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18/11/2015 | FRANCE | N°13/03023

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 9, 18 novembre 2015, 13/03023


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 9



ARRÊT DU 18 novembre 2015



(n° , 9 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : S 13/03023



Décision déférée à la cour : jugement rendu le 14 février 2013 par le conseil de prud'hommes de CRETEIL - section encadrement - RG n° 11/01100





APPELANT

Monsieur [B] [D]

Chez Madame [W] [L]

[Adresse 1]

[Localité 1]

né le [Date naissance 1] 19

56 à [Localité 12]

comparant en personne, assisté de Me Sophie MARTINET, avocat au barreau de PARIS, C 0564





INTIMEE

SA COFIBA

[Adresse 2]

[Localité 2]

Siret n° 352 558 860

représen...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 9

ARRÊT DU 18 novembre 2015

(n° , 9 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S 13/03023

Décision déférée à la cour : jugement rendu le 14 février 2013 par le conseil de prud'hommes de CRETEIL - section encadrement - RG n° 11/01100

APPELANT

Monsieur [B] [D]

Chez Madame [W] [L]

[Adresse 1]

[Localité 1]

né le [Date naissance 1] 1956 à [Localité 12]

comparant en personne, assisté de Me Sophie MARTINET, avocat au barreau de PARIS, C 0564

INTIMEE

SA COFIBA

[Adresse 2]

[Localité 2]

Siret n° 352 558 860

représentée par Me Alexandre BENSOUSSAN, avocat au barreau de PARIS, J036 substitué par Me Camille LE BRETON, avocat au barreau de PARIS,

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 15 septembre 2015, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Agnès DENJOY, conseillèer, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Catherine SOMMÉ, président

Monsieur Benoît HOLLEAUX, conseiller

Madame Christine LETHIEC, conseiller

Greffier : Madame Marion AUGER, lors des débats

ARRET :

- contradictoire

- prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Catherine SOMMÉ, président et par Madame Marion AUGER, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La SA Cofiba exerce une activité de fabrication et vente de produits de robinetterie et sanitaires à travers quatre filiales, les sociétés Rousseau, Manupex, Decopel et Rousseau Espagne.

M. [B] [D], initialement engagé en qualité de directeur commercial et marketing de la SA Cofiba en vertu d'un contrat de travail à compter du 1er avril 2005, puis nommé directeur général dans le cadre d'un mandat social à compter du 1er juillet 2005 avec suspension de son contrat de travail, a été révoqué de son mandat social le 14 février 2011 puis licencié pour faute grave par lettre recommandée du 12 mars 2011.

M. [D] a contesté son licenciement devant le conseil de prud'hommes de [Localité 6].

Par jugement du 14 février 2013, le conseil de prud'hommes a':

- rejeté la demande de la société Cofiba de sursis à statuer dans l'attente qu'il soit statué sur la plainte déposée par elle à l'encontre de M. [D] pour abus de biens sociaux';

- dit que le licenciement de M. [D] n'était pas lié à des faits commis dans le cadre de son contrat de travail, ce qui rendait le licenciement sans cause réelle ni sérieuse';

- condamné la société Cofiba à verser à M. [D]':

' 36'924 € au titre de l'indemnité compensatrice du préavis et 3 692,40 € au titre des congés payés afférents

' 13'169,35 € à titre de rappel de salaire au cours de la période de mise à pied conservatoire et 1 316,93 € au titre des congés payés afférents';

' 73'848 € au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement';

' 36'924 € de dommages et intérêts pour rupture abusive';

' 1 200 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile';

- débouté M. [D] de sa demande reconventionnelle';

- ordonné la remise des bulletins de salaire et d'une attestation Pôle Emploi conformes';

- ordonné la transmission du jugement à Pôle Emploi';

- condamné la société Cofiba aux dépens.

Par déclaration reçue au greffe de la cour le 27 mars 2013, M. [D] a interjeté appel de cette décision.

