GROMARD, Conseillère

qui en ont délibéré

Greffier, lors des débats : Mlle Véronique COUVET

ARRET :

- CONTRADICTOIRE

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Martine ROY-ZENATI, président et par Mlle Véronique COUVET, greffier

Par acte d'huissier du 21 février 2014, le National Museum de STOCKHOLM a assigné en référé Mmes [J] et [P] [A] (les consorts [A]) devant le président du tribunal de grande instance de Paris aux fins de désignation d'un expert judiciaire ayant pour mission d'analyser une coupe nautile en or, argent et pierres précieuses de l'atelier de Gustaf Möllenborg que ces dernières ont présentée en septembre 2013 à l'étude de commissaires-priseurs [D] & [O] en vue de sa mise en vente et dont il entend revendiquer la propriété comme lui ayant été volée le 26 juillet 1983 si, comme il en est convaincu, l'expertise rapporte la preuve de ce que cette coupe Nautile correspond au bien qui lui a été dérobé.

Une ordonnance de référé du 8 avril 2014, a fait droit à cette demande d'expertise in futurum et condamné le National Museum aux dépens.

Les consorts [A] ont interjeté appel de cette ordonnance dont ils poursuivent l'infirmation et un arrêt de cette cour du 17 mars 2015 a, notamment, ordonné le sursis à statuer dans l'attente du résultat de la médiation ordonnée par le juge du contrôle des expertises le 28 janvier 2015, soit le lendemain de l'ordonnance de clôture.

Cette médiation ayant échoué, l'affaire a été rappelée à l'audience du 9 novembre 2015.

Par conclusions transmises par RPVA le 30 octobre 2015 les consorts [A] demandent à la cour :

- d'infirmer l'ordonnance entreprise

statuant à nouveau

- de déclarer la demande du National Museum irrecevable

- subsidiairement, de l'en débouter

- plus subsidiairement de renvoyer l'affaire devant le tribunal de grande instance de Paris déjà saisi au fond (RG 14/04526)

- en tout état de cause, de condamner le National Museum à leur payer une indemnité de procédure de 5.000€ et aux dépens de première instance et d'appel.

Ils soutiennent :

- que leur mère [U] [A] est seule propriétaire du Nautile en sa qualité de veuve héritière de leur père [C] [A], ce dont ils déduisent le défaut d'intérêt à agir à leur encontre du National Museum à qui il appartenait d'impliquer cette dernière en leurs lieu et place à des opérations d'expertise auxquelles elles sont étrangères dès lors que leur mère ne leur a donné aucun mandat de représentation en justice et a repris possession du Nautile faute de pouvoir le vendre

- qu'ils ont proposé le Nautile à la vente en vertu du mandat du 15 juillet 2013 que leur a donné leur mère en vue de l'organisation et de la réalisation de ses biens, lequel n'a été découvert par leurs conseils - qui ont pu initialement les présenter par erreur comme propriétaires et possesseur de cette coupe - 'qu'en préparant l'audience de référé' et qu'il en a été fait part au National Museum 'aussitôt' 'la veille même de l'audience'

- que l'action en revendication du Nautile en vue de laquelle l'expertise est sollicitée est prescrite depuis juillet 1986 en vertu de l'article 2276 du code civil et à tout le moins vaincue par la prescription acquisitive dont bénéficie leur mère sur le Nautile que possédait son époux depuis le 6 juillet 1986, prescription acquisitive qu'ils fondent sur l'interprétation a contrario de l'article L.112-1 du code du patrimoine, sur l'inventaire établi à cette date par l'expert [W] [Q] à la demande de celui-ci et sur des photos de famille

- que le Nautile en possession de leur mère n'est pas celui qui a été volé au National Museum ainsi qu'il ressort des éléments produits dans le cadre de l'instance au fond.

Le National Museum, intimé, par conclusions transmises par RPVA le 27 octobre 2015 demande à la cour de confirmer l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions, de débouter les consorts [A] de leurs demandes et de les condamner à lui payer une indemnité de procédure de 15.000€ ainsi qu'aux dépens.

Il soutient :

- que les consorts [A] se sont initialement et officiellement déclarés propriétaires et possesseurs du Nautile et qu'ils ne sont pas recevables à se contredire à son détriment en invoquant subitement en référé la prétendue propriété de leur mère que rien ne prouve en l'absence de titre

- que son action en revendication du Nautile n'est pas prescrite s'agissant d'un bien public imprescriptible et hors commerce, pas plus que n'est acquise la prétendue prescription acquisitive de la mère des consorts [A] dont la mauvaise foi est avérée, tout comme celle de son époux décédé de qui elle tiendrait ses droits et celle de ses filles, dès lors que celles-ci et leur père, en leur qualité reconnue d'experts numismates et professionnels avertis du milieu de l'art, ne pouvaient ignorer l'origine douteuse de la coupe à expertiser

- qu'il dispose d'un motif légitime en raison des similitudes documentaires des deux coupes en cause, qui comportent en particulier les mêmes poinçons de garantie et le même numéro d'inventaire 'NM 85/1904" propre à sa classification ainsi que le montre une photographie du Nautile en possession des consorts [A] envoyée par Me [O].

