RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 4
ARRÊT DU 08 Décembre 2015
(n° , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 15/04561
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 18 Février 2015 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - section encadrement -RG n° 13/15636
APPELANTE
SAS COMMUNICATION BUREAUTIQUE ETUDES ('CBE' désormais dénommée ADEALIS)
[Adresse 2]
[Adresse 2]
en présence du représentant de la société, assistée de Me Pierre ROBILLARD, avocat au barreau de SAINT ETIENNE
INTIME
Monsieur [I] [F]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
né le [Date naissance 1] 1985 à [Localité 1] (VIETNAM)
comparant en personne, assisté de Me Sarah PINEAU, avocat au barreau de PARIS, toque : E0247
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 12 Octobre 2015, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Mme Roselyne GAUTIER, Conseillère, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Monsieur Jean-Louis CLEVA, Président de chambre
Mme Soleine HUNTER FALCK, Conseillère
Mme Roselyne GAUTIER, Conseillère
qui en ont délibéré
Greffier : Madame Chantal HUTEAU, lors des débats
ARRET :
- Contradictoire,
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile.
- signé par Mme Roselyne GAUTIER, Conseillère faisant fonction de Président et par Madame Chantal HUTEAU, Greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La cour est saisie :
-de l'appel interjeté par la SAS COMMUNICATION BUREAUTIQUE ETUDES ('CBE') dénommée désormais ADEALIS le 27 avril 2015 , à l'encontre du jugement du Conseil de Prud'hommes de Paris Section Encadrement Ch 2 en date du 18 février 2015 qui considérant qu'il y avait harcèlement moral a
-requalifié la démission du salarié en prise d'acte aux torts de l'employeur , produisant les effets d'un licenciement sans cause réelles et sérieuse
-condamné la SAS ADEALIS à payer à Monsieur [F] [I] les sommes suivantes :
* 3869,60 € au titre de l'indemnité légale de de licenciement
*29 022 € au titre de l'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse
*10 000 € au titre du préjudice moral
*1000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile et les dépens
En cours de délibéré, les parties ont envoyé une note concernant le nombre de salariés de l'entreprise.
FAITS ET DEMANDES DES PARTIES
Monsieur [F] [I] a été engagé par la SARL Stockho SI, en qualité d'ingénieur réseau à compter du 15 octobre 2009.
Suite à une cession de juin 2013, son contrat de travail a été repris par la SAS CBE .
Par courrier du 6 août 2013 ,Monsieur [F] [I] a donné sa démission.
L'entreprise, au vu du contrat de travail relevait de la convention collective 'Syntech' et au vu des mentions portées sur le dossier du Conseil de Prud'hommes comptait moins de 11 salariés.
Le salaire mensuel moyen de Monsieur [F] [I] était de 4837 €.
SAS CBE dénommée désormais ADEALIS demande d'infirmer le jugement du Conseil de Prud'hommes de Paris et en conséquence de:
- dire et juger qu'il n'y a pas harcèlement moral et qu'en conséquence la démission de Monsieur [F] était non équivoque
-de rejeter l'ensemble des demandes indemnitaires
-de dire que les documents sociaux ont été remis et rejeter la demande de liquidation d'astreinte
-de condamner Monsieur [F] à payer la somme de 50 000 € au titre de la réparation du préjudice économique et d'image subi par la SAS ADEALIS
-de condamner Monsieur [F] à payer la somme de 2000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ,
- à titre subsidiaire de réduire les indemnités au préjudice réellement démontré.
Monsieur [F] [I] conclut à la confirmation du jugement du Conseil de Prud'hommes sur le harcèlement moral et sur la requalification de la démission en prise d'acte , qui s'analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse .
Il sollicite la condamnation de la SAS ADEALIS,(CBE) à lui payer
les sommes suivantes :
*3869,6 € au titre de l'indemnité pour licenciement
* 48370 € au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
* 58044 € en réparation du préjudice moral subi
* 6800 € au titre de la liquidation de l'astreinte
* 4000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile et à supporter les entiers dépens comprenant les frais de constat d'huissier du 25 octobre 2013.
Il sollicite également les intérêts à compter de la saisine du Conseil de Prud'hommes et leur capitalisation .
SUR CE
Il est expressément fait référence aux explications et conclusions des parties remises et visées à l'audience .
Les notes en délibéré que la Cour n'a pas sollicité et qui en sus ne reposent sur aucune pièce probante sont déclarées irrecevables
Sur les conditions de rupture du contrat de travail :
Monsieur [F] [I] remet en cause la lettre de démission qu'il a adressée à son employeur le 6 août 2013 , en faisant valoir qu'il y a été contraint du fait du harcèlement moral et des menaces qu'il subissait de la part de son nouveau supérieur hiérarchique et de ses méthodes managériales désastreuses.
