RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 10
ARRÊT DU 25 Novembre 2015
(n° , 5 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 14/12411
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 15 Octobre 2014 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOBIGNY RG n° F13/05607
APPELANT
Monsieur [M] [J]
[Adresse 1]
[Adresse 5]
[Adresse 3]
né le [Date naissance 1] 1969 à [Localité 1]
comparant en personne,
assisté de Me Sophie TRANCHANT, avocat au barreau de PARIS, toque : C1955
INTIMEE
SAS DELPHI FRANCE
[Adresse 6]
[Adresse 2]
[Adresse 4]
N° SIRET : 440 156 081 00174
représentée par Me Sonia MOREAU, avocat au barreau de PARIS, toque : P0438
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 15 Octobre 2015, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Mme Marie-Antoinette COLAS, Conseillère, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
- Madame Marie-Antoinette COLAS, conseiller faisant fonction de président de chambre
- Madame Françoise AYMES-BELLADINA, conseiller
- Madame Chantal GUICHARD, conseiller
Greffier : Mademoiselle Marjolaine MAUBERT, lors des débats
ARRÊT :
- contradictoire.
- prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Marie-Antoinette COLAS, conseiller faisant fonction de président de chambre et par Madame Marjolaine MAUBERT, greffier en stage de pré-affectation auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE
M. [J] a été engagé par la société TEXTON suivant contrat de travail à durée indéterminée en date du 29 janvier 1993, à effet à compter du 4 janvier 1993, comme technicien Service Prototypes.
Ce contrat de travail a été ensuite transféré à la SAS DELPHI FRANCE et a fait l'objet d'évolution en termes de rémunération et de qualification.
A compter du 1er juin 2010, il s'est vu confier les fonctions de responsable de la gestion des risques Projet et Process coefficient 135 classification C3A de la convention collective nationale des ingénieurs et cadres de la métallurgie.
En dernier lieu, sa rémunération ressortait à la somme de 6 322,61 euros bruts.
Début 2013, la SAS DELPHI FRANCE a mis en place un nouveau PSE.
C'est dans ce contexte que M. [J] a été licencié pour motif économique par lettre recommandée du 27 septembre 2013 distribuée le 1er octobre suivant. Il a adhéré au congé de reclassement le 1er octobre 2013.
Contestant le bien-fondé de son licenciement, M. [J] a saisi le conseil de prud'hommes de Bobigny aux fins d'obtenir des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, à titre subsidiaire, pour le non-respect des critères d'ordre du licenciement.
Par jugement du 15 octobre 2014, le conseil de prud'hommes a débouté M. [J] de l'ensemble de ses réclamations.
Appelant de ce jugement, M. [J] demande à la cour de l'infirmer, et, statuant à nouveau de condamner la SAS DELPHI FRANCE à lui verser les sommes suivantes :
- 141 767 euros nets de charges au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ou subsidiairement, à titre des dommages et intérêts pour non-respect des critères d'ordre de licenciement.
- En tout état de cause, il réclame 10 902 euros à titre de dommages et intérêts pour le préjudice financier subi du fait qu'il a été tenu de financer sans aucun accompagnement une formation outre 5 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
La SAS DELPHI FRANCE conclut à la confirmation du jugement déféré, s'oppose aux réclamations formulées par le salarié, à titre subsidiaire, propose que l'indemnité à lui revenir soit limitée à l'équivalent de six mois de salaires soit à la somme de 38 187,75 euros.
Elle réclame à son tour 3 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie pour un plus ample exposé des faits, des prétentions et des moyens développés, aux conclusions respectives des parties, visées par le greffier et soutenues oralement lors de l'audience.
MOTIFS :
Sur le licenciement';
Selon l'article L. 1233-3 du code du travail, constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi [...] consécutives notamment à des difficultés économiques ou à des mutations technologiques.
Une réorganisation de l'entreprise constitue un motif économique de licenciement si cette réorganisation est effectuée pour en sauvegarder la compétitivité et pour prévenir les difficultés économiques liées à des évolutions technologiques et leurs conséquences sur l'emploi, sans être subordonnée à l'existence de difficultés économiques à la date même du licenciement. À cet égard, il appartient à l'employeur de démontrer la source de difficultés futures et l'exigence de mesures d'anticipation.
