RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 10
ARRÊT DU 25 Novembre 2015
(n° , 06 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 14/03241
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 01 Octobre 2013 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS RG n° 12/00765
APPELANTE
Association DITIB UNION TURCO ISLAMIQUE D'AFFAIRES THEOLOGIQUES EN FRANCE
[Adresse 1]
[Localité 1]
représentée par Me Isabelle BARON, avocat au barreau de PARIS, toque : B0868
INTIME
Monsieur [Z] [I]
né le [Date naissance 1] 1968 à [Localité 3] (TURQUIE)
[Adresse 2]
[Localité 2]
comparant en personne
assisté de Me Valérie LANES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2185
substitué par Me Félicie LACOMBE, avocat au barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 12 Octobre 2015, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Mme Stéphanie ARNAUD, Vice-président placé, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Madame Marie-Antoinette COLAS, conseiller faisant fonction de président de chambre
Madame Françoise AYMES-BELLADINA, conseiller
Madame Stéphanie ARNAUD, vice président placé faisant fonction de conseiller par ordonnance du Premier Président en date du 30 juillet 2015
Greffier : Mme Caroline CHAKELIAN, lors des débats
ARRET :
- contradictoire
- prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Marie-Antoinette COLAS, conseiller faisant fonction de président de chambre et par Madame Caroline CHAKELIAN, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Monsieur [I] a été engagé par l'association DITIB Union Turco Islamique d'Affaires Théologiques en France, le 1er juin 1994 en qualité de secrétaire. Sa rémunération mensuelle brute s'élevait en dernier lieu à la somme de 2.478,18 euros.
En 2003, suite à la création du Conseil Français du Culte Musulman, il a été demandé à Monsieur [I] d'assurer, en sus de ses fonctions de secrétaire, le rôle de représentant des mosquées turques.
Par courrier du 5 janvier 2012, Monsieur [I] a été convoqué à un entretien préalable fixé au 12 janvier 2012. Le 16 janvier 2012, l'association DITIB lui a notifié son licenciement pour cause réelle et sérieuse.
Contestant le bien fondé de son licenciement, Monsieur [I] a saisi le conseil de prud'hommes de Paris qui, par jugement du 1er octobre 2013, a condamné l'association DITIB à lui verser 60.000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, outre 1.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
L'association DITIB a relevé appel de cette décision. A l'audience du 12 octobre 2015, reprenant oralement ses conclusions visées par le greffier, elle demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris, de débouter Monsieur [I] de l'ensemble de ses demandes et de le condamner à lui rembourser la somme de 14.869,08 euros qui lui a été indûment versée à titre d'indemnité légale de licenciement. Subsidiairement, l'association DITIB demande à la cour d'ordonner la compensation de la somme de 14.869,08 euros avec les éventuelles condamnations qu'elle pourrait être amenée à supporter. Elle sollicite en outre la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Monsieur [I] reprend oralement à l'audience ses conclusions visées par le greffier et demande à la cour de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a considéré le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse et condamné l'association DITIB à lui verser la somme de 1.000 euros au titre des frais de procédure. Il sollicite la condamnation de son employeur à lui verser les sommes de 100.000 euros au titre de l' indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et la somme de 3.500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Monsieur [I] s'oppose en outre à la demande de compensation formée par l'association DITIB.
Pour plus ample exposé de la procédure et des prétentions des partes, la cour se réfère à leurs conclusions visées par le greffier, développées lors de l'audience des débats.
MOTIFS
Sur le licenciement
Selon l'article L.1235-1 du code du travail, en cas de litige relatif au licenciement, le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties, au besoin après toutes mesures d'instruction qu'il estime utiles ; si un doute subsiste, il profite au salarié.
Ainsi l'administration de la preuve en ce qui concerne le caractère réel et sérieux des motifs du licenciement n'incombe pas spécialement à l'une ou l'autre des parties, l'employeur devant toutefois fonder le licenciement sur des faits précis et matériellement vérifiables.
En l'espèce, la lettre de licenciement est ainsi rédigée :
« Nous déplorons une baisse de votre activité et de votre assiduité au travail depuis de nombreux mois au sujet de laquelle nous vous avons alerté à plusieurs reprises, d'abord par observations verbales puis par différents avertissements.
Vous avez ainsi considérablement tardé à effectuer divers travaux et rapports qui vous avaient été confiés et pour lesquels vous disposiez amplement du temps nécessaire à leur réalisation.
A ce jour, vous n'avez toujours pas réalisé l'étude sur les associations susceptibles d'être membres du Fond de dotation, ni numérisé les actes de propriété, comme demandé depuis avril 2011, en dépit de nombreuses relances. Nous n'avons jamais obtenu de votre part d'explication claire sur la cause de ce très important retard.
D'autre part, vous ne respectez pas les horaires de travail en vigueur dans l'association. Nous avons fait preuve, dans un premier temps d'une certaine tolérance à condition que ces retards soient récupérés dans votre temps de travail.
Nous avons constaté, cependant, que ce n'était pas le cas, raison pour laquelle nous vous avons fermement demandé de mettre un terme à vos retards systématiques (notre lettre d'avertissement du 6 septembre 2011).
