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09/12/2015 | FRANCE | N°14/04379

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 6, 09 décembre 2015, 14/04379


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 6



ARRÊT DU 09 Décembre 2015

(n° , pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : S 14/04379 CH



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 28 Novembre 2013 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS RG n° 13/04164





APPELANTE

Madame [O] [Q]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

née le [Date naissance 1] 1975 à Brésil

comparante en pers

onne, assistée de Me Emilie BELS, avocat au barreau de PARIS, toque: E0833





INTIMEE

SARL EMBRAER EUROPE

[Adresse 2]

[Adresse 2]

N° SIRET : 432 744 167

représentée par Me Pierre D...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 6

ARRÊT DU 09 Décembre 2015

(n° , pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S 14/04379 CH

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 28 Novembre 2013 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS RG n° 13/04164

APPELANTE

Madame [O] [Q]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

née le [Date naissance 1] 1975 à Brésil

comparante en personne, assistée de Me Emilie BELS, avocat au barreau de PARIS, toque: E0833

INTIMEE

SARL EMBRAER EUROPE

[Adresse 2]

[Adresse 2]

N° SIRET : 432 744 167

représentée par Me Pierre DIDIER, avocat au barreau de PARIS, toque : P0445

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 26 Octobre 2015, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Céline HILDENBRANDT, vice-président placé, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Monsieur Benoît DE CHARRY, Président

Madame Elisabeth MEHL-JUNGBLUTH, Conseillère

Madame Céline HILDENBRANDT, vice-président placé

Greffier : Mme Eva TACNET, greffière stagiaire en pré-affectation, lors des débats

ARRET :

- contradictoire

- mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.

- signé par Monsieur Benoît DE CHARRY, président et par Madame Eva TACNET, greffière stagiaire en pré-affectation à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

RAPPEL DES FAITS, DE LA PROCÉDURE ET DES MOYENS DES PARTIES

Madame [O] [Q] a été engagée par la société EMBRAER EUROPE (ci après dénommée EMBRAER) en qualité d'ingénieur technico-commercial suivant contrat à durée déterminée en date du 15 octobre 2004 puis par contrat à durée indéterminée en date du 22 avril 2005.

Suivant avenant en date du 5 novembre 2007, Madame [Q] a été nommée chef de service administratif et marketing, statut cadre.

Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective nationale des entreprises de commission, de courtage et de commerce intra communautaire et d'importation exportation de France Métropolitaine.

La société EMBRAER EUROPE occupait à titre habituel au moins onze salariés lors de la rupture des relations contractuelles.

Du 1er janvier au 30 novembre 2011, Madame [Q] a été en congé sabbatique et a réintégré la société EMBRAER EUROPE le 1er décembre 2011.

Par courrier en date du 5 janvier 2012, Madame [Q] a saisi le conseil de prud'hommes de Bobigny pour solliciter la résiliation de son contrat de travail aux torts de la société EMBRAER EUROPE. Dans le cadre d'une requête en suspicion légitime, la salariée a demandé le dépaysement du litige. Par arrêt du 10 janvier 2013, la cour d'appel de Paris à désigné le conseil de prud'hommes de Paris pour statuer sur les demandes de Madame [Q] .

Par lettre en date du 15 février 2012, Madame [Q] a été licenciée pour motif économique.

Par jugement en date du 28 novembre 2013, le conseil de prud'hommes de Paris a débouté Madame [Q] de l'ensemble de ses demandes.

Madame [Q] a régulièrement relevé appel de ce jugement et, à l'audience du 26 octobre 2015, reprenant oralement ses conclusions visées par le greffier, demande à la cour d'infirmer le jugement déféré et :

- à titre principal, dire et juger que la salariée a subi à la fois un déclassement et des actes de harcèlement moral, prononcer en conséquence la résiliation judiciaire du contrat aux torts de l'employeur.