Il convient de préciser que cette lettre de démission n'était pas spécialement motivée.
La SAS ADEALIS,(CBE) considère que la démission ne présentait aucun caractère équivoque, le salarié ne justifiant d'aucun différent antérieur ou contemporain avec son employeur .
Il conteste tout harcèlement moral en affirmant que le salarié n'a pas supporté la nouvelle organisation plus structurée et a confondu méthodes de management et harcèlement moral.
La démission est un acte unilatéral par lequel le salarié manifeste de façon claire et non équivoque sa volonté de mettre fin au contrat de travail ; lorsque le salarié, sans invoquer le vice du consentement de nature à entraîner l'annulation de la démission, remet en cause celle-ci en raison de faits ou manquements imputables à son employeur, le juge doit, s'il résulte de circonstances antérieures ou contemporaines de la démission qu'à la date à laquelle elle a été donnée, celle-ci était équivoque, l'analyser en une prise d'acte de rupture qui produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient ou dans le cas contraire d'une démission.
Il appartient au salarié qui ayant démissionné , entend imputer la rupture du contrat aux manquements de son employeur d'en rapporter la preuve.
En l'espèce le salarié affirme qu'il a été dans l'obligation de donner sa démission en raison du harcèlement moral qu'il subissait de la part de son employeur.
Il lui appartient donc en application combinée des articles L1152-1 et L1154-1 du code du travail d'établir la matérialité des faits permettant de présumer le harcèlement , à charge pour l'employeur de démontrer que ces agissements ne sont pas constitutifs de harcèlement.
Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel (article L 1152-1 C.Trav) et ce indépendamment de l'intention de son auteur.
Au vu des pièces produites aux débats , notamment des attestations précises et concordantes tant de ses anciens collègues de travail , que des clients de l'entreprise et des échanges de mails notamment ceux des 15 et 24 juillet 2015, il est établi que dès son arrivée en juin 2013, Monsieur [S] [H] le nouveau dirigeant, s'est montré agressif , voire injurieux envers plusieurs salariés dont Monsieur [F] , n'hésitant pas à le dénigrer en réunion et à lui adresser régulièrement des reproches manifestement injustifiés et ce sur un ton totalement irrespectueux.
C'est à juste titre que le Conseil de Prud'hommes qui a cité in extenso certaines attestations et les mails des 15 et 24 juillet 2013 a qualifié lesdits mails 'd'incendiaires ', et de particulièrement agressif et haineux'.
Manifestement depuis l'arrivée du nouveau dirigeant en juin 2013 les conditions de travail de l'ensemble du personnel s'étaient dégradées , provoquant démissions et ruptures conventionnelles en chaîne , et même résiliations des contrats par les clients mécontents.
En l'espèce l'employeur, qui se contente d'évoquer des nouvelles méthodes de management et une réorganisation non acceptée par les salariés, ne démontre nullement eu égard aux atteintes manifestes et répétées portées à la dignité de Monsieur [F] que les faits matériellement établis ne relèvent pas du harcèlement moral.
Ces conditions de travail devenues particulièrement vexatoires et imputables au comportement de l'employeur , sont antérieures et contemporaines à la démission de Monsieur [F] et la rendent équivoque.
Par ailleurs dès le 21 septembre 2013 en réponse à de nouvelles accusations de son employeur, Monsieur [F] lui précise, par courriel, avoir donné sa démission du fait du harcèlement subi.
Les faits de harcèlement moral invoqués et établis constituaient un manquement de l'employeur suffisamment grave pour rendre impossible la poursuite du contrat de travail de Monsieur [F].
Il convient donc de confirmer le jugement du Conseil de Prud'hommes qui a requalifié cette démission en une prise d'acte de rupture qui produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Sur les indemnités réclamées.
-sur l'indemnité légale de licenciement
Il convient de confirmer le jugement du Conseil de Prud'hommes qui a justement fixé le montant de l'indemnité légale de licenciement à la somme de 3869,60 €.
-sur l'indemnité pour licenciement abusif
A l'audience les parties ont fait part de leur désaccord sur le nombre de salariés dans l'entreprise. En l'absence de documents permettant de vérifier la réalité des chiffres avancés par chacun, il convient de se reporter aux mentions portées sur la cote du dossier du Conseil de Prud'hommes qui fait état de déclarations conformes des 2 parties sur un nombre de salariés inférieur à 10.
Il convient de retenir ce chiffre, qui implique que le salarié peut prétendre à l'indemnité de l'article 1235-5 du code du travail et d'infirmer le Conseil de Prud'hommes qui a fait application de l'article L1235-3 du code du travail.