La cour renvoie aux décisions et aux conclusions susvisées pour plus ample exposé du litige et des prétentions des parties, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.

SUR CE LA COUR

Sur la demande de mise hors de cause des consorts [A]

Vu l'article 122 du code de procédure civile et le principe selon lequel nul ne peut se contredire au détriment d'autrui

Il n'est pas en débat que les consorts [A] après s'être déclarés officiellement propriétaires et possesseurs du Nautile ainsi que le relève exactement le premier juge, prétendent depuis la veille de l'audience de référé du 18 mars 2014 d'abord, que seule leur mère en est propriétaire pour en avoir hérité de son époux marié sous le régime de la communauté universelle, ensuite , qu'ils ne l'ont détenu que dans le cadre d'un mandat qu'elle leur a donné le 15 juillet 2013 que leurs conseils n'auraient découvert par erreur qu'à l'occasion de la préparation de cette audience de référé, enfin, que leur mère a repris possession du Nautile faute de pouvoir le vendre.

Il en résulte un changement de position, en droit, des consorts [A] qui fonde la fin de non-recevoir de leur demande de mise hors de cause en découlant, opposée par le National Museum.

Un tel changement est de nature à induire ce dernier en erreur sur leurs intentions, dès lors qu'aucun des éléments en débat ne le laissait raisonnablement prévoir ni n'établit manifestement cette propriété et 'l'erreur' ainsi invoquées, partant la loyauté procédurale des consorts [A], qu'il s'agisse du mandat allégué du 15 juillet 2013 dont rien n'étaye sa prétendue découverte à la veille de l'audience de référé seulement, ou du régime matrimonial des parents des consorts [A] et du décès de leur père, qui ne sont pas en soi déterminant quant à la qualité querellée de propriétaire et possesseur du Nautile.

Il en est d'autant plus ainsi qu'une instance au fond était introduite par Mme [U] [A] afin de voir reconnaître le droit de propriété du Nautile désormais revendiqué, suivant acte du 24 mars 2014 traduit en suédois dès le 20 mars 2014, soit dans le même temps que cette dénégation du 17 mars 2014, veille de l'audience de l'instance en référé pourtant initiée en septembre 2013.

En effet, cette instance au fond prive le National Museum de la possibilité de voir diligenter l'expertise sollicitée au contradictoire de Mme [U] [A], ainsi que l'a retenu une ordonnance de référé du 5 septembre 2014 et que le relèvent d'ailleurs les consorts [A], faisant grief au National Museum de 'sa bevue procédurale' consistant à ne pas avoir assigner en référé expertise leur mère en leurs lieu et place.

Et le préjudice résultant pour le National Museum de ce changement de position en droit procède à l'évidence de l'impossibilité d'exécution de l'expertise querellée que les consorts [A] en déduisent pour solliciter leur mise hors de cause.

Il s'ensuit que les consorts [A] ne peuvent sans se contredire au préjudice du National Museum et violer ainsi le principe de la loyauté des débats, soutenir qu'ils doivent être mis hors de cause comme étant étrangers aux opérations d'expertise in futurum du Nautile qui serait la propriété de leur mère qui serait seule en sa possession et non pas, comme ils l'ont soutenu jusqu'à l'audience en première instance, la leur.

Leur prétention à ce titre doit donc être déclarée irrecevable.

Sur le motif légitime

Aux termes de l'article 145 du code de procédure civile, s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé sur requête ou en référé.

Il résulte de cet article que le demandeur à la mesure d'instruction n'a pas à démontrer les responsabilités des désordres qu'il invoque puisque cette mesure in futurum est précisément destinée à les établir, qu'il doit seulement justifier d'éléments rendant crédibles ses suppositions et qu'il n'est pas exigé que la personne qui supporte la mesure soit le défendeur potentiel au procès futur.

En l'espèce et ainsi que rappelé plus haut, les consorts [A] s'opposent à l'expertise in futurum du Nautile litigieux motif pris de ce que l'action en revendication de cet objet d'art par le National Museum en vue de laquelle l'expertise est sollicitée serait prescrite et, à tout le moins, vaincue par la prescription acquisitive de ce dernier par leur père, depuis au moins le 6 juillet 1986 et dont leur mère tiendrait ses droits à cet égard.

Toutefois au vu des pièces produites, il est manifestement établi, que le Nautile volé au National Museum - qui établit avec l'évidence requise en référé qu'il en est devenu propriétaire le 30 septembre 1904 pour l'avoir reçu en donation de l'atelier Möllenborg - est un bien public, à tout le moins hors commerce, partant insusceptible de prescription conformément à l'article 2260 du code civil.