- à titre subsidiaire, dire et juger que le motif économique invoqué par la société EMBRAER pour justifier sa réorganisation et le licenciement économique de Mlle [Q] qui s'en est suivi n'est pas établi, que la société EMBRAER EUROPE n'a pas sérieusement et loyalement satisfait à son obligation de reclassement et que le licenciement économique ne repose sur aucune cause réelle et sérieuse.

- en tout état de cause, à titre principal, dire et juger que le salaire mensuel moyen de Mlle [Q] s'établit à la somme de 7.871 euros et à titre subsidiaire, dire et juger que le salaire mensuel moyen de Mlle [Q] s'établit à la somme de 5.778,50 euros.

- condamner la société EMBRAER EUROPE à lui verser les sommes suivantes :

* 118.065 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

* 47.226 euros en réparation du harcèlement moral subi.

* 23.613 euros à titre indemnitaire en réparation du préjudice moral.

* 80.426 euros à titre de rappel de salaires au titre des années 2007, 2008, 2009, et 2010.

* à titre principal, 93.334,96 euros au titre des heures supplémentaires réalisées en 2007, 2008, 2009, et 2010 et 26.152,09 euros à titre de repos compensateurs au titre des heures dépassant le contingent annuel pour les 2007, 2008, 2009, et 2010 et ce en application du taux horaire de 51,90 euros.

* à titre subsidiaire, 70.327,13 euros à titre d'heures supplémentaires au titre de ces années et 21.324,66 euros à titre de repos compensateurs au titre des heures dépassant le contingent annuel et ce en application du taux horaire moyen.

* 30.000 euros à titre de contrepartie financière pour les heures d'astreintes réalisées entre le 5 novembre 2007 et décembre 2010.

* 7.871 € à titre de dommages et intérêts pour délivrance tardive de l'attestation pôle emploi.

- ordonner la délivrance des bulletins de paie rectificatifs et l'attestation Pôle Emploi sous astreinte de 100 € par jour de retard à compter de la notification de la décision à intervenir.

- condamner la société EMBRAER EUROPE à lui verser la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile ainsi qu'aux dépens.

- ordonner le remboursement par la société EMBRAER EUROPE des indemnités de chômage perçues par la salariée licencié dans la limite de six mois de salaires et dire qu'à cette fin, une copie certifiée conforme du présent jugement sera adressé à Pôle Emploi.

La société EMBRAER EUROPE a repris oralement à l'audience ses conclusions visées par le greffier et demande à la cour de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions , débouter Madame [Q] du surplus de ses demandes et condamner cette dernière à lui verser la somme de 8000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens de première instance comme d'appel.

Pour plus ample exposé de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs conclusions visées par le greffier, développées lors de l'audience.

MOTIFS

Sur les rappels de salaire

Madame [Q] soutient que la rémunération perçue était en réalité inférieure à la grille de salaire pratiquée au sein de la société EMBRAER. La salariée fait état de documents mis en ligne sur l'intranet de la société lui permettant de prétendre à un salaire annuel compris entre 82590 euros et 94460 euros en sa qualité de responsable marketing. Dans la mesure où elle était également responsable administrative, la salariée estime qu'elle était également fondée à percevoir en plus la somme annuelle de 66130 euros.

Au soutien de ses allégations, Madame [Q] communique un document à l'entête D'EMBRAER et intitulé "Job and salary plan - présentation of the salary brackets" ainsi qu"un document comportant des grilles de salaires.

En réponse, la société EMBRAER fait valoir que les pièces produites par la salariée n'ont jamais été diffusées sur l'intranet de la société et ne constituaient que des documents de travail dans le cadre d'un projet de redéfinition des emplois et des rémunérations à venir de sorte qu'il ne s'agit nullement de grilles de salaire applicables dans l'entreprise. En outre, l'employeur fait valoir que ces documents n'ont aucune valeur engageante pour l'entreprise.