Néanmoins vous n'en avez pas tenu compte puisque vous avez cumulé près de 15 heures de retard en septembre 2011 et 13 heures en octobre 2011 (nos lettres d'avertissement des 21/10/11 et 21/11/2011), sans apporter aucune explication admissible à ces retards.
Depuis le mois de novembre, même si vous vous êtes efforcé d'être plus ponctuel, cela n'a pas toujours été le cas et nous avons à nouveau relevé une arrivée tardive le 4/11/2011 à 10h24 (au lieu de 10h00) et un départ anticipé le 24/11/2011 avec 3h22 travaillées au cours de cette journée, pour lesquels nous n'avons pas d'explication.
Enfin, le 30 novembre 2011, vous avez été surpris par l'un de vos collègues dans le bureau du président de l'association en compagnie de Monsieur [M] [Q], en train de fouiller dans les documents administratifs posés sur le bureau ainsi que dans les tiroirs. Je n'ai été que récemment informé de ce fait, étant fréquemment en déplacement ».
Monsieur [I] conteste l'ensemble des faits qui lui sont reprochés par son employeur, considérant qu'on a cherché à se débarrasser de lui en raison de la jalousie du nouveau président de l'association. Il fait également valoir que son employeur a épuisé son pouvoir disciplinaire en choisissant de lui notifier des avertissements et qu'il ne peut donc prononcer un licenciement en se basant sur ces mêmes faits.
Sur le moyen tiré de l'épuisement du pouvoir disciplinaire et de la prescription ;
Si aux termes de l'article L. 1332-4 du code du travail, aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au delà du délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance, ces dispositions ne font pas obstacle à la prise en considération d'un fait antérieur à deux mois dans la mesure où le comportement du salarié s'est poursuivi ou s'est réitéré dans ce délai.
Dès lors qu'un avertissement a été adressé au salarié, l'employeur doit établir la réalité d'un nouveau comportement fautif dans le délai de deux mois ayant précédé l'engagement de la procédure de licenciement.
S'agissant du premier grief relatif à la baisse d'activité et d'assiduité de Monsieur [I], l'association DITIB produit l'avertissement adressé au salarié le 1er octobre 2011 dans lequel elle lui fait part de son mécontentement au regard du retard pris dans la réalisation de son travail (transmission du rapport CFCM, informatisation des actes de propriété, enregistrement des chèques).
Or, elle n'invoque ni ne justifie une nouvelle carence du salarié à cet égard postérieurement à l'avertissement notifié le 1er octobre 2011. Ce grief ne peut être à nouveau sanctionné.
S'agissant du second grief relatif au non respect des horaires de travail par Monsieur [I], l'association DITIB produit les deux avertissements adressés au salarié les 21 octobre et 21 novembre 2011, deux notes de service rappelant les horaires de travail ainsi que les modalités de contrôle de ce temps de travail. Afin de justifier des retards de Monsieur [I], l'association produit également les fichiers informatiques des relevés de temps de travail.
Concernant la journée du 24 novembre 2011, l'association précise que Monsieur [I] n'a jamais informé sa hiérarchie qu'il devait se déplacer au CFCM et qu'il s'y est donc rendu pour son prestige personnel. L'association constate par ailleurs que l'email du Chef du bureau central des cultes n'a jamais été produit auparavant alors qu'il est daté de 2013, ce qui jette un doute sur son authenticité, elle demande à ce que cette pièce soit rejetée des débats.
Monsieur [I] fait valoir que les retards antérieurs à l'avertissement du 21 novembre 2011 ne peuvent lui être opposés, son employeur ayant épuisé son pouvoir disciplinaire. Il constate également que sa fiche de paie du mois de novembre 2011 ne mentionne aucune absence mais au contraire le paiement d'heures supplémentaires. Il conteste la licéité du système de pointage mis en place par l'association à défaut d'une information préalable des salariés et d'une déclaration à la CNIL dont le récépissé doit être communiqué à l'inspecteur du travail. De plus, le système doit être fiable et l'employeur doit pouvoir en justifier. Monsieur [I] fait valoir que rien ne permet en l'état de s'en assurer.
Il ajoute que les relevés transmis ne tiennent pas compte des déplacements extérieurs et que les mentions ajoutées le sont en turc et non en français.
Concernant la journée du 24 novembre 2011, expressément visée dans la lettre de licenciement, Monsieur [I] fait valoir qu'il participait à une réunion sur la réforme du CFCM au Ministère de l'Intérieur comme en atteste un e-mail du chef du bureau central des cultes.
Il ressort des pièces versées aux débats que l'association a informé ses salariés des modalités de contrôle de leur temps de travail dans une note interne datée du 31 octobre 2011.
Dans les avertissements des 21 octobre et 21 novembre 2011, l'association DITIB fait état des horaires de travail de Monsieur [I] pour la période comprise entre le 1er septembre et le 29 octobre 2011. Elle a donc déjà usé de son pouvoir disciplinaire pour ces faits.