En tout état de cause, la teneur des débats entre les parties témoigne de ce que la prescription acquisitive du Nautile par [C] [A] depuis au moins le 6 juillet 1983 n'est pas à l'évidence établie dès lors qu'est sérieusement contestée la bonne foi tant de ce dernier que de son épouse qui en revendique désormais la propriété de son chef, ainsi que celle des consorts [A] qui s'en sont déclarés propriétaires et possesseurs un temps, notamment en vue de sa mise en vente.

En effet, l'interprétation a contrario de l'article L112-1 du code du patrimoine par les consorts [A] n'est pas sérieuse, à tout le moins convaincante, en ce qu'elle ne saurait suffire à établir que tous les biens culturels sortis d'un Etat membre de l'Union européenne avant la date du 31 décembre 1992 qu'il mentionne doivent être manifestement et 'de droit' considérés comme sortis licitement de cet Etat, ce qu'il appartiendra au juge du fond d'apprécier.

En outre, le National Museum établit avec l'évidence requise en référé que le Nautile répertorié lui a été dérobé le 26 juillet 1983 sans avoir été retrouvé depuis et les consorts [A] ne rapportent pas la preuve manifeste de la propriété alléguée de leur mère sur le Nautile litigieux, en l'absence de titre et d'autres éléments que ceux en débats, à savoir les photos de famille et l'inventaire de l'expert [Q] du 6 juillet 1986, lesquels sont sérieusement contestés comme étant non datées pour les unes et, notamment, imprécis quant à son objet pour l'autre.

Il s'ensuit que le procès au fond en revendication de l'objet d'art litigieux en vue duquel son expertise in futurum est sollicitée n'apparaît pas manifestement voué à l'échec comme prescrit.

Il l'est d'autant moins qu'ainsi que le relève justement le premier juge par motifs adoptés, il existe plusieurs éléments sérieux permettant de suspecter que le Nautile litigieux pourrait correspondre à celui qui a été volé au National Museum, à savoir, l'identité des poinçons de garantie (GM 18K), de l'inscription Möllenberg au pied de l'oeuvre et du numéro NM 85/1904 dont le National Museum fait valoir sans être contredit qu'il correspond au numéro d'inventaire de l'objet qui lui a été volé.

Au surplus, le National Museum établit avec l'évidence requise en référé que le Nautile qui leur a été volé est une 'pièce exceptionnelle [qui ] n'a aucun équivalent' (fiche adressée aux consorts [A] par l'expert [Q] et extraits des rapports du jury de l'exposition universelle de 1900, pièces 3 et 13 National Museum).

Enfin, les consorts [A] n'étayent pas leur affirmation contraire, se bornant à renvoyer, sans en citer aucun extrait pertinent, à leur pièce 14 soit à l'assignation au fond précitée du 24 mars 2014 délivrée par leur mère et à se prévaloir de l'article 2276 du code civil dont ils déduisent que la possession de bonne foi par leur mère du Nautile vaut titre de propriété.

Il s'ensuit que le National Museum dispose d'un motif légitime à l'expertise sollicitée ; dès lors qu'il n'est pas allégué que le juge du fond était saisi lorsque le juge des référés l'a été, ce dernier, auquel est présentée une demande d'expertise avant tout procès, c'est à dire avant que le juge de fond ne soit saisi du procès en vue duquel cette expertise est sollicitée, doit vider sa saisine ; la demande de renvoi devant la juridiction du fond ne peut prospérer.

L'ordonnance entreprise qui a fait droit à la demande d'expertise doit en conséquence être confirmée.

Sur les demandes accessoires

L'équité commande de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile dans les termes du dispositif de la présente décision.

En vertu de l'article 696 du code de procédure civile, la partie perdante supporte la charge des dépens.

En l'espèce, le premier juge a exactement condamné le National Museum aux dépens, s'agissant d'une expertise ordonnée à sa demande. Et les appelantes qui succombent doivent être condamnées aux dépens d'appel.

PAR CES MOTIFS

Déclare irrecevable la demande de mise hors de cause de Mmes [J] et [P] [A]

Confirme l'ordonnance entreprise

Y ajoutant

Condamne Mmes [J] et [P] [A] à payer au National Museum la somme de 6.000€ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile

Rejette toute autre demande

Condamne Mmes [J] et [P] [A] à payer les dépens d'appel, distraits conformément à l'article 699 du code de procédure civile.

LE GREFFIER LE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 1 - chambre 3
Numéro d'arrêt : 14/08370
Date de la décision : 15/12/2015

Références :

Cour d'appel de Paris A3, arrêt n°14/08370 : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2015-12-15;14.08370 ?
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