Au regard de la nature de la demande formée par la salariée, il appartient à cette dernière de démontrer les faits allégués. Or les documents produits, s'ils sont à l'entête de la société EMBRAER, ne sont pas datés et leur origine n'est pas établie. En outre, Madame [Q] ne démontre pas que les grilles de salaire sur lesquelles elle se fonde avait une valeur obligatoire pour l'employeur car résultant ou d'une négociation collective ou d'engagement bilatéral comme elle ne démontre pas davantage que les autres salariés de l'entreprise ont été rémunérés sur la base de ces documents de sorte que sa demande relative aux rappels de salaire sera rejetée.

Sur la résiliation judiciaire

Le salarié peut solliciter la résiliation de son contrat de travail aux torts de l'employeur lorsque celui-ci n'exécute pas une ou plusieurs obligations essentielles du contrat qui lui incombent. Il appartient au juge d'apprécier si ces manquements sont d'une gravité suffisante pour rendre impossible la poursuite du contrat de travail et justifier ainsi la résiliation du contrat de travail à ses torts. La résiliation prononcée produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse. Lorsque le salarié a été licencié postérieurement à la saisine de la juridiction, la résiliation judiciairement prononcée prend effet à la date du licenciement.

Aux termes de l'article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

L'article L.1154-1 du même code prévoit qu'en cas de litige, le salarié concerné établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement et il incombe alors à l'employeur, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

En l'espèce, Madame [Q] précise qu'avant de partir en congé, elle était chef de service administratif et marketing, statut cadre, de la division aviation d'affaires basée à [Localité 1]. Elle avait à gérer une équipe de trois personnes. A cet égard, la salariée produit un organigramme de l'entreprise confirmant son statut et le nombre des salariés sous sa responsabilité.

Madame [Q] soutient qu'à son retour de congé sabbatique, elle a subi un harcèlement moral conjugué à un déclassement professionnel. Elle fait ainsi état des agissements suivants de la part de son employeur qui dès le 1er décembre 2011 auront pour effet de lui enlever toutes ses responsabilités et de la mettre à l'écart de l'entreprise :

- elle expose qu'elle n'a pas été conviée à la réunion commerciale annuelle de l'entreprise qui se tenait du 30 novembre au 1er décembre 2011 à Londres alors que, du fait de son poste de chef de service, elle était conviée tous les ans à ce séminaire chargé de définir la stratégie commerciale et marketing de l'entreprise.

- dès son retour dans l'entreprise, elle n'a plus été destinataire des mails de son responsable, [E] [P], ce dernier ne l'incluant plus dans la liste des destinataires des mails professionnels. A cet égard, la salariée communique les attestations de [B] [U], analyste marketing et de [U] [T], coordinateur marketing, tous les deux salariés de la société EMBRAER et sous la responsabilité de Madame [Q]. Il ressort de ces témoignages que Madame [Q], "jusqu'en décembre 2010, a dirigé une équipe composée de 3, 4 personnes. Elle assurait l'interface directe entre notre vice président [E], tous les 6/7 commerciaux et le siège social au Brésil.... Depuis son retour, le 1er décembre 2011, notre vice président a décidé de ne plus du tout l'impliquer dans notre organisation... nous voyions Thais sans travail exclue des listes de diffusion des différents e-mails pour toute la division." (Madame [U]). En outre, il est précise que "avant son départ, je lui reportais car elle était manager de notre département marketing aviation d'affaires. Depuis son retour, nous ne lui reportions plus car elle n'a plus d'équipe à manager. En outre, elle n'est plus copiée dans les courriels échangés, ni invitée dans les réunions marketing."([U] [T]). A cet égard, la salariée verse aux débats un courriel de Monsieur [T] en date du 24 janvier 2012 dans lequel ce dernier lui fait suivre un message de [E] [P], adressé à différents salariés, avec la mention "pour information, comme vous n'étiez pas en copie".