Aux termes de ses conclusions écrites visées par le greffier dont il a renouvelé les termes à la barre lors de l'audience du 15 septembre 2015, M. [D] demande à la cour de':

- confirmer le jugement du conseil de prud'hommes de [Localité 6] en ce qu'il a'déclaré son licenciement sans cause réelle et sérieuse, condamné la société Cofiba à lui verser un rappel de salaire de 13'169,35 € au titre de la période de mise à pied conservatoire et 1 316,93 € au titre des congés payés afférents, "en ce qu'il l'a débouté" (sic) de sa demande de versement d'un prorata de 13ème mois pendant la période pendant laquelle il n'a pas exercé d'activité salariée'et condamné l'employeur à lui verser 1200 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- infirmer le jugement pour le surplus et statuant à nouveau:

- fixer sa rémunération brute mensuelle moyenne à 14'366,66 €

- condamner la société Cofiba à lui payer les sommes de :

' 86'200 € au titre de l'indemnité compensatrice de préavis et 8 620 € au titre des congés payés afférents'et à titre subsidiaire 43'100 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis et 4 310 € au titre des congés payés afférents

' 129'300 € au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement correspondant à 9 mois de salaire brut';

' 215'500 € de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse';

- en tout état de cause:

- condamner la société Cofiba au paiement de la somme de 4 800 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile'

- ordonner la remise de bulletins de salaire et d'une attestation Pôle Emploi conformes.

Aux termes de ses conclusions écrites visées par le greffier dont elle a renouvelé les termes à la barre, la société Cofiba demande la cour'de :

- à titre principal':

- infirmer le jugement du conseil de prud'hommes de [Localité 6] du 14 février 2013 en toutes ses dispositions';

- dire que le licenciement pour faute grave notifié à M. [D] est fondé et débouter M. [D] de l'ensemble de ses demandes';

- à titre subsidiaire':

- confirmer le jugement déféré en ce qu'il a':

- condamné la société Cofiba à verser à M. [D] des indemnités calculées sur la base d'une moyenne mensuelle de salaire de 12'308 €';

- condamné la société Cofiba à verser à M. [D] la somme de 36'924 € au titre de l'indemnité compensatrice de préavis et 3 692,40 € au titre des congés payés afférents, la somme de 13'169,35 € au titre de rappel de salaire durant la période de mise à pied conservatoire et 1 316,93 € au titre des congés payés afférents';

- infirmer le jugement pour le surplus et, statuant à nouveau':

- juger que M. [D] comptait une ancienneté de trois mois au titre de ses fonctions salariées et, en conséquence, limiter le montant de l'indemnité contractuelle de licenciement à la somme de 12 308 € soit un mois de salaire et le montant des dommages et intérêts pour licenciement abusif à la somme de 12'308 € soit un mois de salaire';

- débouter Monsieur [D] du surplus de ses demandes';

- en tout état de cause,'le condamner au paiement de la somme de 4 800 € en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

Pour un plus ample exposé de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs conclusions visées par le greffier, développées lors de l'audience des débats.

MOTIFS

Par lettre de la société Cofiba datée du 31 mars 2005 signée par M. [D] et ayant valeur contractuelle, ce dernier a été engagé par la société à compter du 1er avril 2005 en qualité de directeur commercial et marketing ; il était énoncé que M. [D] serait nommé directeur général de la SA Cofiba dans le cadre d'un mandat social à compter du 1er juillet 2005 et nommé directeur général des sociétés Rousseau et Manupex, gérant de la société Deco-pel et président de Rousseau Espagne et que son contrat de travail serait suspendu dès sa nomination'; il était notamment énoncé que M. [D] aurait droit au remboursement, sur justificatifs, de ses frais professionnels, qu'il bénéficierait, en qualité de directeur général, notamment de l'attribution d'un téléphone et d'un ordinateur portable limités à l'usage professionnel ainsi que du remboursement de sa carte de crédit personnelle.

Il était en outre stipulé': «'Si vous deviez, du fait de l'entreprise, quitter vos fonctions de directeur général, mandataire social, et sauf faute grave ou lourde de votre part, votre contrat de travail serait de nouveau en vigueur, étant convenu que nous pourrions y mettre fin par une procédure de licenciement, la fin de vos fonctions de directeur général constituant une cause réelle et sérieuse à ce licenciement'».

Dans une décision du 17 mai 2005, le conseil d'administration de la société Cofiba a entériné l'ensemble de ces dispositions.

Par la suite, le contrôle de la société ayant changé, le conseil d'administration de la SA Cofiba a, le 14 février 2011, décidé de révoquer M. [D] de son mandat de directeur général de la société avec effet immédiat, après avoir constaté que les résultats du groupe étaient fortement négatifs.