Eu égard aux conditions de la rupture et bien qu'il ait retrouvé très rapidement du travail dès la fin de sa période de préavis le salarié a subi un préjudice certain qui sera justement réparé par l'allocation d'une somme de 38696 € portant intérêts à compter du jugement du Conseil de Prud'hommes, en date du 18 février 2015 à hauteur de la somme de 29022 € et à compter du présent arrêt pour le surplus.
-sur le préjudice moral
Non seulement Monsieur [F] a été poussé à la démission en raison du harcèlement moral qu'il subissait de la part de son employeur mais il résulte des pièces du dossier, notamment, des SMS et appels téléphoniques, ayant fait l'objet d'un constat d'huissier en date du 25 octobre 2013, et de 2 dépôts de plainte qu'il a pendant la durée de son préavis continué à être victime de brimades et d'insultes voire de menaces de mort de la part de Monsieur [S] [H], et a subi de ce fait 2 arrêt maladie , le dernier certificat médical mentionnant' un état anxieux dépressif réactionnel'.
Au vu de ces observations il est établi que Monsieur [F] a subi un préjudice distinct du licenciement lié aux faits de harcèlement moral exercés par son employeur.
Il convient donc de confirmer le Conseil de Prud'hommes sur le principe de l'indemnisation mais de l'infirmer sur le montant des dommages et intérêts alloués en considérant que le préjudice sera justement réparé par l'allocation d'une somme de 15 000 € avec intérêts légaux à compter du jugement du Conseil de Prud'hommes, en date du 18 février 2015 à hauteur de la somme de 10 000€, et à compter du présent arrêt pour le surplus.
Sur la capitalisation des intérêts
Il y a lieu de confirmer le jugement du Conseil de Prud'hommes qui a fait une juste application de la loi en ordonnant la capitalisation des intérêts dus pour une année en application de l'article 1154 du code civil.
.Sur la liquidation de l'astreinte
C'est par de justes motifs qu'il convient d'adopter que le Conseil de Prud'hommes a rejeté la demande de liquidation d'astreinte.
Sur le préjudice subi par la SAS CBE dénommée ADEALIS
Il s'agit d'une demande nouvelle fondée sur le fait que Monsieur [F] de par son comportement ,notamment ses malversations , serait à l'origine de la résiliation de plusieurs contrats clients et de la détérioration de l'image de la Société .
Aucune des pièces versées aux débats ne permet d 'étayer les accusations de l'employeur et il résulte au contraire des divers courriers ou mails échangés avec les clients que ces derniers déplorent le turn over incessant des techniciens, et le comportement agressif de Monsieur [H].
La demande de dommages et intérêts est donc rejetée .
Sur l'article 700 du code de procédure civile
Il ya lieu d'allouer à Monsieur [F] la somme de 2000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile .
La SAS CBE dénommée désormais ADEALIS ,partie perdante sera condamnée aux entiers dépens de la procédure de première instance et d'appel .
Il convient de préciser que de par leur nature les frais de constat d'huissier ne relèvent pas des dépens mais des frais irrépétibles .
PAR CES MOTIFS
Déclare irrecevables les notes en délibéré portant sur le nombre de salariés de l'entreprise.
Confirme le jugement du Conseil de Prud'hommes , en ce qu'il a :
- requalifié la démission du salarié en prise d'acte aux torts de l'employeur , produisant les effets d'un licenciement sans cause réelles et sérieuse
- condamné la SAS CBE devenue ADEALIS à payer à Monsieur [F] [I] les sommes suivantes :
* 3869,60 € au titre de l'indemnité de licenciement avec intérêts légaux à compter de la date de réception par SAS CBE devenue ADEALIS de la convocation devant le Conseil de Prud'hommes,
*1000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile et les dépens
- ordonné la capitalisation des intérêts dus pour une année en application de l'article 1154 du code civil
- rejeté la demande au titre de la liquidation de l'astreinte
Infirme le jugement du Conseil de Prud'hommes sur le surplus et statuant à nouveau,
Condamne la SAS CBE , dénommée ADEALIS à payer à Monsieur [F] [I] les sommes suivantes :
*38696 € au titre de l'indemnité de l'article L1235-5 du code du travail , avec intérêts légaux à compter du jugement du Conseil de Prud'hommes, en date du 18 février 2015 à hauteur de la somme de 29022 € et à compter du présent arrêt pour le surplus
* la somme de 15 000 € au titre des dommages et intérêts au titre du préjudice moral avec intérêts légaux à compter du jugement du Conseil de Prud'hommes, en date du 18 février 2015 à hauteur de la somme de 10 000 €, et à compter du présent arrêt pour le surplus
Condamne la SAS CBE , dénommée ADEALIS à payer à Monsieur [F] [I] la somme de 2000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Rejette les autres demandes,
Condamne la SAS CBE , dénommée ADEALIS à aux entiers dépens d'appel.
LE GREFFIER LE PRESIDENT