- à son retour de congé, la salariée soutient ne pas avoir eu d'outil de travail et avoir été obligée de déménager son bureau sans qu'un autre lieu de travail ne lui soit attribué. Elle argue du fait que pendant deux semaines, elle a été sans ordinateur ni téléphone et qu'après avoir obtenu, un ordinateur, elle a appris que toutes ses données informatiques avaient été supprimées. Au soutien de ses allégations, Madame [Q] communique le mail envoyé à [E] [P] le 6 décembre 2011dans lequel elle alerte ce dernier sur l'absence d'ordinateur depuis son retour ainsi que trois mails adressés au service informatique de la société le 8 décembre 2011, le 14 décembre 2011 et le 9 janvier 2012 pour pouvoir récupérer ses archives informatiques et la réponse de celui-ci précisant que "il s'avère que nous n'avons pas d'archives vous concernant. A l'époque de votre départ, nous n'avions reçu aucune consigne spécifique au sujet de votre ordinateur. Cet ordinateur a depuis été re-configuré et livré à un autre utilisateur." Il est également versé aux débats l'échange de mail de la salariée avec [X] [M] pour que celle-ci quitte son bureau pour permettre à une autre division de s'y installer. Il en ressort qu'à l'issue de ce déménagement, aucun autre bureau n'était attribué à la salariée.

- la salariée expose qu'à son retour de congés, elle a d'une part été démise de ses fonctions managériales, son équipe dépendant désormais directement de son supérieur, Monsieur [P] et d'autre part, été sans travail, son employeur lui exposant qu'il réfléchissait à une nouvelle organisation. Madame [Q] verse aux débats deux échanges de mails avec [E] [P] dans lesquels, elle demande à ce dernier s'il a déjà déterminé "ses nouvelles activités et responsabilités" et la réponse de son supérieur lui indiquant "j'apporterai quelques modifications à la répartition des tâches de l'équipe donc l'organisation sera différente; je vous préciserai cela en temps utile." (Mail du 7 décembre 2011) puis "pas encore , je rentre tout juste du Brésil et essaierai de boucler cela dès que possible" (mail du 19 décembre 2011). En outre, Madame [Q] communique le courrier recommandé daté du 24 décembre 2011, adressé à [E] [P] dans lequel elle fait état de la nette dégradation de ses fonctions depuis son retour au sein de la société EMBRAER , énumère les différentes responsabilités qui lui ont été retirées depuis le 1er décembre 2011 et sollicite que lui soit confié "un poste identique ou similaire à celui occupé avant le congé sabbatique et de m'affecter une équipe identique ou similaire". Il est en outre produit le mail réponse de Monsieur [P] qui le 23 janvier 2012 qui conteste toute rétrogradation de la salariée tout en confirmant que l'équipe de Madame [Q] doit continuer à lui rendre compte directement comme "ils l'ont fait durant l'année précédente". Pour étayer la perte de ses fonctions managériales, Madame [Q] se réfère aux attestations de Madame [U] et Monsieur [T] qui font état d'une "mise au placard évidente sans explication et moralement injuste pour elle" ainsi que de l'absence "d'équipe à manager" depuis son retour de congé sabbatique.

- la salariée mentionne également que le 15 décembre 2011, elle a été informée par courrier datée du même jour du projet de la société EMBRAER de transférer la direction aviations d'affaires en Angleterre, le corollaire étant le transfert de son contrat de travail à compter du 1er février 2012. Madame [Q] indique que suite à cette proposition, et eu égard à l'absence de précisions quant aux fonctions et rémunérations afférentes à ce transfert de contrat, elle a décliné l'offre par courrier du 11 janvier 2012. Le même jour, la salariée indique avoir reçu de son employeur le descriptif du poste envisagé et dont les missions étaient les suivantes :

" est chargé de l'envoi par DHL de l'ensemble des courriers et plis DHL depuis le bureau du Royaume Uni,

- est chargé de l'ensemble des courriers locaux , collecte et envoi depuis le Royaume Uni,

- est chargé du bail, de la documentation, du photocopieur, des lignes téléphoniques, d'internet et des communications locales ;

- est chargé de la documentation et de l'ensemble des badges de sécurité de l'aéroport qu'il s'agisse des salariés d'EMBRAER comme des visiteurs". Pour Madame [Q], ces nouvelles fonctions concrétisaient le déclassement dont elle était déja victime puisque le poste proposé en Angleterre supprimait toute fonction d'encadrement et se réduisait à du secrétariat administratif.'