Dès après la révocation de M. [D] de ses fonctions de directeur général, le conseil d'administration a nommé, en qualité de directeur général, M. [X] [U].

Il est constant que le soir même, vers 20 h 30, au sein des locaux de la société Cofiba, M. [X] [U] a demandé à M. [D] de lui remettre l'ordinateur portable, le téléphone et la carte de crédit qui lui avaient été précédemment délivrés lors de sa nomination comme directeur général, ce qu'il a refusé.

M. [D] a été immédiatement mis à pied verbalement et convoqué le lendemain, 15 février 2011, par lettre recommandée à un entretien préalable à son licenciement.

Par lettre du 12 mars 2011, la société notifiait à M. [D] son licenciement pour faute grave en invoquant les griefs suivants :

«'1. Un refus de restitution des outils professionnels attachés à votre mandat social de directeur général.

Faisant suite à la révocation de votre mandat de directeur général de Cofiba le 14 février 2011, il revenait à M. [U] qui vous succédait dans votre mandat de décider des suites pratiques de cette révocation conformément à la décision du conseil d'administration en date du 14 février 2011.

Dans ce cadre et afin de pouvoir utilement exercer son mandat, M. [U] vous a demandé le 14 février 2011 de lui remettre l'ensemble des biens de la société mis à votre disposition pour l'exercice de votre mandat (cf. décision du conseil d'administration du 17 mai 2005 et du 31 mars 2005), à l'exception du véhicule qu'il vous a proposé de conserver jusqu'à la fin du mois de février pour vous permettre de vous retourner.

Or, vous avez réagi très violemment et avez catégoriquement refusé de restituer les biens appartenant à la société et qui vous avaient été confiés pour l'exercice de votre mandat social.

Par mail et par courrier recommandé en date du 16 février 2011, vous avez persisté dans votre refus en affirmant à tort que tant que vous étiez titulaire d'un contrat de travail, vous n'aviez pas à obtempérer aux instructions du directeur général qui vous demandait la restitution des biens susvisés dont vous estimiez disposer dans l'exercice de vos fonctions salariées de directeur commercial et de marketing et ce en dépit de la décision du conseil d'administration en date du 17 mai 2005 et de l'accord intervenu le 31 mars 2005 qui indiquent expressément que ces outils sont uniquement confiés dans le cadre du mandat.

Lors de l'entretien préalable du 25 février 2011, vous avez réitéré une nouvelle fois votre refus de restituer les biens professionnels confiés au titre de l'exercice de votre mandat.

En agissant ainsi vous avez délibérément ignoré les directives de votre supérieur hiérarchique. En outre, vous nuisez gravement au bon fonctionnement de l'entreprise en privant le nouveau directeur général des outils de travail (tels qu'en particulier l'ordinateur portable contenant l'ensemble des fichiers et l'historique des correspondances e mail que vous étiez seul à posséder ne faisant pas de sauvegarde sur le serveur de la société, la carte bancaire...) indispensables au bon accomplissement de ses missions.

Enfin, lors de votre départ de la société ce 14 février 2011, alors qu'une mise à pied à titre conservatoire venait de vous être notifiée, vous avez refusé de fournir les clefs de la société, ainsi que les clefs de votre bureau alors que vous saviez pertinemment que personne d'autre que vous dans la société ne disposait de cette dernière.

Le directeur financier a alors été contraint de revenir de son domicile le soir même pour permettre que le bâtiment soit fermé, puis le lendemain de se déplacer au domicile personnel de la personne chargée du ménage pour récupérer un double du bureau et permettre au nouveau directeur général d'y accéder.

(')

2. Le remboursement à votre profit de frais engagés à titre personnel.

Nous avons pu constater un certain nombre de dépassements et de dépenses injustifiées au sujet de prétendus frais professionnels. A l'arrivée du nouveau directeur général, un sondage effectué le 15 février 2011 sur les mois de février, mars et avril 2010 fait en effet apparaître des remboursements de frais totalement injustifiés.

Notamment et à titre d'exemple, vous avez fait prendre en charge par la société des dépenses personnelles qui ne lui incombaient pas : des billets de train aller-retour, des frais de repas, des frais de parking etc...