S'agissant des manquements postérieurs à ces dates courant du mois de novembre 2011, les relevés versés aux débats ne permettent pas d'établir avec certitude quels étaient les horaires de travail de Monsieur [I], le système de pointage informatique ne comptabilisant que les temps de travail sur le poste informatique sans tenir compte des déplacements extérieurs. En tout état de cause, si les relevés produits sont complétés par des mentions, ces dernières ne sont ni traduites ni expliquées ce qui ne permet pas d'en comprendre le sens.
S'agissant de l'e-mail de Monsieur [F], versé aux débats par Monsieur [I], on ne peut déduire de sa production en cause d'appel qu'il est faux et ce d'autant plus que l'association n'apporte aucun élément permettant de douter de la tenue de cette réunion. Si cet écrit ne revêt pas les conditions de forme légales d'une attestation, il n'en demeure pas moins qu'il constitue un élément de preuve à l'appui des dires de Monsieur [I]. Il ne sera par conséquent pas fait droit à la demande de rejet de l'association DITIB.
Il ne sera par ailleurs pas tenu compte de l'attestation de Monsieur [V], Président de l'association au moment du licenciement de Monsieur [I], ce dernier étant à l'origine des avertissements adressés au salarié et de la procédure de licenciement.
Ce second grief n'est donc pas suffisamment établi.
Concernant le troisième grief, l'association DITIB produit une attestation de Monsieur [G] indiquant qu'il a « surpris Monsieur [Z] [I] et Monsieur [M] [Q] dans le bureau du Président de DITIB, Monsieur [V]. Monsieur [V] était absent, Monsieur [I] et Monsieur [Q] étaient en train de fouiller dans les tiroirs et de lire les documents qu'ils ont trouvés. ». L'employeur fournit également un plan manuscrit des locaux de l'association démontrant que Monsieur [I] n'avait aucune raison de se trouver dans son bureau contrairement à ce qu'il avance aujourd'hui.
Monsieur [I] relève que l'employé qui l'aurait surpris dans le bureau de son supérieur, était encore en période d'essai au moment où il a rédigé son attestation ce qui enlève toute objectivité à ce document. Il fait également valoir que cet employé ne parle pas le français et qu'il n'a donc pas pu rédiger l'attestation produite. Monsieur [I] souligne que sa présence dans le bureau du directeur n'était pas anormale, car ce bureau permettait l'accès au local de la photocopieuse et des archives. Par ailleurs il constate que son employeur ne démontre pas en quoi il lui était interdit de chercher des documents administratifs dans le bureau de son supérieur.
Rien en l'espèce ne permet de mettre en doute la réalité des dires valablement attestés par Monsieur [G]. Monsieur [I] ne démontre pas que ce salarié ait produit une attestation mensongère ni qu'il n'ait pas lui même rédigé ladite attestation.
Les faits reprochés à Monsieur [I] dans ce troisième grief sont dès lors établis étant observé que le salarié ne peut utilement soutenir qu'il tenait de ses attributions la faculté de fouiller dans les tiroirs du bureau du président de l'association et de lire les documents qu'il en avait extirpés, ce qui caractérise un acte avéré de déloyauté.
Ce grief est réel et sérieux.
Le licenciement prononcé repose donc bien sur une cause réelle et sérieuse de licenciement, d'autant plus que le salarié avait déjà reçu deux avertissements sanctionnant des comportements mettant l'accent sur le non respect de ses obligations contractuelles.
Le jugement déféré sera donc infirmé y compris en ce qu'il a alloué au salarié une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Sur la demande de répétition de l'indu
L'association DITIB fait valoir que les faits reprochés à Monsieur [I] dans la lettre de licenciement et notamment le fait d'avoir fouillé le bureau de son supérieur hiérarchique, sont constitutifs d'une faute grave et considère que l'indemnité légale de licenciement n'était pas due.
Toutefois, l'association a notifié au salarié son licenciement pour une cause réelle et sérieuse et non pour une faute grave. Elle ne peut en conséquence ajouter désormais à la lettre de licenciement qui a circonscrit définitivement le litige.
En conséquence, sa demande de restitution de la somme de 14.869,08 euros versée au titre de l'indemnité légale de licenciement ne peut en aucun cas prospérer.
Elle en sera déboutée.
Sur les demandes d'indemnités en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile
L'équité commande d'infirmer le jugement ayant alloué au salarié une indemnité à ce titre et de le débouter de sa prétention à ce titre pour les frais exposés à l'occasion de l'instance d'appel.
Monsieur [I] sera condamné à verser à l'association la somme de 1.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.
Comme il succombe dans la présente instance, Monsieur [I] sera débouté du chef de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
INFIRME le jugement déféré en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Dit que le licenciement reposait sur une cause réelle et sérieuse,
Déboute Monsieur [I] de toutes ses demandes ,
Déboute l'association DITIB de sa demande en restitution de la somme versée au titre de l'indemnité légale de licenciement,
CONDAMNE Monsieur [I] à verser à l'association DITIB la somme de 1.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE Monsieur [I] aux entiers dépens.
LE GREFFIER LE CONSEILLER FAISANT
FONCTION DE PRÉSIDENT