- enfin, Madame [Q] indique que la dégradation de ses conditions de travail et la perte de ses fonctions managériales ont eu une incidence sur sa santé et ont été la cause d'un état dépressif justifiant un arrêt de travail qui a été prolongé et une prise en charge médicale. La salariée verse à ce propos les justificatifs médicaux relatifs à ses arrêts de travail et des prescriptions médicamenteuses.

Au regard de l'ensemble des éléments développés et versés par Madame [Q], cette dernière établit l'existence matérielle de faits précis et concordants, qui pris dans leur ensemble permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral résultant d'un déclassement à son encontre.

En réponse, la société EMBRAER conteste tout déclassement de Madame [Q] dont le retour dans l'entreprise a été annoncé à l'ensemble des salariés de la société. Si l'employeur ne conteste pas les problèmes matériels rencontrés par la salariée, il explique que le contexte était particulier puisque Madame [Q] réintégrait son service alors que celui-ci était en pleine réorganisation. La société EMBRAER indique également que la salariée revenant d'un congé sabbatique de 11 mois, il était légitime que s'écoule un temps minimal d'adaptation pour que tant Madame [Q] que l'employeur reprennent une relation de travail standard. De ce fait, la société EMBRAER explique que la salariée n'a pas été conviée à certaines réunions stratégiques soit parce qu'elle débutait le dernier jour de son congé soit parce qu'il importait que la salariée reprenne ses marques dans ses fonctions. Enfin, l'employeur soutient que la salariée avait toujours une équipe à gérer et qu'elle avait reçu pour mission de travailler sur un programme P3E.

Au soutien de ses allégations, la société EMBRAER produit notamment le mail adressé aux salariés de l'entreprise et daté du 1er décembre 2011 pour annoncer le retour de Madame [Q] ainsi qu'un mail de [U] [T], daté du 19 février 2012 qui informe la salariée de son absence. En outre, il est communiqué les documents relatifs au programme P3E confié à la salariée et l'échange de courriers entre la DRH et Madame [Q]. Il ressort de ces pièces que si la salariée s'était vu confiée ce programme, elle n'a pour autant pas été associée au séminaire dédié au P3E le 16 janvier 2012. Enfin, la société EMBRAER produit les documents relatifs au projet de transfert de certaines divisions au Royaume Uni, projet qui au final ne se concrétisera pas.

La cour relève que la société EMBRAER n'apporte aucune explication sur la suppression du nom de Madame [Q] des listes de diffusion tant des mails professionnels que des mails de voeux de bonne année. L'employeur ne fournit pas davantage d'explication sur la disparition alléguée par la salariée de ces fonctions managériales ou sur le contenu de la proposition de poste au Royaume Uni, manifestement inadapté aux fonctions exercées par Madame [Q].

La cour constate en outre que la société EMBRAER ne justifie d'aucun contact spontané avec la salariée au cours du mois de décembre 2011, les seuls mails produits ayant été émis en réponse à des sollicitations de Madame [Q] qui s'étonnait de l'absence de travail ou de mauvaises conditions de travail. Cette absence de relation au mois de décembre 2011 ne peut valablement s'expliquer par un "temps d'adaptation normal" entre les parties ou encore le souci de la société que Madame [Q] reprenne "ses marques', cette dernière n'étant plus ni informée de l'avancée de projets initialement suivis par elle ni destinataire des mails professionnels. A cet égard, il apparait plus qu'étonnant, au regard de la nature du poste occupé précédemment par Madame [Q] et de la structure de la société EMBRAER que celle-ci n'ait pas anticipé le retour de la salariée.