Cette liste n'est pas limitative. Les éléments en notre possession nous montrent en effet qu'il ne s'agit pas d'événements isolés mais d'un système visant à bénéficier d'une rémunération complémentaire et d'avantages particuliers non autorisés et qui justifient qu'un audit plus approfondi soit mené. (')

En l'état, les éléments dont nous avons connaissance à ce jour sont suffisamment graves pour caractériser un manquement manifestement fautif à l'obligation de loyauté découlant de votre contrat de travail, laquelle obligation perdurait pendant l'exercice de votre mandat.

Vos agissements ne traduisent pas la priorité qui aurait dû être la vôtre à savoir la sauvegarde de l'avenir et la pérennité de l'entreprise. Ils sont d'autant moins admissibles au regard de la situation économique très difficile dans laquelle se trouve actuellement la société d'une part et au regard de la probité attendue de la part d'un salarié occupant les fonctions qui sont les vôtres, d'autre part.

3. Un comportement agressif et une insubordination.

A la suite de la révocation de votre mandat de directeur général de Cofiba, vous avez réagi très violemment à la demande de restitution des outils professionnels qui vous étaient jusqu'à présent alloués pour l'exercice de votre mandat.

Il aurait fallu selon vous que M. [U] «'vous donne un coup de poing'» pour qu'une telle restitution soit opérée.

Pour ne pas vous prendre en défaut, M. [U] a tenu à acter cet incident par courrier électronique en date du 15 février 2011.

Nous avons appris que ce type de comportement s'est déjà produit par le passé y compris lors de réunions chez des clients importants.

Malgré votre mise à pied, il ressort par ailleurs du témoignage d'une collaboratrice que vous avez également abusé de votre position pour lui demander de conserver et de vous transmettre à votre domicile tout courrier a votre attention. Or, vous n'êtes pas sans ignorer que le courrier adressé au directeur général n'est pas personnellement attaché à votre personne et revient au nouveau titulaire de ce poste. [...]'».

Sur le licenciement pour faute grave

La faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise.

L'employeur qui invoque la faute grave pour licencier doit en rapporter la preuve.

Sur le grief de refus de restitution des outils'professionnels

M. [D] soutient qu'il avait besoin de conserver ses instruments de travail dans le cadre de l'exercice de ses fonctions de directeur commercial et marketing de la société.

Tout en reconnaissant que ces outils lui avaient été remis à l'occasion de son mandat social, il estime en outre que son refus de restituer ces outils professionnels attachés à son mandat social ne se rattache pas à l'exécution du contrat de travail et ne saurait constituer un motif de licenciement.

Toutefois, et ainsi que le soutient l'employeur, il ressort des dispositions de la lettre d'engagement de M. [D] au sein de la société en date du 31 mars 2005 que les outils professionnels litigieux ont été expressément mis à la disposition de M. [D] au titre du mandat social de directeur général de la société et non au titre du contrat de travail de directeur commercial et que dès lors que son mandat social avait été révoqué il n'avait plus de titre, étant redevenu salarié de la société, à détenir un ordinateur portable comportant, ainsi qu'il ne le conteste pas, les fichiers clients de la filiale Rousseau et des messages professionnels, un téléphone professionnel et une carte de crédit de la société. Or il est constant que M. [D] a conservé ces outils professionnels pendant un mois et 10 jours après la révocation de son mandat social. Le premier grief est donc établi, sans qu'il y ait lieu de se prononcer sur le fait, invoqué par l'employeur dans ses conclusions, pour le salarié d'avoir effacé du disque dur de l'ordinateur des données importantes, dès lors que ce fait n'est pas invoqué dans la lettre de licenciement qui fixe les limites du litige.

Sur le grief de refus de restitution de clefs lors de sa mise à pied

L'employeur ne rapporte pas la preuve de ce grief qui n'est donc pas établi.

Sur le grief relatif au remboursement de frais personnels

Le grief formulé par l'employeur aux termes de la lettre de licenciement porte sur des remboursements de frais injustifiés : il s'agit «'d'un système'» qui a été révélé au moyen d'un «'sondage sur les mois de février, mars et avril 2010'» «'et notamment, à titre d'exemple, des billets de train aller-retour, des frais de repas, des frais de parking etc. cette liste n'étant pas limitative'».

Le salarié soutient :

- que son contrat de travail était suspendu, les faits reprochés se situant à l'époque où il était mandataire social de l'entreprise, que ces frais relevaient pour partie de sa mission de représentation de l'entreprise ;

- que les commissaires au compte n'ont jamais alerté la société sur le caractère excessif des frais engagés.