Aux termes de la lettre de licenciement, l'employeur fait valoir que 'la décroissance du marché européen de l'automobile depuis 2007, lequel ne représente plus que 23 % du marché mondial des véhicules particuliers est avérée, la division Electronique & Sécurité n'a dégagé qu'une marge de 3,6 % en 2012 ce qui est faible, les principaux concurrents de cette division dégageant une marge de 10 %,les constructeurs réduisent le lancement des nouvelles plates-formes, diffèrent ces lancements, et sont beaucoup moins enclins à financer la recherche et le développement sur de nouveaux programmes, les projections sur 2013 -2015 pour la ligne de produits B&S France montrent un ratio recherche et développement/ vente de 12,19 % pour 2013, 11,98 % pour 2014 et 11,77 % pour 2015,la restructuration envisagée permettra à la ligne de produits Méchatronic de [...] rester compétitive, que la ligne B&S Europe une fois, la restructuration réalisée, atteindra un ratio stable et conforme au marché, la division Electronique &Sécurité est soumise à une très forte concurrence, que seule l'avance technologique ou les produits proposés peuvent faire la différence, que le seul moyen de conserver l'avance technologique acquise est de centraliser la recherche et le développement sur un site d'un pays à bas coûts, avec le même budget, la localisation dans un pays à bas coûts permet d'avoir plus d'ingénieurs travaillant sur les projets de développement.
Il exprime être ainsi contraint de supprimer le poste du salarié, un transfert des activités de recherche et développement B&S sur le site centre technique de Cracovie en Pologne étant envisagé.[...]'».
M. [J] soutient que l'employeur se limite à procéder par simples allégations non relayées par des éléments chiffrés dès lors qu'il ne communique aucune pièce comptable à l'appui de ses constats sur la situation économique, évoque les résultats de la seule division Electronique et Sécurité, alors qu'il lui incombait d'invoquer dans la lettre de licenciement les résultats du secteur d'activité au niveau du groupe auquel il appartient,
communiquait sur ses excellents résultats des deux derniers exercices, le cours boursier notamment ayant progressé de 80 % en 2013.
Il fait valoir également que le comité central d'entreprise et le comité d'établissement d'Illkirch ont unanimement émis un avis défavorable sur le PSE présenté par l'employeur, qu'un expert a procédé à une analyse de la situation de la société dans son environnement français et international, qu'il en ressort qu'elle affiche des performances satisfaisantes, qu'il en est de même de la division Electronique & Sécurité.
En tout état de cause, M. [J] considère que son poste n'a pas été supprimé, l'employeur évoquant lui- même le transfert des activités de développement sur le site de Cracovie.
Il ressort des éléments communiqués que DELPHI FRANCE est un équipementier automobile intervenant dans les domaines de l'électronique mobile et des systèmes de transport pour les marchés de la première monte et de la rechange, que son organisation est concentrée autour de lignes de produits stratégiques regroupés dans cinq divisions, dont la division Electronique & Sécurité.
Pour justifier la nécessité de procéder à une réorganisation en vue de la sauvegarde de sa compétitivité, l'employeur évoque la baisse des immatriculations de voitures neuves en Europe et particulièrement en France, la répercussion sur les équipementiers des délocalisations auxquelles procèdent les constructeurs et communique des articles de presse (Le Point, l'Argus) se faisant l'écho des difficultés rencontrées par les équipementiers en général et de la baisse de leurs résultats.
Il produit également la publication par l'Usine nouvelle du classement des 100 premiers équipementiers les plus performants en 2012 réalisé avec le cabinet Berger et constate que DELPHI FRANCE n'en fait plus partie puisqu'elle s'est retrouvée à la 296 ème place, pour l'année 2013.
Toutefois, si la SAS DELPHI FRANCE communique l'accord d'entreprise sur la méthodologie partagée dans le cadre des projets de réorganisation des activités soumis aux représentants du personnel, le projet de restructuration des établissements de Villepinte, Illkirch et de Cergy, le projet de restructuration de l'activité Electronique & Sécurité des établissements de Villepinte et Illkirch, aux termes desquels il est fait état des mêmes éléments que ceux repris dans la lettre de licenciement, la cour relève qu'elle ne produit aucun document comptable sérieux et certifié pour justifier des résultats et des projections évoqués tant pour la division Electronique&sécurité que pour les autres divisions, et ce malgré la demande réitérée que lui a adressée le salarié dans le cadre de l'instance, qu'elle a effectivement communiqué par voie de presse et sur Internet sur ses excellents résultats puisqu'elle a précisé avoir réalisé au cours du dernier trimestre de 2013 un bénéfice net de 298 millions de dollars contre 136'millions un an plus tôt, son chiffre d'affaires ayant progressé de 11 % sur la période et spécialement de 7 % en Europe, qu'elle prévoyait pour l'ensemble de l'année 2014 un bénéfice par action compris entre 4,70 et 4,95 dollars et un chiffre d'affaires compris entre 17,2 et 17,6 milliards de dollars.
Il est aussi avéré que le cours boursier a augmenté de 80 % dans le courant de l'année 2013.
Par ailleurs, le cabinet d'expertise comptable auprès du comité central d'entreprise a procédé en mars 2013 à une analyse de la situation économique.