En revanche, il est établi que depuis son retour, Madame [Q] n'avait plus d'équipe à gérer et s'est vu retirer des missions. Il est également démontré qu'à compter du 15 décembre 2011, cette dernière s'est vu proposer un transfert de contrat au Royaume Uni pour un poste dont le contenu correspond manifestement à un déclassement puisqu'il consiste en des missions de secrétariat.

Par conséquent, la cour constate qu'à son retour de congé sabbatique, Madame [Q] a été victime de harcèlement moral caractérisé par une diminution importante de ses responsabilités et un déclassement qui ont pour conséquence une dégradation de sa santé physique et mentale.

En conséquence, Madame [Q] est fondée à solliciter la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de la société EMBRAER, résiliation qui produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse. Il y a donc lieu d'infirmer le jugement sur ce point.

Sur les incidences financières du licenciement sans cause réelle et sérieuse

Aux termes de l'article L.1235-3 du code du travail, si un licenciement intervient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse et qu'il n'y a pas réintégration du salarié dans l'entreprise, il est octroyé au salarié à la charge de l'employeur une indemnité qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.

A la date du licenciement, Madame [Q] percevait une rémunération mensuelle brute moyenne de 5778,50 euros, avait 35 ans et bénéficiait d'une ancienneté de six ans et quatre mois au sein de l'entreprise. Il n'est pas contesté que Madame [Q] a été prise en charge par pôle emploi jusqu'au 4 juin 2013. Il convient d'évaluer à la somme de 55 000 euros le montant de l'indemnité allouée au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse en application de l'article L.1235-3 du code du travail.

Sur le remboursement des prestations chômage à POLE EMPLOI

L'article L 1235-4 du code du travail prévoit que « dans les cas prévus aux articles 1235-3 et L 1235-11, le juge ordonne le remboursement par l'employeur fautif aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de 6 mois d'indemnités de chômage par salarié intéressé. » Le texte précise que « ce remboursement est ordonné d'office lorsque les organismes intéressés ne sont pas intervenus à l'instance ou n'ont pas fait connaître le montant des indemnités versées. »

Sur la base de ces dispositions, et compte tenu du licenciement sans cause réelle et sérieuse de Madame [Q], il y a lieu d'ordonner à la société EMBRAER de rembourser à POLE EMPLOI les indemnités de chômage versées au salarié du jour du licenciement au jour du présent arrêt, dans la limite de 6 mois d'indemnités.

Sur les dommages et intérêts pour harcèlement moral et préjudice moral

Madame [Q] ayant été victime de harcèlement moral, la cour fixera à la somme de 15 000 euros le montant de l'indemnité en réparation du préjudice de ce chef.

La salariée sollicite également l'indemnisation de son préjudice moral lié au manquement de son employeur à son obligation de sécurité-résultat. En l'espèce, Madame [Q] ne justifie pas de ce préjudice de sorte qu'elle sera déboutée de ce chef.

Sur les dommages et intérêts pour retard dans la délivrance des documents sociaux

L'article R.1234-9 du Code du travail dispose que l'employeur délivre au salarié, au moment de l'expiration ou de la rupture du contrat de travail, les attestations et justifications qui lui permettent d'exercer ses droits aux prestations mentionnées à l'article L. 5421-2 et transmet sans délai ces mêmes attestations à Pôle emploi.

En l'espèce, Madame [Q] indique qu'elle a été licenciée le 20 février 2012 et que malgré plusieurs relances personnelles puis de son conseil, la société EMBRAER ne lui a délivré que le 24 avril 2012 l'attestation Pôle Emploi.