L'employeur, qui se prévaut de l'obligation de loyauté du salarié laquelle survit pendant la suspension du contrat de travail, soutient que les frais dont il fait état n'ont pas été engagés dans l'intérêt de l'entreprise. Il observe que les commissaires aux comptes contrôlent les comptes par sondages et dès lors l'absence de mise en évidence d'anomalies par ces derniers est sans portée.

Sur le détail des frais engagés, l'employeur justifie notamment de la prise en charge par la société Cofiba des frais suivants exposés dans la région des Alpes de Haute Provence ou à proximité ou sur l'itinéraire :

- frais d'hôtel durant les congés du salarié : 123,20 €

- 5 trajets aller-retour en train Paris [Localité 4] : 736 €

- repas pris dans le département des Alpes de Haute Provence le Vaucluse le Rhône, pour un total de 64,80 € ([Localité 13]) + 97,75 (département 84) 112,50 € (5 repas à [Localité 11]) + 214 € (5 repas mention : «'Tout Faire'») + 233,00 € (8 repas à Simiane la Rotonde le 27/7/2010 + mention «'Tout faire [Localité 8]'») + 401 € (4 repas à [Localité 9] (84) en août 2010) + 100,50 € (3 repas à [Localité 13] en août 2010) + 66,00 € (repas pour 2 à Simiane le 30/12/10), 63,06 € (repas pour 2 à [Localité 10] le 29 /12/10) = 1 352,61 €

- des frais de stationnement au parking «'Paris Méditerranée'» pour un total de 370,84€

- des frais de carburant exposés lors de fins de semaines dans le Midi (départements 84, 04 ou 26) ou au mois d'août, en Provence : 312,08 € + 312,90 € + 128,63 € + 50,83 € (Montfavet un vendredi à 19 h 44) + 245,51 € (6 pleins dont 3 dans le département 84 en juillet 2010) + 331,53 € (4 pleins dont 3 à [Localité 5] (04) et [Localité 3] (84) en août 2010) + 151,11 € + achat de carburant le 15 février 2011 : 50,01 € = 1 582,60€

Total : 4 165,25 €

M. [D], qui est propriétaire d'une résidence secondaire dans les Alpes-de-Haute-Provence accessible depuis la gare TGV d'[Localité 4], soutient que ses déplacements de fins de semaines étaient l'occasion de rencontrer des partenaires commerciaux de la société : grandes surfaces de bricolage notamment, citant les magasins suivants :«M. Bricolage'» à [Localité 3] ou [Localité 11], «'Tout faire matériaux'» à [Localité 8] (04).

Toutefois l'employeur, qui relève que le caractère modeste du chiffre d'affaires de ces établissements pour ce qui concerne la production de l'entreprise ne justifiait pas les visites du directeur général de la société, verse aux débats une attestation établie par le directeur de l'un des magasins que M. [D] soutient avoir visités, à savoir "Tout Faire Matériaux" à [Adresse 3] (04), lequel affirme avoir été responsable de l'entreprise de 1979 à mai 2012 et n'avoir jamais rencontré M. [D], précisant «'qu'il serait surpris que celui-ci ait rencontré autant de personnes de sa société sans qu'il ne le sache'», le justificatif portant en effet sur 8 repas pris à [Localité 13] avec la mention «'Tout Faire Forcalquier'».

L'employeur invoque ensuite la prise en charge par la société de frais de conseil à hauteur de 11 900 € pour le compte de M. [D], M. [M] et M. [K], cadres de l'entreprise qui envisageaient de prendre le contrôle de la société.

M. [D] fait valoir qu'il a travaillé à un projet de reprise de la société Cofiba par lui-même et d'autres membres du comité de direction, MM. [K] et [M], et Mme [Z], responsable de la filiale espagnole, et que, pour ce faire, il a fait appel à un cabinet de consultants, la société Balthazard Advisory, que ces prestations ont été facturées au nom de la société comme c'est l'usage, ainsi qu'en atteste M. [N], gérant de la société Balthazard Advisory, que c'est en pleine connaissance de cause que les actionnaires ont pris en charge le montant de la facture litigieuse du 17 décembre 2009.