Outre qu'il déplore le caractère médiocre et très incomplet du bilan économique au regard des standards attendus dans ce type de projet, il a indiqué dans son rapport'que : 'aucune raison économique recevable ne justifie les projets de réorganisation susceptibles d'être appliqués au sein de DELPHI FRANCE, la situation économique délicate notamment en Europe et dans l'automobile ne peut à elle seule légitimer la délocalisation d'une partie de l'ingénierie de la France vers Cracovie, la trésorerie d'exploitation dégagée par le groupe continuant de s'accroître en 2012.
Malgré le recul des ventes, la division Electronique & Sécurité affiche des performances économiques tout à fait remarquables avec une hausse de sa profitabilité, avec un résultat opérationnel passant de 184 millions de dollars en 2010 à 277 millions de dollars en 2012, pour un chiffre d'affaires comparable, tablant sur une reprise de la croissance des ventes, la SAS DELPHI FRANCE escompte une profitabilité de 12 %.
La situation du groupe et de la division Electronique & Sécurité ne révèle aucune difficulté structurelle majeure pouvant rendre nécessaire la mise en place du projet de restructuration.'
Aucun élément pertinent n'est produit par la SAS DELPHI FRANCE pour contrer ces constatations, cette analyse et ces conclusions.
Par ailleurs, la cour constate que la SAS DELPHI FRANCE précise dans la lettre de licenciement que la délocalisation lui permettra de recruter des salariés en plus grand nombre pour le même budget pour accroître l'activité recherche.
Il se déduit de l'ensemble de ces éléments que la SAS DELPHI FRANCE ne justifie d'aucune menace véritable sur sa productivité , que par suite, elle n'établit pas que la restructuration envisagée avait pour objet la sauvegarde de sa compétitivité.
En conséquence, le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse. Le jugement déféré sera réformé.
Sur les conséquences du licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse ;
Compte tenu de l'effectif de l'entreprise, des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée au salarié ( 6 322,61 euros) , de son âge, de son ancienneté (20 ans et 9 mois), du fait qu'il a perçu outre les indemnités de rupture, une indemnité de préjudice supplémentaire de 72 500 euros, de sa capacité à trouver un nouvel emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle et des conséquences du licenciement à son égard, tels qu'ils résultent des pièces et des explications fournies, la cour est en mesure d'allouer à M. [J] une indemnité de 85 000 euros nets de charges en application de l'article'L.1235-3 du code du travail.
Sur l'application des dispositions de l'article L. 1235-4 du code du travail ;
Dans les cas prévus aux articles L. 1235-3 et L. 1235-11 du code du travail, l'article L. 1235-4 fait obligation au juge d'ordonner, même d'office, le remboursement par l'employeur fautif aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d'indemnités de chômage. Dans le cas d'espèce, une telle condamnation sera prononcée à l'encontre de l'employeur, pour les indemnités de chômage versées au salarié dans la limite de trois mois.
Sur la demande de dommages et intérêts pour préjudice lié à sa formation';
M. [J] soutient n'avoir pas pu bénéficier de la formation en lien avec le Fongecif à raison d'un défaut d'accompagnement de la part de la SAS DELPHI FRANCE.
Celle-ci s'oppose à la demande alléguant du fait qu'en réalité le dossier de M. [J], élaboré en lien avec la société, a fait l'objet d'un refus de la commission paritaire au motif que cette demande de formation diplômante à l'université de [Établissement 1] ne faisait pas partie des priorités définies par le Fongecif Ile de France, refus confirmé à la suite du recours gracieux du salarié, ce que celui-ci ne conteste pas.
Dans ces conditions et à défaut de démontrer une carence de l'employeur à cet égard, il n'y a pas lieu de faire droit à cette demande.
M. [J] en sera débouté.
Sur les demandes d'indemnités en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile';
L'équité commande d' accorder à M. [J] une indemnité de 3 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
La SAS DELPHI FRANCE qui succombe dans la présente instance sera déboutée de sa demande à ce titre et condamnée aux entiers dépens.
PAR CES MOTIFS,
Statuant contradictoirement et publiquement';
INFIRME le jugement déféré en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
CONDAMNE la SAS DELPHI FRANCE à verser à M. [J] les sommes suivantes :
- 85'000 euros nets de charges en application des dispositions de l'article L 1235-3 du code du travail,
- 3 000 euros l'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
DÉBOUTE M. [J] de sa demande de dommages et intérêts en réparation du préjudice financier résultant du financement d'une formation.
ORDONNE le remboursement par l'employeur aux organismes intéressés des indemnités de chômage versées au salarié dans la limite de trois mois ;
DÉBOUTE la SAS DELPHI FRANCE de sa demande d'indemnité en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne la SAS DELPHI FRANCE aux entiers dépens.
LE GREFFIERLE CONSEILLER FAISANT
FONCTION DE PRÉSIDENT