Au soutien de son allégation, la salariée verse aux débats le courrier de son conseil adressé le 20 mars 2012 à la société EMBRAER pour demander l'établissement de l'attestation pôle emploi ainsi que la lettre de pôle emploi datée du 4 avril 2012 dans laquelle l'organisme public l'informait qu'il n'avait pas reçu son dossier de contrat de sécurisation professionnelle.

En réponse, la société EMBRAER soutient s'être acquittée de ses obligations auprès de pôle emploi dès le 24 février 2012. Elle fait valoir que si l'organisme public n'a pas reçu les documents à cette date, cela ne peut lui être imputable. A cet égard, l'employeur communique copie du courrier adressé à Pole emploi et copie de l'accusé de réception par l'organisme en date du 27 février 2012.

Il est constant que la remise tardive des documents sociaux cause nécessairement un préjudice pour le salarié . Les pièces versées aux débats établissent la caractère tardif de cette remise, de sorte qu'il convient de réparer le préjudice subi par Madame [Q] en lui octroyant la somme de 100 euros.

Sur l'annulation de la convention forfait jours

Madame [Q] sollicite l'annulation de la convention forfait jour auquelle elle était astreinte de par son contrat de travail. Elle vise à cet effet la jurisprudence de la cour de cassation qui prévoit que si les stipulations conventionnelles ne sont pas de nature à assurer la protection de la sécurité et de la santé du salarié, la convention de forfait prévue dans le contrat de travail du salarié est frappée de nullité

En réponse, la société EMBRAER fait valoir que la salariée a été rémunérée en tant que cadre au forfait sur une base de salaire conséquente, tenant compte de ses responsabilités et de son autonomie.

Il est établi que le temps de travail de la salariée s'inscrivait dans le cadre d'un forfait cadre de 209 jours mentionné dans ses bulletins de paie et que les relations contractuelles entre les parties étaient régies par la convention collective nationale des entreprises de commission, de courtage et de commerce intra communautaire et d'importation exportation de France Métropolitaine.

Celle-ci dispose en son article 10.3.2. que :

"- les salariés concernés par la convention de forfait jours sont les personnes visées sont les cadres qui, compte tenu du niveau de leur responsabilité et de la latitude dont ils disposent dans l'organisation de leur travail, bénéficient de la plus large autonomie. En conséquence, leur salaire représente la contrepartie de leur mission et de la responsabilité y afférente.

Les salariés visés par le point 10.3 ne sont pas concernés par l'article 7 du présent accord.(relatif aux heures supplémentaires)

-les salariés concernés par les présentes dispositions ne pourront dépasser le plafond de 214 jours travaillés.

Ces journées de repos supplémentaires pourront être prises isolément ou regroupées dans les conditions suivantes :

- pour la moitié des jours à l'initiative du salarié sous réserve de l'acceptation du chef d'entreprise;

- pour les jours restants, à l'initiative du chef d'entreprise.

Ces journées de repos pourront être affectées, pour moitié, à un compte épargne-temps.

Le temps de travail peut être réparti sur certains ou sur tous les jours ouvrables de la semaine.

Le jour de repos hebdomadaire est en principe le dimanche, sauf dérogation dans les conditions fixées par les dispositions législatives et conventionnelles en vigueur. Le contrat de travail peut prévoir des périodes de présence nécessaires au bon fonctionnement de l'entreprise.

Le salarié doit bénéficier d'un temps de repos quotidien d'au moins 11 heures consécutives, sauf dérogation dans les conditions fixées par les dispositions législatives et conventionnelles en vigueur.

Le salarié doit également bénéficier d'un temps de repos hebdomadaire de 24 heures, auquel s'ajoute le repos quotidien de 11 heures, sauf dérogation dans les conditions fixées par les dispositions législatives et conventionnelles en vigueur.

Le forfait en jours s'accompagne d'un contrôle du nombre de jours travaillés. L'employeur est tenu d'établir un document de contrôle faisant apparaître le nombre et la date des journées travaillées, ainsi que la qualification des jours de repos en repos hebdomadaire, congés payés, congés conventionnels ou jours de repos au titre de la réduction du temps de travail. Ce document peut être tenu par le salarié sous la responsabilité de l'employeur.