Toutefois, comme le relève l'employeur, l'intitulé de la facture «'Mission d'optimisation du besoin en fonds de roulement et de la trésorerie Groupe sur les exercices 2010-2011-2012'via l'évaluation et la détermination de la valeur vénale des bâtiments d'[Localité 7] : ébauche rapide d'une étude préparatoire sur l'opportunité de la mise en place d'un lease back auprès d'un organisme bancaire» ne correspond nullement à la prestation effectivement réalisée par le cabinet de consultants, qui visait à établir la faisabilité d'un projet de reprise de la société Cofiba par M. [D] et deux autres dirigeants ; or il résulte d'un échange de courriels entre MM. [D], [K] et [N] les 15 et 16 décembre 2009 que M. [N] s'est concerté avec MM [D] et [K] sur le choix de cet intitulé, ce dernier, dont l'avis était demandé sur ce point par M. [D], ayant modifié l'intitulé proposé par le représentant du cabinet de consultants en lui précisant «'Facturation sur SA Cofiba'». Dès lors, considérant l'intitulé de la facture qui ne correspond pas à son objet véritable, il ne peut être soutenu que les actionnaires ont pris en charge en toute connaissance de cause le montant de prestations effectuées dans l'intérêt de certains cadres dirigeants, dont M. [D].

Il est donc suffisamment démontré que le salarié a fait prendre en charge par la société Cofiba des frais qui lui étaient personnels, ce qui constitue un manquement à son obligation de loyauté, sans qu'il soit nécessaire d'examiner la réalité des griefs invoqués relatifs à la prise en charge par la société de frais de livraison de statues achetées à l'étranger ou à l'achat d'une cafetière.

Sur le grief relatif à un détournement de correspondance

Les faits tels qu'ils sont décrits dans la lettre de licenciement : «'Vous avez demandé à une collaboratrice de conserver et transmettre à votre domicile tout courrier à votre attention'» ne sont pas suffisamment précis, au regard des termes employés, pour s'interpréter comme signifiant que l'employeur reproche en fait au salarié, comme il le fait dans ses conclusions, un détournement de correspondance ; en tout état de cause ce grief qui n'a pas été invoqué dans la lettre de licenciement ne peut être retenu.

Sur le grief d'agressivité

La société Cofiba produit un courriel adressé le 15 février 2011 par M. [U] à M. [D] dans lequel il reproche à ce dernier d'avoir refusé la veille de rendre les outils professionnels en lui disant qu'il faudrait que M. [U] lui donne «'un coup de poing'» et que M. [D] «'l'attendait'». Cette seule pièce est insuffisante à établir le grief reproché. Il est relevé par ailleurs que l'attestation produite établie par un salarié de la société Cofiba relatant le comportement irrespectueux voire agressif qu'aurait manifesté M. [D] à l'égard de clients de la société en 2008 est inopérante, les faits portant sur une période pendant laquelle le contrat de travail était suspendu.

En refusant, après la révocation de son mandat social, de restituer les outils professionnels, dont un ordinateur contenant les fichiers de l'entreprise, qui lui avaient été confiés, et en faisant prendre en charge par l'employeur, pendant la suspension de son contrat de travail durant laquelle l'obligation de loyauté subsiste, des dépenses personnelles faussement présentées comme engagées pour les besoins professionnels, M. [D], considérant sa qualité de cadre de haut niveau et les responsabilités lui incombant à ce titre, a commis des faits constitutifs d'une faute grave rendant impossible son maintien dans l'entreprise. Dès lors, infirmant le jugement déféré, il convient de dire le licenciement fondé sur une faute grave et de débouter M. [D] de toutes ses demandes formées au titre de la rupture.

Il est équitable de laisser à la charge de chacune des parties ses frais irrépétibles. M. [D] supportera les dépens.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

INFIRME le jugement déféré en toutes ses dispositions;

Statuant à nouveau,

DIT que le licenciement de M. [B] [D] est fondé sur une faute grave;

DÉBOUTE M. [B] [D] de l'ensemble de ses demandes;

DIT n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile;

CONDAMNE M. [B] [D] aux dépens de première instance et d'appel.

LE GREFFIER LE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 9
Numéro d'arrêt : 13/03023
Date de la décision : 18/11/2015

Références :

Cour d'appel de Paris K9, arrêt n°13/03023 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2015-11-18;13.03023 ?
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