En outre, le salarié ayant conclu une convention de forfait défini en jours bénéficie, chaque année, d'un entretien avec son supérieur hiérarchique au cours duquel seront évoquées l'organisation et la charge de travail de l'intéressé, l'amplitude de ses journées d'activité."

En l'espèce, la cour relève que Madame [Q] ne conteste pas sa qualité de cadre pouvant bénéficier du forfait jour.

D'autre part, s'il est constant que doivent être annulées les dispositions collectives qui ne précisent pas les garanties mises en place pour s"assurer de la santé et de la sécurité des travailleurs soumis au forfait jours , il a été jugé qu'étaient de nature à répondre aux exigences relatives au droit à la santé et au repos, les stipulations suivantes :

- le forfait en jours s'accompagne d'un contrôle du nombre de jours travaillés afin de décompter le nombre de journées de travail, ainsi que les journées de repos prises ;

- l'employeur est tenu d'établir un document de contrôle faisant apparaître le nombre et la date des journées travaillées ainsi que le positionnement et la qualification des jours de repos (repos hebdomadaire, jours de congés payés, jours RTT) ;

- le document de contrôle du temps de travail peut être tenu par le salarié sous la responsabilité de l'employeur ;

- le supérieur hiérarchique assure le suivi régulier de l'organisation du travail du salarié et de sa charge de travail ;

- le salarié bénéficie, chaque année, d'un entretien avec son supérieur hiérarchique au cours duquel sont évoquées l'organisation de son travail et sa charge de travail ainsi que l'amplitude de ses journées de travail.

Or l'article 10-3-2 de la convention collective précitée prévoit l'ensemble de ses garanties de sorte que la salariée, qui ne justifie pas sur quel fondement les dispositions relatives à la convention forfait jour devraient être annulées, sera déboutée de sa demande de ce chef et de toues les demandes subséquentes relatives aux heures supplémentaires, à l'astreinte, au repos compensateur et au travail dissimulé.

Sur la remise des documents sociaux

Il sera ordonné à la société EMBRAER de remettre à Madame [Q] une attestation POLE EMPLOI conforme à la présente décision.

Aucune circonstance de l'espèce ne conduit à assortir cette disposition d'une mesure d'astreinte.

Sur les autres demandes

La société EMBRAER sera condamnée à verser à Madame [Q] la somme de 3000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

INFIRME partiellement le jugement déféré en ce qu'il a rejeté la demande de résiliation judiciaire, dit que le licenciement économique était fondé et rejeté les demandes relatives à la remise tardive des documents sociaux;

Statuant à nouveau;

PRONONCE la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de la société EMBRAER ;

DIT que le licenciement de Madame [Q] est sans cause réelle et sérieuse;

CONDAMNE la société EMBRAER à verser à Madame [Q] les sommes suivantes:

- 55 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 15 000 euros à titre de dommages et intérêts lié au harcèlement moral subi,

- 100 euros à titre de dommages et intérêts pour retard dans la remise des documents sociaux ;

CONFIRME pour le surplus ;

Y AJOUTANT ;

ORDONNE ORDONNE à la société EMBRAER la remise à Madame [Q] d'une attestation Pôle Emploi conforme à la présente décision ;

CONDAMNE la société EMBRAER à rembourser à Pôle Emploi la totalité des indemnités de chômage versées à Madame [Q] dans la limite de six mois ;

DEBOUTE Madame [Q] du surplus de ses demandes ;

CONDAMNE la société EMBRAER à verser la somme de 3000 euros à Madame [Q] sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE la société EMBRAER aux dépens.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 6
Numéro d'arrêt : 14/04379
Date de la décision : 09/12/2015

Références :

Cour d'appel de Paris K6, arrêt n°14/04379 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2015-12-09;14.04379 ?
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